Déclarations de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, sur l'embargo sur la viande bovine anglaise, la politique de non-coopération britannique à propos de la maladie de la "vache folle" et sur l'identité européenne de défense au sein de l'OTAN rénovée, Luxembourg le 10 juin 1996.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Conseil affaires générales à Luxembourg le 10 juin 1996

Texte intégral

Date : 10 juin 1996
Conseil affaires générales – Conférence de presse du ministre des affaires étrangères, M. Hervé de Charette, à Luxembourg

Je veux bien commencer par cela, dans la mesure où le conseil y a passé une bonne heure et demie. Ceci a été fait de façon imprévue, dans la mesure où, c’est intervenu à la suite d’une déclaration britannique réservant un certain nombre de questions inscrites en point A, c’est-à-dire pour adoption sans débat, et qui ont donné lieu, en réalité, à un très long échange de vues entre les diverses délégations. Je voudrais, si vous le voulez, d’abord rappeler la position française sur cette question.

Notre seul critère d’appréciation est le critère de la santé publique. Nous nous y sommes tenus depuis le premier jour, puisque c’est la France qui a pris les premières initiatives liées au développement de cette maladie en Grande-Bretagne. Nous sommes, d’autre part, attachés à la règle de la transparence pour faire en sorte que les opinions publiques disposent de l’ensemble des éléments et qu’entre nous, nous donnions tous les moyens d’information permettant d’apprécier, dans toutes leurs dimensions, les difficultés qui viennent du développement de cette maladie en Grande-Bretagne, et ailleurs, le cas échéant.

En second lieu, pour résoudre cette crise, il faut s’en tenir strictement aux règles de procédure et aux règles de fond qui prévalent dans le fonctionnement de l’Union européenne. C’est donc à la commission de faire des propositions. Elles doivent être examinées par les experts scientifiques. Comme vous le savez, la France, par la voix du président de la République, a souhaité que ce soit non seulement le comité vétérinaire, mais que puisse être mis en place un organisme scientifique pluridisciplinaire qui permette d’apprécier tous les aspects scientifiques de la question.

Enfin, naturellement, aucune mesure de levée de l’embargo ne peut être prise qui n’offre toutes les garanties de fonds, et qui ne serait pas assortie de toutes les procédures de contrôle efficace, de façon à protéger la santé publique. Ceci concerne donc les décisions à prendre et aussi les modalités pratiques de leur mise en œuvre.

La France souhaite que cette politique de santé publique s’accompagne d’une démarche claire de solidarité européenne. Cette solidarité concerne la Grande-Bretagne qui subit, en effet, les conséquences économiques lourdes de cette crise, mais cette solidarité doit aussi s’adresser aux éleveurs européens, qui sont directement victimes de la situation que nous connaissons.

La Grande-Bretagne a déposé entre les mains de la commission, un projet destiné à maîtriser les conséquences de cette maladie. Ce texte doit donc être examiné selon la procédure que j’ai rappelée ci-dessus, de façon approfondie et détaillée. Je ne porterai pas de jugement à ce stade, c’est aux experts de le faire, et le ministre de l’agriculture est mieux à même que moi, à la lumière des considérations développées par les experts, d’exprimer ce que sera le point de vue du gouvernement français.

Je le répète : la procédure que j’ai rappelée doit être mise en œuvre aussi rapidement que possible mais aussi de façon approfondie, détaillée, de façon à aboutir à l’éradication complète de la maladie. Aucune concession d’aucune sorte ne peut être faite de ce point de vue. L’idée d’un plan global est sage. Naturellement, son adoption, sa mise en œuvre, devront être suivies pas à pas, contrôlées par la commission et sans aucun doute, exigeront-elles un long et patient travail des experts. Dès lors, si l’idée d’un plan global est sage, il ne paraît pas possible, ni raisonnable aujourd’hui de fixer un calendrier.

La France souhaite donc, dans ces conditions, que la Grande-Bretagne prenne conscience de la bonne volonté et du sérieux de ses partenaires européens.

Aujourd’hui, toute une gamme de sentiments se sont exprimés autour de la table : depuis la pression jusqu’à l’irritation, voire l’exaspération. Sans doute, en vous informant auprès des différentes délégations, en suivant les conférences de presse des différents ministres qui s’exprimeront, pourrez-vous faire le partage entre les uns et les autres. La position française, telle que je l’ai exprimée, est une pression amicale mais forte pour que la Grande-Bretagne lève ses objections avant le sommet de Florence.

