Texte intégral
Convention nationale
Mondialisation, Europe, France
Présentation du texte d'orientation - Lionel Jospin
Avec la préparation de la convention « Mondialisation, Europe, France », le parti socialiste conduit le premier des trois grands débats que vous avez décidés par votre vote en octobre.
Le document qui vous est soumis, adopté à la quasi-unanimité par le Conseil national, est le résultat d'un long travail collectif. Des textes venant des fédérations, de sections, de militants ; des dizaines d'auditions de syndicalistes, d'intellectuels, de responsables politiques, de chefs d'entreprises ; des propositions des secteurs du parti ; des contributions politiques internes : tout cela a été examiné et débattu lors de nombreuses réunions d'un groupe de travail animé par Pierre Moscovici et dont j'ai personnellement assumé la présidence.
Ce texte d'orientation a pour moi deux mérites essentiels. Tout d'abord, Il permet la clarification, dans une perspective socialiste, de notre analyse de la mondialisation. Celle-ci est une donnée fondamentale, qui touche aujourd'hui l'économie, la culture, les relations Internationales. Elle recèle des potentialités ; mais comporte aussi des risques et engendre des dégâts. Il s'agit bien d'un nouvel âge du capitalisme, porteur d'inégalités et d'un affaiblissement de l'État-nation. C'est pourquoi la mondialisation appelle une régulation mondiale, pour laquelle nous faisons des propositions.
Deuxième apport de notre texte : il redéfinit avec netteté nos positions européennes, à la veille d'échéances importantes : la Conférence intergouvernementale, la décision de passer – ou non – à la monnaie unique, les futurs élargissements aux pays de l'Europe centrale et orientale. Les socialistes réaffirment leur engagement européen : nous restons des partisans déterminés de l'Europe. Mais nous disons non à l'Europe libérale. Nous souhaitons avec force un rééquilibrage de la construction européenne, qui doit être porteuse d'une politique économique et sociale tournée vers la croissance et l'emploi, qui doit répondre avec netteté à certaines exigences sociales, qui appelle une véritable perspective politique autour d'institutions efficaces et démocratiques.
Ces travaux reflètent un véritable débat auquel j'ai invité tous les responsables socialistes et auquel ils ont participé. Les discussions au sein du groupe de travail, au Bureau national, puis au Conseil national, ont permis un réel rapprochement des points de vue, sans considérations tactiques mais à partir d'un travail de fond. Des camarades, qui approuvent l'analyse du texte d'orientation, qu'ils ont d'ailleurs contribué à faire progresser, proposent un amendement qui se substituerait à certains de ses passages, concernant notamment la monnaie unique : vous aurez à trancher cette question par votre vote, sans compromettre, je l'espère, la cohérence de la démarche qui vous est proposée.
Avec ce premier texte de grande qualité, avec le colloque ouvert à toute la gauche, organisé le 16 mars à la Mutualité à Paris, avec notre Convention des 30 et 31 mars à l'Hay-les-Roses, notre parti affirme une nouvelle méthode, qui articule les apports de la base et le travail des responsables. Il s'agit, avant les deux autres débats de l'année 1996 sur « les acteurs de la démocratie » et sur « la redistribution », d'une première étape dans la préparation de notre projet pour la France et dans la renaissance d'un parti qui privilégie la réflexion collective. Je me réjouis que cette étape ait été franchie avec maturité et dans l'unité.
Nous poursuivrons celle démarche tous ensemble – ce qui ne nous dispense pas, bien entendu, de prises de positions fortes dans l'actualité sur la politique de la droite. J'ai en effet la conviction que cette nouvelle méthode est seule à même de nous permettre de répondre, en conformité avec nos valeurs et avec réalisme, aux problèmes que se posent nos concitoyens et de refaire du parti socialiste la grande force de gauche, capable de gouverner pour transformer la société, dont la France a besoin.
Colloque - La France, l'Europe face à la mondialisation
Les réflexions de la gauche
Samedi 16 mars 1996
Matinée – 4 ateliers :
– quelle politique économique et sociale ?
– quel projet politique pour l'Europe ?
– Quelle identité nationale ?
– Quel ordre national ?
Avec : Alexandre Adler, Jacques Attali (ancien conseiller spécial de François Mitterrand), Rony Bauman (ancien président de Médecins sans Frontières), Dominique Boquet (secrétaire général du Mouvement européen), Christophe Clergeau, Harlem Désir, Claude Fleutiaux, Élisabeth Guigou, Philippe Herzog, Jack Lang, Jean-Luc Mélenchon, Pierre-Alain Muet (professeur à l'École polytechnique), Jean Poperen, Dominique Schnapper (professeur à l'École des hautes études des sciences sociales), Dominique Strauss-Kahn, Michel Suchod, Paul Thibaud (ancien directeur de la revue Esprit), Marisol Touraine (professeur à l'Institut de Paris), Catherine Trautmann, Hubert Vedrine (ancien secrétaire général de la présidence de la République), Henri Weber, Francis Wurtz, et des syndicalistes.
Après-midi – 2 tables rondes
Ouverture : Pierre Moscovici
1er débat : animé par Ségolène Royal
Avec : Michel Rocard, Pierre Mauroy, Henri Emmanuelli, Jean-Pierre Chevènement, Charles Fiterman, Noël Mamère.
2e débat : animé par Jean-Christophe Cambadélis
Avec : Jacques Delors, Laurent Fabius, Robert Hue, Dominique Voynet, Jean-Michel Baylet.
Conclusion : Lionel Jospin
Convention nationale : mode d'emploi
Le Conseil national du 2 mars a voté à l'unanimité le rapport du groupe de travail du Bureau national présenté par Pierre Moscovici.
À côté du texte d'orientation proposé par le Conseil national, un amendement de substitution à une partie du texte a été déposé par Jean-Luc Mélenchon, Marie-Noëlle Lienemann, Julien Dray et Harlem Désir. Il est également soumis au vote.
Adhérents ayant le droit de vote
Tous les adhérents à jour de leurs cotisations au moment du scrutin pourront participer au vote dès lors que leurs noms figurent sur la liste électorale dressée par le secrétaire et le trésorier de section, quinze jours avant la date du scrutin.
Modalités de vote
Le vote est personnel et secret, et s'effectue au moyen d'un bulletin de vote unique publié dans le numéro spécial de Vendredi adressé à tous les adhérents.
Les modalités de vote pour les camarades de la Fédération des Français à l'étranger sont spécifiques et définies par la direction fédérale. Pour cette fédération, le vote personnel et secret par correspondance est autorisé.
Le bureau de vote est composé du secrétaire de section, président, et de ses assesseurs. Il est ouvert de 18 heures à 23 heures.
Amendements
Le vote étant personnel et secret, seul un vote – avec un seul bulletin – sur le texte d'orientation puis sur l'amendement permettra de respecter l'anonymat et la cohérence politique qui implique que l'on ne puisse amender que le texte pris en considération.
Tout vote sur l'amendement, non conforme à cette règle, ne doit pas être pris en compte.
En ce qui concerne les amendements déposés en section ou en fédération, ils ne seront retenus et transmis au débat des conventions fédérales ou de la Convention nationale que s'ils rassemblent une majorité absolue de suffrages. Ils sont bien entendu soumis à la règle politique décrite ci-dessus.
Introduction
Un projet pour la France, dans l'Europe, face à la mondialisation
La France a connu, à la fin de l'année 1995, un mouvement social d'une ampleur inégalée depuis 25 ans.
Ce mouvement social, même s'il n'a pas connu l'extension que certains souhaitaient, même s'il n'a pas connu un débouché aussi positif que beaucoup l'espéraient, a démontré une formidable capacité de mobilisation et de résistance et une solidarité exemplaire de nos concitoyens, qui refusent de se laisser imposer un avenir qu'ils n'ont pas choisi. La solidarité qui s'est exprimée tout au long de ces semaines a révélé la force de l'aspiration dans notre pays à une société plus juste, et la détermination à lutter pour y parvenir. Les Français sont inquiets, mais ils ont choisi de ne pas subir, d'agir et de lutter.
La crise économique, le chômage surtout, inquiètent les Français. La montée des inégalités sociales, la crainte de l'exclusion, le refus d'une société qui marginalise les plus faibles, l'absence de toute perspective immédiate du fait des faux espoirs semés lors de la campagne présidentielle, engendrent un malaise profond dans notre pays. Ce malaise dit la souffrance d'une société de plus en plus éclatée, elle dit surtout celle de millions d'hommes et de femmes dont la vie est brisée, l'avenir incertain, celui de leurs enfants angoissant. Comment ne pas entendre cette inquiétude ?
Alors, beaucoup de Français s'interrogent : sur les risques de la mondialisation économique ; sur un monde dans lequel la logique financière domine et le risque du nivellement par le bas s'accentue sur les marges de manoeuvre réelles des gouvernements ; sur le rôle de notre nation ; sur l'intérêt de construire une Europe de plus en plus vaste alors que les défis à affronter sont de plus en plus quotidiens ; sur la nécessité même de cette Europe dont ils ne perçoivent plus toujours les avantages qu'elle leur procure.
L'accélération des transformations mondiales nous prive de nos repères ; notre société ne se retrouve pas dans le monde qui se fait sous nos yeux. De fait, nous vivons dans un monde désormais pleinement interdépendant, transformé par les techniques de l'information, dont le coeur bat au rythme accéléré du développement du commerce international et de la libéralisation des échanges. Nous avons tous l'impression que le monde est devenu plus petit, nous savons que tous les problèmes, ou presque, ont acquis une dimension mondiale. Telle est la réalité dans laquelle doit s'inscrire notre réflexion et notre action.
Et que d'acquis, déjà ! Les frontières ne sont plus des obstacles à la diffusion de la culture, du savoir, des connaissances. Les cultures s'enrichissent mutuellement, la société de l'information qui prend forme, le monde virtuel qui s'ouvre encouragent l'innovation et favorisent la création. Les progrès de la recherche médicale, la protection de notre planète, les luttes des femmes pour leur droit à l'égalité, l'émergence d'une opinion publique internationale qui rend intolérable l'apartheid ou l'oppression, sont autant d'avancées concrètes dues à la transformation du monde. Dans le monde économique même, l'idée d'organiser le commerce international a pris forme, à Marrakech, avec la constitution de l'Organisation mondiale du commerce. Et qui peut dire que, prise dans son ensemble, la société française n'a pas profilé du développement des échanges ?
Le décalage entre les progrès formidables à mettre au crédit du processus de mondialisation d'un côté et, de l'autre, les dégâts qu'il engendre est grand. De fait, les inégalités s'accroissent entre ceux qui profitent de l'internationalisation économique et ceux qui en subissent le contrecoup.
Car mondialisation semble trop souvent rimer avec délocalisation et domination extérieure. En invoquant les soi-disant principes du laisser-faire, les États-Unis ne cherchent qu'à affirmer leur domination de manière plus étroite sur le monde. La compétition économique internationale s'est accentuée, mais seul le libéralisme semble régner en maître absolu, tous les coups sont permis dès lors qu'ils sont portés au nom du seul profil. Les différents secteurs de l'économie nationale ne profitent pas tous de manière égale de l'accroissement des échanges : la cohésion sociale en sort ébranlée. L'ouverture au monde, loin de signifier l'idée d'un progrès, provoque des réactions d'inquiétude, voire de révolte, de plus en plus fortes, au point que ceux que tente un nouveau protectionnisme se renforcent chaque jour. Les socialistes, dont l'histoire est liée à l'internationalisme, ne peuvent se reconnaître dans l'image d'une France repliée sur elle-même, fermée aux autres. Ils ne peuvent pas davantage nier la réalité d'un monde de plus en plus interdépendant. Mais les socialistes n'entendent pas pour autant admettre que la mondialisation se réduise au règne sans partage des marchés ils refusent de la réduire à un processus abstrait, déconnecté des réalités sociales françaises, sur lequel il serait impossible d'agir ; ils refusent le nivellement par le bas du mode de vie des Français, la dilution de leur identité.
Nous sommes entrés dans la période nouvelle, caractérisée par la transformation du capitalisme. Il est urgent face à cela que soient élaborés des instruments de régulation à l'échelle mondiale. La loi de la jungle n'est pas supportable, il nous faut lutter pour que soient acceptées des règles pour encadrer la compétition économique, sauvegarder notre identité culturelle, lutter contre l'internationalisation du crime. L'Organisation mondiale du commerce doit être renforcée, l'ONU transformée, un nouveau Bretton Woods instauré.
Composition de la commission d'élaboration : Lionel Jospin, Martine Aubry, Jean-Pierre Bel, Pervenche Berès, Alain Bergounioux, Jean-Michel Boucheron, Frédérique Bredin, Jean-Christophe Cambadélis, Michel Charzat, Alain Claeys, Christophe Clergeau, Michel Debout. Bertrand Delanoë, Gérard Delfau, Jacques Delors, Laurence Dumont. Henri Emmanuelli, Claude Estier, Laurent Fabius, Claude Fleutiaux, Gérard Fuchs, Jean Glavany, Pierre Guidoni, Élisabeth Guigou, François Hollande, Charles Josselin, Régis Juanico, André Laignel, Jack Lang, Gérard Le Gall, Marie-Noëlle Lienemann, Pierre Mauroy, Jean-Luc Mélenchon, Louis Mermaz, Pierre Moscovici, Henri Nallet, Vincent Peillon, Daniel Percheron, Jean-Paul Planchou, Jean Poperen, Paul Quilès, François Rebsamen, Michel Rocard, Bernard Roman, Laurence Rossignol, Ségolène Royal, Michèle Sabban, Michel Sapin, Dominique Strauss-Kahn, Catherine Trautmann, Daniel Vaillant, Manuel Valls, Alain Vidalies, Henri Weber.
Les défis globaux qui se posent à la planète trouvent des réponses différentes selon les régions, les nations qui y sont confrontées. Ces défis sont largement communs : l'intégration aux échanges internationaux dans le respect des équilibres sociaux et de manière démocratique ; la préservation de la paix dans un environnement de risques décentralisés ; la prise en compte des grands équilibres planétaires, environnement, équilibres démographiques... Mais les réponses à ces défis restent très différentes d'un point à un autre de la planète.
Les exemples des États-Unis et de l'Asie montrent que la conscience forte d'une identité propre ne nuit en rien à la compétitivité internationale, tout au contraire. Convaincus qu'ils constituent un modèle pour le monde entier, les États-Unis ont une conscience très forte de ce qui fait leur identité et c'est lorsque « I'American way of life » est malmené qu'ils perdent confiance face au Japon ou à l'Europe. La force des États-Unis réside à bien des égards dans l'affirmation sans complexe et souvent brutale de ce qu'ils sont. La puissance du Japon et d'autres pays qui l'entourent ne les conduit nullement à s'interroger sur la pertinence de leur organisation sociale. Et que dire de la Chine, puissance majeure du siècle prochain ?
Notre ambition est que la France apporte sa propre réponse aux défis de la mondialisation. À ce défi, l'extrême droite répond « repli », et la droite « tout-marché ». Nous, socialistes, internationalistes par notre histoire et par nos valeurs, porteurs du combat pour la liberté, l'égalité, la fraternité, mais aussi la justice, la solidarité, la laïcité, par nos convictions et nos engagements, devons tracer une autre voie.
Comment permettre que notre intégration internationale se fasse sans éclatement social, et dans le respect de tous ? Le choix européen est sans ambiguïté notre réponse. Cette réponse, pour les socialistes, doit s'affirmer dans sa spécificité, plus égalitaire et solidaire que celle des États-Unis, soucieux du seul marché, plus démocratique que celle du Japon et des pays environnants, dont les sociétés restent autoritaires. Cette Europe-là, elle ne peut être seulement un espace de prospérité économique ; pour porter universellement son message, il lui faut s'affirmer comme une puissance politique à part entière.
Les socialistes acceptent que la France, à travers l'Europe, participe pleinement du processus de mondialisation des échanges, mais refusent que le prix à en payer soit la disparition de son cadre national, de ses références historiques et culturelles propres. Car la mondialisation ne saurait, pour nous, se traduire par l'uniformisation.
La diversité des histoires et des identités nationales est une réalité qu'il est dangereux de vouloir dépasser, dont il faut au contraire saisir la chance. Les socialistes entendent faire de la force de l'identité française un atout pour l'Europe, face à la mondialisation. Au-delà de son histoire et de sa culture, la singularité française tient à la force des valeurs de la République, à la cohésion de son pacte social et à la laïcité, à son modèle d'intégration, au rôle que jouent les services publics et à l'importance des politiques publiques. Nous réaffirmons notre attachement à ces principes fondateurs de notre unité nationale, et nous entendons prendre appui sur eux pour faire vivre une Europe ambitieuse et puissante, une Europe qui soit aussi plus juste, plus sociale, plus soucieuse de l'environnement, plus attentive au destin des hommes et des femmes qui la peuplent.
Nous voulons une Europe plus citoyenne, qui fasse de la libre circulation des hommes, de la dignité humaine et des progrès des conditions de vie et des objectifs plus importants que la logique du marché.
Nous devons construire l'Europe de l'avenir. Les socialistes pensent que c'est en permettant l'émergence d'une puissance européenne, fier de son modèle de société, attentive aux hommes et aux femmes, capable d'affirmer haut et fort les valeurs de justice, d'égalité, de solidarité, que l'on peut y parvenir. La France, dans l'Europe, et pour l'Europe, doit faire entendre sa voix : une Europe forte et solidaire est la condition du rayonnement de notre pays.
Dans cette perspective, nous voulons que prenne corps un système de régulation internationale qui encadre le processus de mondialisation, en évite les excès et les dérapages. Et nous affirmons haut et fort que la définition d'une régulation mondiale et l'élaboration d'un projet politique pour l'Europe ne dispensent pas, bien au contraire, d'une action forte au niveau national. Dans chaque domaine, il nous faut définir quel est le niveau d'action – la France ? l'Europe ? – le plus approprié.
Notre pays est en panne de projet et ne perçoit pas encore d'alternative. Les socialistes entendent lui proposer un projet collectif qui redonne du sens à ce que nous voulons, pour nous et nos enfants. Ils entendent définir des orientations et des propositions pour éviter que la mondialisation ne se réduise au libéralisme sauvage, dérégulateur et uniformisateur, mais réponde aux espoirs dont elle est aussi porteuse ; ils entendent lutter pour une société plus juste, plus humaine, plus solidaire ; ils veulent s'engager pour une Europe politique qui fasse de la citoyenneté, du progrès social, de l'attention à chaque homme et à chaque femme, ses priorités. Notre projet pour la France passe par l'Europe et se veut ouvert au monde, il se veut à la fois national et européen. C'est ce projet dont nous voulons débattre, pour que la France retrouve confiance et espérance.
Débat sur la mondialisation
Se sont tenues : 4 réunions plénières, et 2 réunions du sous-groupe « texte » sous la direction de Jean-Pierre Bel. Ce sous-groupe était chargé des récolements et synthèses des contributions provenant des sections et des fédérations. Il a aussi pris en compte les contributions individuelles.
Audit organisé par Pierre Moscovici : (dans l'ordre chronologique)
– Alexandre Adler, Paul Thibaud, Philippe Herzog ;
– Emmanuel Todd, Laurent Cohen-Tanugi, Pierre Rosanvallon, Alain Lipietz, Hervé Hannoun ;
– Alain Touraine, Marin Karmitz, Jean Peyrelevade, Dominique Wolton, Jean-Paul Fitoussi.
Audit organisé par Jean-Christophe Cambadélis : (dans l'ordre chronologique)
– Alain Finkielkraut (dans le cadre des entretiens de Solferino) ;
– CGC : Jean-Louis Walter, Jean-Luc Gazettes, Jean-Pierre Clapin ;
– Convergences : Noël Mamère, Andrée Buchman, Patrick Farbiaz ;
– CAP : Gilbert Wasserman, Bernard Ravenel ;
– Alliance pour l'écologie et la démocratie : François Donzel, Jean Calvet, Jean-Pierre Nicol ;
– PC : Jean-Claude Gayssot, Pierre Blotin ;
– CFDT : Jean-François Troglic, Michel Caron ;
– AREV : Jean-Pierre Lemaire ;
– Radical : Roger-Gérard Schwartzenberg, Catherine Lalumière ;
– CFTC : Jacques Voisin, Michel Coquillon.
