Interviews de M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances, dans "l'Expansion" le 2 mai 1996, "Le Monde" le 15 et à RMC le 31, sur le débat d'orientation budgétaire pour 1997, et le redémarrage des privatisations.

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Média : L'Expansion - Le Monde - RMC

Texte intégral

L'Expansion : 2 mai 1996

L'Expansion : La bonne tenue de la Bourse autorise le redémarrage du programme de privatisations. Quel est le montant des opérations prévues pour l'année 1996 ?

Jean Arthuis : Nous avons plusieurs dossiers, en préparation, pour une valeur totale d'une quarantaine de milliards de francs : une moitié au titre du budget 1996, l'autre pour rattraper le retard de l'année dernière.

L'Expansion : Pour atteindre un tel chiffre, il faudra céder de gros morceaux. Parmi ceux-là, les AGF semblent figurer en bonne place.

Jean Arthuis : La vente des Assurances générales de France se fera en 1996, et rapportera une dizaine de milliards de francs.

L'Expansion : Autre gros morceau, Thomson est mal en point et nécessite, selon les experts, une recapitalisation importante. L'État est-il prêt à faire cet effort ?

Jean Arthuis : C'est aux nouveaux actionnaires qu'il appartiendra d'assumer la responsabilité complète du capital. L'injection d'argent public n'aurait pas grand sens : cela vaudrait que le prix du cash versé par l'État ... Thomson a aujourd'hui une valeur en tant que tel.

L'Expansion : Pour Thomson, seriez-vous prêt à accepter un actionnaire étranger comme le britannique GEC, alors que le chef de l'État semble souhaiter un français ?

Jean Arthuis : Nous n'avons ni a priori ni tabou. Il nous faut préserver les intérêts nationaux, tout en manifestant un esprit d'ouverture et de partenariat européen.

L'Expansion : Certains évoquent l'idée, pour faire entrer plus vite l'argent dans les caisses de l'État, de vendre une fraction minoritaire du capital de France Télécom, ou bien ses filiales, avant même le changement de statut. Y êtes-vous favorable ?

Jean Arthuis : Non, je crois qu'il nous faut rester dans le cadre des deux lois qui sont programmées sur la nouvelle réglementation des télécoms et l'adaptation du statut de l'entreprise.

L'Expansion : Le coût exorbitant de la retraite des salariés fonctionnaires sera-t-il supporté par le nouvel actionnaire de France Télécom ? On parle de 90 milliards de francs ...

Jean Arthuis : Il s'agit d'un passif substantiel. Nous sommes en train de l'évaluer précisément. Mais une chose est sûre, il n'est pas question de toucher aux droits des fonctionnaires.

L'Expansion : Peut-on imaginer que ce passif soit transféré à l'État ?

Jean Arthuis : La pesé doit être équitable, si c'est l'État qui assume cette charge, il importe que le futur gestionnaire de l'entreprise participe au financement.

L'Expansion : Que va-t-on faire de l'argent obtenu grâce à ces ventes ?

Jean Arthuis : L'essentiel du produit des privatisations sera affecté aux dotations en capital des entreprises publiques – leurs besoins sont importants, ils représenteront une quinzaine de milliards de francs cette année – et le reste servira au désendettement de l'État.

L'Expansion : Pour la première fois cette année, le Parlement sera associé très tôt à la préparation du prochain budget, lors d'un débat d'orientation qui aura lieu à la mi-mai. Qu'en attendez-vous ?

Jean Arthuis : J'en attends un éclairage sur les données budgétaires des prochains exercices, ainsi que sur les dépenses publiques dans les cinq ans qui viennent. Avec en perspective le projet de loi d'orientation sur les prélèvements obligatoires que nous préparons : il importe d'avoir le double éclairage, budgétaire et fiscal.

L'Expansion : Sur quoi les députés vont-ils se prononcer, à l'issue du débat ?

Jean Arthuis : Je vais présenter une esquisse budgétaire qui distingue clairement le coût du fonctionnement de l'État et l'investissement public, ne serait-ce que pour mettre en évidence qu'on a aujourd'hui recours à l'endettement pour financer des dépenses courantes : des salaires, des charges sociales, des intérêts d'emprunt... C'est de cela qu'il faut sortir d'urgence. Sachant qu'on ne peut plus augmenter les impôts, la seule issue, c'est la compression des dépenses publiques.


Le Monde : 15 mai 1996

Le Monde : Le rapport d'orientation budgétaire remis au Parlement souligne que « les politiques budgétaires réussies se distinguent par une réduction des dépenses alors que les échecs sont le fait de politiques plus axées sur une augmentation des impôts ». Est-ce une autocritique pour l'année écoulée ?