Je ne vois guère, d’ailleurs, ce que la Grande-Bretagne gagne dans son exercice de non-coopération. En persistant, elle s’exposerait à donner le sentiment que ses propositions privilégient les intérêts commerciaux sur les intérêts supérieurs de la santé publique des Européens. Et dès lors, cette impression, certainement fausse, ne pourrait que renforcer les exigences de ses partenaires sur le terrain de la santé publique.

Autrement dit, je doute que les Britanniques soient en train de se nuire à eux-mêmes. Oserai-je dire qu’ils se tirent dans le pied !

J’ajouterai que la solidarité n’est pas à sens unique : nous jouons très franchement le jeu de la solidarité à l’égard des Britanniques durement touchés par cette crise. Il faut aussi, en sens inverse, accepter de jouer le jeu de la solidarité des intérêts communs des Européens pour que cette maladie soit définitivement éliminée du territoire de notre union.

J’observe d’ailleurs avec satisfaction que les Britanniques ont commencé à évoluer. Ainsi, ont-ils sur l’Algérie et la Bosnie (à l’heure où je vous parle, sur les autres dossiers, je ne sais pas encore), convenu de ne pas inclure ces deux dossiers, qui sont deux dossiers très importants, dans le cadre de leur politique de non-coopération. Autrement dit, le conseil vient d’adopter le mandat concernant la négociation en Algérie, et pourra prendre des décisions s’agissant de la Bosnie. J’observe également qu’ils ne demandent pas aujourd’hui que l’on fixe un calendrier. Je constate qu’il y a donc des propositions britanniques. Je constate aussi que le président Santer, avec des paroles vigoureuses auxquelles je souscris, a été très soutenu ce matin par les diverses délégations. J’observe donc que la commission a commencé de les étudier et je crois que le comité se réunit mercredi. Bref, le processus d’examen et de travail pour un programme d’action en vue de l’éradication totale de la maladie est engagé, il me semble que c’était l’essentiel de ce que souhaitaient les Britanniques et donc, je vous confirme le souhait de la France qu’il faut, en effet, que cette politique de non-coopération prenne terme avant le sommet de Florence.

Q. : Selon vous, la commission peut commencer d’examiner le plan cadre en même temps que perdurera la politique de non-coopération ?

Hervé de Charrette : Je ne souhaite pas que l’on commence à multiplier les conditions. Il faut éradiquer la maladie, et pour cela, il faut prendre des dispositions. C’est cela qui est important, et ces dispositions ne relèvent pas des ministres des affaires étrangères. C’est aux experts, au conseil des ministres de l’agriculture de travailler, de prendre des décisions, de rechercher les bonnes décisions, de voir quels sont les mécanismes de contrôle. Il faut être, de ce point de vue, extrêmement clair, net, transparent et exigeant. Il faut faire, et le plus vite sera le mieux. Dans le même temps, c’est vrai que je ne crois pas qu’il soit très bon, les Britanniques eux-mêmes d’ailleurs le reconnaissent, d’insister dans cette ligne de non-coopération, dont j’ai observé qu’elle provoquait ce matin beaucoup de réactions négatives. Vous savez observé que la mienne est une réaction à la fois précise et mesurée.

Q. : Pensez-vous qu’il soit possible de parvenir à un accord sur un plan d’éradication avant Florence ?

Hervé de Charrette : Je ne sais pas, je ne peux pas répondre à cette question. J’aimerais pouvoir le faire mais c’est une question très technique. Il y a des propositions, il y aura, à un moment ou à un autre, un accord sur un dispositif. Il y aura ensuite sa mise en œuvre qui prendra certainement beaucoup de temps. Ce sont trois étapes différentes. Pourra-t-on franchir la deuxième étape, c’est-à-dire avoir un cadre général, un plan d’action d’ici à Florence, je n’en sais rien. Ce sont les experts qui peuvent le dire. On ne peut pas conditionner une attitude générale à l’aboutissement de ces travaux, dès lors que personne ne peut penser qu’il y a du côté des Européens quelque mauvaise volonté que ce soit. Même ceux qui ont donné le sentiment d’être les plus raides dans cet exercice, on ne peut pas leur imputer quoi que ce soit. Je veux dire que tout le monde est convaincu de l’absolue nécessité de dispositions donnant toutes les garanties de l’éradication de la maladie. Tout le monde est décidé, me semble-t-il, à y travailler de bonne foi, tout le monde veut parvenir à un résultat positif et personne autour de la table n’est prêt à faire de concession sur ce point. Quel temps faut-il pour que les experts se mettent d’accord, je ne sais pas. Il est bien évident qu’il ne saurait être question de bâcler le travail sous prétexte qu’il y a le sommet des chefs d’État de Florence.

