Texte intégral
LE FIGARO - 16 janvier 1999
Quand la droite française va-t-elle cesser de s'autodétruire, de s'auto flageller ?
Nous venons d'assister à un nouvel épisode de la crise d'identité qui traverse l'ensemble des informations de droite. Cette décomposition, sa portée et son sens, dépasse les frontières de la région constitue une (...) brutale dans la vie politique de notre pays. Nos concitoyens, que je rencontre tous les jours sur le terrain, et qui m'interrogent, en sont très conscients. Ils ont le sentiment qu'un chapitre de notre histoire, ouvert en 1958, est en train de se refermer. Leur mépris pour la classe politique s'en trouvera conforté tandis que leur indifférence civique ou leurs tentations extrémistes iront en augmentant. Par-delà, en effet, l'alliance entre la gauche et l'UDF, par d-delà cette connivence affichée et revendiquée, les péripéties rhônalpines illustrent un phénomène totalement inédit : jamais, depuis la fondation de la Ve République, une personnalité, issue d'un parti largement minoritaire, n'avait reçu le soutien explicite du camp adverse pour se faire élire à la tête d'une assemblée municipale, départementale, régionale ou nationale. Jamais.
Lorsque le général de Gaulle a installé la Ve République, il entendait, précisément, rompre avec cette pratique des "renversements d'alliance" qui avaient fini par paralyser la IVe République. Cette pratique résumait, dans son esprit, ce qu'il a dénoncé tout au long de sa vie, le "régime des partis". La Constitution de 1958 avait été imaginée, conçue, pour donner au pouvoir exécutif les moyens de gouverner sans devoir se plier aux jeux troubles des directions partisanes. Elle a été pervertie, détournée. Elle l'a été, de façon délibérée et sans équivoque, y compris par certains qui revendiquent l'héritage gaulliste. Les suffrages des électeurs ont été captés et détournés par une poignée de dignitaires qui s'éloignent et qui se coupent, de plus en plus, des Français. Partout, l'impérialisme des états-majors et la vanité prétentieuse ou sentencieuse de quelques personnages ont prévalu sur l'intérêt général…
La gauche dicte les règles du jeu
Nous venons, par conséquent, de vivre un changement radical du mode de fonctionnement de nos institutions. Certes, je ne conteste pas la légitimité des partis politiques. Ceux-ci sont un rouage essentiel de la démocratie, mais si, en vertu de l'article 4 de la Constitution, les partis concourent à l'expression du suffrage universel, ils ne sont, en aucun cas, "propriétaires" ni des voix qu'ils recueillent ni de leurs élus. Il est donc urgent de revenir au fonctionnement originel de la Ve République, de dénoncer, avec vigueur, non pas les partis mais le régime des partis.
Comment sommes-nous arrivés à un tel dévoiement de nos institutions ?
Toute la stratégie de la gauche depuis 1981 est, en réalité, construite sur ce retour au régime des partis, et, conjointement, sur un éclatement de la droite. L'amorce de cette stratégie date de la fin des années quatre-vingt quand certains représentants de la famille centriste furent "débauchés" et "tombèrent" à gauche. La porte aux combinaisons et marchandages partisans venait de s'entrebâiller. Elle s'élargira un peu plus après 1990. Elle est, maintenant, grande ouverte.
Dans le même temps, au prix d'une monstrueuse hypocrisie qui consiste à légaliser le Front national tout en l'ostracisant, François Mitterrand, avec un parfait cynisme, enfermait plusieurs millions de nos concitoyens dans un ghetto électoral. Il réussissait un coup de maître. Il rendait impossible le assemblement du peuple de droite. Il figeait les voix qui se portaient sur les candidats du FN.
Or, dans une démocratie, les voix se comptent, elles ne se pèsent pas. Quelle que soit la race, la classe sociale, l'opinion de l'électeur, sa voix a valeur intrinsèque. Chaque citoyen, est, à égalité, membre de la communauté nationale.
Les responsables du RPR, de l'UDF et de DL n'ont pas pris en compte cette diabolique stratégie. Ils sont, au contraire, rentrés dans la logique discriminante de la gauche. Ils n'ont pas compris, ou n'ont pas voulu comprendre, que face à un prétendu "péril droitier" la gauche réussit toujours à remobiliser toutes ses composantes autour d'un seul slogan : "battre la droite". Qui ne se souvient de ce mot d'ordre qui avait valeur de programme, "Au secours, la droite revient" !
