Texte intégral
Date :12 juin 1996
Source : Le Parisien
Le Parisien : L’État reprendra 125 milliards de dette à la SNCF. Peut-on enfin considérer que ce plan de sauvetage sera le dernier ?
Anne-Marie Idrac : Les précédents plans ont échoué, c’est vrai, car ils ne réglaient pas les problèmes de fond de la SNCF. Cette fois, outre la reprise de dette de 125 milliards, le plan du gouvernement fonde les bases possibles du redressement de la SNCF. Nous allons en effet rénover en profondeur l’organisation du système ferroviaire français. Concrètement, la SNCF pourra se concentrer sur la reconquête de ses clients puisque le client constitue, quoi qu’il arrive, le vrai ressort de son redressement.
Le Parisien : On ne devrait donc à terme plus entendre parler des difficultés de la SNCF ?
Anne-Marie Idrac : Il faut être lucide : le redressement de la SNCF sera long et coûteux. Mais déchargée du poids de sa dette et de l’inquiétude du financement des nouvelles infrastructures qui était source de soucis et de fuite en avant, elle a les moyens de redresser ses comptes sur ses activités de transport ferroviaire.
Le Parisien : Il n’est pas un jour sans qu’on nous parle de rigueur budgétaire, d’économies et d’allègement de la dette. Et là, l’État reprend sans sourciller 125 milliards à sa charge. Expliquez-nous.
Anne-Marie Idrac : La dette de la SNCF est considérée depuis longtemps comme une dette publique. Nous mettons aujourd’hui les choses au clair il restait jusqu’ici une ambiguïté à ce sujet. Comme vous le savez, l’État la prend à sa charge et en assure le remboursement par l’intermédiaire de l’établissement public spécialement créé. Simplement, la dette de cette nouvelle structure ne se confondra pas avec celle de l’État.
Le Parisien : C’est quand même le contribuable qui payera la facture…
Anne-Marie Idrac : Le contribuable payait déjà pour la SNCF, même si on lui avait plus ou moins occulté. Tant que l'on ne s'attaquait pas à un traitement en profondeur des difficultés, la dette servait de soupape de sécurité. Mais comme chacun le sait il faut bien un jour payer ses dettes.
Le Parisien : Qu’allez-vous demander aux cheminots en échange de ces efforts très importants ?
Anne-Marie Idrac : Nous leur demandons qu’ils saisissent les chances que nous leur mettons entre les mains en soulageant l’entreprise de ce qu’il y a de plus démotivant : les dettes, les charges financières… Il s’agit maintenant de reconquérir la confiance des clients et il s’agit aussi de rétablir enfin l’équilibre des comptes et d’avoir un rapport qualité-prix qui donne aux Français l’envie de reprendre le train.
Date : mercredi 12 juin 1996
Source : France Inter / Édition du matin
France Inter : Est-ce que, comme le titre ce matin L'Humanité, le gouvernement a revu sa copie parce qu'il a été sensible, et aux grèves de décembre et aux récentes manifestations des cheminots qui étaient dans la rue la semaine dernière ?
A.-M. Idrac : Vous savez, au début de l'année, nous avons lancé un grand débat dans le pays sur la SNCF, dans les conseils régionaux et au conseil économique et social également. Et je crois que ce débat a permis à tout le monde de se rendre compte des difficultés de la situation, mais aussi à quel point on aime tous la SNCF. Si bien que tout le monde a mûri. Et je crois aussi que les cheminots ont mûri, comme - je l'avoue bien volontiers - le gouvernement a mûri. Tout le monde a mûri.
France Inter : Donc, ce n'est pas le rapport de forces qui a fait changer le gouvernement d’avis ?
A.-M. Idrac : C'est la volonté de changer la SNCF.
France Inter : On abandonne le contrat de plan État-région. Quel avantage y-a-t-il à abandonner ce contrat de plan ?
A.-M. Idrac : Ce que l'on abandonne, c'est la formule du contrat de plan entre l'État et la SNCF, qui était le genre de document où on imagine, pour cinq ans, fixer dans le détail tout ce qui se passe et avec une incapacité, dans la réalité, à régler les problèmes puisque les contrats de plan étaient tellement détaillés que personne ne les appliquait et qu'ils ont conduit la SNCF dans ces difficultés. C'est pour ça qu'aujourd'hui, on constate qu'il n'y a plus vraiment lieu de faire un contrat de plan, d'autant plus que l'avenir de la SNCF passe par un certain nombre d'échéances variables : la régionalisation qui est très importante. Eh bien, elle durera deux ou trois ans, sous forme expérimentale ; les investissements à faire - ils sont dans les contrats de plan État-région ; les schémas directeurs intermodaux que nous devons faire pour tous les transports, c'est à échéance 2015 et on les publiera en 1997. Bref, il n'y avait vraiment plus lieu de faire un document unique à prétentions planificatrices alors qu'il s'agit plutôt de libérer les énergies pour les années à venir et pour, encore une fois, donner une ambition nouvelle à la SNCF.
France Inter : On le sait, la dette de la SNCF est importante, colossale : 206 milliards de francs. L'État reprend à sa charge 125 milliards. Est-ce que l'État assume enfin sa responsabilité ? C'est-à-dire paie sa quote-part dans les efforts que la SNCF a fait pour se moderniser ?
A.-M. Idrac : Enfin est le mot. Parce qu'effectivement, pendant des années et des années, le moins qu'on puisse dire c'est que ceux qui aujourd'hui critiquent parce qu'ils n'ont pas d'idées à proposer, n'avaient su faire qu'une seule chose : c'est abandonner les cheminots à eux-mêmes et les laisser s'enfoncer dans les déficits et l'endettement Alors, ce que nous faisons, nous aujourd'hui - et je crois que c'est à la fois courageux et amical - c'est de reprendre toute la dette d'infrastructure de la SNCF : 125 milliards.