Q. : Mais les experts de la partie britannique ont tranché et les gouvernements n’ont pas suivi l’avis des experts de la commission. Comment résoudre cela sans un accord politique ?

Hervé de Charrette : Chaque pays a sa liberté d’appréciation. Les experts jouent un rôle déterminant, très important, et chaque pays doit, comme c’est normal dans une discussion de cette sorte, être en état de prendre sa propre décision.

Q. : Mais pour la France…

Hervé de Charrette : Je voudrais redire ici que la position de la France est certainement que les critères de santé publique sont les seuls critères qui doivent inspirer la décision, et qu’en cas de doute, c’est la rigueur qui doit prévaloir. Sur ce sujet, il ne saurait être question de faire preuve de faiblesse ou d’inconséquence.

En même temps, la France s’est efforcée, pour ce qui la concerne, tout au long de cette période, de faire preuve de rigueur tout en montrant la première le chemin de la solidarité entre Européens. Nous gardons cette ligne que nous croyons être une ligne forte.

Q. : Est-il possible, avant l’éradication complète de la maladie (les Britanniques disent qu’avant l’an 2000, il y aura toujours des cas), est-il possible de lever l’embargo avant l’éradication ?

Hervé de Charrette : Je ne veux pas entrer dans la partie technique du dossier. C’est avec les ministres de l’agriculture qu’il faut voir ces questions. Je voulais simplement, parce que cette question a été évoquée ce matin, sous l’angle où elle a été évoquée, c’est-à-dire de la politique de non-coopération britannique, refléter un peu devant vous ce qu’a été le débat et vous donner la position française. Comment peut-on faire, quelles sont les modalités, quels sont les délais prévisibles, je ne crois pas être à même de vous répondre.

Q. : L’exaspération et l’irritation d’autres partenaires qui se sont exprimés ce matin vis-à-vis du Royaume-Uni, ne portaient que sur la politique de non-coopération ou cela a-t-il été élargi à autre chose ?

Hervé de Charrette : C’était le sujet. Les ministres ne sont pas parfaits, mais ils arrivent généralement à se tenir dans le cadre du débat qui leur est donné. Nous parlions de ce sujet en réalité, seulement parce que M. Rifkind est intervenu sur ce thème, à l’occasion du point A. Vous savez que normalement, on se doit d’en prendre acte. Il a dit que la Grande-Bretagne s’opposait à l’adoption d’un certain nombre de sujets figurant au point A.

Q. : Est-ce que la France a demandé que la conférence intergouvernementale…

Hervé de Charrette : Nous n’en sommes pas du tout à mélanger les problèmes, celui-là est déjà assez compliqué, je ne crois pas qu’il faille faire de lien entre les choses. Cette affaire de la vache folle est un drame ; peut-être les experts avaient-ils déjà vu que cette affaire allait venir, l’opinion certainement pas. Je crois que les Européens doivent plutôt se donner la main pour y apporter une solution rigoureuse et vigoureuse, qui démontrera la capacité de l’Union européenne à faire front à une crise de cette sorte, probablement la première, mais dont on n’est pas sûr qu’elle soit la dernière.

Q. : Croyez-vous que les Anglais, sur le recours à la politique de non-coopération, aient réussi à affaiblir l’outil que représente le veto national au sein de l’union ?

Hervé de Charrette : Je ne suis pas du tout inspiré par l’idée de tenir des conclusions philosophiques de la crise dans laquelle nous nous trouvons.