Cette attitude de la gauche lui est consubstantielle. Elle a besoin de s'inventer un péril pour exister et pour vaincre. Comme l'a écrit l'historien Jean Touchard, elle "est toujours à la recherche d'une nouvelle affaire Dreyfus". Jadis elle se rassemblait au nom de la laïcité contre le cléricalisme, au nom de la décolonisation contre l'impérialisme, au nom des nationalisations contre les "patrons"... Depuis quelques années, elle se cristallise autour de la "xénophobie", du "racisme", du "fascisme". Or nos concitoyens, loin d'être gangrenés par ces tentations funestes, manifestent – toutes les études d'opinion en témoignent – maturité et tolérance face aux tensions que provoque la multiplication des communautés ethniques et religieuses. Affirmer qu'il y a dans la France de 1999 un danger fasciste est un mensonge qui pollue la sérénité des confrontations politiques.
Mais la gauche s'accommode de toutes les manipulations et de toutes les mystifications. Forte de son hégémonie culturelle, elle choisit les armes et le terrain de son combat. Pire, au nom de la République qu'elle s'est appropriée, elle choisit maintenant ses adversaires : il y a les bons avec qui elle entretient des rapports de connivence, il y a les mauvais qu'il convient d'anathémiser et d'exclure. C'est elle qui dicte la règle du jeu.
Pour sortir de ce cercle infernal où on l'a enfermée et où elle s'est elle-même laissé enfermer, la droite devra répondre à trois exigences.
Elle doit d'abord refuser la dérive institutionnelle qui s'aggrave.
Nous assistons à une inversion des finalités : les partis, au lieu de concourir à l'expression des suffrages pour leur propre ambition. Cette tendance est renforcée par la représentation proportionnelle qui, faisant fi de la Constitution, permet de substituer le mandat impératif au mandat représentatif. Ce tour de passe-passe, on l'a vu en Rhône-Alpes, favorise les coalitions et même les alliances contre nature.
Pour contrecarrer cette évolution il faut, je l'ai souvent déclaré, instaurer un mode de scrutin majoritaire à un tour. Cette réforme présentera l'avantage de facilité l'émergence du bipartisme et de résister à l'illusion du consensus, en réhabilitant le débat d'idées. Le bipartisme est le système politique qui convient le mieux à la démocratie. Il a le mérite de la clarté, il facilite le choix des électeurs, il permet de réduire les extrêmes.
Il faut également refuser la cohabitation. Elle est un mauvais service rendu à la France. Elle est artificielle et trompeuse. Elle remet en question le principe de la responsabilité politique. Dans les périodes de cohabitation, la délimitation des pouvoirs est un problème permanent. La distinction entre le domaine "réservé" et celui de la gestion des affaires intérieures ne règle rien. L'appartenance du président et du premier ministre à des camps opposés empêche, de facto, la solidarité de l'exécutif. Gouverner la France devient une partie d'échecs entre l'Elysée et Matignon, entre la majorité et l'opposition. C'est le règne des intrigues, des faux sourires et des chausse-trapes. Bref, la cohabitation est un des moteurs qui nous ont ramenés au régime des partis.
La droite doit ensuite s'affirmer et se décomplexer.
Je l'ai dit au moment de lancer le mouvement La Droite. Je le redis. Le renouvellement en profondeur du débat politique passera nécessairement par l'émergence et la consolidation d'une droite qui s'affirme et qui se nomme. La politique, aujourd'hui, se confond avec la vie politicienne. Ce qui importe, tant pour les médias que pour les états-majors, relève de la chronique mondaine. Que pensez-vous de Jacques, de Lionel, de Philippe, de Jean-Pierre, de Nicolas, d'Alain, de Robert, de Daniel... ? Le camp qui concerne la nature de la politique, c'est-à-dire le champ des convictions, des idées, des propositions, de l'action est totalement gommé, négligé, méprisé. Rappelons-nous cette déclaration du général de gaulle, qui retrouve toute sa saveur : "Car c'est une étrange de la vie politique d'aujourd'hui que les questions s'y traitent, non dans leur fond et telles qu'elles se posent, mais sous l'angle de ce qu'il est convenu d'appeler la tactique et qui conduit parfois, semble-t-il, à abandonner les propositions qu'on avait juré de défendre."
