Texte intégral
N. Notat
France Inter – 8 h 20
France Inter : Beaucoup prévoient une nouvelle flambée sociale d’ici les vacances. Ces prévisions sont-elles sérieuses ?
N. Notat : À chaque période, son objectif : pour le moment, en ce qui nous concerne, nous sommes tout entiers tournés et concentrés sur l’objectif de la réduction de la durée du travail. Réduire la durée du travail aujourd’hui, c’est quoi ? C’est tout simplement apporter une réponse nouvelle et significative au problème de l’emploi. Il faut que les patrons, les hommes politiques comprennent et nous parlent le langage de la vérité. Nous sommes en France, comme dans tous les pays développés, confrontés à un énorme paradoxe, à un énorme problème, c’est que nous continuons à produire de la richesse, même si elle n’est pas assez soutenue, et dans le même temps, nous provoquons plus de chômeurs et plus d’exclus. C’est de la folie ! Il y a une extrême distorsion entre le but de l’économie et une société qui se disloque, qui se désagrège, qui provoque des gâchis humains insupportables. Alors, à cela, nous, nous disons « non ». C’est ce problème que nous voulons résoudre. Nous ne disons pas que la réduction du temps de travail est une formule magique, encore faut-il l’essayer sérieusement. C’est ce que nous volons faire.
France Inter : Quand vous entendez J. Barrot dire que si les partenaires sociaux n’aboutissent pas à des accords, il sera peut-être amené à légiférer. Le souhaitez-vous ?
N. Notat : À l’heure qu’il est, c’est une petite pression sur le patronat pour le ramener à un peu plus de raison et d’audace dans les négociations, car il faut dire qu’après l’accord intervenu dans la métallurgie, cet accord est un accord qui va à contresens. Je l’ai dit haut et fort, et je le redis haut et fort, par rapport à l’emploi. Il va à contresens de l’équilibre, du compromis qui avait été réalisé avec le CNPF au niveau national pour qu’enfin, dans les négociations, l’emploi ne soit pas l’éternel sacrifié des changements dans l’organisation du travail. Or dans l’accord UIMM, l’emploi est vraiment le dernier élément pris en considération.
France Inter : Et pourtant, vos représentants étaient pour !
N. Notat : Non, nous n’avons pas signé.
France Inter : Mais certains ont hésité.
N. Notat : Pas beaucoup.
France Inter : Il est difficile de prôner en même temps la réduction du temps de travail et de refuser de signer des accords ?
N. Notat : Non. Il y a un accord qui propose tout sauf de la réduction de la durée du travail, créatrice d’emplois. C’est ça, la grande différence que la CFDT porte : la CFDT souhaite deux choses : que la réduction de la durée du travail soit bien évidemment l’occasion pour ceux qui ont un travail d’avoir un peu plus de temps, pour eux-mêmes, mais du temps libéré qui va permettre à d’autres de venir occuper ce temps libéré et de travailler. Regardez les heures supplémentaires : il y en a de plus en plus. La frilosité avec laquelle les patrons les réduisent, c’est honteux ! Il y a donc du travail, matière à augmenter le travail, mais en même temps, à le redistribuer.
France Inter : Il y a du remue-ménage autour de la fameuse phrase d’A. Juppé sur la mauvaise graisse dans l’administration : cette phrase peut-elle provoquer des mouvements sociaux, des grèves ?
N. Notat : Ce n’est pas une phrase à elle seule – malheureuse, choquante, parce qu’une fois de plus, les fonctionnaires ont vraiment l’impression qu’ils sont dans le collimateur du Premier ministre va faire sur la réduction des déficits et sur la suppression d’emplois dans la Fonction publique. C’est là qu’il faut regarder et que nous aurons l’œil. Sur la réduction des déficits publics, nous ne sommes pas de ceux qui avons une opposition de principe sur cet objectif. Nous voyons bien qu’il y a nécessité d’avancer dans ce sens. Mais nous disons pas à la hussarde, pas à l’aveugle et de telle manière que les Français, que les catégories concernées comprennent les raisons pour lesquelles il faut réduire le déficit, et le réduire pas n’importe où et pas n’importe comment.