Q. : (inaudible)

Hervé de Charrette : Je ne sais pas. Je crois que c’est possible, je crois aussi que ce n’est pas certain. Je ne voudrais pas vous donner l’impression de faire une réponse de normand. S’agissant de questions posées par les Britanniques, tout est possible. Je crois vraiment que c’est cela la situation. Tout est possible car nous devrions, la France et les Britanniques, être convaincus du sérieux, de la bonne volonté des Européens, du fait que personne ne soit animé de l’idée qu’il faut traîner les pieds pour différer l’étude de ce dossier. Chacun est très volontaire pour traiter tout cela énergiquement, rapidement, avec détermination. Cette bonne foi, ce sérieux, européens, devraient, de ce point de vue, peser dans la décision britannique. J’ai observé que, aujourd’hui, sur quelques sujets très importants, la délégation britannique n’a pas formalisé sa non-coopération ; autrement dit, c’est une non-coopération sélective dont la Grande-Bretagne essaie de minimiser les conséquences négatives pour elle-même. Donc, cela peut laisser la porte entrouverte à l’espoir de la sagesse.

Q. : Si aucune solution n’est trouvée d’ici Florence, croyez-vous que l’on ne parlera plus de la vache folle à Florence ?

Hervé de Charrette : Cela m’étonnerait. Franchement, je suis sûr que non. Vous observerez qu’aujourd’hui, nous ne parlons pas que de la vache folle, mais j’ai bien peur que vous n’écriviez que sur la vache folle. Cela se passera probablement comme cela à Florence, on ne parlera certainement pas que de la vache folle, car les chefs d’État et de gouvernement ont beau avoir de l’imagination, ils auraient du mal à tenir pendant un sommet entier. Par contre, il y a des risques que vous n’écriviez que sur ce sujet, auquel cas, ce sommet paraîtrait ne tourner qu’autour de lui alors même que l’on aurait passé la matinée à parler d’autre chose.

Q. : Ne pensez-vous pas que la vache folle risque de perturber le climat ?

Hervé de Charrette : Je comprends bien, les journalistes adorent les situations de tension et de drame. Les hommes politiques les détestent et ils font beaucoup d’efforts pour, au contraire, essayer de faire baisser la température, trouver les solutions. Nous allons nous y efforcer, il n’est pas sûr que vous ayez gain de cause…

Q. : Serait-ce se tromper M. le ministre que de dire que la France a infléchi son attitude depuis quelques jours vis-à-vis du Royaume-Uni, qu’elle est plus ferme ?

Hervé de Charrette : Oui, ce serait se tromper. J’ai déjà lu cela dans les journaux, franchement ce serait se tromper. Ce que je vous ai dit pour rappeler le principe sur lequel nous fondons notre position, j’aurais pu vous le dire il y a trois semaines dans le « shuttle ». Sur la levée partielle de l’embargo, nous avons fait ce que nous avions dit, nous avons fait ce qui était possible à la lumière des avis scientifiques précis et formels, confirmés par le comité vétérinaire.

Q. : Vous n’avez pas changé de ligne ?

Hervé de Charrette : Non, franchement, non. Lisez bien les documents et vous verrez. Nous n’avons pas changé de ligne. Si l’on arrive à l’idée d’une levée générale de l’embargo, on entre dans un sujet beaucoup plus complexe.

Q. : N’avez-vous pas l’impression que l’on a davantage laissé parler les politiques plutôt que les scientifiques ?

Hervé de Charrette : Non. Le naturel des scientifiques est de peu parler, peut-être pensez-vous que le naturel des politiques est de trop parler ? Sous ces réserves, non, les décisions ont toutes été prises sur la base de considérations scientifiques. Il est possible aussi que les scientifiques eux-mêmes aient du mal à apporter des sécurités ou des certitudes généralisées, cela c’est vrai.

En tout cas, on est certainement en face d’une de ces maladies d’un type nouveau, à caractère viral, qui surgissent, qui sont des données de la vie moderne.

C’est vrai, et cela vaut pour les hommes politiques et aussi pour vous, qu’il faut essayer de tenir un langage transparent, un langage clair que l’opinion publique comprenne, afin de juger que ceux qui prennent des décisions, les prennent à bon escient. C’est cela qui est important, parce que personne ne peut contester qu’il y a aussi une dimension psychologique qui, certainement, crée des sentiments négatifs plus forts même que la maladie, et qui a des conséquences. Je ne porte pas de jugement. Je dis simplement que dans tout cela, nous devons, les uns et les autres, en tout cas, moi, et dans la mesure où cela me concerne, je m’efforcerai de rester sur cette ligne. Au niveau des ministres des affaires étrangères, nous n’avons pas à délibérer sur le fond de la question. Nous avions à délibérer sur les aspects politiques de la décision britannique d’adopter une attitude de non-coopération. Pour le reste, je ne vous ai pas parlé de cette maladie depuis son apparition, et je continuerai de ne pas le faire, car cela ne relève pas du ministre des affaires étrangères.