(Discours d'Epinal, 29 septembre 1946.)
Deux approches de la politique
La droite doit enfin redonner la parole aux Français. Nos partis politiques sont confrontés à l'impérieuse nécessité de se réformer en profondeur. Il ne s'agit pas d'un toilettage. Il s'agit d'une remise en question radicale de leur mode de recrutement et de fonctionnement. Et plus encore, il s'agit d'adopter un nouveau comportement fait d'honnêteté et de courage. C'est à ce prix-là, et seulement à ce prix-là, que le fossé entre les Français et les partis commencera de se combler et que l'on pourra amorcer le renouvellement des élites politiques. Dire ce que l'on fait et faire ce que l'on dit : tel devrait être le postulat de toute action politique.
Quand les partis abandonnent leurs électeurs, les électeurs abandonnent les partis.
Pour sortir des systèmes de cooptation et de copinage dans lequel nous baignons, les partis devront s'imposer des méthodes de consultation des adhérents et de désignation des candidats parfaitement transparentes. J'ai moi-même mis en place, dans le cadre des dernières élections régionales, une procédure inédite de recrutement des candidats. Quelque 600 personnes se présentèrent et acceptèrent de se plier aux contraintes de la sélection. Ce chiffre mériterait d'être médité par tous ceux qui ne cessent de déplorer le dégoût de nos concitoyens pour la chose publique. Ce dégoût, n'est-ce pas la classe politique qui, par son comportement, l'entretient ?
Si l'on veut connaître les désirs et les ambitions des Français sur tous les problèmes majeurs – l'Europe, la fiscalité, le chômage, la sécurité, l'immigration – il n'y a pas d'autre moyen que de les associer concrètement au travail politique. D'aller à leur rencontre, de les écouter et de les intégrer dans nos équipes.
Confronté à cette dérive que je viens d'esquisser, chacun perçoit bien qu'il y a deux approches de la politique. L'une, mise en œuvre par les partis, faite exclusivement pour les servir, fondée sur des connivences, des arrangements, des compromissions.
L'autre, fondée sur des convictions, des idées, une vision et porteuse d'un projet pour la France et les Français.
Comme le général de Gaulle l'a démontré, cette seconde approche a permis au pays d'engager d'importantes réformes à long terme, de briser des situations acquises et des privilèges, de renforcer la position de la France dans le monde. En revanche, la première approche réduit les gouvernants à gérer des compromis au jour le jour, bloque toute réforme qui remettrait en question nos multiples corporatismes : c'est l'état de la France.
Si les Français sont de plus en plus nombreux à se réfugier dans l'abstention ou à choisir le vote protestataire, c'est parce qu'ils sentent que les pouvoirs publics sont impuissants à répondre aux défis de notre temps et à résoudre leurs problèmes quotidiens. C'est parce qu'ils attendent que des questions aussi fondamentales que la réduction du chômage, la lutte contre l'insécurité, la baisse de la pression fiscale, la réforme du système éducatif... soient, enfin, prises à bras-le-corps par un exécutif homogène, capable de s'abstraire du mécano des partis et des pressions corporatistes.
Les Français ont réalisé qu'un exécutif, englué dans les manigances partisanes ou obsédé par le consensus, est incapable d'engager une politique de redressement. Ils ont compris que nous sommes revenus au régime des partis. Le fil s'est cassé entre les Français et les pouvoirs politiques. Chaque jour la désillusion est plus grande. Elle pourrait demain devenir inquiétante pour la stabilité de notre pays et pour l'équilibre de notre démocratie. Il règne en France une atmosphère lourde d'incertitudes.
Libre, fidèle à mes engagements et à mes convictions, j'ai décidé de poursuivre mon combat.
J'invite les Français à relever avec moi le défi que je me suis fixé, celui de la rénovation de la droite.
Je les invite à rejoindre le mouvement La Droite pour en faire, non pas un parti traditionnel, mais un rassemblement de toutes celles et tous ceux décidés à revenir aux sources de la Ve République. Je leur donne rendez-vous le 28 janvier à Lyon.
Valeurs actuelles, le 16 janvier 1999.
Q - Après les événements de ce week-end, comment allez-vous ?
C. Millon
– Moi, très bien. Mais je n'en dirai pas autant de l'opposition nationale, qui vient, par son attitude en Rhône-Alpes, de confirmer l'analyse que je développe depuis neuf mois : la droite institutionnelle n'est plus la droite ! Elle n'est plus qu'une droite de complaisance, de connivence, d'intérêt sans doute, et de compromis sûrement, mais en aucun cas une droite de conviction.