France Inter : D. Perben se dit prêt à regarder des réductions d’effectifs dans l’administration.
N. Notat : Oui, et alors ? Ça, c’est ce que j’appelle une vision comptable des affaires : c’est « je veux réduire les dépenses publiques ; donc, je regarde où sont mes grosses dépenses publiques ; elles sont dans la Fonction publique, donc of ! un tour de vis sur l’emploi des fonctionnaires ». C’est une réflexion à l’envers. Quand bien même il faudrait regarder un jour le nombre d’emplois dans la Fonction publique, ce serait un contresens pour sa réussite. Il faut aujourd’hui que dans le Fonction publique, en particulier dans la Fonction publique d’État, voir ce qui nous intéresse : savoir comment ces administrations, celle des Finances, celle de la Police, de l’Éducation nationale, vont s’acquitter tous les jours un peu mieux de leurs missions. Il y a fort à faire dans la matière. Donc, il faut réfléchir missions, qualité de service, organisation du travail, modalités, suppressions de ces échelons hiérarchiques qui démotivent et qui déresponsabilisent les agents. Voilà des questions qui sont très claires et qui ont commencé à être traitées avec la modernisation de la Fonction publique sous Rocard et qui se sont arrêtées en chemin ! C’est dommage. Voilà le bout par lequel il faut prendre les choses. Quand les salariés des fonctions publiques s’apercevront qu’on s’intéresse à eux, qu’on s’intéresse à leur travail, on verra en bout de course s’il y a trop d’emplois ou pas assez d’emplois. Je crains que, dans un certain nombre de cas, on se dise qu’il n’y ait pas trop d’emplois, mais qu’il faut peut-être les utiliser mieux et autrement.
France Inter : Ne craignez-vous pas qu’on s’aperçoive qu’il y ait des lourdeurs par ailleurs ?
N. Notat : À ce moment-là, on le verra ! C’est le cas dans toutes les entreprises, dans les entreprises publiques. Qu’on traite, qu’on regarde les choses au fond, sérieusement, pas avec un a priori comptable sur la Fonction publique. Je voudrais ajouter une chose qui n’est pas supportable aujourd’hui : on parle de réduction des déficits public. En même temps, il nous annonce une baisse des impôts. Mais les deux à la fois, c’est du délire ! Ou bien, ce n’est qu’un effet d’affichage. Mais attention aux effets d’affichage qui 10, 20 jours, 6 mois après sont simplement perçu comme des effets d’annonce. Donc, la baisse des impôts, c’est de la démagogie ! L’État, plus que jamais, dans une société qui a tellement de souffrances, qui a tellement de gens qui n’ont plus le minimum vital pour vivre, qui cherchent tous les matins comment moins galérer, l’État est celui qui doit assurer la cohésion sociale. Donc, dire à ce moment-là qu’il faut baisser les impôts, c’est de la démagogie. Il faut plutôt s’interroger sur : de l’argent pour l’État, pour quoi faire ? Ça oui, c’est une vraie question. L’État utilise-t-il bien notre argent, l’argent de nos impôts ? Deuxième question. Et troisième élément : ce que l’on prélève aux Français, que ce soit pour l’impôt ou que ce soit pour les prestations sociales, est-ce qu’il est prélevé justement, équitablement ? Est-ce qu’après tout, il est bien utilisé ? Les Français ne souhaitent pas payer moins, ils veulent que là où ils paient, ce soit efficace et que ce ne soit pas détourné de son objet.
France Inter : J’en reviens à la réduction du temps de travail et à la manifestation de jeudi prochain, vous allez défiler avec la CGT. Or, si vous êtes d’accord sur l’objectif, vous n’êtes pas d’accord sur les moyens. Cet attelage n’a-t-il pas quelque chose d’artificiel ?