Jean Arthuis : Non, nous étions confrontés à une situation difficile. Il était donc nécessaire de prendre des mesures d'urgence pour résorber les déficits. L'an dernier, nous avons déjà procédé à un important effort d'économies. Mais notre cap est clair : notre priorité, c'est de réduire les prélèvements obligatoires, et cela implique un fort allégement de la dépense publique. Il est indispensable de mettre un terme aux errements budgétaires du passé.

Le Monde : Quels errements ?

Jean Arthuis : Vous pouvez en prendre la mesure avec le niveau de la dette publique. Quand celle-ci atteint les montants que nous connaissons, l'effet d'éviction joue à plein : le déficit public absorbe toute l'épargne disponible. De plus, vous observerez que la France est le seul pays du G7 où sur une longue période les seuls emplois créés sont des emplois publics. Tout cela implique une forte remise en ordre.

Le Monde : Concrètement, qu'est-ce que cela veut dire ?

Jean Arthuis : Cela veut d'abord dire qu'une prise de conscience doit avoir lieu et que nous avons un travail de pédagogie à faire. Je souhaite que le Parlement puisse nous éclairer sur les grands arbitrages à rendre.

Le Monde : Avez-vous chiffré l'ampleur des économies à réaliser ?

Jean Arthuis : Avant d'envisager le remède, il faut se mettre d'accord sur le diagnostic. Le gouvernement a donc décidé de réaliser une opération-vérité en présentant les comptes budgétaires en distinguant pour la première fois, comme le font les collectivités locales, les dépenses de fonctionnement des dépenses d'investissement.

Le Monde : En quoi cette distinction est-elle éclairante ?

Jean Arthuis : Elle permet de fixer le but à atteindre. D'abord, elle fait apparaître que les comptes de l'État, pour 1996, devraient enregistrer un déficit de fonctionnement de 109 milliards de francs. C'est-à-dire que l'État doit emprunter pour payer une partie des charges courantes : les salaires, les charges sociales, les pensions, les intérêts ... Ce déficit, il faudra intégralement le résorber. Nous devrons aussi générer par prélèvement sur les recettes courantes les fonds pour rembourser la dette antérieure, ce qui implique un effort complémentaire d'une centaine de milliards de francs.

Le Monde : La remise en ordre des comptes de l'État doit donc porter au total sur plus de 200 milliards de francs ? À réaliser dans les plus brefs délais ?

Jean Arthuis : Dans les plus brefs délais, sûrement pas. L'exercice est délicat car il faut à la fois réussir cette remise en ordre tout en garantissant le maintien de la cohésion sociale. L'effort n'est donc pas à réaliser immédiatement, mais il faut s'y préparer et l'étaler dans le temps, avec détermination. Lors de l'examen par le Parlement du projet de loi de finances pour 1997, le gouvernement proposera donc une programmation budgétaire pluriannuelle.

Le Monde : Pour 1997, on parle dès à présent de plus de 60 milliards de francs d'économies ...

Jean Arthuis : Je ne veux pas m'engager à ce stade sur un chiffrage. Nous ne le fixerons qu'après le débat parlementaire. Je peux juste vous rappeler les contraintes budgétaires. D'abord, il y a la charge de la dette qui augmentera inévitablement de près de 19 milliards de francs en 1997, soit plus 8,3 %. Si la dérive de la masse salariale de la fonction publique se poursuivait au rythme actuel, constaté entre 1991 et 1996, de l'ordre de 4 % l'an, cette charge augmenterait de son coté de 22 à 23 milliards de francs. Par ailleurs, si les autres dépenses continuaient d'augmenter au même rythme que celui du coût de la vie, les dépenses supplémentaires seraient de 15 milliards de francs. Enfin, comme nous avons récemment dû réviser à la baisse nos prévisions de croissance, il faudra prendre en compte ce que l'on appelle un « effet de base » qui pèsera lui aussi sur le projet de loi de finances pour 1997. Il convient toutefois de souligner que la croissance a repris un rythme de progression évalué entre 2,5 % et 3 % l'an.

Le Monde : Compte tenu de la baisse fiscale promise pour 1997, les économies devront donc dépasser 60 milliards de francs ...

Jean Arthuis : Il faut que chacun prenne bien conscience que pour baisser les impôts il faudra baisser courageusement la dépense. Il y a urgence à rendre des marges de liberté aux Français en abaissant les prélèvements obligatoires.

Le Monde : Les politiques restrictives conduites en Europe ne vont-elles pas peser sur la conjoncture ?