Q - Comment qualifier autrement des partis politiques prêts à tout pour garder les attributs du pouvoir sans se soucier de savoir s'ils conservent les moyens de l'exercer ?
Qui peut croire que, forte de ses quinze voix, la présidente UDF élue grâce aux soixante voix de la gauche socialiste, communiste et verte aura la moindre possibilité de leur imposer le plus petit choix ?
Qui peut croire que, forte d'une telle majorité, la gauche ait renoncé sans contrepartie au pouvoir ?
Q - Comment expliquer-vous cela ?
– Contre tous, mes amis et moi étions en train de démontrer qu'une véritable alternance était possible face à la gauche en s'appuyant sur le pays réel. Autrement dit, sans faire de concessions ni au Front national ni au terrorisme médiatique qui assimile à l'extrême-droite tout ce qui n'est pas de gauche !
Cette démonstration était tellement insupportable à toutes celles et à tous ceux qui depuis des années s'habituent à la cohabitation, à la cogestion, bref à la compromission, qu'ils ont mis en œuvre pour qu'elle échoue !
Le résultat est clair : l'exécutif de la région Rhône-Alpes est désormais sous tutelle de la gauche plurielle.
Q - Le grand argument du PS était d'empêcher le Front national d'être maître du jeu…
– Jamais le Front national n'a été maître du jeu sous ma présidence. J'ai été élu sur un programme, non au terme d'une alliance : en neuf mois de pouvoir, ce programme a été tenu sans négociation avec qui que ce soit. Je doute qu'il en soit de même pour mon successeur face à la gauche...
Q - Et maintenant ? Quelles peuvent être les conséquences sur l'électorat de droite ?
– Aujourd'hui, tout le monde, en Rhône-Alpes, est en droit de se sentir floué, trahi ! Soit Mme Comparini applique le programme sur lequel elle a été élue, c'est-à-dire le mien, et il est clair que l'électorat de gauche n'a pas voté pour cela, soit elle applique le programme de la gauche plurielle, et c'est la droite dans son ensemble qui sera abandonnée, trompée ! Je ne vous cache pas que c'est l'option qui me semble la plus probable !
Q - Comment jugez-vous l'attitude du RPR et de l'UDF ?
– L'UDF a choisi la voie du déshonneur : elle a sacrifié tous ses engagements sur l'autel d'une alliance contre nature avec les socialistes et les communistes. François Bayrou en sera comptable pour l'avenir.
Quant au RPR, s'il a incontestablement flotté, il atout de même pris conscience, au dernier moment, du caractère suicidaire d'une telle alliance.
Au bout du compte, cette trahison, ajoutée à cette ambiguïté, a abouti à la mise hors jeu des appareils classiques. Et c'est gravissime pour la démocratie…
Car, au fond, quel était l'enjeu ? Soit rester fidèle aux principes de la Ve République qui posent comme sacré le respect de la volonté des électeurs, soit revenir aux errements de la IVe qui confisquent la souveraineté du peuple au profit des partis. J'ai voulu respecter le choix des électeurs ; eux ont décidé de marchander les suffrages dont ils étaient dépositaires...
Q - Vous dites que votre échec est votre force puisqu'il prouve, a posteriori, que vous aviez raison de vous dresser contre les appareils. Comment comptez-vous donc rebondir, notamment aux européennes ?
– Les européennes sont dans six mois. J'entame pour l'heure un tour de France qui me permettra d'aller à l'écoute des Français de les entendre, et de leur donner les réponses de La Droite. Faudra-t-il la transformer en parti ? C'est trop tôt pour le dire. Dans trois mois, en tout cas, ma décision sera prise pour les européennes ! Quant aux échéances suivantes, il faut laisser du temps au temps. Pour moi, une seule chose est sûre : la cohabitation qui se prolonge est en train de pervertir, et peut-être de tuer la Ve République. Le régime des partis qui revient en force est à mon sens une catastrophe pour la démocratie : je compte bien marteler ce message dans les mois à venir !
Q - Les sondages, pourtant, semblent plébisciter la cogestion que vous dénoncez...
– Si j'avais cru aux sondages, je n'aurais pas soutenu Jacques Chirac à l'élection présidentielle !