N. Notat : Vous savez, en France, le jour où l’on sera en parfait accord entre tous les syndicats, sur les objectifs et sur les moyens, le monde aura radicalement changé en France. Donc nous ne pouvons pas attendre ce moment pour tenter de faire converger nos efforts, nos mobilisations. Je crois que, sur le thème de la réduction de la durée du travail, vous avez raison, nous n’avons pas forcément la même vision des choses. Mais elle n’est pas si éloignée que ça. J’ai rencontré L. Viannet il n’y a pas si longtemps et on s’est dit qu’au total, à quelques nuances près, il insistera sur le fait que les salariés ne doivent pas perdre un centime, qu’il faut d’abord réduire avant de changer l’organisation du travail. C’est sa vision des choses. Moi, ce qui m’importe aujourd’hui, c’est que les adhérents de nos organisations, que les salariés se disent que sans eux, nous risquons de ne pas avancer vers cet objectif. Il faut qu’ils s’en occupent car ils en ont envie de cette réduction. À condition, je le redis et c’est le plus important, les autres et qu’au total, on ne me dise pas que c’est le partage de la misère car dans le même temps, il faut aussi augmenter la croissance, augmenter l’activité par tous les moyens possibles et imaginables.
Date : jeudi 21 mars 1996
Source : RTL/Édition du matin
RTL : On va assister à une journée d’action de la CFDT, à laquelle se sont joints la CGT, la CFTC et d’autres syndicats, sur la réduction du temps de travail. Les négociations avec le CNPF, qui avaient été lancées le 31 octobre dernier, piétinent, et vous critiquez le seul accord qui ait été signé depuis : celui dans la métallurgie. Pourquoi ?
N. Notat : Ce n’est pas exactement le seul qui ait signé, mais c’est le plus mauvais. Comme dans la métallurgie un accord joue un effet d’entrainement, joue un effet d’imitation sur les autres, il était important que la CFDT dise que ce n’était pas ce type d’accord qu’elle pouvait souhaiter, suite au compromis qu’elle a fait avec le CNPF le 31 octobre dernier.
RTL : Vous voulez dire que vous êtes contre l’annualisation, ou au moins que vous voulez qu’elle soit liée à une obligation d’embauche ?
N. Notat : Oui, je veux que soient respectés les compromis, les choix, les équilibres qui ont été faits avec le CNPF au mois d’octobre. C’est-à-dire que si les entreprises ont besoin de changer leur rythme de travail, s’ils ont besoin que toutes les semaines, il n’y ait pas les mêmes horaires de travail – c’est le cas dans cet accord sur la métallurgie, les salariés peuvent pendant 36 semaines sur une année, c’est quand même beaucoup ! travailler 46 heures par semaine. En échange, les autres semaines – il n’en reste plus beaucoup ! – ils peuvent travailler beaucoup moins. En contrepartie, ils ont eu quelques jours de repos : six quand ils ont le maximum de ces semaines en question. Mais le problème c’est qu’il n’y a pas de réduction du temps de travail ; il n’y a pas d’effet emploi. Or le but de cet accord, c’était l’emploi soit au centre de cette articulation entre, d’un côté les changements dans l’organisation du travail, et une réduction de la durée du travail effective – diversifiée mais massive – pour avoir de l’embauche supplémentaire.
RTL : Vous demandez qu’il y ait deux équipes ?
N. Notat : Par exemple, il peut y avoir n’importe quelle formule de réduction du temps de travail. Il y a des entreprises qui innovent avec la semaine de quatre jours, avec plus de jours à la semaine de travail – six jours sur sept, sept jours sur sept, peu importe les modalités. Elles doivent être diversifiées, adaptées, aux entreprises mais il faut qu’elles produisent plus d’embauches après cet accord qu’avant.