Q. : Est-ce que cela reviendra au conclave ?

Hervé de Charrette : Non, mais cela m’étonnerait qu’à un moment ou à un autre, les Italiens ne nous rendent pas compte, et la commission aussi d’ailleurs, des discussions de travaux qui auront été conduits pendant cette période.

Je voudrais aussi vous dire que nous parlerons ce soir, au cours de la conférence intergouvernementale, des questions de sécurité et de défense. Si vous le voulez bien, en avant-première, je voudrais vous dire ce que j’ai l’intention de dire tout à l’heure. Comme vous le savez, nous avons pris des décisions extrêmement importantes à Berlin, d’importance formidable. C’est vraiment un pas décisif dans l’histoire de l’alliance, puisque nous passons de l’Alliance ancienne à l’Alliance nouvelle. L’Alliance nouvelle, c’est deux choses : la première était acquise, la seconde ne l’était pas. C’est d’abord des missions nouvelles. Et, c’est ensuite une organisation nouvelle. Nous avons décidé de faire en sorte qu’au sein de cette Alliance nouvelle, l’identité européenne de défense s’exprime non pas seulement de façon virtuelle dans des plans que feraient les spécialistes en disant « comment cela se passerait si jamais, par extraordinaire, les Européens décidaient d’agir eux-mêmes », mais au contraire, en identifiant dans la chaîne du commandement, des postes de commandement donnés à des Européens et constituant l’ossature de cette capacité séparable mais non séparée, qui permette, en cas de décision politique des Européens, d’agir de leur propre chef, mais avec les moyens de l’OTAN, de le faire sans difficulté, puisque le dispositif serait, en quelque sorte, préparé à l’avance, organisé pour cela dans un système où l’unité de l’alliance est préservée.

Je crois que c’est un travail très remarquable. Alors, naturellement, ce sont les bases, ce sont les principes, mais il faudra qu’à Bruxelles, en décembre prochain, on entre dans le vif du sujet. Je ne crois pas que l’on pourra tout finir à temps, mais on pourra faire des pas supplémentaires importants.

Et dès lors, je crois – et c’est donc ce que je proposerai – qu’il faut que l’identité européenne de sécurité et de défense progresse aussi dans le cadre de l’Union européenne et la CIG nous en fournit l’occasion. Nous proposons donc que les Européens s’engagent maintenant dans la définition d’une politique européenne de défense commune. Les premières étapes pourraient consister dans une concertation portant sur la définition des intérêts européens de sécurité, sur des concepts de défense permettant d’identifier de possibles domaines de coopération, et enfin, sur l’organisation des moyens à y joindre. Il faut, naturellement pour cela, une forte impulsion politique et il appartient aux chefs d’État et de gouvernement de le faire. C’est pourquoi, nous proposons que le Conseil européen soit la clé de voûte dans ce domaine et soit donc chargé de définir les orientations, les objectifs, les domaines d’action prioritaire en matière de sécurité et de défense.

C’est au sein de l’Union européenne que les décisions politiques devront être prises et, naturellement, il faut que l’UEO, bras armé de l’union, s’organise pour être le lieu où cette identité européenne de défense s’organise et se dote pour cela des moyens et des capacités d’action au niveau proprement européen.

Je crois donc qu’il y a une continuité, une logique qui s’impose aisément entre ce que nous avons fait au sein de l’alliance, permettant de mettre les moyens de l’alliance au service d’une décision politique et d’une mise en œuvre opérationnelle des Européens, entre eux, au cours d’interventions qu’ils seraient amenés dans le futur à juger opportunes, dans le cadre des missions de Petersberg.

À l’Union européenne de fournir le cadre de la décision, à l’alliance rénovée de fournir des moyens éventuels, à l’union de l’Europe occidentale de fournir le lieu de la mise en œuvre opérationnelle.