Affronter et organiser la mondialisation
I.1. Connaître la mondialisation économique pour mieux l'affronter
I.1.1. Un nouvel âge du capitalisme
La mondialisation recouvre plusieurs phénomènes distincts. Elle peut se définir comme le processus d'extension de l'interdépendance à l'ensemble de la planète qu'illustrent ou renforcent l'effondrement du bloc communiste et l'ouverture de ses marchés, la constitution de vastes ensembles régionaux plus ou moins intégrés (Union européenne, ALENA, APEC) et la diffusion rapide des technologies nouvelles (technologies de l'information, biotechnologies, etc.).
La globalisation, qui en est le prolongement, renvoie à une double réalité, celle d'une internationalisation de plus en plus complète des marchés de biens, de services et de facteurs de production, et celle de firmes industrielles ou financières capables et contraintes de déployer des stratégies d'investissement, de production et de commercialisation à l'échelle du monde. Pour beaucoup d'entre· prises européennes, l'horizon n'est plus continental mais planétaire.
La mondialisation-globalisation est une tendance lourde, qui résulte à la fois de facteurs techniques (réduction des coûts de communication), de décisions politiques (libéralisation des échanges), de ruptures géopolitiques (fin du communisme) et d'évolutions macro-économiques (croissance des nouveaux pays industrialisés).
Elle doit être considérée comme une donnée économique fondamentale qui ne relève pas du libre choix de la France et qui s'inscrit dans un mouvement de longue période.
Les deux facteurs déclenchants principaux du mouvement de mondialisation-globalisation que nous connaissons aujourd'hui sont la libéralisation des échanges de biens et de services et la mobilité pratiquement sans limite du capital.
Le premier facteur déclenchant, la libéralisation des échanges, n'est pas un phénomène nouveau.
Les premiers cycles de négociations commerciales multilatérales portaient exclusivement sur les tarifs douaniers et ne concernaient que les pays développés. Ils se sont, depuis, étendus à l'ensemble de la planète.
Le développement soutenu et continu du commerce international est l'un des traits saillants de l'économie mondiale depuis la fin des années soixante (quadruplement en volume entre 1967 et 1993, alors que la production mondiale n'a été multipliée que par 2,4). Mais le commerce mondial rapporté au PIB n'a retrouvé qu'en 1973 son niveau de 1913.
La novation aujourd'hui est que la libéralisation des échanges s'étend progressivement, sous la pression des États-Unis en particulier, à tous les secteurs économiques (agriculture, services, droits de propriété intellectuelle), à tous les instruments l'intervention des États (subventions, marchés publics, instruments de politique commerciale, contrôles douaniers ou techniques, normes et procédures de certification, et demain, politiques de la concurrence, réglementations en matière d'investissement direct étranger) et à tous les partenaires commerciaux (111 pays ont signé l'acte final du cycle de l'Uruguay à Marrakech en avril 1994 ; la Chine, Taïwan et la Russie devraient bientôt adhérer à l'Organisation mondiale du commerce).
On constate que, contrairement aux précédentes phases d'internationalisation, la mondialisation des échanges ne se fait plus désormais entre des pays produisant des biens et services complémentaires. Elle s'organise :
D'une part, entre pays ayant la même structure de production et le même niveau de développement (80 % des échanges de la France se font avec les autres pays membres de l'OCDE) – ce qui explique le développement des ensembles régionaux intégrés (c'est vrai pour la Communauté, même pour les nouveaux adhérents, et, depuis le début des années 90, pour la zone Asie-Pacifique dans son ensemble ça l'est beaucoup moins pour les États-Unis et le Japon).
Et, d'autre part, entre pays industrialisés et pays à bas coûts de main-d'oeuvre (les économies dynamiques d'Asie, la Chine ; demain, le Vietnam et l'Inde), où se délocalisent des industries de main-d'oeuvre et de plus en plus d'industries incorporant du capital ; c'est à propos de ces échanges qu'il est possible de parler d'un retour du commerce des avantages comparatifs.
Le second facteur déclenchant du mouvement de mondialisation tient au passage, en moins de deux décennies, d'un monde d'autarcie financière à un monde de mobilité du capital pratiquement sans limite.
Le marché international des capitaux est un groupe de marchés étroitement reliés entre eux dans lesquels et entre lesquels des actifs à dimension internationale sont échangés. Les portefeuilles de titres de propriété ou d'instruments de dette se sont considérablement diversifiés dans les années 70 et surtout dans les années 80, tout comme le marché des changes. À la fin 1991, le stock de titres détenus à l'étranger par les principaux investisseurs institutionnels américains, japonais et européens, atteignait le niveau record de 3 800 milliards de dollars (soit les deux tiers du PIB américain ou l'équivalent des PIB de l'Allemagne, de la France, de l'Espagne et du Portugal) dont 2 500 milliards en obligations. Les créances américaines sur l'étranger représentaient à la même date 34 % du PIB des États-Unis et les créances étrangères sur les États-Unis, 41 % de leur PIB.
L'extension de la sphère financière transnationale marque un nouvel âge du capitalisme, caractérisé par la prédominance financière sur toutes les autres activités. Le monde transnational, où les distances sont abolies et le temps d'action instantané, c'est d'abord celui de la toute-puissance de l'argent. Les nouvelles technologies de la communication l'ont rendu possible et elles l'ont intensifié. Il a des caractéristiques maintenant bien identifiées. D'abord il est autonome par rapport à la production. Ses transactions n'ont aucun besoin de correspondre à des échanges de marchandises ou de biens réels. Pour un dollar d'échanges réels on compte 40 dollars de transactions financières. Ensuite, il constitue un espace où l'information et ses effets (achats, ventes, engouement, paniques) circulent en continu, 24 heures sur 24, à la vitesse de la lumière. Ces conditions d'autonomie et de fluidité sont l'occasion de prises d'avantages et d'accumulations de profits extraordinairement plus fructueuses que la rentabilité de n'importe quel investissement dans la production. Loin d'être un complot contre qui que ce soit, ces mouvements de capitaux résultent tout simplement de la logique du système. Mais cette logique est négative.
Cette évolution a deux conséquences. D'abord une recomposition mondiale du capitalisme. 80 % des investissements directs à l'étranger ont eu pour but des fusions et acquisitions d'entreprises. Bilan : il y avait à peine 7 000 firmes multinationales en 1973. Elles sont plus de 37 000 en 1995. La monopolisation bat son plein, branche par branche. La puissance est de ce côté. Aujourd'hui, 20 sociétés ont un chiffre d'affaires qui dépasse le PIB de 80 États réunis. Le tiers du commerce mondial de biens matériels se réalise entre les filiales de ces firmes. Ensuite, voici l'apparition d'une nouvelle espèce d'entreprise : la firme transnationale. Ces firmes se présentent davantage comme un réseau mondial d'unités spécialisées, et chacune de ces unités peut travailler pour plusieurs commanditaires.
Cet état de fait crée des crises financières locales (scandale de la Baring's) ou susceptibles de s'étendre à l'ensemble du système financier (krach boursier de 1987, crises monétaires européennes de 1992 et 1993), et pousse à la concentration des opérateurs financiers (banques, sociétés d'assurances ou de réassurance, entreprises d'investissements).
I.1.2. Les dégâts et les risques de la mondialisation
Des préoccupations s'expriment chez les travailleurs du secteur public comme du secteur privé mais aussi chez nombre de chefs de petites ou moyennes entreprises et dans une large partie de l'opinion publique. Sans doute se mêlent là une part de fatalisme, les protestations contre les délocalisations et les décisions de déréglementation prises à Bruxelles (transports aériens, télécommunications, électricité, Poste), la peur de la dérégulation du marché du travail et de la remise en oeuvre du système de protection sociale.
Ces protestations sociales se manifestent en France comme aux quatre coins du monde, tantôt de manière pacifique, tantôt de manière violente.
Aux États-Unis ou au Royaume-Uni, on assiste de manière extrême à la paupérisation et à la précarisation des classes moyennes par pression à la baisse sur les salaires des travailleurs non ou peu qualifiés.
La France a été heureusement à l'abri des flambées de violence qu'ont connues la Californie, le Mexique ou la Corée. Mais à chaque usine qui ferme, à chaque investissement qui se délocalise, le personnel touché et la population de la région concernée manifestent leur inquiétude, demandent des garanties de réemploi, attendent des élus qu'ils trouvent des solutions de remplacement crédibles.
Il n'est plus possible et plus tolérable d'expliquer aux travailleurs et à l'opinion publique que les décisions qui les affectent sont « inéluctables », parce que conformes à une donnée économique fondamentale, la mondialisation. Il faut face à la tentation du laissez-taire, réaffirmer le primat de l'homme, celui de la volonté politique, le droit au travail, le droit à la protection sociale élevée. Il faut refuser la délocalisation comme nouveau principe de gestion des entreprises, et en tout cas favoriser les concertations entre partenaires sociaux et avec l'État et les collectivités locales, mettre en oeuvre des plans sociaux d'accompagnement, mais aussi encourager les initiatives locales, stimuler l'innovation et l'investissement, rendre plus attractives les conditions d'implantation des investisseurs étrangers.
Ces préoccupations sont fortes et légitimes. En effet :
1. La globalisation financière avantage la rente, condamne les investissements productifs qui ne dégagent pas une rentabilité suffisante, crée entre les pays une course au moins disant fiscal en matière d'imposition du capital, en un mot elle pénalise les économies et les entreprises les plus fragiles comme les populations professionnellement moins qualifiées.
2. Même si les études économiques rétrospectives les plus récentes en relativisent l'impact (moins d'un point de taux de chômage en France), la concurrence des pays à bas salaires apparaît comme un facteur de dégradation de l'emploi, par les délocalisations (en Asie et dans les pays d'Europe centrale et orientale) et les restructurations auxquelles elle conduit dans les secteurs exposés à main d'oeuvre faiblement qualifiée. Il faut donc prendre les reconversions au sérieux, tout en développant les productions correspondant aux besoins d'équipement des pays émergents.
3. La mondialisation, en privilégiant le capital, en fragilisant le salariat, notamment non qualifié, atteint en particulier les jeunes et les chômeurs, qui sont souvent de longue durée, développe la précarité, ébranle la cohésion sociale, et rend plus difficiles le maintien des solidarités antérieures (les péréquations tarifaires notamment, un des enjeux essentiels pour les services publics) ainsi que le financement des politiques de redistribution. La défense et l'évolution de secteurs protégés (services publics, produits régionaux, distribution, entreprises de services de proximité, aide aux personnes, sécurité, etc.) constituent l'un des facteurs importants de retour au plein-emploi.
4. La mondialisation des échanges conduit à la dégradation de l'environnement et à la destruction sauvage des ressources naturelles. En effet, la multiplication des échanges par terre ou par mer entraîne des excès dans les modes de transport pour en réduire le coût (pollution des mers ; multiplication du nombre de camions sur les routes). Les déchets eux-mêmes deviennent des marchandises et les plus dangereux sont entreposés dans les pays pauvres. Emportées dans leur élan purement rentabiliste, les firmes multinationales n'hésitent pas à détruire l'équilibre écologique, économique et social des pays d'accueil : désertification des campagnes, démolition des quartiers ouvriers, des sites historiques et des monuments. La pollution industrielle et le gaspillage des ressources naturelles sont dus au fait que le marché ne facture pas les nuisances subies par les biens collectifs, ni les dégâts occasionnés à long terme. Il faut donc appliquer les principes dégagés par les chefs d'État et de gouvernement lors du Sommet de Rio : principe de précaution ; principe pollueur-payeur ; principe de choix de la meilleure technologie pour l'environnement.
5. La mondialisation se traduit par une remise en cause du pouvoir de régulation de l'État-nation. En effet, la sphère financière façonne inexorablement son environnement. Les facteurs d'interdépendance des économies, la production industrielle, les échanges se mettent au diapason du nouveau modèle dominant d'accumulation du capital. Le reste suit, pan par pan, dans l'ordre juridique, culturel. Et parce que l'intégration économique mondiale s'approfondit sous la houlette de la sphère financière, les moyens de la régulation s'amenuisent en proportion. C'est que les États-nations, éléments de base du système des relations internationales où peuvent se délibérer les règles du jeu, sont démunis quand l'argent transnational parle. Exemple : les fonds de pensions et fonds communs de placements américains et européens concentrent 8 000 milliards de dollars ; 1 000 milliards sont investis en portefeuilles de devises instantanément déplaçables. En face, la Banque de France et la Bundesbank peuvent, au mieux, mobiliser ensemble 300 milliards de dollars.
I.1.3. L'internationalisme des valeurs contre la mondialisation des intérêts
Dès le XIXe siècle, le mouvement socialiste naissant a été internationaliste, à la fois parce qu'il y puisait sa force et parce qu'il y portait ses valeurs.
Aujourd'hui, alors que la mondialisation économique, financière ou culturelle se développe, l'Internationalisme politique est plus que jamais d'actualité et l'internationale socialiste plus que jamais nécessaire pour promouvoir nos valeurs de solidarité contre l'hégémonie des intérêts.
L'Internationale socialiste, qui s'est encore développée ces dernières années, notamment en Europe centrale, en Afrique et en Asie, doit être un lieu privilégié dans lequel le débat sur la régulation peut être mené et où nos propositions peuvent être portées.
I.1.4. Une régulation déficiente
Ce double constat sur la mondialisation – donnée de long terme et source de risques – est accentué par les déficiences de la régulation économique internationale, notamment à deux niveaux :
La faillite du système monétaire international. Sans étalon accepté par tous, la gestion d'un système de change se prête à des stratégies de « chacun pour soi » et à la domination des marchés financiers. Créé en 1945 pour stabiliser le système monétaire international, le système de « Bretton-Woods » a d'abord permis la stabilité des monnaies, qui fut sans doute une condition importante de la croissance forte des « trente glorieuses ». Le système de taux de change flottants a sans doute à peu près bien fonctionné sur la période 1973-1980, en particulier pour amortir les effets des deux chocs pétroliers. Il a montré ses limites depuis lors et ses effets négatifs se sont amplifiés : absence de symétrie dans les interventions des banques centrales, volatilité très forte des taux de change, taux d'intérêts réels excessifs, prédominance de politiques compétitives.
La plupart des États ressentent la nécessité d'une refondation du système monétaire international. L'expérience de 20 ans de flottement montre que presque toutes les nations tentent de se rapprocher d'un pôle monétaire, que ce soit le dollar ou le noyau dur du SME, c'est-à-dire aujourd'hui le mark.
L'absence de coopération économique internationale. Les efforts de coordination macro-économique au sein du G7, à l'image des accords du Louvre de 1987, ont débouché sur des résultats fort modestes en raison des oppositions d'intérêts entre les pays participants. La coopération entre les grands pays industrialisés n'a réellement fonctionné que dans la gestion des crises (krach boursier de 1987, crise du peso de l'hiver 1994-95).
Les autres instances de coordination, plus lourdes à manier que le G7 (Comité intérimaire du FMI, OCDE ou forums régionaux), n'encouragent pas davantage les stratégies de coopération entre États.
L'évolution actuelle est préoccupante pour deux raisons :
– le rôle croissant des nouveaux pays industrialisés d'Asie et d'Amérique latine ne rend que plus urgente la nécessité d'un lieu de concertation entre pays industrialisés et entre ceux-ci et les pays émergents ou en transition (Russie et Chine comprises) ;
– la constitution d'ensembles régionaux de plus en plus intégrés fait apparaître des besoins accrus de coordination dans de nombreux domaines (surveillance des risques financiers, harmonisation fiscale, protection de l'environnement, préservation d'un bon compromis social).
Les socialistes ne peuvent considérer la mondialisation comme un phénomène éphémère, qui relèverait du libre choix de la France, ni au contraire comme une réalité inéluctable, qui ne saurait trouver d'autre réponse que la fuite en avant dans le libéralisme. Nous ne pouvons pas croire que les dégâts sociaux de la mondialisation s'apaiseront d'eux-mêmes, moyennant quelques mesures ciblées, ni rester silencieux sur l'absence d'un véritable système monétaire international ou sur les manques de la coopération internationale. Mais trop souvent, la mondialisation sert de prétexte fallacieux à des politiques néfastes, à des choix erronés.
La mondialisation est, à bien des égards, un progrès. Mais elle fait aussi souffrir la France et l'Europe, fragilisées par le chômage. Dès lors, le fatalisme doit céder à la volonté. La France ne reviendra pas en arrière, vers les solutions des années 60. Mais elle peut et elle doit choisir sa stratégie d'insertion internationale, et dire clairement la politique qu'elle entend mener pour la croissance et l'emploi, par elle-même et en Europe, en développant les infrastructures, les ressources humaines, notamment à travers l'éducation, en renforçant la solidarité à l'égard de ceux qui subissent de plein fouet les effets de la mondialisation et, par-là, en assurant la cohésion sociale.
En somme, la France n'a aucune fatalité à subir. Elle doit choisir son avenir et décider de son destin. La mondialisation inquiète. Pour l'affronter et non la subir, nous affirmons un projet clair, en même temps national et européen.
I.2. Face à la mondialisation culturelle, refuser l'uniformisation
C'est sans doute dans le domaine de la culture que le processus de mondialisation est le plus spectaculaire. Parallèlement aux progrès de la mondialisation économique, le développement des moyens de transport, l'avènement d'une société de l'image, le développement des technologies de la communication ont amené un essor sans précédent des échanges culturels, favorisé la généralisation d'une culture propre à la jeunesse. Une étape nouvelle dans ce processus se franchit aujourd'hui, avec la constitution d'une société mondiale de l'information : Internet, et surtout le multimédia permettent des échanges interactifs en temps réel qui transforment à la fois l'économie et les modes de vie : dans ce monde, la découverte des autres devient plus facile, les individus peuvent communiquer sans intermédiaire.
Une grande richesse naît de l'intensification des échanges et de la rencontre des cultures : la rencontre des langues, des musiques, des écritures sont source d'imagination et d'invention. ARTE, de ce point de vue, est un réel succès, et l'on s'aperçoit alors que la France et l'Allemagne, si proches par ailleurs, restent des sociétés culturellement très différentes. La mondialisation culturelle présente le risque de l'uniformisation : c'est pourquoi il faut que les États mènent une politique vigoureuse pour encourager la création. C'est parce que la France a su mener, sous les gouvernements socialistes, une politique culturelle forte que les succès hollywoodiens n'empêchent pas le cinéma français d'être créatif et apprécié, que la musique francophone connaît de grands succès, que la langue française attire sans cesse de nouveaux écrivains étrangers, qui, un jour, choisissent d'écrire dans notre langue. De la même manière, on voit des sociétés se moderniser sans s'occidentaliser.
Le risque pour autant n'est pas absent, directement lié à celui d'une domination américaine : là aussi de grandes entreprises transnationales gouvernent le marché de la musique et du cinéma, l'anglais s'impose comme langue de communication mondiale. Les autoroutes de l'information sont, pour l'administration américaine, le moyen d'offrir un grand projet industriel à la société américaine, une nouvelle « nouvelle frontière » qui permette aux États-Unis de doper l'industrie américaine à l'aube du XXIe siècle et de dominer les marchés mondiaux. La mondialisation est ici « marchandisation », et passe par une extension de l'aire et des forces du marché. Le rachat de ABC par Walt Disney, la fusion récente de Time-Warner-Turner aboutissent à des situations de concentration extrême : sait-on par exemple que le groupe Murdoch, présent dans le monde entier à l'exception de l'Europe occidentale, diffuse 85 % des programmes américains ? Sait-on assez que ce groupe, absent d'Europe, cherche à y entrer par le biais de la CLT ?