RTL : Vous avez une divergence avec la CGT : vous, vous compensez les pertes de salaires liées à la diminution du temps de travail par une évolution des aides à l’emploi, tandis que la CGT est persuadée qu’il ne peut pas y avoir de réduction de salaire. Comment est-ce que vous orientez vos positions ?
N. Notat : C’est un peu une différence dans la présentation. La CGT est bien consciente que si on va vers des réductions massives, il faudra que quelqu’un les paie. Aujourd’hui, la CGT refuse de parler de cette question. Nous, nous disons qu’il vaut mieux en parler, parce que tant que nous n’en parlons pas, c’est un obstacle à la réduction.
RTL : Comment est-ce que vous orientez vos positions ?
N. Notat : C’est un peu une différence dans la présentation. La CGT est bien consciente que si on va vers des réductions massives, il faudra que quelqu’un les paie. Aujourd’hui, la CGT refuse de parler de cette question. Nous, nous disons qu’il vaut mieux en parler, parce que tant que nous n’en parlons pas, c’est un obstacle à la réduction.
RTL : Comment continuez-vous à compenser les pertes de salaire ?
N. Notat : Nous, nous disons qu’il y a certaines entreprises où l’expérience s’est faite. À partir du moment où elles trouvent dans des changements d’organisation du travail plus de compétitivité, plus de productivité, donc plus de profits, elles peuvent financer la réduction de la durée du travail.
RTL : Et autrement ?
N. Notat : Autrement, pour celles qui ont des difficultés, nous proposons un système qui fasse qu’au niveau d’un fonds partiaire national – un peu comme le fonds national pour l’emploi le faut aujourd’hui pour fiancer les licenciements – que nous gérons, avec les partenaires sociaux, nous mettions de l’argent dans ce fonds par le redéploiement des cotisations UNEDIC, et demandions à l’État de venir mettre les aides efficaces et que nous compensions une partie du coût de cette réduction dans les entreprises. Les entreprises peuvent mettre une partie des gains de productivité obtenus dans cette réduction. Et puis, il faut que les salariés acceptent à partir d’un certain seuil de revenu, de contribuer, non pas de réduire leurs salaires mais de contribuer à ce financement, dès lors que c’est négocié, dès lors qu’il y a un effet emploi.
RTL : C’est un peu comme l’Arlésienne, ce temps de travail. On en parle tout le temps et on le voit peu. Peut-être parce que ce n’est pas la panacée. C’est une solution qui présente des inconvénients, et notamment celui de ne pas résoudre autant qu’on l’espérait le problème du chômage.
N. Notat : Mais la CFDT n’a jamais dit que c’était la panacée. Ce n’est pas la solution magique ! Mais entre dire que c’est la solution magique et dire que c’est une contre-solution, il y a toutes les palettes de ce qui peut être exploité. Donc nous, nous disons que c’est une solution qu’il faut explorer. Je redis – et je ne le dirai jamais assez -, que les expériences d’entreprises qui utilisent comme nous le souhaitons la durée du travail, produisent, elles sauvent des emplois, ce qui n’est pas négligeable, ou elles en produisent de nouveau.
RTL : Le patron des patrons allemand a dit ces jours-ci, à la revue Investir, que la pire des erreurs commises en Allemagne ces dernière années a été les 35 heures dans la métallurgie. En renchérissant le coût du travail, les 35 heures ont, au contraire créé du chômage. Qu’en pensez-vous ?
N. Notat : Oui, le patron des patrons allemand est quelqu’un que je connais bien et qui fait beaucoup pour faire évoluer les mentalités. Aujourd’hui, je crois qu’il veut faire avancer son organisation sur le fait que, quand on cause réduction de la durée du travail et causer financement de la réduction de la durée du travail et causer finalement – je ne dis pas réduction du salaire car en Allemagne leurs salaires sont souvent plus importants qu’en France -, mais en tout cas, penser que les salariés, peuvent ne pas continuer à être augmentés autant à partir du moment où il y aurait réduction de la durée du travail pour création d’emplois.