Il n’y a donc pas contradiction comme j’ai eu peur de l’entendre. Il y a, au contraire, une parfaite logique à lier l’ensemble de ces évolutions et de ces mouvements. Voilà Mesdames et Messieurs, ce que je voulais dire sur ces points. Est-ce que cela appelle de votre part quelques questions ?

Q. : Comment peut-on associer les Américains dans cette répartition des tâches que vous donnez entre l’Union européenne et l’alliance ?

Hervé de Charrette : Attendez ! Voyons comment cela se passe ! Si l’alliance intervient globalement, les Américains interviennent comme les quinze autres États membres. C’est une intervention de l’alliance, donc les seize s’y trouvent.

Mais par hypothèse, nous nous mettons dans le cas où cela ne se passe pas comme cela, c’est-à-dire qu’il y a l’idée d’une intervention, décision à laquelle les Américains ne souhaitent pas s’associer pour les raisons qui les regardent. Dans ce cas-là, dans le cadre des décisions que nous avons prises à Berlin, est ouverte la possibilité d’une intervention des Européens, en utilisant les moyens de l’alliance. C’est ce que l’on appelle le principe ou concept de forces séparables mais non séparées.

L’intervention américaine, le rôle des États-Unis, que peut-il être dans ce cas ? Par définition, ils n’interviennent pas. La question qui s’est posée était : faut-il, oui ou non, qu’ils participent à la décision ? Et faut-il qu’ils soient amenés à participer à toute décision ultérieure ? Nous sommes arrivés à la conclusion qui est la bonne, me semble-t-il, c’est que naturellement, au sein de l’alliance, les décisions sont toujours prises à seize. De la même façon que nous n’avons jamais imaginé que nous pourrions être entraînés par une décision prise par quinze autres États membres. Il va de soi que les États-Unis font partie du Conseil atlantique et le Conseil atlantique doit prendre la décision. Cela, c’est clair. C’est aussi équitable pour les Américains, si j’ose dire. Nous n’accepterions pas d’être entraînés dans quelque chose de ce genre. C’est la règle même de l’alliance. Mais par contre, une fois cette décision de principe prise, on voit mal comment un État membre pourrait s’opposer à une action des autres membres, les États-Unis en ayant accepté le principe, et les modalités de cette force séparable ou même séparée ayant été définies. Ensuite, c’est la responsabilité des Européens d’assurer la mise en œuvre.

Q. : Qu’est-ce que cela signifie pour l’avenir de l’UEO ? C’est une part très distincte.

Hervé de Charrette : Au contraire, elle est très importante. L’UEO, jusqu’à présent, c’est une instance virtuelle.

Q. : Oui, mais il n’y a plus de rapprochement envisagé avec l’union…

Hervé de Charrette : Mais oui, bien entendu. Vous savez bien que sur ce sujet, les Européens n’ont pas tous le même point de vue. La France est pour le rapprochement et la fusion, à terme, de l’UEO et de l’Union européenne. Nous ne changeons pas de ligne ! Donc, nous maintiendrons, quant à nous, cette ligne et cette perspective. Et nous souhaitons que des progrès soient accomplis dans ce domaine.

En même temps, l’union de l’Europe occidentale, qui avait une existence virtuelle, dont l’activité se limitait à se réunir en session ministérielle peu active, il faut bien le dire, trouve maintenant une mission qu’elle n’avait pas. Elle a la charge de la conduite opérationnelle des interventions militaires dans le cadre des missions de Petersberg, que les Européens veulent aussi entreprendre avec les moyens de l’Alliance atlantique. Et donc, au contraire, cela donne aujourd’hui une mission nouvelle à l’union de l’Europe occidentale qui, bien entendu, doit s’y préparer, que ce soit en termes d’organisation interne, en termes de planification conjointe avec l’alliance. Elle a tout un travail très important à faire désormais. Je dirais que, selon le mot de M. Cutileiro, l’UEO passe du rêve à la réalité, du moins de l’état virtuel à l’état réel.

Q. : Il y aura donc une planification qui sera à côté de la planification de l’OTAN, mais aussi de la future cellule d’analyse de l’union ?

Hervé de Charrette : Oui, il faut laisser aux experts le soin de voir comment tout cela va être ajusté et organisé. Vous savez, en ce qui concerne l’alliance, on n’est qu’au début du travail très complexe, très lourd de transformation, de mise en œuvre des décisions, dont nous avons fixé des principes, et qui doivent entrer dans la réalité…

Il va de soi que l’union de l’Europe occidentale, bras armé de l’union, aura à se préparer à l’exercice de ces missions, avec les moyens de l’alliance.