Il nous est souvent difficile de comprendre qu'il y a là une logique économique. La France, la première, qui est habituée à penser l'universel, mais à partir de son propre rayonnement culturel ou de sa capacité d'assimilation des autres cultures. Mais aussi l'Europe, qui a « fait le monde ». Il ne s'agit pas d'ériger de quelconques barrières infranchissables pour protéger notre culture comme dans une réserve, mais de se donner les moyens, économiques et politiques, de préserver nos idées, nos créations. Les socialistes ont été en pointe dans ce combat, trop souvent caricaturé, notamment à l'occasion de la négociation du GATT en 1993. Une nouvelle forme de colonisation, non plus militaire mais spirituelle et financière, cherche à modeler les esprits sur un modèle unique. Ce nouveau « modèle culturel » tend à éroder tout ce qui façonne la mémoire des hommes, l'histoire, les paysages, les modes de vie, les langues dans leur diversité, la connaissance du passé. Face à cela, les peuples doivent opposer la volonté de se gouverner par eux-mêmes, affirmer leur identité. Pour nous cela passe par la francophonie, par une coopération active avec les 47 pays qui ont le français en partage.
I.3. Affirmer une conscience planétaire
En devenant plus proche, notre monde a progressivement pris conscience de défis communs, d'inquiétudes ou d'espérances partagées. L'environnement est au coeur de cette transformation : nul ne crut ceux qui prétendaient que les nuages radioactifs de Tchernobyl se dissiperaient comme par enchantement à nos frontières. Comment ne pas comprendre qu'à travers la détérioration de la couche d'ozone, ou le réchauffement climatique, c'est « notre avenir à tous » qui est en jeu, comme l'a dit le rapport Bruntland, que « notre pays, c'est la planète » ? Mais au-delà des discours, que de progrès déjà dans notre vie quotidienne, depuis les aérosols sans CFC, respectueux de la couche d'ozone, jusqu'à la préservation de forêts menacées, en passant par une meilleure sensibilité de tous à la valeur de l'eau – qui manque si cruellement dans certaines régions du monde.
Ces progrès, c'est un pas de plus en direction d'un développement durable. C'est aussi une nouvelle conception de la vie et de la démocratie qui prend forme, plus solidaire, plus respectueuse du bien commun et en même temps plus attentive à la souffrance de chacun, à ses droits, à ses espoirs. Le travail des enfants ne peut plus être ignoré, pas davantage que les sévices qu'ils subissent malgré les combats désormais livrés au grand jour. La lutte des femmes pour leurs droits, tant privés que politiques et sociaux, se généralise : on ne peut plus oublier que là où les femmes vont à l'école, elles choisissent d'avoir moins d'enfants. La raison rejoint ce que la morale exige : l'éducation pour tous, c'est-à-dire aussi pour les filles, pour qu'ensuite partout elles décident de leurs vies, de leur corps, de leur avenir.
Plus généralement, l'ouverture du monde a signifié une attention accrue aux droits des hommes, prisonniers politiques ou de droit commun, victimes de l'oppression, de l'absence de démocratie. C'est le monde entier qui se mobilise, avec succès parfois, souvent encore avec des échecs, comme au Nigeria récemment, ou en Chine.
Car les obstacles demeurent. À cette solidarité planétaire naissante, répondent des inquiétudes, et de nouveaux conflits se constituent, de nouveaux clivages apparaissent. La protection de l'environnement est trop souvent perçue dans les pays du Sud comme une contrainte accrue de développement, à laquelle les pays industrialisés se doivent de répondre. La solidarité vis-à-vis des réfugiés victimes de guerre suscite l'inquiétude de populations protégées de la violence mais exposées au chômage. Les luttes engagées pour les droits des individus, des femmes algériennes ou birmanes, des enfants asiatiques, des prisonniers chinois, des réfugiés rwandais, paraissent lointaines. Cependant, ce sont à chaque fois des luttes qui disent le refus de l'oppression, qui rappellent que les droits des hommes comptent autant que les Intérêts des États, qu'il n'est pas d'ordre international qui mérite de se payer de l'oubli des individus.
N'est-ce pas là une des idées forces de l'espérance que doivent porter les socialistes français ? Il nous faut oeuvrer à la mise en place de règles internationales, qui seules permettront de faire face à ces défis qui, d'emblée, se posent à l'échelle planétaire, d'une manière qui permette de mieux concilier organisation internationale et espérances individuelles.
I.4. L'internationalisation des enjeux stratégiques
Nous assistons à la fin d'un monde, héritage des accords de Yalta et Potsdam. Pendant près de cinquante ans, les questions stratégiques ont dominé la scène internationale et ordonné, au nom de la lutte idéologique et d'arguments de sécurité, les rapports entre États. Avec la fin de la guerre froide, symbolisée par la chute du Mur de Berlin, c'est un ordre international fondé sur un affrontement bipolaire, mais aussi un système de résolution des crises, qui prend fin.
Aujourd'hui, la nature des risques qui se profilent est multiple. Les rivalités de puissance n'ont assurément pas disparu en Asie, tout particulièrement, elles sont tenaces, et s'ancrent dans des conflits d'ambitions, celles du Japon, de la Corée, de la Chine, d'autres encore. Les revendications territoriales récurrentes, la volonté de dominer une région en pleine expansion, alimentent des conflits anciens, favorisent la croissance spectaculaire des ventes d'armements dans la région et y encouragent la prolifération nucléaire.
En Europe même, si la menace directe que faisait peser l'Union soviétique a disparu, il serait hasardeux de décréter que les démocraties occidentales, la France en particulier, n'ont plus à se préoccuper de la défense de leur territoire. L'instabilité russe, en particulier, est inquiétante, alors que Moscou reste la capitale de la deuxième puissance nucléaire mondiale et dispose toujours de fortes potentialités de destruction.
Mais la plupart des crises qui sont survenues depuis la chute du Mur de Berlin ne se ramènent pas, loin de là, à de simples chocs d'ambitions nationales. Quatre éléments, qui souvent s'entrecroisent, caractérisent la situation stratégique actuelle :
Tout d'abord, on assiste à la montée de tensions liées à des revendications identitaires, qu'elles soient nationales, religieuses... La guerre froide constituait un cadre de référence global, même s'il serait absurde de vouloir relire toute l'histoire des crises et des guerres qui ont agité le monde depuis la dernière guerre mondiale à la seule lumière du conflit américano-soviétique. Dans un monde qui s'est libéré de la logique des blocs mais qui connaît toujours la misère de masse, le sous-développement, l'absence de démocratie, on voit réapparaître les extrémismes qui compliquent le dialogue politique, font basculer de la revendication nationale dans le nationalisme, de l'aspiration identitaire dans le fondamentalisme religieux et encouragent la montée de mouvements qui prospèrent dans l'anti-occidentalisme, comme les mouvements islamistes radicaux, mais aussi dans la poussée des extrêmes droites.
Cette fragmentation stratégique est accentuée par un second phénomène : la crise de légitimité qui atteint un nombre croissant de régimes en place, et qui atteint par ricochet, comme en Afrique, l'État lui-même. C'est par exemple la situation de la Russie dont l'identité a toujours été impériale, à la recherche d'elle-même depuis la fin de l'Union soviétique. Ses difficultés internes sont telles, qu'elle pourrait être tentée de les occulter par une politique extérieure plus agressive : la politique menée par Moscou à l'égard de la Tchétchénie prouve que la stabilité de ce grand pays n'est pas encore atteinte et surtout que la route est encore longue pour que s'y mette en place un régime démocratique, respectueux des droits de l'homme et des libertés.
De manière générale, les turbulences stratégiques actuelles renvoient à des crises infra-étatiques, souvent transnationales : la crise des États ou des régimes favorise les mafias en tous genres, les trafics de drogues ou d'armes. Une véritable internationale du crime s'est mise en place, qui, pour n'être pas nouvelle, a pris une ampleur considérable, par-delà les frontières, jouant de la violence aveugle et terroriste. La dégradation de l'environnement, la raréfaction des ressources naturelles, la désertification, la gestion de l'eau sont autant de facteurs qui, sans en être forcément la cause directe, peuvent être l'étincelle qui déclenche de nouvelles formes de conflits.
Ce contexte aboutit à ce que les démocraties occidentales ne sont plus, dans l'immédiat, confrontées à des menaces directes contre leurs territoires. C'est une grande chance : la paix en Europe est le grand acquis de l'après-guerre et de la construction européenne. Les menaces issues de l'extérieur apparaissent pour l'heure très diminuées. La prolifération d'armements de destruction massive risque de faire peser des menaces nouvelles au Moyen-Orient et en Asie principalement. Après la guerre du Golfe, c'est surtout le conflit qui a ravagé l'ex-Yougoslavie, provoqué par la politique nationaliste serbe, qui a dominé ces dernières années et mis en lumière les défis auxquels nous sommes confrontés : la stabilité régionale et la défense des valeurs qui sont les nôtres. Ce qui se jouait en Bosnie, c'est la défense des valeurs que prônent collectivement les démocraties occidentales face à la réalité de la purification ethnique, et la paix du continent.
Les États sont de plus en plus rarement confrontés à des menaces qui les concernent seuls. Les États-Unis ne peuvent assurer la stabilité internationale, car ils n'en ont ni la capacité, ni la légitimité. Ils n'ont pas abandonné l'idée d'exercer le leadership mondial, mais leur vision du monde est désormais que celui-ci « soit favorable aux intérêts américains et compatible avec les valeurs américaines », celle d'une « Amérique de marchés ouverts et de sociétés ouvertes » pour reprendre une formule du secrétaire d'État américain Warren Christopher. Les États-Unis n'interviendront que si leurs propres intérêts stratégiques sont mis en cause.
Il est donc urgent de mettre en place des instruments adaptés à une gestion collective des risques qu'aucun État ne peut prendre en charge seul. Mais le conflit d'ex-Yougoslavie a montré le chemin à parcourir encore pour mettre en place des structures d'action collective. L'ONU, tiraillée entre les craintes de ses États membres et ses propres pesanteurs, n'a pu souvent qu'assister, impuissante, à la violation de ses propres résolutions. Le développement de l'aide humanitaire, au cours des années passées, est spectaculaire. Il traduit l'extraordinaire solidarité qui unit les hommes dans les situations de crise. Mais ces actions, nécessaires, ne peuvent se substituer à des solutions politiques. À défaut de les imaginer, nous risquons de favoriser ce que nous craignons : le repli, la fragmentation.
La France ne serait pas fidèle à ses idéaux si elle choisissait de se désintéresser du monde ; les socialistes ne seraient pas fidèles à leur engagement international s'ils acceptaient la perspective d'un tel repli, d'un tel déclin, ni s'ils se résignaient à un monde sans régulation.
I.5. Pour une régulation moderne
I.5.1. Un nouveau système économique et monétaire mondial
En 1945, tirant les leçons de la grande crise, les pays de la communauté internationale ont mis en place, à Bretton Woods, un système de régulation économique et monétaire internationale. Ce système a fonctionné jusqu'en 1971, date à laquelle prit fin la convertibilité or du dollar. Depuis, il ne nous reste que les institutions internationales qui avaient été créées pour structurer le système : le FMI, la Banque mondiale notamment.
Face au désordre économique et monétaire international, nous affirmons notre volonté de proposer un nouveau système de régulation, comme en son temps celui de Bretton Woods, c'est-à-dire l'édification, la reconstruction d'un système économique et monétaire mondial autour d'institutions internationales fortes. Cette affirmation, nous le savons, n'emportera pas sans difficulté la conviction de nos partenaires.
La difficulté tient aux rapports de force au sein de la Triade (États-Unis, Sud-Est asiatique, Europe), et au sein même de chaque composante de celle-ci. En théorie, la coopération entre les trois pôles existe et devrait permettre l'avènement d'un nouvel ordre économique mondial favorable à l'épargne et à l'investissement. En pratique, les égoïsmes continentaux et nationaux empêchent de dépasser le stade du verbe, sauf en cas de crise de système. Le redressement spectaculaire de l'économie américaine, la crise de mutation que connaît l'économie japonaise créent peut-être des conditions favorables pour prendre des initiatives.
Ce constat pourrait également porter sur la volatilité excessive des taux d'intérêt et de change et sur l'écart croissant qui se creuse entre les pays émergents qui ont accès au marché mondial des capitaux et les pays en développement qui restent pour l'essentiel en marge.
Dans ce contexte, noire premier objectif doit être de bâtir l'Europe, de la transformer en une Europe puissante. Il conviendrait ensuite d'élaborer avec nos partenaires un diagnostic commun sur le déficit de régulation lie l'économie mondiale et sur l'opportunité de prendre au niveau européen des initiatives pour encourager une plus grande coopération entre les principaux partenaires.
Les propositions regroupées autour de l'expression d'un « nouveau Bretton-Woods » portent sur les éléments suivants :
La monnaie. Il est irréaliste de penser que les conditions sont réunies pour revenir au niveau mondial au régime des changes fixes d'avant 1971. Mais on peut, et même il est de l'intérêt de l'Europe et de l'ensemble de l'économie mondiale, d'utiliser l'Union monétaire européenne comme un pôle de stabilisation du système monétaire international.
L'article 109 du Traité de Maastricht a prévu que la politique de change européenne appartiendrait en dernier ressort au conseil des ministres de l'économie en liaison étroite avec la Banque centrale européenne. Il faudra livrer une autre bataille politique pour imposer pratiquement notre volonté d'une plus grande stabilité des changes au plan mondial. La recherche d'un système plus coopératif reste largement une spécificité française, alors qu'elle doit devenir une ambition européenne. Nous voulons engager l'Europe dans le combat pour un retour aux parités fixes, ou tout au moins à un véritable système de régulation.
Le commerce. Un pas important a été franchi avec la création de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Mais cette nouvelle organisation internationale, dont le principe figurait déjà dans les accords de Bretton-Woods, doit échapper à la pesanteur des lourdes machineries « onusiennes ». Il faut très vite poser le problème d'un Conseil exécutif plus léger, fonctionnant sur la base d'une représentation de chaque partenaire en fonction de son poids dans le commerce mondial. Il faut aussi s'assurer que les États-Unis respectent pleinement la nouvelle procédure de règlement des différends et qu'ils participent pleinement à tous les accords multilatéraux, y compris le récent accord sur les services financiers conclu en Juillet 1995 à Genève. Il faut enfin rendre crédible l'OMC dans le traitement des nouveaux sujets (investissement direct étranger, dumping social, politique de concurrences, environnement, droits intellectuels).
Le droit social. Ne nous y trompons pas. La monnaie, les marchés ne sont que des moyens, des mécanismes dominés trop souvent par la loi du plus fort et qui, aujourd'hui, doivent être complétés par des contrepoids qui prennent en compte les valeurs sociales (le droit social) et celles relatives à l'intérêt général (l'environnement).
Il s'agit de bâtir les relations économiques internationales sur le respect des droits fondamentaux des travailleurs, d'empêcher le « dumping social » par l'exploitation de la main-d'oeuvre corvéable, notamment des femmes, des enfants, des prisonniers. Notre souhait est que tous les pays européens puissent parler d'une seule voix au sein de la nouvelle Organisation mondiale du commerce et de l'Organisation internationale du travail (OIT). L'OIT est la seule des organisations internationales à avoir des mandants, non pas seulement de gouvernements mais aussi des organisations représentatives d'employeurs et de travailleurs. Pour contribuer à faire reculer le travail de millions d'enfants ; à promouvoir les droits syndicaux, à favoriser l'égalité entre les hommes et les femmes, il conviendra d'élargir les pouvoirs de l'OIT afin de la rendre plus efficace. Partout doit finir par s'imposer l'idée d'un salaire minimum et celle de droits sociaux dérivés du travail.
Le temps est venu d'envisager la négociation des contrats sociaux européens, qui préfigureront un nouveau droit social, d'abord européen puis mondial.
Le droit environnemental. Le marché sacrifie le plus souvent les biens considérés à tort comme gratuits et il arbitre en faveur du court terme. Or le facteur de production « nature » n'est pas gratuit, mais les dégâts de sa destruction ne sont pas subis par ceux qui tirent profit de celle-ci.
Il est donc clair que le commerce international doit s'accompagner de l'application très forte des principes pollueur-payeur, et que, partout dans le monde, l'utilisation des ressources naturelles doit être facturée.
Le contrôle des métiers financiers. L'internationalisation des activités financières a affaibli les garanties nationales contre les faillites d'opérateurs financiers, mais a suscité en même temps le besoin de nouvelles garanties. Il est donc important de développer la coopération internationale entre autorités de contrôle des différents métiers financiers (banques, assurances, services d'investissement) grâce à des échanges d'information plus faciles et à des règles en matière de solvabilité harmonisées. Le contrôle sur les opérateurs financiers constitue, en situation de mobilité complète du capital, la meilleure garantie pour les épargnants.
La lutte contre les mouvements de capitaux spéculatifs. Lionel Jospin, dans le cadre de la campagne pour l'élection présidentielle, a proposé l'instauration d'une taxe sur les transactions spéculatives. Pour être efficace, elle doit représenter 1°/00 des capitaux, être facile à percevoir et universelle. Le produit viendrait alimenter les réserves de la Banque centrale du pays d'origine de l'initiateur de la transaction.
Cette proposition devrait d'abord discutée au sein de la Communauté, puis à l'OCDE.
Les politiques de coopération sont importantes, et il est souhaitable d'améliorer leur efficacité grâce à une meilleure coordination des plans communautaire, plurilatéral et multilatéral (cf. les enjeux du processus de paix au Proche-Orient et de la reconstruction en ex-Yougoslavie, ou encore l'aide à l'Afrique, continent en voie de marginalisation).
Il faudrait réorienter les priorités des politiques d'aide publique, y compris celles du FMI et de la Banque mondiale, vers le développement humain et le développement économique durable et la réduction des inégalités et non plus vers le soutien exclusif des exportateurs. L'objectif quantitatif en matière d'aide publique au développement (0,7 % du PIB) doit être intimement lié à des objectifs qualitatifs et à un principe selon lequel le principal donateur se voit confier la coordination des aides à un même bénéficiaire.
I.5.2. Faire face aux crises
Les crises auxquelles la communauté internationale est confrontée depuis la fin de la guerre froide montrent que les instruments dont elle dispose pour y faire face sont insuffisants ou inadaptés. Après les espoirs soulevés par la fin du système Est-Ouest, qui devait déboucher sur un monde organisé par le droit et non plus par la force, les désillusions sont vives et se reportent contre l'Organisation des Nations Unies, incapable, selon certains, d'assumer sa mission. On comprend leur amertume, lorsque l'on se rappelle le sort des enclaves dites de sécurité en Bosnie, l'échec de l'opération somalienne, les atermoiements devant les massacres au Rwanda. On comprend leurs regrets alors que la liste des mauvais payeurs s'allonge : les États-Unis doivent plus de 1 Md de dollars à l'organisation, ce qui représente 25 % de son budget !
Même si la critique de l'ONU est souvent un moyen facile de ne pas examiner les responsabilités des États membres, en particulier du conseil de sécurité, des réformes s'imposent.
Les socialistes ont toujours lutté pour la mise en place d'un système de sécurité collective.
Au-delà de ses imperfections, l'ONU constitue un instrument irremplaçable dans un contexte dominé par les tentations de repli, de fuite, de refus des responsabilités, pour apporter des réponses de solidarité aux problèmes nés de la mondialisation. Le grand atout de l'ONU est sa légitimité incontestée. Il est aussi de ne pas se concentrer exclusivement sur les facteurs militaires : c'est l'ONU qui a organisé le sommet de la Terre à Rio, la conférence sur la condition de la femme à Pékin, celle de Copenhague sur les enjeux sociaux ou encore celle sur la démographie au Caire. Cela constitue un carrefour d'expériences et d'engagements qui représente une chance extraordinaire. Les résultats sont loin d'être négligeables. Mais des réformes profondes s'imposent, dans quatre directions.