Jean Arthuis : L'interdépendance des économies est forte, mais la croissance est aussi une résultante de la confiance. Lorsqu'une entreprise se fragilise, cela a un effet sur la motivation de ses salariés. À l'échelle du pays, il en va de même. Pour redonner confiance, il n'y a qu'un seul moyen : montrer que l'on a une vision claire de la situation et que l'on est déterminé à y porter remède. La baisse spectaculaire des taux d'intérêt depuis un an en apporte la preuve.

Le Monde : Quelles sont les pistes que vous privilégiez pour les économies ?

Jean Arthuis : Je ne me prononcerai pas avant d'avoir entendu le Parlement. Tout ce que je puis dire, c'est qu'il y a un seul sanctuaire : la défense. Dans ce cas, le chef de l'État a clairement indiqué que les crédits seraient maintenus à 185 milliards de francs, valeur 1995. Pour le reste, il n'y aura pas de dépense taboue.

Le Monde : Certains, dans la majorité, jugent qu'il vaudrait mieux attendre plutôt que d'envisager une baisse d'impôt seulement « cosmétique » en 1997. Êtes-vous sensible à cette critique ?

Jean Arthuis : Non. L'important, c'est de fixer un horizon pour la réforme fiscale. Les Français ont besoin de bien percevoir où nous entendons aller et de mesurer que nous avançons résolument mais par étapes. C'est ce que nous ferons, une fois que la mission de réflexion dirigée par M. de La Martinière nous aura remis ses conclusions. Dès lors que le scénario sera fixé, chaque loi de finances devra constituer une étape pour atteindre notre but. Mais je souhaite, dans le respect de cette méthode, que nous puissions émettre un signe de notre volonté politique de réduire les prélèvements obligatoires dès 1997.


RMC : vendredi 31 mai 1996

RMC : Les industriels sont maussades. Les Français ne croient plus que les choses vont s'arranger. Est-ce que les choses vont aller mieux, comme le Gouvernement nous le promet ?

Jean Arthuis : Moi, j'observe que les indicateurs économiques du premier trimestre suggèrent qu'un net redressement de l'économie est en train de s'accomplir. Dans quelques soixante minutes, nous aurons confirmation de l'indice de croissance du premier trimestre 1996. Tous suggèrent qu'il est en progression sensible, après, il est vrai, un dernier trimestre 1995 qui a été marqué par un recul de 0,4 %. Nous venons de prendre connaissance des chiffres du commerce extérieur c'est une nouvelle progression. C'est dire si la compétitivité des entreprises françaises est forte. L'inflation est maîtrisée. Il y a une baisse des taux d'intérêt sans précédent pratiquement 4 % en un an ! L'accès au crédit se fait dans des conditions infiniment plus avantageuses.

RMC : Mais comment se fait-il, Monsieur le ministre, que tout le monde pense que cela va mal ?

Jean Arthuis : Je crois que l'on a vécu pendant très longtemps dans une sorte d'illusion. Pendant très longtemps, on a laissé la dépense publique dériver. On ne s'est pas rendu compte que les dépenses de l'État, les dépenses de collectivités territoriales, de la protection sociale, bref des administrations publiques ont occupé plus de 50 % du produit intérieur brut, et ceci nous a fait encourir le risque d'une sorte d'asphyxie de l'économie et de l'emploi. Alors, il faut rompre avec cette pratique parce que cette pratique-là, où tout était facile parce que l'on dépensait l'argent public, nous faisait dépenser en faisant des dettes. On vivait à crédit. On n'avait pas une image fidèle, sincère de la réalité. Nous venons de vivre au Parlement – et c'est sans précédent ! – un débat d'orientation budgétaire dès le printemps. Et je crois que chacun a bien compris qu'on ne pouvait pas continuer tel que l'on est parti là. C'est une rupture. Le cap pris depuis un an a suscité la confiance puisque les marchés ont réagi. La baisse des taux d'intérêt est le signe de la confiance de l'ensemble des investisseurs qui sont maintenant des investisseurs à l'échelle du monde.

RMC : Est-ce qu'il y aura reprise le semestre prochain ?

Jean Arthuis : Je crois que la croissance, c'est la confiance. Vient un moment où un peuple doit se mettre en mouvement, regarder devant lui. Nous avons vraiment tous les atouts pour réussir. Mais il faut cesser de se demander s'il faut y aller ou ne pas y aller. On a peut-être mis un peu de temps avant de forger les instruments de la reprise. Au mois de janvier, nous avons annoncé un plan, un ensemble de mesures pour soutenir la croissance, l'investissement dans le secteur immobilier, dans le secteur de la consommation, avec des mesures pour encourager l'investissement industriel productif. Mais il a fallu du temps pour faire passer au Parlement cet ensemble de mesures. Et c'est maintenant, seulement, que les outils sont à la disposition des industriels. J'ai la conviction qu'ils vont maintenant passer à l'acte.