RTL : Si les négociations avec le patronat échouent au 30 juin, qu’est-ce que vous attendez : une loi-cadre par l’État ? Vous attendez une intervention de l’État sur ce problème ?
N. Notat : D’abord, je crois qu’au 30 juin nous n’aurons pas terminé dans toutes les négociations. Je préfère que l’on ait un peu plus de temps pour réussi là où il y a des possibilités de réussite, plutôt que de mettre un taquet artificiel. Deuxièmement, pour moi, entre la négociation et la loi, je choisis le moyen efficace.
RTL : Et la loi l’est-elle ?
N. Notat : Je ne vois pas pourquoi la loi, a priori, serait automatiquement plus efficace. Parce que les problèmes qu’on rencontre avec les patrons dans les négociations, on va les trouver avec les députés au moment de la loi. Donc c’est la raison pour laquelle nous sommes aujourd’hui engagés dans une mobilisation. Nous sommes engagés dans une action parce que les salariés nous disent qu’ils tiennent à la réduction du temps de travail. Ils en ont envie. On dit qu’il n’y a pas de travail, mais je n’ai jamais entendu autant de salariés dire qu’ils travaillent beaucoup. Donc, ils sont d’accord avec ça. Nous, nous leur disons dans la suite de ce que nous avons fait déjà sur le thème de la durée du travail, nous leur disons : « il faut nous aider un peu plus ans ce combat sur la réduction de la durée du travail. Venez un peu apporter votre soutien, votre aide, parce que, dans les entreprises, si vous ne bougez pas, si vous ne le faites pas savoir, il n’y a pas de raison que les patrons se bousculent. »
Date : 23 mai 1996
Source : Les Échos
Les Échos : Vous avez surpris vos interlocuteurs patronaux en critiquant violemment l’accord de la métallurgie. Pourquoi un tel ton ?
N. Notat : Je suis étonnée que les responsables patronaux aient été surpris. Le président de l’UIMM, Arnaud Leenhardt, étant président de la commission social du CNPF, ne pouvait ignorer l’esprit de l’accord du 31 octobre, conclu dans la foulée des divers accords pour l’emploi de 1995. L’UIMM nous a proposé un accord dont seul l’habillage peut donner l’illusion qu’il respecte l’esprit de l’accord national. Je maintiens qu’il est contre-performant pour les souplesses qu’il donne aux entreprises. Enfin, c’est un accord minimal pour les contreparties que les salariés tireront de la forte modulation de leurs horaires de travail. Sans parler des heures supplémentaires, dont les conditions de récupération en temps sont proprement ahurissantes.
Les Échos : Est-ce que l’accord u textile ‘est plus satisfaisant ?
N. Notat : L’accord textile est plus astucieux, plus habile dans sa forme, puisque c’est un texte à plusieurs volets. Mais aucun syndicat n’a signé le volet sur l’annualisation. Je regrette notamment que le patronat du textile n’ait pas donnée suite à la proposition de la CFDT d’accorder la possibilité de récupérer en temps les heures supplémentaires comprises entre quarante-cinq et quatre-vingt-dix heures.
Les Échos : Le gouvernement a, lui, jugé cet accord suffisant au regard de l’emploi pour accorder les allégements de charges promis !
N. Notat : J’entends que Bruxelles pourrait mettre des bâtons dans les roues. Au-delà, il revient au gouvernement d’être cohérent entre les intentions affichées au départ et les résultats obtenus. Nous n’accepterions pas qu’il accorde des allègements de charges sans fixer des conditions strictes à la négociation dans les entreprises en termes d’effets réels sur l’emploi et de leur contrôle.
Les Échos : Est-ce que votre réaction n’est pas d’abord une réponse à votre base, qui a voté un amendement sur les trente-deux heures, bref, une façon de vous renforcer face à tous ceux qui vous reprochent de vous être montrée trop conciliante en décembre ?