La première est de proposer la création d'un conseil de sécurité économique. Nous connaissons en effet les apports et les limites des institutions économiques existantes – FMI, OMC, BIT, Banque mondiale, OCDE – ou de rencontres comme le G7. Il ne s'agit en rien de les supprimer mais de traiter le développement économique comme l'un des facteurs essentiels pouvant contribuer à la paix. La nécessité se fait sentir d'une discussion globale sur l'économie mondiale, incluant tous les paramètres de son évolution : la démographie, la monnaie, les flux financiers, les échanges commerciaux, les transferts de technologie... avec toutes leurs conséquences politiques, économiques et sociales.
Il s'agirait dans une première étape de réunir, une fois par an au niveau des chefs d'État et de gouvernement, deux fois par an, à l'échelon des ministres de l'économie, les grandes nations, membres de l'actuel G7, mais aussi la Chine, l'Inde, la Russie, ainsi que les présidents en exercice des grandes organisations régionales (Afrique, Amérique latine, Asie, Pacifique). Il leur reviendrait d'examiner l'état du monde, d'évaluer les interdépendances qui s'accroissent entre les nations, les liens qui existent entre les différents problèmes posés. À terme, un tel forum devrait être institutionnalisé.
Bien entendu, cette suggestion se heurtera aux réticences des grandes nations industrialisées, membres du G7. Et pourtant, l'expérience a prouvé que celles-ci n'étaient pas en mesure d'apporter, à elles seules, des réponses susceptibles de réduire les désordres économiques qui affectent notre planète. De nouvelles formes de concertation doivent se mettre en place, qui englobent toutes les parties du monde, qui permettent de dégager, peu à peu et d'une manière pragmatique, des solutions à la fois efficaces et satisfaisantes pour tous. Car l'humanité va au-devant des plus grands périls si elle n'est pas capable d'assurer les grands équilibres humains, alimentaires et naturels, d'apporter des réponses solidaires aux problèmes nés de la mondialisation, de lutter, dans toute la mesure du possible, contre les déséquilibres structurels et les inégalités insupportables, tous facteurs qui menacent la paix dans le monde.
Ainsi, progressivement, des règles nouvelles pourraient être établies, des formes nouvelles d'action mondiale pourraient être inventées, puis mises en oeuvre.
La seconde est de s'engager résolument dans la voie de la réforme du Conseil de sécurité, dont les membres permanents ne représentent plus la réalité du monde. Si l'entrée de l'Allemagne et du Japon paraît désormais s'imposer à tous, il ne faut pas limiter la liste des membres permanents du Conseil à un club de pays industrialisés.
La troisième est de reconnaître à part entière l'objectif de la prévention des crises. En particulier, il s'agit de mettre en place une véritable diplomatie préventive en favorisant notamment la généralisation des dispositifs de confiance et de sécurité, à l'instar de ce qui s'est fait à travers l'Organisation de la sécurité et de la coopération en Europe.
Le développement de la diplomatie préventive passe aussi par la reconnaissance d'une politique d'ingérence, qui ne se limite pas aux cas de catastrophes humanitaires. Les États ne doivent pas, au nom de leurs intérêts ou de leurs ambitions, être à même de bafouer ouvertement les droits de leurs ressortissants, d'écraser les sociétés.
Enfin, une politique de prévention ne peut être efficace que si elle est directement liée à une politique d'intervention : les socialistes n'entendent évidemment pas prôner l'interventionnisme militaire tous azimuts.
Mais la prévention des crises, pour être efficace, suppose qu'elle s'appuie sur des moyens d'action concrets, y compris militaires. Dans cet esprit, le principal défi de la période à venir est de réconcilier diplomatie préventive et intervention au besoin militaire, en redéfinissant les principes du rétablissement de la paix (Chapitre VII de la charte de l'ONU).
Ainsi, de nouvelles règles du jeu pourront s'établir, qui permettront de nouvelles formes d'action mondiale, plus responsables, plus respectueuses des hommes, plus solidaires. Mais toutes ces réformes ne suffiront pas si, sur le terrain, les acteurs régionaux ne s'impliquent pas, ou ne disposent pas des moyens de s'impliquer. La principale difficulté à laquelle se heurtent les politiques mondiales est qu'elles apparaissent loin des réalités locales, ou trop sélectives par faute de moyens. Il faut donc les relayer à l'échelle régionale, d'autant plus que seul l'enracinement local rend les politiques légitimes. Dans ce mouvement, l'Europe a été pionnière. La mise en place de mécanismes de régulation mondiale est une nécessité elle appelle un prolongement dans des organisations régionales structurées, capables de peser à l'échelle mondiale.
Construire un espace de civilisation pour la France dans une Europe-puissance
Redonner du sens à l'Europe
II.1.1. Oui à l'Europe
Nous demeurons, aujourd'hui comme hier, des partisans déterminés de la cause européenne. La fidélité à notre histoire peut l'expliquer : le socialisme a toujours été internationaliste, le socialisme a toujours été européen. Mais d'autres arguments doivent être aussi invoqués.
D'abord, nous sommes convaincus que l'Europe a un modèle de civilisation à affirmer. Démocratie politique, développement économique, solidarité sociale, diversité culturelle, tels en sont les piliers. Ils nous sont communs, au-delà des différences linguistiques ou des différends historiques. Ils ne peuvent être défendus que collectivement dans un monde où la démographie diminue chaque décennie notre poids relatif.
Ensuite, nous n'oublions pas les acquis immenses de l'Europe communautaire. Après 1870, après 1914, après 1940, le défi de l'Europe s'imposait comme une évidence garantir la paix. Cinquante ans après, ce défi a été relevé. Mieux, et autour du couple franco-allemand bien souvent, le bilan a été au-delà : l'Union européenne a contribué à enraciner la démocratie chez ses nouveaux membres ; elle a été un pôle de développement, notamment par l'augmentation des échanges entre ses États membres ; elle a été une zone de solidarité, notamment entre les régions les plus riches et les plus pauvres. Sous les deux septennats de François Mitterrand, la construction européenne a beaucoup avancé. Et s'il fallait une seule preuve de ces avancées de l'Union européenne, il suffirait de constater l'attractivité dont elle fait preuve.
Enfin, nous pensons que la mondialisation impose la construction de grands ensembles et que la compétition économique oblige à regrouper ses forces.
II.1.2. Non à l'Europe libérale
Pourtant, l'Europe doit changer, car de plus en plus l'Europe ne fait plus sens. Pire encore, de plus en plus elle est perçue comme le cheval de Troie d'une mondialisation libérale.
Pourquoi ? Parce que la déréglementation l'a emporté sur les politiques communes nécessaires pour encadrer le Marché unique. Parce que le rapprochement des législations a quelquefois dérapé vers une uniformisation ignorante des traditions et des spécificités culturelles. Parce que la monnaie a été portée au pinacle et qu'aucune politique active pour soutenir la croissance et donner la priorité à l'emploi n'a été mise en oeuvre.
Nous ne nous résignons pas à cette évolution. Nous considérons que le traité de Maastricht n'a constitué qu'un moment et doit être dépassé. Maastricht a été adopté par le peuple français et ratifié par l'ensemble de nos partenaires européens. Cette affaire est derrière nous. Si, à l'époque, franchir cette étape était important pour l'Europe, nous connaissons mieux que quiconque les faiblesses du Traité.
Il marque à la fois l'aboutissement du projet originaire du marché économique commun, par la mise en place de la monnaie unique qui en est l'ultime instrument et les premières pierres d'une ambition européenne supérieure, celle d'une Union européenne ayant la capacité de développer un modèle social. Force est de constater, depuis l'approbation du Traité, que si son volet économique se déroule comme prévu, en matière d'Europe sociale et politique, les progrès ont été très faibles.
Aujourd'hui, nous sentons l'urgence qu'il y a à dépasser Maastricht. Nous croyons profondément que les deux prochaines pierres de la construction européenne doivent être sociale et citoyenne sous peine de mettre en péril tout l'édifice.
Nous voulons que, demain, d'autres dimensions soient prises en compte : l'emploi, le social, les services publics, la démocratie, la citoyenneté, la défense. À défaut, c'est la construction européenne elle-même qui court les plus grands dangers et risque de se voir rejetée par les peuples.
II.1.3. Pour une Europe fondée sur des valeurs
Des échéances décisives nous attendent pour infléchir la construction européenne : la Conférence intergouvernementale en 1996 et 1997 : l'Union économique et monétaire en 1998 et 1999 ; l'élargissement de l'Union européenne à partir de 1999 : la négociation sur les ressources financières de l'Union en 1999 et en l'an 2000. Dans moins de cinq ans, le visage de l'Europe sera dessiné pour de nombreuses années. C'est aujourd'hui que nous devons préciser quels sont nos grands choix stratégiques.
La droite française au gouvernement a la charge de conduire les négociations sur la Conférence intergouvernementale. Or, paralysée par ses ambiguïtés, incapable d'initiatives, traversée de contradictions, la droite est aujourd'hui silencieuse. Sa vision de l'Europe pourrait se contenter d'un compromis minimal.
Nous plaidons au contraire pour une Conférence intergouvernementale ambitieuse. D'une part, parce que l'élargissement doit être précédé d'une réforme institutionnelle profonde. D'autre part, parce que la réalisation de la monnaie unique doit s'accompagner d'une contrepartie politique forte. Ce sont là, pour nous, des impératifs.
L'Union européenne doit retrouver du sens. Il y a cinquante ans, ce sens s'imposait d'évidence : il s'agissait de rendre la guerre impossible et impensable. Aujourd'hui, la crainte la plus grande et la plus immédiate des Européens concerne le chômage, la précarité, la pauvreté, l'avenir de la protection sociale. C'est à partir de ces inquiétudes légitimes que doit être construit le projet européen. C'est à partir de l'affirmation d'une politique économique et sociale de gauche, pour la croissance et l'emploi, en France et en Europe, de la définition d'un contrat social européen, de la construction d'une puissance pour le XXIe siècle, d'une Europe pleinement politique, que nous voulons élaborer ce projet. Le temps est venu où le projet consenti doit prendre le dessus sur la logique des petits pas institutionnels, fût-ce au risque d'un difficile débat. Ce débat, les socialistes sont prêts à le mener.
II.2. Une politique économique et sociale de gauche, pour la croissance et l'emploi, en France et en Europe
II.2.1. Refuser le chômage de masse
Malgré ses acquis considérables, le processus d'intégration européenne n'est plus perçu comme porteur de progrès économique et social. La raison en est simple : le chômage de masse touche toute l'Europe.
Il existe en effet une étroite corrélation entre l'évolution des taux de chômage en France et en Europe. Sans doute les niveaux diffèrent-ils d'un pays à l'autre, tout comme ils diffèrent entre les régions d'une même nation, mais toutes les courbes montrent une inexorable tendance à la hausse depuis les taux très faibles des années 60 jusqu'au chômage de masse que nous connaissons aujourd'hui. Et cette évolution résulte principalement de l'incapacité à mettre en oeuvre en Europe des politiques concertées de croissance.
Chacune des grandes récessions de l'économie mondiale s'est traduite en Europe par une augmentation massive du chômage qui n'a pu être résorbée dans les phases de reprise ultérieures. Si, contrairement à l'Europe, les États-Unis sont revenus à un taux de chômage faible – au prix de nombre d'emplois précaires et mal rémunérés – c'est qu'ils ont pu maintenir une croissance très supérieure à leur croissance potentielle, après chacune des récessions. Or cette croissance n'est pas tombée du ciel, elle fut le résultat d'une relance budgétaire massive dans les années 80 et d'une relance monétaire tout aussi massive en 1992-1993. Si les États-Unis n'étaient qu'un grand marché au sein duquel 52 États indépendants disposaient chacun de sa politique budgétaire et monétaire, seraient-ils sortis aussi facilement de ces deux récessions ? Le problème fondamental auquel sont confrontées les nations européennes est la contradiction entre les politiques de relance menées par certains et les politiques de rigueur menées par d'autres. Sans organisation de la politique économique en Europe, ce sont les secondes qui prédominent et conduisent à prolonger les phases de stagnation.
Or ce biais restrictif des politiques économiques est inévitable si l'Europe n'est qu'un ensemble de nations totalement indépendantes dans leurs choix politiques, mais dont les économies sont fortement interdépendantes. Dans un tel contexte, aucune nation n'est incitée à prendre le risque d'une politique expansionniste isolée dont elle est seule à supporter les coûts alors que tous ses partenaires en bénéficient. De même, le « Livre blanc » de la Commission sur l'initiative concertée de croissance n'a pas à ce jour reçu de début de réalisation. À cet égard, on peut déplorer que les gouvernements, et au premier chef Jacques Chirac et Alain Juppé en France, tiennent pour lettre morte les décisions successives des conseils européens sur le financement des grands réseaux.
L'Union économique et monétaire a pour finalité d'organiser les politiques économiques des États membres participants.
Mais sans institutions susceptibles de prendre en charge les intérêts communs à l'ensemble des États membres concernés, l'organisation des politiques économiques risque fort de rester un voeu pieux. D'où la nécessité urgente de retrouver une cohérence entre intégration économique et intégration politique.
II.2.2. Les choix stratégiques possibles
Ils se ramènent à quatre :
La stratégie protectionniste
Cette stratégie n'a plus aujourd'hui beaucoup de défenseurs en France, non plus d'ailleurs qu'aux États-Unis pour des raisons similaires. Au début des années 80, la relance française, faite alors que l'économie mondiale était en récession et alors que l'appareil productif français était vieilli, avait provoqué une dégradation brutale de notre commerce extérieur. De même, aux États-Unis, l'appréciation du dollar avait creusé le déficit commercial américain avec le reste du monde et fait naître une abondante littérature économique sur les avantages et les inconvénients des mesures restrictives à l'importation.
Aujourd'hui, la France n'a pas de problème de commerce extérieur. Elle a dégagé en 1995 un excédent commercial supérieur à 100 MdF, aidée, il est vrai, par la faiblesse de la demande intérieure. Les États-Unis ont retrouvé leur leadership technologique et déploient une stratégie politico-commerciale et monétaire très agressive sur les marchés extérieurs qui se traduit par exemple par la réduction progressive du déficit commercial avec le Japon.
Faut-il donc considérer que la compétitivité extérieure de l'économie française, le renforcement des règles et disciplines multilatérales et la mise en place de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) créent les conditions d'une renonciation définitive à la stratégie protectionniste ?
Nous ne pouvons et ne voulons pas retenir cette stratégie comme politique générale, mais nous n'avons aucune raison de renoncer à utiliser, chaque fois que cela est nécessaire, les instruments de politique commerciale (clause de sauvegarde communautaire, droits compensateurs, droits anti-dumping, sélectivité des avantages tarifaires en fonction de l'exigence ou non du dumping social). La Commission européenne doit être accessible aux arguments économiques et juridiques mis en avant par l'État français ou le secteur concerné ; les procédures d'instruction et de décision peuvent être améliorées.
Encore faut-il exiger que les États-Unis acceptent de soumettre complètement leur arsenal de défense commerciale aux nouvelles règles de l'OMC, à défaut de quoi – et c'est l'hypothèse la plus vraisemblable·- la Communauté devra se doter des mêmes armes (section super 301 et ensemble des dispositions du Trade Act).
La stratégie d'autonomie sans monnaie unique
Cette stratégie alternative consiste à jouer une carte d'insertion individuelle dans une économie mondiale dont on renonce a priori à influencer les principes de fonctionnement, mais dont on cherche à tirer parti, y compris le cas échéant par des politiques de dévaluation. La rationalité sous-jacente à cette approche est que, dans l'économie mondiale d'aujourd'hui, la « compétition entre les règles » est plus profitable à celui qui la même que la coopération. Le Royaume-Uni est tenté par cette stratégie solitaire.
Une stratégie d'insertion individuelle dans la concurrence internationale est relativement aisée pour des nations dont le développement repose sur le rattrapage d'un retard de développement. Bénéficiant d'un avantage comparatif déterminant dans la concurrence internationale – un faible coût salarial –, leur croissance repose pour l'essentiel sur une stimulation de l'offre qui, par nature, ne nécessite aucune coordination. Mais le niveau de développement et d'interdépendance des économies européennes ne se prête pas à une généralisation d'une stratégie individuelle qui ne peut se faire qu'au détriment des partenaires et du niveau de protection sociale : dévaluations compétitives, dumping social ou exploitation d'un comportement isolé (fiscalité du capital au Luxembourg, secret bancaire en Suisse).
Cette stratégie implique qu'on renonce à participer au débat mondial. Nous ne le voulons pas. Mais surtout, elle supposerait un alignement intégral sur le libéralisme, avec toutes ses conséquences sur le marché du travail, la protection sociale, les services publics. Nous ne le voulons pas non plus.
La stratégie libérale
Les tenants de cette approche pourraient donc dire qu'en organisant la déréglementation des services publics en Europe, en poursuivant la réforme de la PAC par une baisse des prix au rythme des gains de productivité, en privatisant les entreprises publiques, on donnerait à l'économie française les moyens d'améliorer sa compétitivité intrinsèque, d'attirer des investisseurs étrangers, de réaliser des économies d'échelle.
Mais le coût social de cette politique est très élevé. Les exemples américain et britannique montrent qu'elle n'est pas acceptable.
La stratégie libérale conduirait à un alignement sur le modèle de développement américain, aggraverait le coût social des adaptations au point de les rendre insupportables, ce qui la disqualifie.
L'appui sur l'Europe
La France ne peut et ne doit pas affronter seule la mondialisation compte tenu de l'état d'avancement du processus d'intégration des économies de la Communauté et des acquis des politiques communes.
L'Europe est bien la voie la plus naturelle et la plus prometteuse pour peser dans la mondialisation. Elle est le meilleur moyen de continuer à réaliser des économies d'échelle dans un marché unique de plus en plus efficient, d'oeuvrer à la correction du déficit de régulation dont souffre l'économie mondiale, de lutter contre les dangers sociaux de la mondialisation, en un mot de se défendre contre les stratégies agressives de ses grands partenaires.
L'Europe permet de trouver un équilibre entre compétition et coopération, entre concurrence et solidarité. Encore faut-il que cet objectif soit partagé par une majorité d'États membres, voire par l'ensemble de nos partenaires. Pour imposer des stratégies coopératives aux autres partenaires, la Communauté doit se comporter comme une puissance et non comme un ectoplasme. Elle doit parler d'une seule voix et disposer de procédures de décision efficaces pour permettre l'expression d'une position commune cohérente dans les grands débats économiques avec ses partenaires extérieurs. Elle doit donc s'organiser dans la bataille économique mondiale. À cet égard, l'expérience de la PAC, malgré de nombreuses imperfections, peut être considérée comme une expérience probante d'une politique économique menée au niveau européen.
Au total, l'appui sur l'Europe est le seul scénario crédible. Mais nous ne voulons pas n'importe quelle Europe. Le modèle européen est le seul qui concilie démocratie, marché et cohésion sociale. Nous avons le devoir de le défendre. Nous devons muscler l'Europe face à la mondialisation et non pas chercher à l'affaiblir. Nous devons travailler avec nos partenaires sociaux-démocrates à ce que l'Europe affirme sa volonté et dispose des moyens nécessaires pour s'opposer aux effets dévastateurs de la mondialisation qui menacent les mécanismes de stabilisation sociale.
II.2.3. Une Europe de la croissance forte
Nous voulons une Europe qui retrouve une croissance forte et un développement durable, et qui préserve les systèmes de protection sociale.
Les tenants de « l'autre politique » s'emploient à démontrer que cet objectif est hors d'atteinte si l'on reste dans la démarche arrêtée à Maastricht. Ce débat n'est plus d'actualité aujourd'hui, alors que l'Allemagne a les plus bas taux d'intérêt nominaux en Europe. L'écart des taux courts qui subsiste à notre détriment doit être d'abord recherché dans le manque de clarté des choix de la politique économique française. C'est pourquoi nous préconisons une politique de relance concertée au niveau européen. L'Europe est en effet le seul espace pertinent pour un changement de dimension indispensable, qui peut permettre de retrouver l'esprit – et non la lettre – des remèdes préconisés par Keynes pendant la « grande crise ». Le rapport Delors sur la croissance, la compétitivité et l'emploi, et les analyses formulées à cette occasion par de nombreux économistes suggéraient fortement en 1992 une initiative de croissance européenne fondée sur l'action publique.