Q. : Cette proposition a-t-elle fait l’objet d’une concertation avec l’Allemagne, la semaine dernière ?

Hervé de Charrette : Bien sûr. D’abord, vous savez que la session ministérielle de Berlin a été préparée de façon extrêmement intense avec les Britanniques, avec les Allemands, en fait, avec l’ensemble de nos partenaires européens. Nous avons été frappés, cela a été l’un des enseignements de Berlin, de voir que les Européens avaient, dans la discussion, qui a parfois été complexe et chaude, manifesté une forte convergence, une forte solidarité, en partageant les mêmes points de vue.

Q. : Le sommet franco-allemand de Dijon a également étudié ces questions.

Hervé de Charrette : Oui, je n’ai pas de nouvelles informations sur le sujet des questions de sécurité et de défense à Dijon.

Q. : La France et l’Allemagne vont-elles faire des propositions plus formelles à l’union ?

Hervé de Charrette : Non, nous avons, comme vous le savez, prévu d’élaborer un concept de défense franco-allemand à l’échéance du prochain sommet franco-allemand de décembre.

Le débat que nous avons aujourd’hui sur ces problèmes de sécurité et de défense est intéressant, c’est pour cela que je vous en parle, parce qu’il vient dans la foulée de Berlin et dans la logique de Berlin. Les partenaires européens trouveront certainement intérêt à donner un coup d’accélérateur à ce que doit faire la CIG de ce point de vue.

Q. : Vous vous attendez à avoir la discussion aujourd’hui ?

Hervé de Charrette : Oui, si je vous en parle, c’est parce que l’on va en à parler aujourd’hui. Apparemment, ce ne sera qu’un tour de table, mais on devrait en parler aujourd’hui.


Date : 10 juin 1996 
Conférence intergouvernementale – Intervention du ministre des affaires étrangères, M. Hervé de Charette, à Luxembourg

Monsieur le président,

La session ministérielle de l’OTAN, à Berlin, représente un tournant historique pour la construction de l’identité européenne de sécurité et de défense. C’est une chance que les Européens doivent saisir s’ils veulent faire passer l’Europe de la sécurité et de la défense, du stade de l’existence virtuelle à celui de la réalité.

Ces résultats sont particulièrement encourageants pour les travaux de la Conférence intergouvernementale.

Pour la première fois, depuis la réactivation en 1984 de l’UEO, celle-ci peut pleinement devenir opérationnelle. Il faut que nous en tirions toutes les conséquences à l’Union européenne, comme à l’UEO.

I. –  La session ministérielle de Berlin permet aux européens d’exercer pleinement leurs responsabilités au sein de l’alliance.

Berlin a permis d’enregistrer une première série de mesures concrètes d’adaptation des structures de l’OTAN : je pense à l’approbation du concept de Groupes de forces interarmées multinationales (GFIM) qui permettra à l’UEO de recourir aux moyens de l’OTAN. Mais nous sommes allés bien au-delà de la possibilité pour les Européens de disposer au cas par cas des moyens de l’alliance.

Nous avons, en effet, défini des principes permettant de faire à l’identité européenne une place permanente et visible au sein des structures de l’OTAN.

Nous pourrons, au terme du processus de rénovation, disposer de positions de commandement, de moyens d’état-major et de soutien, qui pourront servir dans des opérations de l’UEO. Ces différents éléments se prépareront en permanence à leurs missions européennes, nous permettant ainsi à l’avenir, de nous appuyer sur des capacités qui auront fait l’objet d’une préparation adéquate, en liaison avec l’UEO.

La solidarité entre Européens a été un élément décisif pour faire aboutir ces décisions. Il est désormais de notre responsabilité d’affirmer au sein de l’Union européenne, notre volonté commune de prendre en charge notre sécurité et notre défense.

II. – La Conférence intergouvernementale doit permettre à l’Union européenne de donner corps à cette identité européenne de sécurité et de défense.

1. L’Union européenne doit maintenant se donner les moyens de définir une politique européenne de défense en s’intéressant, dans un premier temps, aux missions dites de Petersberg qui sont celles qui, dans l’avenir, ont le plus de chances de se trouver mises en œuvre.