N. Notat : Je n’ai pas besoin d’être renforcée au sein de la confédération. Ceux qui aujourd’hui ont tendance à lire l’action de la CFDT sur la réduction du temps de travail comme une position opportuniste ou conjoncturelle se trompent. Mais ils risquent une nouvelle fois d’être surpris, car nous ne lâcherons pas prise. S’il y a bien un thème qui, de longue date, est au centre de nos revendications, qui assure une cohésion maximale dans notre organisation, c’est bien la réduction du temps de travail. Notre pression sur le patronat est donc bien antérieure au conflit de décembre et le restera après.
Les Échos : Les effets de la réduction du temps de travail sur l’emploi sont loin d’être prouvés !
N. Notat : Un problème fondamental est posé à la société française. Le chômage et l’exclusion sont au cœur de la vie quotidienne de millions de gens. Il est de notre responsabilité de syndicat d’exiger de nos interlocuteurs politiques et patronaux des réponses sérieuses, et non des effets d’affichage. Or la grande majorité des décideurs continue à penser que le chômage sera un jour ou l’autre résorbé par les voies classiques de la croissance, de la relance de la consommation et de l’investissement. Toutes choses au demeurant nécessaires, mais terriblement insuffisantes.
Les Échos : Pourquoi la réduction du temps de travail, qui en Allemagne n’a pas créé d’emplois, sinon à la marge, serait-elle plus efficace en France ?
N. Notat : Elle peut réussir si on crée les conditions de sa réussite et si on écarte toute approche idéologique ou naïve. En France, la réduction du temps de travail a déjà fait ses preuves dans certaines entreprises. Sa réussite exige trois conditions. D’une part, la compétitivité des entreprises, dont nous ne contestons pas le besoin, l’emploi en dépendant en partie. En second lieu, la réduction des horaires doit être massive. La revendication des trente-deux heures ne me gêne pas, bien au contraire, car elle donne une indication de l’ampleur de la réduction à effectuer pour avoir un effet sur l’emploi. Mais cela ne veut pas dire que les trente-deux heures doivent s’appliquer de façon uniforme.
Troisième condition, gains de productivité et réduction des horaires doivent être articulés pour avoir un impact maximal, c’est-à-dire libérer le plus de postes possible pour d’autres emplois. Je n’ai jamais entendu autant de gens se plaindre de leur volume de travail et d’heures supplémentaires qui parfois ne sont ni payées ni récupérées.
Les Échos : Qu’attendez-vous du sommet tripartite sur le temps de travail ?
N. Notat : Je redoute que, comme en décembre, ce soit une réunion de gens de bonne volonté au cours de laquelle le gouvernement ouvre des pistes sans préparation sérieuse au préalable. C’est pourquoi nous avons demandé au ministre du Travail que soit élaboré un document préparatoire à ce sommet. Je suis donc satisfaite de la décision annoncée de créer un comité de pilotage sur le temps de travail si sa mission est bien précisée. Jacques Chirac a dit que 1996 serait l’année de la réduction du temps de travail, et pas seulement des déficits et des impôts. Le gouvernement doit jouer son rôle avec les partenaires sociaux pour réfléchir sur la meilleure façon de poursuivre d’exploration du dossier en partant des analyses, des expériences faites et de leur évaluation dans les branches et dans les entreprises.
Les Échos : Où attendez-vous de résultats positifs ?
N. Notat : J’espère que le bâtiment, l’agroalimentaire, certains secteurs des services ou les garages parviendront à des accords intéressants. Je ne parle pas de l’assurance qui n’a même pas daigné ouvrir les négociations. Le document élaboré par ce comité de pilotage devra ensuite faire des propositions pour bien préciser comment progresser, comment financer la réduction du temps de travail et comment cerner ce qui peut relever de la loi, car je redoute que nous ayons, avec les députés, les mêmes difficultés que nous rencontrons aujourd’hui avec le patronat.
Les Échos : Le développement de l’emploi passe aussi à vos yeux par les départs en préretraite progressive. Départs qui seraient financées par les excédents de l’Unedic. Est-ce prudent alors que les réserves de l’Unedic sont en train de fondre ?