Dans le même esprit, nous proposons le lancement d'un grand emprunt de l'Union, seul agent public à ne pas être endetté, pour financer des grands travaux d'infrastructure, de communication et de rénovation des banlieues, qui est la condition nécessaire pour permettre la création de millions d'emplois en Europe et retrouver le chemin de la croissance et du développement durables.
En fait, l'UEM peut nous permettre de sortir du dilemme monétaire dans lequel la France est enfermée depuis 25 ans monnaie faible ou taux excessifs. Avec le passage à la monnaie unique, nous pourrons toucher les dividendes des efforts de convergence nominale et de désinflation, auxquels l'objectif de stabilité des changes nous a naturellement conduits.
II.2.4. La monnaie unique : un outil au service d'un véritable projet économique et politique
Les socialistes renouvellent leur engagement en faveur de la monnaie unique, dès 1999, non pas comme une fin en soi, mais dans la perspective d'un véritable projet économique et politique. Les avantages de la monnaie unique – éradication de la spéculation sur les monnaies européennes, baisse des taux d'intérêt, création d'une zone monétaire optimale en Europe, possibilité de refondation du système monétaire international sur la base de taux de change plus stables – l'emportent en effet, et de loin, sur ses inconvénients, dès lors que cette construction ne sacrifie pas au monétarisme, c'est à dire à la dévolution pure et simple du pouvoir monétaire aux gouverneurs de banques centrales. La monnaie unique est en outre souhaitée dans de nombreux secteurs qui ont eu récemment à souffrir des dévaluations compétitives de la lire et de la peseta, qu'il s'agisse de l'agriculture, de la pêche ou du textile. Ce choix suppose de trancher trois débats.
Les critères et le calendrier
Rappelons que chacun des cinq critères (taux d'inflation, taux d'intérêt, taux de change, déficit et endettement publics) tend simplement à mesurer la bonne gestion des monnaies nationales et le processus de convergence avec les autres monnaies nationales.
La France, chacun le sait, aura beaucoup de mal à ramener à 3 % du PIB à la fin de l'année 1997 ses déficits publics. Même l'Allemagne est passée au-dessus de la barre des 3 %, ce qui met fin, provisoirement sans doute, à la surenchère sur le pacte de stabilité budgétaire (consistant à ramener après le passage à l'euro, le déficit budgétaire moyen à 1 % du PIB) pour l'avenir, nous refusons le durcissement des critères au cours de la troisième phase, qui serait nuisible au développement économique et social de l'Europe.
La décision de passer – ou non – à la monnaie unique sera une décision politique. Elle sera fondée sur l'examen, éventuellement en tendance, des critères de convergence, et notamment des critères budgétaires et d'endettement public, mais aussi sur l'exigence de preuves sociales. Il nous semble indispensable d'affirmer la priorité à accorder à l'emploi dans les objectifs de politique économique. La politique de l'emploi devrait devenir une politique européenne à part entière, en regroupant dans un seul et même chapitre les dispositions éparses qui se trouvent déjà dans le Traité (un niveau d'emploi et de protection sociale élevé fait partie des objectifs de la Communauté énoncés à l'article 2 du Traité CE à la réalisation desquels le système européen de banques centrales devra apporter sa contribution conformément à l'article 105 du Traité CE). Nous proposons que la mise en oeuvre de l'UEM incorpore un objectif de création d'emplois, voire de retour au plein-emploi. Ce point pourrait figurer dans une plate-forme sociale-démocrate.
Le nombre de partenaires
La logique de l'UEM et de son calendrier est que tous les États membres ne seront pas prêts en même temps et qu'il y aura un certain nombre d'États membres dans l'UEM alors que d'autres resteront dehors pour un temps.
Trois attitudes sont possibles :
– considérer que le démarrage de la monnaie unique, même avec un petit nombre d'États membres, avant les négociations d'élargissement, prime sur toute autre considération. C'est la logique de la géométrie variable, conçue comme une nouvelle version de la zone de libre-échange. Mais la perspective d'une Europe unie et politique s'éloignerait. Nous ne voulons pas d'une UEM à quelques-uns, sans lien avec les autres pays, et sans perspective politique ;
– considérer que pour ne pas s'apparenter à une zone mark et préserver nos soldes commerciaux avec les pays du Sud, il est essentiel que l'Espagne, le Portugal et même l'Italie rentrent immédiatement dans le système. Cette logique privilégie les équilibres géographiques et politiques. Mais elle peut buter sur les réalités économiques et financières ;
– concilier d'emblée monnaie unique et processus politique, en acceptant qu'un premier groupe de pays réalise la monnaie unique, mais en veillant à ce que les autres pays de l'Union aient des liens stables avec la monnaie unique, sous la forme d'un véritable système monétaire européen, proscrivant les dévaluations compétitives. Cela permet d'associer tous les pays qui le souhaitent à l'UEM (sous la forme d'un SME) pour construire l'Europe politique.
C'est cette dernière solution qu'il faut encourager, car elle préserve la solidarité entre les États membres et permet d'inscrire l'UEM dans une perspective politique. Il est toutefois clair que, pour nous, la logique de la monnaie unique est la généralisation aussi rapide que possible au plus grand nombre de pays possible. Cela suppose de stabiliser au maximum les rapports avec les pays hors UEM.
Le gouvernement européen
C'est pour nous le point clef. L'Europe doit être gouvernée sur le plan politique comme sur le plan économique. À Maastricht, la France n'a obtenu que partiellement satisfaction (avec la définition politique du change externe). Mais à l'époque, nous n'avons pu convaincre nos partenaires d'aller plus loin vers l'instauration d'une autorité politique.
La question est aujourd'hui de nouveau posée
L'union monétaire impose donc une réflexion approfondie sur le rôle des trois piliers d'une politiques macro-économique : la politique monétaire (au niveau de la Banque centrale européenne), la politique budgétaire et le rôle des partenaires sociaux.
Il faut en tout état de cause mettre en place un cadre institutionnel, économiquement cohérent et politiquement acceptable pour le fonctionnement de l'Union monétaire, c'est-à-dire un gouvernement européen soumis à un contrôle démocratique face à la Banque centrale européenne, et une définition précise des niveaux de compétence pour la conduite des politiques économiques. Dans ce contexte, il est nécessaire de moduler davantage les institutions de l'Union européenne, en distinguant les décisions qui sont prises à Quinze et celles qui sont prises entre les ministres des États membres appartenant au système de monnaie unique.
Des objectifs redéfinis pour une Europe de l'emploi. Une Europe pilotée par un véritable gouvernement. Des politiques publiques orientées vers la croissance et la création d'emploi. Une monnaie unique facteur de stabilité et d'ancrage d'un nouveau système monétaire international. Telle est l'Europe que nous voulons, ni libérale ni résignée. Ce sont les conditions de réussite que nous mettons, dans l'après-Maastricht, pour le tournant du siècle, à notre engagement européen.
II.2.5. Agir au niveau national est nécessaire et possible
La définition d'une régulation mondiale et l'affirmation d'un projet politique pour l'Europe ne dispensent pas, bien au contraire, d'une action résolue au niveau national, d'un projet fort pour la France.
Agir au niveau national est nécessaire. Plus encore que ses partenaires, la France souffre de la dégradation actuelle du climat conjoncturel. Le gouvernement d'Alain Juppé, nommé par Jacques Chirac, porte une lourde responsabilité dans cette nouvelle aggravation du retard de croissance de notre pays. Après bien des tergiversations, et surtout après les mensonges éhontés de la campagne présidentielle, la stratégie de la droite reproduit la vision du gouvernement Balladur, activisme désordonné en sus : tout le mal viendrait des déficits et du coût du travail. Partant d'une analyse conjoncturelle et structurelle erronée – la France souffrirait encore d'une crise de l'offre et d'un excès du coût du travail, alors qu'elle pâtit d'une atonie de la consommation nourrie au premier chef par une politique déflationniste – le gouvernement Juppé déroute nos concitoyens par une avalanche de plans contradictoires et les écrase de prélèvements injustes. Les résultats obtenus sont préoccupants : la dynamique de la croissance est brisée, le blocage de la demande publique et privée ainsi que le matraquage fiscal inéquitable infligé aux ménages débouchent sur la stagnation et l'enlisement dans le chômage de masse, le modèle social français est fragilisé.
Agir au niveau national est possible. Il convient en effet de clarifier les principes de répartition des compétences aux niveaux mondial, européen, français.
La France doit proposer des mécanismes de régulation mondiale, et elle entend y participer avec sa singularité.
La politique monétaire et de change sera européenne. Elle sera partagée entre la Banque centrale européenne (opérations de change, politique monétaire, moyens de paiement) et le gouvernement économique (politique de change externe, relations économiques et financières internationales, grandes orientations de politique économique, réaction aux chocs exogènes...).
L'Europe sera le champ de politiques intégrées à Quinze (grands réseaux d'infrastructures, politique agricole commune, politique de la pêche, politique commerciale, aides d'État, contrôle des concentrations, surveillance multilatérale des politiques économiques...) ou de politiques conduites entre participants à la monnaie unique.
Certaines politiques ressortiront de compétences partagées entre les États membres et l'Union. Ainsi, la politique budgétaire aura deux volontés : un volet national, un volet européen (le budget communautaire) ; la politique de l'emploi relèvera pour l'essentiel de mesures nationales, mais aussi d'actions communautaires qui ne se limiteront pas à la question des travailleurs migrants : la fiscalité sera elle aussi surtout nationale, mais comprendra une dimension européenne ; les politiques d'aide à la reconversion relèveront à la fois de choix nationaux et de décisions communautaires.
La France a des faiblesses structurelles qu'elle doit combattre et dont il serait vain d'attendre la réponse de la seule Europe. Nous devons nous y attaquer, qu'il s'agisse de la distribution des revenus qui se fait aujourd'hui au détriment des salaires, de la fiscalité et du financement de la protection sociale qui pénalise le travail et donc l'emploi, de l'inégalité forte des ressources entre les collectivités locales, de notre incapacité actuelle à garantir l'accès de tous aux services publics (droit à l'éducation, au logement, à la santé, à la sécurité) et de notre retard à ouvrir les pistes nouvelles pour l'emploi (nouveaux gisements d'emploi, réduction de la durée du travail...).
C'est en traitant ses propres problèmes, dont elle a la responsabilité, que la France sera plus forte pour défendre l'Europe politique et sociale que nous souhaitons car l'Union européenne doit se fixer des objectifs d'harmonisation par le haut, notamment en ce qui concerne la législation sociale et la diminution du temps de travail.
La France sait que c'est à travers l'Europe qu'elle pourra maîtriser son destin, affirmer son identité nationale, notamment à travers le rôle de l'État. À elle de redevenir un moteur de la construction européenne avec sa vision propre.
II.2.6. Combler le déficit d'emploi et de croissance français
Loin de la « politique unique » suivie par Messieurs Balladur puis Juppé, qui estime qu'aucune politique active de croissance n'est plus possible, et de l'« autre politique » qui fait l'impasse sur l'Europe, il convient de réhabiliter l'économie politique. Cela signifie, dans le respect des valeurs démocratiques, confronter l'imagination et l'ambition, agir avec efficacité et souci de justice, face à la logique des enchaînements mécaniques et des instruments économiques, en un mot face au laissez-faire. Nous devons être porteurs de nos valeurs humanistes et socialistes, françaises et européennes, rassembler pour combattre l'idéologie du libéralisme extrême.
L'emploi est la première préoccupation des Français. L'emploi doit être au coeur de la politique économique que nous voulons conduire. Le principal objectif que nous poursuivons est le retour volontaire au plein-emploi, bien avant l'inversion de la courbe démographique en 2010.
Le deuxième objectif est de combattre fortement les inégalités. Pour les socialistes, cette question est primordiale. Historiquement, c'est la gauche, politique et syndicale, qui a promu les avancées sociales. Le modèle européen comporte lui-même des valeurs spécifiques fortement marquées par la pensée démocratique. Il nous faut, à cet égard, tirer lucidement les leçons de dix années d'expérience du pouvoir pendant lesquelles de grandes réformes sociales ont été réalisées, mais qui ont vu certaines inégalités s'accroître (la part des salaires dans la valeur ajoutée a ainsi reculé de 11 points au cours des quinze dernières années).
Ces objectifs dessinent les grandes lignes d'une politique économique et sociale de gauche pour la France : Il s'agit d'augmenter la croissance potentielle de notre économie en utilisant et élargissant nos marges de manoeuvre, et d'accroître substantiellement son contenu en emploi. Pour ce faire, les socialistes proposent cinq pistes, que nous approfondirons tout au long de cette année, notamment à travers la Convention sur la redistribution prévue au troisième trimestre.
1. Une politique de création d'emploi. Celle-ci passera pour l'essentiel par trois grands moyens. La réduction du temps du travail, tout d'abord, est pour nous un projet de société essentiel : pour créer des centaines de milliers d'emplois, elle devra être massive, négociée par les partenaires sociaux, régulée et aidée par l'État, sans perte de salaires. Nous devrons aussi mettre en oeuvre de grands programmes pour l'emploi, dans les domaines de la reconstruction des banlieues et du logement social, du développement des services de proximité, de la préservation des paysages et de l'environnement. La relance concertée et nationale de la croissance augmentera en outre la demande de travail. Mais nous savons qu'elle risque, en France, de ne mordre que sur le chômage des travailleurs qualifiés, que la dernière récession a créé. Le chômage des non-qualifiés et des jeunes risquent d'y être relativement insensible. À ce problème structurel, il faut une réponse structurelle, visant à augmenter la demande de travail des non-qualifiés et à diminuer progressivement son offre. L'éducation et la formation joueront, ici comme ailleurs, un rôle central.
Objectif : faire chuter le chômage français
2. Une politique monétaire favorable à la croissance. Cela suppose, dans la phase actuelle de dépression de la consommation, une injection de liquidités sous des formes appropriées. C'est, aux termes de la loi, le gouvernement qui fixe les grandes orientations de la politique de change. Il doit fixer la priorité : la réduction des taux, au minimum vers les taux allemands (environ 0,7 % d'écart ou 70 points de base aujourd'hui sur les taux au jour le jour ; mais 40 points de base sur les taux à 10 ans). Nous savons aussi que l'objectif d'aller plus loin dans la baisse des taux n'existera qu'en concertation – et en rapport de force – avec les autres banques centrales européennes.
Objectif : remettre la monnaie au service de l'économie, non l'économie au service de la monnaie
3. Mener une politique de l'investissement plutôt que de l'endettement. Dans le cadre de l'UEM, deux marges de manoeuvre doivent être utilisées et élargies.
Une politique budgétaire nationale permettant la mise en place des politiques publiques nécessaires. Il s'agit d'améliorer l'efficacité de la dépense publique, en privilégiant des objectifs prioritaires : l'intelligence (l'éducation, la recherche, les autoroutes de l'information), les villes, le logement, le BTP, la création d'emplois peu qualifiés...
Objectif : mieux utiliser la dépense publique pour préparer l'avenir
Faire aboutir l'initiative de croissance européenne. Entre l'ambition initiale (150 Md d'écus pour les autoroutes de l'information, 250 Md d'écus pour les grands réseaux de transport et d'énergie) et la faiblesse des réalisations actuelles, il y a un vaste espace d'action.
Objectif : contribuer à la réalisation des grands programmes européens pour la croissance, la cohésion sociale et l'emploi, la mise en oeuvre des infrastructures et des réseaux indispensables.
4. Une relance salariale. Celle-ci est aujourd'hui possible, compte tenu de la situation financière de la plupart des entreprises, et nécessaire pour permettre le redémarrage de la consommation, et donc de l'investissement et de l'emploi. Nous sommes favorables à une hausse maîtrisée des salaires : à l'État de jouer, par une conférence des revenus, son rôle instituant avant une grande négociation sociale.
Objectif : redéfinir une politique des revenus pour favoriser la croissance et la justice sociale.
5. Rééquilibrer la logique de marché. À côté des marchés, il y a place pour les activités économiques et sociales fondées sur la solidarité, la coopération, l'association, la mutualité, l'intérêt général, bref, le service public. Dans cet esprit, des initiatives doivent être prises dans le domaine de la formation, de l'éducation, de l'organisation du travail, de la lutte contre les exclusions, de l'égalité d'accès aux droits fondamentaux d'accès aux consommations de base (se déplacer, communiquer) mais aussi le droit à la santé, à l'habitat, à la sécurité, à un environnement sain.
La satisfaction de ces besoins ne pourra jamais être atteinte par la seule logique du marché. Or elle est essentielle à la construction et à la sauvegarde d'une adhésion sociale.
Objectif : un service public fort au service de la cohésion sociale
Ces orientations ne prendront toute leur force que si la réforme sociale accompagne le volontarisme économique. Nous savons ainsi qu'il faudra améliorer l'efficacité de l'État, celle des politiques de redistribution, renforcer le service public et réformer en profondeur notre système de prélèvements obligatoires, à partir du constat d'une France divisée en trois : les plus favorisés, le groupe intermédiaire – la majorité des salariés – qui se sent menacé par son environnement extérieur qu'il perçoit comme de plus en plus déstabilisant pour ses intérêts, les exclus. Il s'agira donc de viser, dans toute la mesure du possible, une stabilisation, voire une réduction du total des prélèvements obligatoires, de restructurer ceux-ci pour accroître la justice sociale, en arrêtant de privilégier le capital pour favoriser le travail, notamment non-qualifié, et de préserver une solidarité, aujourd'hui menacée, entre les générations.
Au cours des mois qui viennent, les socialistes approfondiront leur réflexion autour de ces axes de travail. D'ores et déjà, nous voulons affirmer une volonté et un engagement pour notre pays et proposer à nos concitoyens, après que le mouvement social en France a donné le premier signal d'un refus de masse d'une logique de régression, un nouvel équilibre social et un nouveau contrat social. Il s'agit pour nous d'un choix politique essentiel, refusant le modèle anglo-saxon pour affirmer un modèle européen et français : forts salaires, forte protection sociale, forte valeur ajoutée, reconquête de l'emploi.
II.3. Pour un contrat social européen
L'Europe sociale est pour nous une priorité. Elle ne peut pas – elle ne peut plus – être évoquée pour le principe. Elle doit être précisée dans son contenu, dans ses méthodes, dans ses procédures, voire dans ses limites.
L'Europe, en effet, ne doit pas servir d'alibi facile pour nous exempter de ce que nous n'aurions pas fait, hier, ni de paravent commode pour ne pas réfléchir à ce que nous pourrions faire, demain, au niveau national. Il est aussi dangereux pour la France de ne pas savoir partager sa souveraineté quand cela s'avère nécessaire que pour l'Europe de se voir attribuer des compétences qu'elle ne peut exercer. Or, et pour longtemps sans doute, le choix d'un système de santé, d'un mécanisme de retraite, d'une politique familiale ou de mesures de formation, relèvera du niveau national, même si un espace européen d'échange et de discussion pourrait utilement éclore.
Affirmons-le cependant avec la plus grande force : pour nous, l'Europe doit contribuer à réduire les inégalités. L'Europe a une vocation, une mission et une fonction sociales. L'Europe doit être synonyme de progrès social sauf à être, tôt ou tard, légitimement rejetée par les peuples européens et notamment par les Français.
Affirmons-le également sans détour : jusqu'à présent, l'Europe n'avait pas grand contenu social. Sans doute, dès le traité de Rome, des objectifs sociaux généraux et généreux étaient-ils affirmés et, récemment encore, précisés dans le traité de Maastricht qui évoque par exemple l'objectif « d'un progrès économique et social équilibré et durable ». Mais, lorsque l'on regarde les instruments, les compétences et, pire, les crédits correspondants à ces objectifs, on ne peut que déchanter, même si, là encore, des progrès ont été réalisés récemment.