Tout d’abord, nous devrions préciser dans le traité, par une clause de solidarité politique, que l’appartenance à l’Union européenne crée, entre ses membres, une relation de sécurité qui implique une solidarité étroite ; non pas un engagement d’alliance mais une solidarité effective.

Ensuite, nous pourrions engager la concertation pour définir ce que sont les intérêts européens de sécurité et les situations impliquant l’usage de moyens militaires. La concertation devrait également porter sur les concepts de défense (rapprochement progressif des concepts de défense nationaux, identification de domaines de coopération), je pense notamment à la coordination de nos besoins et de nos programmes en matière d’armement.

2. La mise en œuvre de ces orientations supposent de concilier deux exigences :
      – la première qui est de faire venir l’impulsion du plus haut niveau, celui des chefs d’État et de gouvernement ;
      – la seconde, de préserver le cadre intergouvernemental de la politique étrangère et de sécurité commune.

La seule enceinte répondant à cette double exigence est le Conseil européen, dont nous souhaitons renforcer le rôle et la compétence dans les affaires de sécurité et de défense.

Cela signifie pour nous :
      – qu’il appartiendra au Conseil européen de définir les orientations et les objectifs de l’union en matière de sécurité et de défense, c’est-à-dire les domaines d’action qui ont un caractère prioritaire dans le domaine de la sécurité et de la défense, et les buts à atteindre ;
      – que le conseil des ministres de l’union aura la charge de prendre les mesures de mise en œuvre nécessaires, notamment en demandant à l’UEO d’agir pour réaliser ces objectifs.

III. – Pour que cette politique soit crédible, l’Europe devra disposer de moyens opérationnels et par conséquent, se rapprocher de l’UEO.

1. L’adaptation de l’alliance, décidée à Berlin, devrait permettre à l’UEO de jouer un rôle effectif sur le plan militaire.

L’UEO aura, sous sa direction politique et son contrôle stratégique, les moyens mis à sa disposition par l’alliance ; elle réalisera ? en coordination avec l’OTAN ? la planification et les exercices de préparation aux missions.

Des arrangements de commandements seront conclus pour préparer et conduire des opérations dirigées par l’UEO ; de même, seront identifiés les capacités opérationnelles ainsi que les quartiers généraux et fonctions de commandement nécessaires pour commander et conduire des opérations de l’UEO.

En outre, l’UEO devra conserver des capacités d’action autonome. Afin de mener des opérations avec les moyens de l’OTAN, elle devra disposer des capacités opérationnelles d’aide à la décision et de conduite politico-militaire d’une opération. Il nous faudra aussi progresser sur ces points.

2. L’UEO doit en même temps être renforcée dans son rôle de bras armé de l’Union européenne.

Si l’UEO doit pleinement bénéficier, sur le plan militaire, des décisions de Berlin, il reste que sa légitimité politique ne peut venir que de l’Union européenne. Pour être compréhensible et acceptable par les opinions la décision d’intervenir doit venir de l’union elle-même.

Le rapprochement institutionnel de l’Union européenne et de l’UEO est donc indispensable. Il doit s’effectuer dans la perspective d’une fusion à terme des deux organisations.

Des dispositions particulières devront être prises pour que les membres de l’union n’appartenant pas à l’UEO, puissent être associés à ces opérations s’ils décident d’y participer.

On voit bien dès lors comment, avec l’ensemble de ce dispositif, l’union pourrait mettre en œuvre les missions dites de Petersberg : l’union décide du principe d’une opération. Elle demande à l’UEO d’en exécuter la partie militaire. Si la mise en œuvre de l’opération dépasse les capacités proprement européennes et suppose l’utilisation de moyens de l’OTAN, l’opération sera, soit menée avec participation américaine, soit par les Européens dans le cadre de l’UEO, après une décision du Conseil atlantique de transférer les moyens nécessaires.

Il nous faut donc renforcer l’UEO en tant qu’instrument militaire de l’union et pilier européen de l’alliance. Cela passe par le resserrement de ses liens institutionnels avec l’union, et opérationnels avec l’OTAN.

Notre objectif est donc clair : affirmer l’identité européenne de sécurité et de défense à travers une approche globale et cohérente de l’union, grâce à une UEO renforcée par sa coopération avec l’alliance.