N. Notat : Même si la croissance a été révisée à la baisse, l’Unedic dispose encore de marges de manœuvre importantes. Nous devons d’abord utiliser l’excédent pour revaloriser les allocations de chômage au 1er juillet prochain, en particulier les allocations les plus faibles. Ensuite favoriser le reclassement des chômeurs. Il n’y a pas de meilleure mesure pour l’emploi que de financer le départ progressif des salariés les plus âgés au bénéfice d’embauches de jeunes. Ce sera d’ailleurs un test de la volonté patronale de continuer le mouvement entamé avec l’accord du 6 septembre sur les départs en préretraite des salariés ayant cotisé quarante ans. Quand les partenaires sociaux auront enclenché ce mouvement, nous pourrons nous tourner vers l’État pour lui demander sa contribution. Ce serait plus efficace que bien des aides qu’il accorde aujourd’hui.
Les Échos : Quelles sont les aides à l’emploi inefficaces ?
N. Notat : Avant toute décision, il faut faire une évaluation précise de la situation. La CFDT a tendance a distinguer trois types d’aides. Les aides aux licenciements, qui servent seulement à rendre plus digestes des dégraissages – le mot ici n’est pas usurpé – qui prennent de plus en plus des allures de provocation. Les aides dites à l’emploi, qui prennent la forme de réduction des cotisations patronales : la CFDT continue à exiger leur gel tant que la démonstration n’aura pas été faite de leur impact sur l’emploi. De telles réductions distribuées de façon aveugle, sans négociation ni contrôle (je pense à l’encouragement au temps partiel), ne sont plus acceptables. Enfin, les aides réelles à l’emploi. Celles-là nous intéressent, et c’est pourquoi je pense que l’Etat pourrait, lui aussi, se donner pour objectif de passer de dépenses passives à des dépenses actives.
Les Échos : Quelles aides voudriez-vous voir supprimées ?
N. Notat : C’est gâcher de l’argent que d’attribuer une prime pour toute embauche de jeune. Le pays est bien mal parti s’il faut donner un sucre d’orge pour toute embauche d’un jeune. Je me demande également si toutes les aides attachées aux contrats d’apprentissage et de qualification – que nous avons pourtant revendiquées – sont très utiles lorsque l’on voit le peu d’engagement des entreprises. Si les crédits d’impôts pour la formation continue doivent être distribués à toutes les entreprises dans les mêmes conditions. Si, encore, les CES (contrats emploi-solidarité), dont le principe est compréhensible, n’aboutissent pas dans beaucoup de cas à fournir une main-d’œuvre taillable et corvéable à merci, sans perspective d’insertion et donc d’avenir. Il est incontestable qu’un certain nombre de demandeurs d’emploi ont besoin de mesures spécifiques comme le CES ou le CIE. Encore faudrait-il que ce dernier soit mieux ciblé et que le montant de l’aide soit un peu moins important.
Les Échos : Vous disiez récemment qu’annoncer une baisse des impôts est de la folie. Est-ce aussi l’avis de tous vos adhérents ?
N. Notat : Une réforme des prélèvements obligatoires et de la fiscalité est indispensable, parce que beaucoup de salariés ont le sentiment qu’ils sont, plus que d’autres, pressurés pour financer les besoins de l’Etat, ceux des collectivités locales, une protection sociale qui exige toujours plus sans que la qualité suive. Mais afficher une simple promesse de baisse d’impôts sans remise à plat globale de l’ensemble des prélèvements obligatoires, c’est faire croire que les pouvoirs publics n’ont plus besoin d’argent et réduire à terme les possibilités d’intervention de l’État. Annoncer en même temps la réduction des déficits et celle des impôts, c’est prendre le risque d’aller dans le mur.
Les Échos : Défileriez-vous à Paris le 23 mai ?
N. Notat : Oui, je défilerai, et je serrerai la main de Louis Viannet.