En réalité, au-delà des fonds structurels qui assurent la solidarité entre les territoires, les seules avancées datent de l'Acte unique et du traité de Maastricht. L'Acte unique européen a marqué un changement d'orientation, encore modeste mais réel il commence à rééquilibrer le Marché unique par des politiques communes visant à une plus grande cohésion économique et sociale. La France exerçant la présidence de la Communauté, François Mitterrand proposa fin 1989 l'adoption d'une « Charte des droits sociaux fondamentaux des travailleurs ». Onze États sur douze, c'est-à-dire tous sauf la Grande-Bretagne, l'adoptèrent en décembre 1989 à Strasbourg. Texte solennel, déclaration d'intention, la Charte fixe des principes d'action dans douze domaines. Le traité de Maastricht a permis de franchir une nouvelle étape. Malgré l'opposition du gouvernement conservateur britannique, un protocole social fut adopté entre onze États membres et annexé au Traité. Il a permis de débloquer certains dossiers en panne au Conseil depuis plusieurs années ou de conclure, pour la première fois, une convention collective entre partenaires sociaux. Progrès incontestable par rapport à la situation antérieure. Progrès réels si l'on examine les avancées concernant par exemple la sécurité des travailleurs – et notamment le travail sur « écran » –, l'égalité entre les hommes et les femmes, les comités d'entreprises européens ou l'accord sur le congé parental. Mais progrès limités malgré tout si l'on considère le temps perdu, les initiatives abandonnées, les résultats a minima.
Il nous appartient de fixer les combats de demain car l'Europe sociale ne s'imposera pas d'elle-même. Elle ne se fera qu'avec des objectifs clairs et une détermination sans faille.
Le premier combat sera celui des idées. Certains, parmi les pays les plus pauvres de l'Union européenne, craignent qu'une politique sociale ne réduise les avantages comparatifs dont ils entendent tirer parti pour profiter du marché intérieur. D'autres, parmi les pays les plus riches, redoutent de devoir fournir des efforts supplémentaires de solidarité. Tous, ou presque, cachent derrière l'invocation du respect de la diversité nationale leur absence de volonté politique. Le parti des socialistes européens doit être le lieu privilégié du débat politique avec nos partenaires sociaux-démocrates pour convaincre largement de la nécessité de l'Europe sociale.
Le second combat sera celui des procédures. La situation actuelle ne peut plus être acceptée. Non, il n'est pas acceptable qu'un État membre – la Grande-Bretagne conservatrice – continue de refuser la ratification de la Charte sociale. Non, il n'est pas acceptable que cette Charte sociale ne figure pas dans le coeur du Traité mais seulement en annexe. Non, il n'est pas acceptable que l'unanimité soit requise pour toute harmonisation fiscale ou sociale ou environnementale quand une majorité qualifiée suffit pour faire progresser le marché unique. C'est pourquoi nous voulons nous donner les moyens d'agir, en avançant les propositions suivantes :
– le vote à la majorité qualifiée doit être généralisé et pondéré afin de tenir compte de l'importance des pays, pour l'adoption des politiques communes, en particulier la législation sociale, la fiscalité, la politique industrielle, mais aussi l'ensemble de la politique de la recherche et de l'environnement. Chaque fois que le Conseil déciderait à la majorité qualifiée, le Parlement européen devrait se voir accorder un droit de codécision ;
– la fiscalité doit être mise au service de l'emploi. Grâce au vote à la majorité, une partie des charges pesant sur le travail, en particulier non qualifié, pourrait être transférée sur d'autres facteurs de production : le capital (établissement d'une retenue fiscale harmonisée sur les revenus du capital qui permettrait également de lutter contre les fuites de capitaux) et sur l'énergie (taxe CO2/énergie, également protectrice de l'environnement) ;
– s'agissant du protocole social, nous proposons de mettre fin à l'exception britannique et à toute demande d'exemption sociale (« Opting out »), afin que tous les États adhèrent au protocole social. Ce protocole doit en outre être pleinement intégré dans le Traité, son contenu révisé, clarifié et simplifié.
La politique commerciale de l'Union européenne doit faire en sorte que soient sauvegardés notre protection sociale et notre droit du travail. Nous devons consentir aux pays les plus pauvres le droit à des protections unilatérales. Mais la réciprocité doit être la règle avec les pays riches. Surtout, le commerce avec les pays émergents à bas salaires doit être organisé sur la base d'accords entre zones régionales : ces accords, en ce qui concerne les produits les plus sensibles, viseront à gérer sur une base mutuellement avantageuse les échanges avec ces zones.
Le troisième combat sera celui des méthodes et les nôtres tiennent en deux mots : progressivité et contrat. Progressivité, car la convergence sociale ne se fera par le haut que si les objectifs – par exemple pour le salaire minimum européen – sont suffisamment élevés en niveau pour les pays les plus riches et suffisamment étalés dans le temps pour les pays les plus pauvres. Cela suppose notamment de :
– renforcer le statut du Comité permanent de l'emploi et rendre sa consultation obligatoire sur les questions économiques et sociales ; avant toute proposition de la Commission et toute décision du Conseil ; c'est là que s'exprimeront les partenaires sociaux ;
– reconnaître la place des services publics. Le service public est dans notre pays un des éléments du pacte social. Selon des modalités différentes, les principes qui l'animent sont communs à l'ensemble des États-membres et constituent l'une des bases du modèle de société européen. Or, depuis plusieurs années, la Commission développe sur cette question une vision réductrice et libérale à l'excès. La solution n'est pas uniquement dans l'inscription de la notion de service public dans la Constitution française mais dans la « Constitution européenne ».
Nous attendons donc de la prochaine CIG qu'elle affirme le droit du service public comme un élément fondamental au modèle de société européen et proposons que :
– le service public soit établi comme une des règles fondamentales de l'Union à égalité avec le droit à la concurrence et la seule régulation par le marché ;
– le Conseil donne mandat à la Commission de proposer les règles de ce que devra être un service public européen, après concertation avec les forces sociales concernées.
Nous attendons aussi de la CIG qu'elle décide la mise en oeuvre d'un salaire minimum européen garanti. La définition des modalités de cette mise en oeuvre devra être décidée au plus tard lors du passage à la monnaie unique. Ce minimum social sera le premier élément d'un bloc social européen ayant vocation à sauvegarder et à promouvoir le modèle européen.
C'est ici et maintenant, sur un choix de société rompant avec le « libre-échange roi », que doit être fondé le nouveau projet européen. Pour cela, l'Europe doit contenir la contrainte que certains aspects de la mondialisation font peser sur l'organisation sociale. On en connaît l'enjeu refuser la suppression du salaire minimum et la privatisation du système de protection sociale, s'opposer au démantèlement des services publics et en défendre les principes d'égalité. Ce projet européen doit donner lieu au sein du parti socialiste français, puis au sein des partis socialistes européens, à un réel et profond débat sur l'organisation d'une nouvelle société à proposer au monde.
Partons de la réalité – difficile – telle qu'elle est. Les partenaires – grands partis socialistes, sociaux-démocrates, grandes organisations syndicales – auxquels nous nous adressons pour faire avancer, puis prévaloir la proposition du Contrat social européen ne sont pas prêts, le plus souvent, à s'engager dans cette voie.
La première exigence est donc de gagner la gauche européenne à cette idée : pour cela, il faut commencer par une grande campagne d'opinion. Avant qu'elle serve à créer un rapport de force face aux autres partenaires sociaux, face aux tenants de la pensée unique, la fonction de notre campagne d'opinion est d'abord de rassembler les forces du travail, le salariat européen. Du coup, on mesure les contraintes du calendrier : cet immense travail de conviction, fondé sur le constat des effets dévastateurs de la mondialisation capitaliste, prendra du temps. Mais il n'y a pas de raccourci. Il faut en passer par là. C'est le premier temps de ce qui sera bien une grande bataille politique.
Pour donner ampleur au mouvement, l'acte d'impulsion pourrait être la tenue d'une Convention européenne, où les socialistes de tous les pays européens (et pas seulement quelques dirigeants) débattraient du ou des mêmes textes (services publics, précarité, législation du travail...), engageraient le dialogue avec les mouvements syndicaux, en un mot, donneraient un contenu véritable à la Charte sociale. L'Europe des travailleurs, l'Europe sociale prendrait déjà ainsi une première réalité.
Ainsi l'Europe pourra être un choix de société solidaire.
II.4. Une puissance pour le XXIe siècle
II.4.1. Pour une Europe de la culture
Depuis longtemps, les Américains ont compris que l'investissement dans l'intelligence, la culture, la créativité, était le premier des investissements économiques.
Non seulement l'innovation est source directe de production, de biens nouveaux, mais elle est en même temps porteuse d'un système de représentation et d'images que les États-Unis véhiculent à travers le monde entier. Un film, un jeu vidéo, une série télévisée induisent auprès des spectateurs des désirs de consommation de biens industrialisés.
L'enjeu pour l'ensemble des nations du monde est donc à la fois culturel et économique. Sur le plan culturel, se joue le droit à l'identité, à la singularité et à l'originalité de chaque peuple. Un pays qui serait dépourvu de force d'invention artistique, intellectuelle, humaine ou technique, deviendrait vite un pays sans âme et sans liberté d'être.
Sur le plan économique, l'analyse des composantes de la mondialisation montre qu'à la différence des marchandises et des capitaux aujourd'hui en libre circulation, le capital humain reste pour l'essentiel attaché à un pays ou à un autre. De la capacité à mettre en valeur cette richesse dépendra la vitalité économique d'une nation.
La France et l'Europe doivent centrer leurs efforts sur l'exploration des gisements, encore inconnus, de l'intelligence et de l'inventivité humaine.
En France, il nous faudra reprendre le chantier de l'éducation, renouer avec la priorité qui a été interrompue en 1993 et imaginer sans doute des solutions nouvelles qui permettront de donner aux jeunes des chances supplémentaires de réussite individuelle et collective. Parmi les urgences des réformes à entreprendre devra figurer la rénovation des collèges et une nouvelle avancée du système universitaire. Il faudra aussi reprendre la marche en avant en faveur d'une politique culturelle audacieuse qui a été brisée depuis trois ans, tout comme la recherche scientifique.
L'Europe ne doit pas être absente de ce combat pour la créativité et la culture. Certes, des initiatives ont déjà été prises par les institutions européennes mais elles sont encore trop fragmentaires ou éparpillées.
Citons à titre d'exemple d'une politique nouvelle à entreprendre des projets qui pourraient avoir une certaine force de mobilisation : une agence européenne pour la création de programmes pour la télévision et les nouvelles technologies ; la réalisation de deux ou trois véritables universités européennes qui accueilleraient des professeurs et étudiants de différents pays et leur proposeraient un enseignement d'un type nouveau ; la généralisation de l'apprentissage de deux langues étrangères : le jumelage systématique de chaque école avec une école d'un autre pays...
En même temps que des politiques éducatives, scientifiques et culturelles nouvelles transformeraient notre continent en pôle intellectuel mondial et soutiendraient son développement économique, celui-ci permettrait l'émergence d'une authentique Europe des citoyens. Seules en effet des relations humaines directes, notamment entre les jeunes européens, peuvent créer un sentiment réel et vivant d'appartenance commune à une même aire de civilisation.
II.4.2. Mettre en oeuvre une politique étrangère et de sécurité commune
Le grand acquis de l'Europe de l'après-guerre est la paix du continent, après des siècles de combats sanglants, la réconciliation franco-allemande après trois guerres en moins d'un siècle. Le pari des pères fondateurs a été tenu, et c'est un succès immense.
Mais l'Histoire ne s'arrête pas là : cette paix, il nous faut continuer à la garantir, et il nous faut apprendre à prévenir les crises susceptibles de secouer notre continent. La grande faiblesse de l'Union actuelle est qu'elle n'a pas de politique étrangère propre : c'est une situation à laquelle nous ne saurions nous résigner.
La chute du Mur de Berlin nous a permis de renouer des liens plus solides avec les pays d'Europe centrale et orientale. Ces nouvelles démocraties aspirent à entrer dans l'Union européenne. Mais au-delà même de cette dimension institutionnelle, rappelons que la Communauté est le premier donateur à ces pays, qui se développeront grâce à elle. Et pourtant, l'influence politique et culturelle des Européens reste à construire : il ne faut pas se résigner à ce que cette partie intégrante de l'Europe passe sous influence nord-américaine !
L'Europe ne peut cependant pas se désengager vis-à-vis des pays du Sud, et notamment de ses plus proches voisins du bassin méditerranéen. Ceux-ci ont parfois l'impression de faire les frais des retrouvailles entre l'Europe occidentale et les ex-pays de l'Est. Ils craignent d'être marginalisés. Les écarts économiques et politiques entre les deux zones sont en outre une source importante d'instabilité régionale.
L'Europe doit avoir un message fort en direction des pays du pourtour méditerranéen en leur proposant non seulement une coopération économique mais surtout politique, culturelle et humanitaire.
En décembre dernier, la Conférence euro-méditerranéenne de Barcelone a jeté les premières bases d'un partenariat entre les deux zones, en prévoyant la réalisation d'une zone de libre-échange d'ici à 2010 et le triplement de l'aide communautaire en direction des Douze.
Les Quinze plus les Douze de la Région pourraient rassembler leurs efforts au sein d'un « Helsinki du Sud » afin de fixer, par des engagements fermes et chiffrés, quelques règles et principes de base comme la reconnaissance mutuelle des frontières existantes, la nécessité de progresser vers la démocratie, la protection des droits de l'homme et de l'environnement.
L'identité des Européens se forgera aussi dans la conscience d'une grande ambition commune pour le vieux continent. La crise yougoslave a montré que l'Europe avait été impuissante face à l'enlisement du conflit. Assurément, les principes d'une politique de sécurité commune n'étaient pas alors définis. Mais on voit bien que l'accord de Dayton, dont il faut souhaiter qu'il parvienne à rétablir durablement la paix, est mis au crédit de la diplomatie américaine, alors même que les fondements en avaient été imaginés il y a plus de deux ans par les Européens, la France en particulier. Il est urgent que l'Union européenne affirme clairement sa volonté d'intervenir sur la scène internationale, pour y défendre ses intérêts ou y faire respecter ses valeurs ; il est urgent pour cela qu'elle se dote des moyens adaptés à la gestion des crises.
Nous savons bien que cette question est l'une des plus difficiles dans la construction européenne, car il s'agit d'associer dans une vision commune du monde et des intérêts de l'Union, des États qui, depuis des siècles, ont des manières différentes de concevoir leur rôle international. On sait aussi que la politique commune pose la question de la défense européenne : en devenant une puissance à part entière, l'Union européenne se donnera les moyens de se faire entendre et respecter, bien au-delà de ses seuls intérêts stratégiques.
Il est regrettable que le Président de la République n'ait pas jugé utile d'éclairer les Français sur le sens de ce revirement majeur de notre diplomatie que constitue le rapprochement engagé par la France vis à vis de l'OTAN. Pour nous, il n'y a qu'un seul objectif, celui qui affirme la détermination de la France à s'engager dans la voie de la coopération avec les autres Européens, pour favoriser enfin l'émergence d'une véritable politique de sécurité européenne. Il s'agit d'être plus actif que jamais : sinon, au lieu de s'affirmer comme une puissance militaire à part entière, l'Europe entraînée en cela par la France, se sera contentée d'abdiquer toute ambition propre pour devenir un satellite des États-Unis. Or c'est bien là le sens de la politique de Jacques Chirac, qui aura réussi à réintégrer la France dans l'OTAN, sans débats politiques, et sans contrepartie européenne pour l'UEO. Beau résultat en vérité !
Car depuis la fin de la guerre froide, rien n'a changé dans les rapports de force internes de l'alliance – celle-ci est certes nécessaire actuellement pour défendre l'Europe mais, sans volonté européenne, cet instrument de défense demeurera le moyen pour les États-Unis de maintenir leur hégémonie.
Comment avancer ? Quatre pistes nous paraissent pouvoir être suivies :
– définir nos intérêts de sécurité communs. Les États de l'Union sont confrontés à des risques nouveaux, qui menacent moins leurs intérêts vitaux que la stabilité de l'équilibre international. Les Européens ont l'occasion historique de pouvoir mettre sur pied des mécanismes de prévention et de gestion des crises. L'espoir, en particulier des pays d'Europe centrale et orientale, notamment ceux du Pacte de Visegrad (Pologne, Hongrie, République Tchèque, Slovaquie) ne doit pas être déçu.
Quelle banalité que d'avoir à souhaiter qu'enfin les États de l'Union s'engagent dans la mise à plat de leurs intérêts de sécurité ! Et pourtant, bien des questions restent à trancher, qui méritent une véritable négociation, comme celle du rôle que les Européens entendent accorder à la dissuasion nucléaire dans leur politique de défense commune : ce n'est pas au détour d'un discours, pour mieux faire passer la pilule de la reprise des essais nucléaires par la France que se lancent de telles réflexions !
Comment les Européens perçoivent-ils le danger que fait peser sur le monde la prolifération des armements de destruction massive, en particulier nucléaires ? Comment analysent-ils l'avenir de la Russie ? Ces questions, et bien d'autres encore, méritent de faire l'objet d'une prise de position commune. Pourquoi la France a-t-elle renoncé à l'idée d'un livre blanc sur la défense européenne ?
Clarifier le processus de décision politique. Il ne faut plus permettre que s'installe la paralysie de toute action commune ; pour cela, il faut étendre le principe de ta décision à la majorité qualifiée au domaine de la politique étrangère de sécurité. Aucun État ne se trouvera contraint de s'engager dans une intervention à laquelle il ne souhaiterait pas participer ; mais au moins, il ne doit pas être à même d'en empêcher le déroulement.
S'engager plus avant dans la voie d'une force d'intervention européenne : il s'agit de permettre à l'Union de disposer des moyens de sa politique. L'objectif n'est évidemment pas de mettre en place une stratégie européenne d'intervention systématique. Mais que l'Union européenne, si elle estime de son intérêt d'agir, puisse disposer des moyens de le faire. Seul compte que les Européens puissent parler, décider et agir selon leur intérêt. La guerre du Golfe et celle d'ex-Yougoslavie ont montré la carence des Européens dans deux domaines clefs : la projection des forces et le renseignement. Grâce à l'effort français, l'Europe pourra disposer dans un proche avenir d'une capacité satellitaire lui permettant de communiquer, de voir et d'écouter, lui donnant aussi les moyens de forger sa propre décision. Les politiques de coopération des programmes spatiaux doivent être poursuivies. De même, ce serait une erreur de ne pas poursuivre les programmes en coopération d'hélicoptères de transport (NH 90) et d'avions de transport futur (ATF) parce qu'ils donneront aux Européens les moyens nécessaires pour projeter des forces.
Dans ce contexte, il faut que les Européens puissent parler, décider et agir selon leur intérêt. L'harmonisation des politiques d'armement des principaux pays européens concernés : au moment où le gouvernement semble renoncer à l'idée d'une stratégie européenne dans ce domaine clef, on constate que les États-Unis ne s'embarrassent pas de précautions pour restructurer un secteur majeur de leur économie : depuis la fin de la guerre du Golfe, ils se sont engagés dans une politique de fusion des entreprises, dans le domaine de l'aéronautique et des missiles notamment, qui leur permet de peser sur les marchés mondiaux et d'imposer à leurs partenaires commerciaux leurs choix stratégiques. Bill Clinton a même demandé aux services de renseignement américains de se consacrer aussi au renseignement économique. Or l'Europe et la France représentent leurs véritables adversaires dans cette guerre économique. Les pays européens n'ont plus que deux choix : produire européen ou acheter américain. Il devient impératif dès lors de pousser à la constitution de grands groupes capables de rivaliser avec leurs concurrents d'outre-Atlantique. Il n'y aura pas de défense européenne sans industrie européenne de l'armement.