RMC : Vous dites aux industriels : allez-y !

Jean Arthuis : Il faut y aller, il faut regarder devant soi. On a vraiment tout pour réussir : les indicateurs sont bons et nous sommes entrés dans un cadre macro-économique porteur. Nous mettons de l'ordre dans les finances publiques, nous assainissons les finances publiques pour faire baisser les prélèvements obligatoires. Nous avons également engagé un processus qui doit conduire au 1er janvier 1999 à la monnaie unique. Et la monnaie, c'est quoi ? La monnaie unique, c'est la stabilité. Ce qui pouvait freiner un investissement pour un industriel, c'était la crainte d'être concurrencé demain par les produits d'une entreprise espagnole ou italienne du fait d'une fluctuation monétaire, d'une dévaluation compétitive. Eh bien, la monnaie unique, c'est le gage de la stabilité !

RMC : Autre chose qui trouble votre électorat, monsieur le ministre : c'est lorsque M. Balladur dit que ce n'est pas comme cela qu'il faut faire, qu'il faut réduire les impôts. Est-ce que vous pensez que c'est un conseil qui vous est utile et que vous suivrez ?

Jean Arthuis : J'ai observé ces dernières années des mesures politiques qui ont consisté, en effet, à baisser certains impôts. Je ne suis pas sûr que les résultats aient pleinement répondu à l'attente des auteurs de ces mesures. Donc, qu'il soit bien clair que le Gouvernement est impatient de pouvoir baisser les prélèvements obligatoires, pour redonner des marges de liberté aux Français. Mais nous avons, ensemble, à faire preuve de responsabilité. Cette responsabilité, c'est courageusement, lucidement, de faire baisser la dépense publique, de réformer l'État, de baisser la voilure en quelque sorte, et de mettre hors du champ de compétence de l'État un certain nombre d'activités qui relèvent de compétences privées. Je relève à cet égard que les privatisations en cours – je pense à AGF – semblent se dérouler dans de bonnes conditions, ce qui est extrêmement positif. C'est très encourageant pour l'avenir. Donc, nous devons baisser la dépense publique, pour faire baisser le déficit public. Parce que le déficit public, c'est le recours à l'emprunt ! Savez-vous qu'en 1980 les intérêts de la dette publique représentaient 5 % du produit des impôts mis en recouvrement par l'État ? Aujourd'hui, les intérêts de la dette représentent 20 % du produit des impôts mis en recouvrement par l'État. J'ai fait présenter les comptes de l'État, le budget de l'État 1996 comme on eût présenté le budget d'une commune, en distinguant une section de fonctionnement et une section d'investissement. Eh bien, savez-vous que dans le fonctionnement – c'est-à-dire les dépenses courantes, les salaires, les charges sociales, ce qui fait fonctionner la maison, les intérêts de la dette, qui doivent normalement être financés par des recettes courantes, c'est-à-dire le produit des impôts – nous avons un déficit de 109 milliards ? Autrement dit, on emprunte 109 milliards pour payer les dépenses courantes, les salaires et de tout ce qui revient chaque mois.

RMC : Le président de la République a dit qu'il y aurait une baisse des prélèvements obligatoires à partir de 1997. Ce sera dans quel secteur, Monsieur Arthuis ?

Jean Arthuis : Dans quelques jours, Monsieur de La Martinière, chargé de conduire une réflexion au sein d'un groupe d'experts, nous rendra un rapport pour éclairer le débat. Ce qui convient, c'est de nous demander ce que sera la fiscalité française dans cinq ans parce qu'il y a une transition à ménager, parce que nous sommes entrés dans une économie globale, une économie globalisée et qu'un certain nombre d'impôts sont devenus contre-performants, qu'ils sont parfois un encouragement pour délocaliser son activité vers un pays extérieur. C'est tout cela qu'il faut prendre en considération. Une fois qu'on aura défini ces grands principes, qui devront être garants de l'équité entre les. Français, la répartition de l'impôt doit être équitable. Ces grands principes devront permettre l'efficacité économique – parce qu'il n'y a pas de cohésion sociale sans la prospérité économique – et devront être un facteur d'emploi. La fiscalité devra contribuer à l'emploi. C'est par rapport à ces principes, c'est par rapport à ce cadre nouveau d'une économie ouverte sur l'Europe et sur le monde que nous aurons à définir les grandes orientations de la fiscalité. Et ceci fera l'objet d'un texte, d'un projet de loi d'orientation.

RMC : Il y aura baisse en 1997 ?

Jean Arthuis : Je vous ai dit à quel point nous étions impatients. Mais soyons responsables. Ce qui compte, c'est l'horizon ; nous allons vers un horizon prometteur.