II.5. Pour une Europe politique
Les citoyens n'acceptent plus que l'Europe se construise à leur insu. Ils veulent comprendre ce qui est aujourd'hui trop souvent obscur. Ils veulent s'exprimer sur des choix qui les engagent. C'est pourquoi le renforcement de la démocratie n'est pas un slogan ni même seulement un objectif. C'est aussi une condition pour que l'Europe ait les moyens de ses ambitions. Il est donc nécessaire de formuler des propositions concrètes qui peuvent s'articuler autour de deux idées : efficacité et transparence démocratique.
L'efficacité n'est bien évidemment pas seulement une question institutionnelle. Mais elle est aussi une question institutionnelle et elle dépend principalement d'une réforme : l'extension du vote à la majorité qualifiée. Question procédurale ou secondaire ? Non, question politique et décisive, surtout pour les socialistes.
Un exemple ? La protection des salariés en cas de licenciement ou la représentation des salariés dans l'entreprise ne peuvent être renforcées qu'à l'unanimité. Encore une fois, la majorité qualifiée libérerait les énergies et il en serait de même dans le domaine de l'environnement ou de la recherche.
Dans une Europe à quinze, l'exigence de l'unanimité a trop souvent conduit à l'immobilisme. Dans une Europe à trente, elle ne serait que le synonyme de paralysie et, en définitive, de renoncement. L'extension du vote à la majorité qualifiée sera donc un test majeur pour le gouvernement français. Nous ferons preuve de la plus extrême vigilance.
Mais l'efficacité future de l'Union européenne ne s'arrête pas là. Elle appelle également d'autres réformes, notamment en ce qui concerne la Commission européenne, dont le rôle actuel doit être reconsidéré. La Commission est en effet un organisme sans légitimité démocratique, puisque ses membres sont nommés et non élus.
Plus efficace, la démocratie européenne doit aussi être plus transparente.
Cela suppose que le Parlement européen mais aussi les parlements nationaux, qui en ont la possibilité, contrôlent davantage l'exécutif européen – c'est-à-dire la Commission et le Conseil – et, par conséquent, que ses pouvoirs soient renforcés., ses procédures simplifiées et sa légitimité renforcée par un mode de scrutin favorisant à la fois un espace politique européen et un rapprochement entre les députés européens et les citoyens.
Cela suppose aussi des réformes symboliques comme, par exemple, l'ouverture au public des séances du Conseil lorsque celui-ci légifère.
Cela suppose également une clarification des institutions communautaires. Qui est qui ? Oui fait quoi ? À ces questions simples, l'opacité des procédures européennes engendre trop souvent des réponses complexes. Aussi, après la Conférence intergouvernementale, nous proposons que soit élaborée une véritable Constitution européenne, qui affirme les objectifs de l'Union et clarifie le rôle et les pouvoirs de ses instances, car l'Union européenne est une construction politique originale !
Les socialistes demeurent favorables à la perspective fédérale. Il nous paraît aujourd'hui nécessaire et possible de la clarifier.
C'est pourquoi nous souhaitons une Fédération d'États-nations. Fédération, car beaucoup de décisions y seront prises à la majorité, d'États-nations, car la fédération ne s'occupera que de ce qui est d'intérêt commun et devra préserver les identités de ses membres.
Il nous faut enfin dire quelle dimension nous souhaitons pour l'Europe. À cet égard, l'élargissement futur de l'Union doit être un enrichissement et non un affaiblissement. La décision politique d'ouvrir l'Union aux six pays d'Europe centrale et orientale et aux trois États baltes est prise. Les socialistes ne peuvent que s'en réjouir. Mais ils veulent que cet élargissement soit une réussite et un enrichissement mutuel. Il n'est donc pas question d'affaiblir à cette occasion la construction européenne, ou de la faire régresser à une simple zone de libre échange en liquidant au passage les politiques communes comme la PAC ou les fonds structurels.
Pour cela, il faut une CIG solide et positive – et nous redoutons qu'elle ne le soit pas, faute notamment d'une vision propre de Jacques Chirac – notamment sur les questions institutionnelles ; une clarification des conditions de l'adhésion (en particulier sur l'acquis communautaire) avec les pays candidats et l'examen des conséquences budgétaires de l'élargissement. Soyons clairs : un élargissement bâclé après une CIG insuffisante sonnerait le glas d'une Europe puissante et généreuse telle quo nous la voulons. C'est pourquoi nous serons particulièrement vigilants. Car la période qui s'ouvre peut-être une zone de dangers comme une occasion de relance. Elle exige des acteurs la définition d'objectifs clairs et la détermination pour les atteindre.
La droite qui gouverne la France n'a pas montré qu'elle s'engageait dans cette voie, restant enfermée dans l'ambivalence, cantonnée dans la technique et, de fait, condamnée au suivisme. Les socialistes disent au contraire ici leur volonté de poursuivre, autrement, une construction européenne ambitieuse et équilibrée.
Le socialisme européen a renforcé sa cohérence interne au cours de la dernière décennie en se prononçant de manière unanime en faveur de l'approfondissement de la construction européenne. L'existence du parti socialiste européen en témoigne. Mais le socialisme européen ne tire pas assez parti de sa force politique et de sa cohérence. Il apparaît trop sur la défensive et ne fait pas l'effort d'élaborer en commun un projet offensif et novateur. La cause européenne ne peut progresser dans les opinions que si l'enjeu politique est clair, que si des forces politiques identifiables proposent des avenirs distincts. Nous ne pourrons donc pas nous contenter de rencontres au sommet qui ne font pas dépasser au parti socialiste européen la fonction d'un forum politique. Les choix socialistes pour l'Europe demandent la construction d'un réel rapport de forces politique et social. Nous avons donc besoin de réels congrès communs, préparés nationalement au même moment, d'un programme commun qui pense ensemble les problèmes économiques, sociaux, institutionnels, de manifestations communes qui touchent les opinions, peut-être de candidatures communes sur chacune des listes nationales aux élections européennes. Les socialistes français doivent prendre des initiatives, inviter les autres partis socialistes, sociaux-démocrates, travaillistes à discuter au niveau militant d'un authentique projet politique européen. À la veille de l'ouverture de la Conférence intergouvernementale une telle initiative est indispensable.
Confrontés à la mondialisation, les socialistes demeurent plus que jamais favorables à la construction européenne. Pour autant, nous n'accepterons pas n'importe quelle forme pour celle-ci. Nous voulons que l'Union européenne soit rééquilibrée dans un sens beaucoup plus favorable aux femmes et aux hommes qui la composent. S'il n'y a pas à côté du moteur financier un moteur social à l'Europe, alors la seule monnaie sera le prétexte à une politique de rigueur sociale, à la compression de la dépense publique, au démantèlement du système de protection sociale et des services publics. C'est pourquoi nous refusons l'Europe de la seule monnaie.
Pour sauver le processus de la construction européenne, les socialistes doivent obtenir des preuves sociales. Parmi ces preuves sociales doivent notamment figurer les exigences suivantes :
Que tous les pays européens signent ensemble une charte sociale précisant les objectifs sociaux que se fixe l'Europe et précisant les modalités de l'organisation du dialogue social au niveau européen.
La reconnaissance explicite, comme contrepoint au droit de la concurrence, de l'utilité d'un service public assurant à tous et à des conditions d'égalité l'accès à un certain nombre de biens et services fondamentaux.
Un calendrier de réalisation des structures politiques de coordination et de définition des politiques économiques et sociales au niveau européen.
Nous formulons notamment ces exigences en vue de la ratification du nouveau Traité qui devra suivre les conclusions de la Conférence intergouvernementale.
Conclusion
La refondation
Le parti socialiste est engagé dans un vaste travail de refondation. Il a l'ambition de redonner du sens à une société qui ne sait plus bien où le trouver. Le monde change, la société française se transforme. Nous vivons le bouleversement de nos références, de nos horizons, de nos repères. Notre espace économique s'est brutalement étendu à l'échelle du monde, la construction de l'Europe nous ouvre de nouveaux horizons politiques, et nos histoires individuelles, à chacune et chacun, s'enracinent dans un univers de proximité : la famille, les amis, l'université, l'atelier, le bureau. Que ces lieux viennent à chanceler, et c'est le monde tout entier qui bascule.
Les socialistes doivent une revanche aux Français sur l'emploi et les inégalités. Nous avons la volonté de proposer à nos concitoyens une société plus juste, fondée sur un nouveau contrat social. Il s'agit pour nous d'un choix politique essentiel, qui refuse les principes du libéralisme, pour affirmer un modèle social français et européen, fondé sur la compétitivité dans la justice sociale, l'égalité et la solidarité.
Nous avons le projet d'une Europe puissante qui entre dans le XXIe siècle porteuse de ces valeurs universelles, tourne définitivement la page des drames sanglants de son passé et contribue à la stabilité des équilibres mondiaux. L'économie doit aussi servir des objectifs de paix et de solidarité internationale, qui étaient l'idéal des bâtisseurs de l'Europe.
Nous avons l'ambition de faire de la démocratie partagée un grand projet sans cesse réaffirmé pour la société française, qui permette à chacun de nos concitoyens de se reconnaître dans le projet de la France, de s'identifier à ses valeurs, ses espoirs, ses succès. Nous voulons que l'Europe soit fondée sur cet attachement démocratique, qui seul permet les grandes aventures collectives.
À tous les Français, nous voulons dire que l'éclatement social, le règne du marché, la montée des violences ne sont pas des fatalités. Nous voulons leur dire qu'ensemble nous pouvons choisir notre avenir et non pas le subir, agir sur le monde et non pas le supporter.
Amendement
Pour un nouveau Traité européen
Maastricht : tourner la page
L'avenir ouvre deux voies : se soumettre à la mondialisation libérale ou changer de cap européen. L'Europe est le cadre de résistance à la mondialisation que les socialistes veulent construire, Pourtant, force est de constater que, telle qu'elle se fait, l'Europe n'est un point d'appui ni pour les salariés européens, ni pour ceux du reste du monde. Elle est même, à l'encontre des services publics ou de la protection sociale, la norme supranationale qui s'impose pour mettre à bas les acquis sociaux ou les outils égalitaires de l'État.
Nous devons tirer les leçons du référendum de Maastricht au cours duquel le peuple de gauche s'est divisé, ainsi que de notre score aux élections européennes. Entre le parti socialiste et les siens, le courant européen ne passe plus.
Le peuple de gauche attend de nous davantage que l'expression de nos regrets sur les insuffisances politiques et sociales de l'Europe actuelle. Il attend un véritable changement de cap.
Il nous faut rompre avec la méthode de l'Acte unique et de Maastricht. Il faut refuser tout ce qui suppose ou entraîne un effondrement des acquis sociaux et des capacités régulatrices de la puissance publique. Aujourd'hui, il est clair que les critères de convergence retenus pour le passage à la monnaie unique en relèvent totalement. Ils exigent une politique de dérégulation sociale, de démantèlement des services publics incompatible avec la mise en oeuvra d'une Europe sociale et démocratique.
Si nous voulons vraiment que l'Europe change, ayons le courage de dire qu'elle ne peut se faire dans l'esprit qui domine actuellement.
Il faut faire un nouveau traité pour construire une Europe fédérale et sociale. Voilà la stratégie européenne alternative. La France et la gauche en ont les moyens.
I. Pour une Europe fédérale
A. – L'enjeu européen
La construction européenne est un enjeu essentiel.
L'émergence d'une Europe unie peut permettre de valoriser les potentialités de la mondialisation tout en jugulant les tempêtes destructrices que les politiques libérales ont déchaînées sur le monde.
Nous le savons, une Europe sociale et démocratique aurait la force d'imposer la négociation d'un nouvel ordre mondial. Jamais l'Europe n'a été aussi riche. Avec ses centaines de millions d'habitants, qui forment le marché le plus puissant du monde, l'Europe peut disposer d'un rapport de force dominant face aux deux autres zones de la « Triade ». C'est par la mise en commun des potentialités que pourra se défendre un nouveau modèle de progrès social basé sur un haut niveau de formation, de protection sociale, et une redistribution sociale permettant une réduction massive de la durée du travail. Ce modèle de civilisation peut à son tour être la référence. Ce serait aussi un formidable point d'appui pour les pays du Sud.
Mais on ne peut dissocier le choix d'un modèle de construction européenne des finalités qu'elle vise pour l'Europe et pour le monde. Les moyens préfigurent la fin.
B. – L'échec du pari de Maastricht
Il faut tirer clairement le bilan de la situation présente. Elle traduit l'échec d'un pari. Les socialistes pensaient que l'intégration économique engendrerait l'intégration politique. Les concessions faites aux libéraux pour avancer dans l'intégration économique seraient ainsi payées en retour par une nouvelle capacité de régulation citoyenne. Le compromis social, devenu de plus en plus difficile à préserver dans le cadre national compte tenu de la pression de la « contrainte extérieure », redeviendrait possible à l'échelle où cette contrainte pourrait être de nouveau maîtrisée. C'est le pari de l'Acte unique, c'est celui du traité de Maastricht. Il passait aussi par un compromis politique avec la Démocratie chrétienne. Ce pari a échoué. La stratégie socialiste est dans l'impasse.
Pourquoi ? C'est que l'Europe n'échappe pas, elle-même, à la mondialisation libérale. Le capital financier transnational la domine. L'intégration économique ne créera jamais plus mécaniquement de l'intégration politique même si elle en reste une condition nécessaire. C'est même le contraire à présent. Cet échec se paye d'un démantèlement social généralisé, d'une recomposition des économies nationales qui mutile les collectivités humaines et territoriales. Il se paye d'un contournement systématique de la souveraineté des citoyens, broie toutes les spécificités au profit d'un modèle culturel standardisé et au mépris de la diversité qui fait la richesse culturelle du Vieux Continent.
Ainsi, progressivement, tous les outils de l'intégration européenne se sont retournés contre le projet politique initial de la marche vers les États-Unis d'Europe. C'est cette logique qu'il faut briser. Faire ce constat lucide, ce n'est pas renier les choix du passé.
Ce n'est pas renoncer aux objectifs. Ce n'est pas non plus refuser de protéger l'acquis. C'est au contraire prendre toute la mesure d'une nécessité : lace au nouvel âge du capitalisme, il faut une nouvelle stratégie européenne des socialistes.
Ce point de vue nous sépare donc à la fois de ceux qui acceptent de continuer dans la même voie, moyennant quelques arrangements, et de ceux qui proposent de renoncer à ces acquis. Nous sommes résolument fédéralistes. Dans l'histoire de la France et de notre continent, le legs des Lumières est précieux. C'est un principe identitaire fondamental. L'impôt et la loi doivent être votés par les représentants du peuple élus au scrutin direct. L'exécutif doit être investi et sujet aux contrôles du Parlement. L'oubli de ces principes dans la construction européenne est l'une des raisons qui ont permis aux forces de la globalisation financière d'instrumentaliser les organes européens. La formation d'un État, d'une République fédérale européenne, est la réponse à la dictature anonyme des marchés dans la mondialisation libérale. Qu'on ait déjà évoqué l'idée d'un « gouvernement économique » prouve qu'il y a accord pour lier dorénavant intégration économique et pilotage politique. Mais qu'est-ce qu'un gouvernement « économique » qui n'est pas en même temps un gouvernement du social, du culturel, de la formation. Donc : un gouvernement tout court. Donc un État. C'est-à-dire, en démocratie : un Parlement souverain. L'inverse c'est la méthode actuelle : l'élargissement sans limite, la thrombose des institutions prévues pour fonctionner à [illisible], rectifiées pour douze, bricolées pour quinze... Bref : le palais du Facteur cheval. Pourquoi proclame-t-on plus difficile de former une Assemblée constituante européenne que de remettre sans contrôle à quelques membres d'un conseil de banque centrale européenne, élu par personne, des pouvoirs équivalents à ceux d'un conseil des ministres ? Nous voulons proposer les moyens de cette ambition.
C. – Où en sommes-nous ? questions et faits
1. Une protection contre la libéralisation des marchés financiers ?
L'Acte unique européen de décembre 1985 prévoyait notamment la liberté d'établissement pour les banques et les assurances, la libération complète des mouvements de capitaux, la levée de tous les contrôles des changes pour le 1er juillet 1990.
Le « big bang » de la City au Royaume-Uni a considérablement accéléré le mouvement de libéralisation des capitaux. Mais les gouvernements de gauche qui dirigeaient la France n'ont pas été en reste. Dès 1984, les mesures de décloisonnement interne les plus importantes étaient prises. Quant aux instruments de décloisonnement à l'égard de l'extérieur, ils se sont multipliés : ouverture du marché des créances aux opérateurs étrangers, ouverture de la Bourse de Paris aux entreprises étrangères et, dès le 1er janvier 1990, six mois avant l'échéance fixée par l'Acte unique, le contrôle des changes était complètement supprimé. Ainsi, loin d'avoir protégé l'Europe contre la mondialisation financière, l'Acte unique en a été la voie de passage. Aussi est-il quelque peu étonnant de voir, en France notamment, les initiateurs (de gauche comme de droite) de cette libéralisation se plaindre aujourd'hui d'être « sous la contrainte des marchés financiers ». Ils ont tout mis en oeuvre pour qu'il en soit ainsi.
2. Une protection contre la libéralisation du marché du travail ?
L'Europe du Marché unique a-t-elle permis de protéger les salariés européens des secteurs publics contre les offensives libérales de démantèlement de ces secteurs et de nivellement de leurs statuts vers le bas ? Non, au contraire. L'instauration du marché unique a été le point d'appui de toutes les attaques gouvernementales contre les salariés des secteurs publics. Les directives du 16 mai 1988 et du 28 juin 1990 sur les télécommunications, du 29 juin 1990 et du 21 février 1992 sur l'électricité et le gaz, celle du 21 juillet 1991 relative au développement des chemins de fer européens, au motif d'organiser la libre-concurrence et le libre-échange, organisent le démantèlement des services publics en Europe et donc en France, de la SNCF, des Télécom, d'EDF-GDF...
Le contrat de plan de la SNCF, contre lequel se sont mis en grève les cheminots en novembre-décembre 1995 (deux ans après la grève victorieuse des salariés d'Air-France), prenait lui aussi appui sur ces directives communautaires.
3. Une protection des salariés européens ?
Les critères de convergence fixés pour la participation à la monnaie unique ont servi d'arguments à toutes les offensives. Ce fut le cas contre le pouvoir d'achat, pour respecter le critère limitant l'inflation, contre les salaires des fonctionnaires, les retraites, les régimes de sécurité sociale, pour atteindre les critères relatifs à la limitation des déficits publics ou des dettes publiques.
Le plan Juppé de réforme de la sécurité sociale se présentait ainsi comme un premier pas, qui se voulait décisif, vers la réduction des déficits publics, le dernier critère non atteint par l'économie française pour pouvoir participer à la monnaie unique. C'est uniquement la mobilisation des salariés et de leurs organisations syndicales qui a pu, comme en France en novembre-décembre 1995, mais aussi en Espagne, au Portugal, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Grèce et en Italie, faire reculer certaines de ces offensives.
4. Bilan : l'Europe libérale ne nous protège pas
Les résultats de l'Europe libérale sont aussi éclairants que ceux de la mondialisation libérale. Le Marché unique devait créer cinq millions d'emplois nouveaux : il y a cinq millions de chômeurs supplémentaires en Europe en 1995 selon l'OCDE, et 36 millions d'Européens vivent en dessous du seuil de pauvreté. Le coût social à payer pour la libéralisation de l'Europe est énorme. Les problèmes économiques ne sont toujours pas résolus. La contradiction entre les profits et les débouchés s'accroît. La course aux critères de convergences et aux réductions des déficits ou des dettes publiques qu'elle implique entraîne l'alourdissement des impôts et des prélèvements sociaux sur les salariés ; la baisse du pouvoir d'achat atteint les plus forts : Allemagne, Benelux, France... La reprise de 1994 s'essouffle déjà faute d'une demande finale suffisante. Les appels répétés de Juppé : « Consommez ! Consommez ! » alors qu'il bloque le pouvoir d'achat et augmente les impôts, les prélèvements sociaux des salariés, des chômeurs, des retraités, de 103 milliards de francs en deux ans, ne sont que l'expression dérisoire de cette contradiction.
La France subit ainsi de plein fouet les conséquences de son insertion dans la nouvelle « économie monde ». L'Europe libérale ne la protège pas.
II. Tourner la page de Maastricht
A. – Maastricht, c'est fini
Pour un nombre croissant d'Européens, la construction européenne est aujourd'hui synonyme de régression sociale, Le risque est donc grand à présent que l'idée même de l'Europe soit bientôt massivement rejetée par les populations européennes. Les seuls responsables sont ceux qui continuent à faire passer l'Europe libérale pour la seule Europe possible. Pour inverser l'euro-scepticisme populaire, il faut admettre la vérité des faits. Il faut renoncer aux discours incantatoires sur les bienfaits qui viendraient demain au prix des souffrances d'aujourd'hui. Ils ne viendront pas, nous le savons, si un nouveau cap n'est pas pris.
Dès 1993, le congrès socialiste du Bourget s'était prononcé pour « dépasser le traité de Maastricht », mais sans en tirer aucune conséquence. Il était très vite apparu en effet que le compromis réalisé avec les gouvernements libéraux par ce traité tournait à l'avantage exclusif de leurs politiques. Depuis, la situation s'est encore dégradée. L'élargissement de la Communauté sans approfondissement de ses institutions démocratiques communes bloque toutes perspectives de pouvoir politique citoyen. Les normes libérales, directive par directive, redessinent donc sans entrave le paysage social de l'Europe. La récession donne aux critères de convergence et à la voie choisie pour parvenir à la monnaie unique la signification d'un programme politique d'agression sans compromis contre toutes les conquêtes sociales du Vieux Continent. Progressivement il apparaît que ce traité est intenable aussi sur le plan économique par les gouvernements pourtant les mieux disposés. Tous aperçoivent le risque de l'asphyxie de la production et des échanges. L'impasse n'est plus loin. Peut-on changer de cap ? Un gouvernement socialiste en France en aurait-il les moyens ? Nous affirmons que c'est possible.
B. – Les moyens de l'action
1. L'argument de conditionnalité
La France a besoin de l'Europe. Mais l'Europe ne peut pas se faire sans la France. C'est pourquoi rien ne lui impose de taire ses exigences dans la construction européenne. Il est donc largement temps et il est possible de faire valoir les conditions de notre participation à l'évolution de cette construction. Il est possible de refuser ce qui attente à ce que les Français considèrent comme leurs acquis de civilisation. Il est possible de proposer des avancées démocratiques et sociales comme condition à tout nouvel arrangement. Nous récusons l'opposition faite souvent entre l'attachement aux acquis nationaux et la volonté de faire l'Europe. Nous sommes convaincus que le « repli national » reviendrait à se livrer pieds et poings liés aux diktats des marchés financiers. Du point de vue de la défense et de l'élargissement des acquis sociaux ce serait la catastrophe assurée. Mais nous savons aussi que les peuples ne choisissent pas d'une manière abstraite leur avenir. Ils partent des réalités de leurs conditions matérielles et culturelles d'existence. En France, pour la gauche et au-delà, la nation c'est la République : son contrat politique Liberté-Egalité-Fraternité, ses grands outils d'intégration et d'égalité, les services publics, la laïcité, la protection sociale, la citoyenneté. C'est l'attachement à un État régulateur. Nous en sommes les défenseurs intransigeants. Et c'est pour garantir leur pérennité que nous sommes partisans d'une République européenne. Bref, pour nous, on ne peut faire la France dans un seul pays. C'est pourquoi nous nous opposons à une construction européenne qui donne aux Français moins que ce que la France leur donne aujourd'hui dans ces domaines. Telle est la base pour nous de l'argument de conditionnalité. Sa légitimité est dans le contenu progressiste universel des exigences qu'il présente. Nous le proclamons : pas d'abandon de souveraineté ! Seuls les transferts sont acceptables pour autant qu'ils soient réalisés au profit d'institutions démocratiquement constituées.
2. Tracer une ligne d'arrêt
Des objectifs de cette nature et la méthode qui va avec impliquent qu'on trace aussi une ligne d'arrêt, tout de suite, à la pente actuelle.
Refus de l'extension du Marché unique et de l'union douanière, tant qu'aucune régulation démocratique n'existe, que ce soit vers l'Atlantique Nord ou dans des directions comme la Turquie. À plus forte raison, aucune demande d'élargissement n'est recevable sans garantie préalable de respect des normes de civilisation européenne droits de l'homme et notamment suppression de la peine de mort et respect des normes démocratiques. Relus de tout élargissement de l'actuelle communauté européenne tant que n'a pas été proposée et adoptée par les peuples actuellement membres, une Constitution européenne définissant les règles démocratiques de fonctionnement de l'Union.
Refus de tout démantèlement d'un service public national tant que l'équivalent européen n'a pas été mis en place.
3. La dynamique franco-allemande
Il est temps de dépasser les complexes d'infériorité dans nos relations avec les Allemands. Temps aussi de dire clairement que les tentations de Balladur ou de Chirac d'un copinage de contrepoids avec les Anglais n'ouvrent aucune voie réaliste. Temps encore de cesser de spéculer sur l'absurde opposition entre l'Europe de la Méditerranée et celle de la Mer du Nord. Toutes ces contorsions ont une base commune : la centralité de la France n'est pas vécue vraiment comme un atout.
Il n'est pas vrai que l'Allemagne ait le libre choix de l'Europe ou de son expansion dominante vers l'Est ni que cela justifierait les concessions continuelles à la politique libérale de ses gouvernements. Le tournant de l'Allemagne vers l'Est, en alternative à l'intégration politique européenne, comporte un coût social pour les Allemands eux-mêmes. Il les confronterait à la concurrence des main-d'oeuvre à bon marché de l'ancien glacis soviétique que le salariat allemand ne peut subir sans se révolter. De plus, la solvabilité de ces économies ruinées est loin d'être à la mesure da celle des pays de la Communauté. Enfin, l'intégration économique franco-allemande a franchi les points de non-retour. Plus de la moitié des échanges des deux économies se font entre elles. Il faut donc cesser en France de jouer sur la peur de la course en solitaire de l'Allemagne.
Confrontés aux mêmes menaces de régression sociale, les salariés allemands comme les salariés français sont attachés à leurs acquis. Les uns et les autres sentent bien que c'est ensemble qu'il faut les défendre. C'est sur ce sentiment-là qu'il faut désormais s'appuyer.
4. Le levier du mouvement social
Le mouvement social qui s'est développé en France au cours de l'hiver 1995 est clairement apparu comme une riposte à la mise en place d'une politique justifiée par les impératifs de la construction libérale de l'Europe, en lien avec les contraintes de la mondialisation. Par-là, il a révélé un état d'esprit largement répandu en Europe. Il marque l'ouverture d'une nouvelle période. Premier acte collectif et conscient de résistance à la mondialisation libérale. Un nouveau cycle a commencé.
Le journal italien « La Republica » a bien exprimé cette réalité lorsqu'il affirme « Ces jours-ci, la France parle pour l'Europe toute entière. Elle exprime avec cartésianisme un conflit qui agite plus ou moins tous les pays de la Communauté européenne ». Ce même journal avait eu une image parlante à propos de cette situation « La France est une sorte de Vésuve de l'Europe. Quand la lave sociale veut sortir. Paris est son volcan naturel ».
Et de fait, le mouvement social en France n'est pas isolé.
Partout, en Europe, les salariés, leurs syndicats ont été très attentifs à l'issue de la mobilisation sociale en France. Loin d'être la « dernière grève corporatiste » le mouvement social en France annonce une nouvelle montée des luttes sociales contre la mondialisation et l'Europe libérales. Cette montée des luttes sociales est pour les socialistes un formidable réservoir d'énergie pour la construction d'une Europe sociale et démocratique. Il peut bouleverser la donne.
5. Le Parti socialiste européen vers un programme commun de la gauche européenne
Faisons le constat : le capital est aujourd'hui bien plus internationalisé que ne l'est le mouvement socialiste. Au début du siècle c'était l'inverse. Pourtant nous disposons d'un outil d'action commune dans le monde : l'Internationale socialiste. En Europe, un parti socialiste intégré existe : le parti socialiste européen. Ses membres sont au pouvoir dans onze pays sur quinze. L'impuissance n'a pas d'excuse. Ce parti doit proposer, au mouvement social européen et aux peuples qui expriment leur volonté de vivre mieux, un débouché politique. Il le peut, c'est sa raison d'être. C'est aussi la condition pour que les équipes socialistes au pouvoir puissent trouver un appui populaire aux politiques qu'elles mèneront contre les logiques libérales et les intérêts qui les soutiennent. Enfin, c'est tirer la leçon essentielle qui permet d'envisager une nouvelle étape pour l'Europe que nous voulons. Si l'intégration économique ne produit pas mécaniquement de l'intégration démocratique alors c'est par la politique, le rapport de forces civique, la mobilisation sociale qu'il faut reprendre la marche de la construction européenne. C'est dans la conviction des peuples et dans la dynamique de leurs revendications que se trouve le moteur de l'identification européenne. Voilà pourquoi le PSE doit ouvrir un débouché politique aux forces sociales qui se sont mises en mouvement. Il doit proposer le rassemblement de toutes les forces de gauche et des écologistes autour de la perspective d'un programme commun.
III. Pour un nouveau traité
A. – Ni corde ni pendu
La conférence intergouvernementale de 1996 est l'occasion d'une remise à plat des problèmes de la construction européenne. Les socialistes français ne peuvent se contenter de vouloir amender les conditions d'application du traité de Maastricht dès lors qu'ils sont conscients de leurs conséquences. Assouplir les critères ce n'est pas changer leurs objectifs libéraux. Du mou dans la corne ? Belle affaire pour le pendu ! C'est un nouveau traité qui doit être exigé. L'Europe que nous voulons est celle qui propose un modèle de civilisation opposé à celui que diffuse la mondialisation libérale Sa construction doit donc se réaliser en contrepoint de la ligne de front sur laquelle se déploie la mondialisation libérale. Là où celle-ci vise à dissoudre les instances de régulation démocratique, il faut commencer par en construire à échelle efficiente. Là où celle-ci exige la soumission du social à l'économique qu'elle domine, il faut poser le principe inverse. C'est donc bien un renversement de priorité qu'il s'agit d'imposer. Il doit être l'axe de nos propositions et de notre action. Pour cela il faut tourner la page et changer de partition. La version libérale des « lendemains qui chantent » au prix d'un présent cruel n'est ni supportable, ni crédible. Le combat est donc bien de poser un nouvel acte fondateur : un nouveau traité.
B. – Démystifier
Commençons donc par démystifier les certitudes que martèlent à longueur d'année les dévots de la « seule Europe possible ». Non, les critères de convergence et la monnaie unique ne sont pas des contraintes indiscutables. Moins encore quand il s'avère qu'ils sont asphyxiants pour tous. Nous sommes évidemment partisans de la convergence des économies du continent. Nous sommes naturellement partisans de la monnaie unique européenne dans les plus brefs délais, notamment parce qu'elle donnerait la puissance suffisante pour échapper à la domination sans frontière des capitaux transnationaux.
Mais là encore, les moyens sont eux-mêmes des fins. Les critères de convergence tels qu'ils ont été définis pour parvenir à la monnaie unique impliquent une politique qui remodèle le paysage du continent. Nous n'en voulons pas.
Ce qui importe, c'est la convergence Dès lors la question doit être élargie : qu'est-ce qui doit entrer dans le champ de la convergence ? Il est clair aujourd'hui que les objectifs fixés impliquent sans le dire une ferme particulière de convergence des critères de développement social de chaque pays. Le profil implique les critères, les critères impliquent le profil. C'est l'alignement par le bas et, au-delà, le démantèlement des structures de protection sociale acquises par les peuples. Dans ces conditions, prétendre ajouter un « volet social » à la monnaie unique ou aux critères de convergence tels qu'ils sont définis aujourd'hui, comme quelques-uns le proposent, n'est qu'un leurre. Autant vouloir installer un chauffe-plat dans un congélateur Toute l'expérience récente est là pour le prouver. Ceux qui doutent encore de cet antagonisme fondamental entre l'Europe sociale et les critères de convergence devraient tenter de répondre à une question toute simple : comment se fait-il que la « Charte sociale » européenne soit toujours, trois ans après la signature du traité de Maastricht, une coquille aussi désespérément vide ? Autre question pour atteindre les critères de convergence pourquoi n'envisage-t-on jamais de mettre à contribution les 1 200 milliards de profits privés réalisés chaque année en France par les entreprises ?
La remise en cause des critères de convergence est donc le préalable d'un redéploiement de la construction européenne fondée sur l'adhésion des peuples. Certains espèrent qu'une fois franchi le seuil de la monnaie unique, créée dans ces conditions, les politiques gouvernementales retrouveront leurs marges de manoeuvres. Nous les mettons en garde ce qui aura été détruit pour parvenir au résultat ne sera pas reconstruit sans de nouveaux efforts et de nouvelles luttes contre ceux-là mêmes qu'on aura aidés à parvenir à leurs fins. C'est absurde. Pourquoi les socialistes prêteraient-ils la main à une telle opération ? Pourquoi s'interdiraient-ils de partir de leurs propres objectifs pour définir leur stratégie de construction européenne ? Pourquoi se soumettre par avance à des logiques qui ne sont pas les nôtres ? A-t-on vraiment compris que la pire menace qui pèse sur la construction européenne ce n'est pas de changer le processus en cours mais de le prolonger ?
C. – Le traité des droits fondamentaux
1. Une Europe protectrice des droits !
Le premier effet que l'on doit légitimement attendre de la construction européenne c'est qu'elle soit protectrice face aux effets destructeurs de la mondialisation libérale. C'est mettre tout simplement l'économique au service de l'homme et non subir le choix non-dit de l'inverse. La richesse de l'Europe, son niveau de développement le rendent parfaitement possible. La RFA a pu intégrer en une nuit la RDA sinistrée au change d'un mark de l'Ouest pour un de l'Est. Les Six puis les Douze et les Quinze ont pu supprimer progressivement tous les droits de douane entre des marchés concurrents en assumant les conséquences pour chacun de la disparition de certaines industries nationales structurantes. Oui peut croire qu'une telle Europe ne pourrait pas payer le prix d'un système de sécurité sociale de très haut niveau, alors qu'il avait été possible de l'instaurer juste après la seconde guerre mondiale dans des pays européens dévastés ? Quel argument s'oppose donc sérieusement à l'intégration sociale par le haut sinon le respect étroit des avantages acquis du capital ?
Ce sont les grands outils du développement humain qui doivent être créés ou confortés. Services publics européens, protection sociale, éducation et formation, sécurité collective, grands travaux d'équipement, voilà où doivent être ancrés les critères de convergence. La priorité aux objectifs sociaux du développement humain, voilà pour nous le cadre du nouveau traité.
2. Les droits fondamentaux
C'est aux points clefs de la confrontation entre les deux logiques que se concentrent les enjeux. C'est d'une véritable déclaration des droits fondamentaux qu'il faut parler. Tel est le sens du nouveau traité, du nouveau message qu'attendent les peuples européens.
1) Droit au plein emploi, comme le reconnaît le traité de Rome. Contre le chômage de masse, contre une Europe avec 16 millions de chômeurs et 35 millions en-dessous du seuil de pauvreté, priorité à la réduction massive et rapide du temps de travail. Nous voulons l'Europe des 35 heures hebdomadaires sans perte de salaire, celle où l'on travaille moins pour travailler tous avec un salaire décent, préparant la semaine de quatre jours.
2) Droit au salaire garanti. Contre la déflation salariale : pas de monnaie unique sans salaire minimum décent. Contre la logique de précarisation et de flexibilité : pour un droit social européen. C'est la seule façon d'éviter le dumping social, la mise en concurrence des salariés. C'est la seule façon d'attirer les salariés, les peuples, vers l'unification des monnaies sur une base qui parte de leurs besoins et aspirations.
3) Droit aux services publics. Les biens communs et les besoins élémentaires doivent être protégés de la logique marchande. Contre la dictature des marchés opposée aux besoins humains les services publics européens et nationaux doivent être non pas démantelés mais renforcés et étendus, protégés. En matière d'énergie, de communication, de défense de l'environnement, de sécurité sociale, cela signifie des services au public soumis à des règles communes, des critères de qualité et d'obligation de service en continuité et à égalité pour tous sur l'ensemble des territoires d'Europe.
4) Droit à l'État régulateur. Contre l'Europe ouverte aux vents de la mondialisation financière, de la spéculation, du secret bancaire : contrôle des interconnexions entre les marchés financiers de l'Europe et du reste du monde. Taxation des grandes transactions financières. Contre le tout-marché : planification européenne, politique de grands travaux structurants pour mieux intégrer la circulation des personnes et des biens et maîtriser un développement plus égal des régions d'Europe. Socio-taxes aux frontières de l'Europe.
5) Droit à la redistribution. Contre une fiscalité indirecte et proportionnelle : pour une fiscalité directe et progressive harmonisée entre les pays de la Communauté. Pas de « poll tax » mais des impôts progressifs incluant les bénéfices industriels et commerciaux, les revenus financiers, les grandes fortunes et les grands patrimoines.
6) Droit au progrès social pour tous. Contre l'Europe de la flexibilité de la précarité, des petits boulots et du travail de nuit des femmes, fondons l'Europe de l'harmonisation sociale par le haut, en alignant les législations sur ce qu'il y a de meilleur dans les codes du travail et dans les conventions collectives de chaque pays et de chaque branche. Contre l'Europe des exclusions, le droit au logement et un revenu décent pour tous.
7) Droit au développement durable. Contre l'Europe de la pollution, du tout-camion et du super-nucléaire plutôt l'Europe de l'environnement, des transports en commun, des sources d'énergie nouvelles. Il faut réintroduire dans le prix des marchandises leur coût environnemental. Les écotaxes doivent être instaurées.
8) Droit à la protection sociale. Contre la logique du marché dans les domaines essentiels de la vie des individus que sont leur santé, leur besoin de repos et de retraite, les droits à la protection sociale doivent être déclarés inaliénables et garantit par des institutions qui répondent à ce besoin. Pas l'Europe des assurances privées, ni des retraites par capitalisation. Pour la mise en place d'une sécurité sociale européenne assurant le droit à la santé pour tous quels que soient leurs revenus.
9) Droit au droit. Nous voulons une Europe de l'intégration, de l'égalité des droits civiques pour tous les résidents, pas une Europe de l'épuration ethnique, ni du racisme. À l'égard des résidents étrangers en situation légale, le droit de séjour et de circulation dans toute l'Union. Droit du sol pour tous les enfants nés sur le territoire d'un pays membre de l'Union. L'Europe doit rester la terre d'asile pour tous ceux qui combattent pour la liberté.
10) Droit aux garanties laïques. Contre la confusion des normes religieuses et de la loi, facteur de l'intolérance, de divisions, et d'inégalités, il faut une Charte pour la laïcité de l'Europe. L'Europe doit être laïque, montrer au monde l'exempte de ta tolérance, de la liberté, de la fraternité, de l'égalité. À l'égard des jeunes, une éducation civique critique. Contre « l'ordre mural », réaffirmation de l'égalité homme-femme et du droit des êtres à disposer de leurs corps. Pour l'Europe du contrat d'union civile.
Harlem Désir, Julien Dray, Marie-Naëlle Lienemann, Jean-Luc Mélenchon ; membres du Bureau national.
Nadine Auranson, Jean-Louis Berland, Daniel Cabieu, Yves Carroy, Françoise Castex, Gérard Filoche, Jean-Michel Forestier, Pascale Le Neouannic, Jean-Pierre Neuman, Catherine Picard, Laurence Rossignol, Isabelle Thomas, Olivier Thomas, Roger Touvet ; membres du Conseil national.