France Inter : Libération chiffre ce matin ce coût à 8 500 francs par foyer qui paie des impôts, par foyer imposé. Alors cela veut dire que l'on va payer deux fois notre billet de train, nous autres voyageurs ?
A.-M. Idrac : Vous savez, les contribuables apportent déjà des concours tout à fait importants à la SNCF. Le déficit et la dette, c'était déjà la dette publique, simplement on vous le cachait. Moi je crois que, pour régler les affaires du pays, être lucide et faire de la concertation, comme nous l'avons fait dans le débat national, c'est le meilleur moyen d'avancer.
France Inter : 125 milliards sur 206, il en reste une partie ! Qui va payer ce reste de la dette ?
A.-M. Idrac : 125 milliards, je répète que c'est la totalité de la dette liée à l'infrastructure, c'est-à-dire aux responsabilités de l'État. Le reste, comme vous dites, c'est la SNCF qui, dans le cadre de son redressement rendu tout à fait possible maintenant par le tournant historique que nous avons fait prendre à l'entreprise, les remboursera comme toute entreprise rembourse, par exemple, le financement des wagons. C'est quand même bien normal que ça soit la SNCF qui les finance.
France Inter : Justement, vous coupez en quelque sorte l'entreprise en deux !
A.-M. Idrac : Mais non, pas du tout !
France Inter : C'est une image !
A.-M. Idrac : Oui, c'est une image que certains s'amusent à agiter pour faire peur aux cheminots et aux Français, donc ce n'est pas la réalité. Nous ne coupons pas la SNCF en deux, au contraire j'ai tenu, nous avons tenu, à ce que l'on ait une solution française originale. J'ai négocié tout à fait précisément de telle sorte qu'on préserve, notamment l'unicité de l'entreprise.
France Inter : Donc ce n'est pas un pas vers la privatisation ? C'était le sens de ma question.
A.-M. Idrac : Mais bien entendu non. C'est encore une fois ceux qui n'ont aucune proposition à faire sur un sujet qui intéresse la vie quotidienne de tout le monde, qui intéresse l'environnement et qui intéresse la création d'un aménagement du territoire équilibré, ce sont ceux-là qui emploient la privatisation. Ils se réfugient dans les fantasmes parce qu'ils n'ont rien à proposer ! C'est dommage parce qu'il y a un bel avenir pour la SNCF avec les nouvelles bases que nous lui proposons pour se redéployer et pour revenir en réconciliation avec les Français.
France Inter : Il y aura donc d'un côté la dette et puis le rail, et puis de l'autre les wagons, les cheminots, le service commercial et puis les régions qui vont décider de la desserte de leurs zones. Est-ce qu'il n’y a pas un risque que les régions plus pauvres ferment les petites lignes ? C’est une crainte importante chez les Français.
A.-M. Idrac : Je voudrais dire d'abord à quel point décentraliser, régionaliser, ça me parait être de manière générale - et dans le cas particulier de la SNCF - un vecteur de modernisation formidable. Dans le cas particulier, je crois vraiment que tout le monde doit comprendre que plus on est proche des gens, les usagers, les clients, plus on a des chances que le service soit adapté aux besoins. Et c'est cela na décentralisation, la régionalisation que nous voulons. Nous avons affirmé très clairement, et cela aussi fait partie de l'unicité de l'entreprise, que bien sûr l'infrastructure, le réseau reste national el ce dans toutes les régions de France.
France Inter : Est-ce que le chemin de fer belge, par exemple, pourra louer des rails à la nouvelle structure publique qui les possède à partir du 1er janvier ?
A.-M. Idrac : Nous nous situons dans le cadre d'une directive de 1991 qui a été adoptée - je ne sais plus qui était le ministre des transports socialiste à ce moment-là - et qui prévoit que, pour le transport international et pour le transport combiné, le rail-route, qui est pour moi l'une des priorités à laquelle je suis très attachée, qui se développe bien d'ailleurs, il est prévu que, pour ce type de transport depuis 1991, il puisse effectivement y avoir de la circulation sur les rails français. Mais inversement, cela veut dire que la SNCF, qui va redevenir la meilleure, peut avoir accès à l'ensemble du marché européen. Et je voudrais préciser que pour nous, cette directive-là, nous l'appliquons mais nous n'appliquons que cette directive-là. Il n'est pas question d'aller plus loin.
France Inter : La clientèle a un petit peu boudé la SNCF ces derniers temps, tant sur le plan des voyageurs que sur le plan du fret. Vous pensez que ses charges d'exploitation sont plus lourdes que son chiffre d'affaires, comment va-t-elle s'en sortir ?
A.-M. Idrac : Effectivement, le principal problème de la SNCF, comme d'ailleurs des autres entreprises ferroviaires en Europe - j'en discute toutes les semaines pratiquement avec mes collègues européens - c'est la désaffection. C'est le fait que les gens n'ont plus assez le goût et l'envie de prendre le train. Donc L. Le Floch-Prigent a tout à fait raison de mettre le client au centre, vraiment, au cœur de la stratégie de redressement de la SNCF et de le faire dans la concertation avec les cheminots.
France Inter : Sans avoir besoin d'augmenter les tarifs ?
A.-M. Idrac : Les tarifs doivent être adaptés au service rendu mais ce n'est pas un problème d'augmentation des tarifs. C'est un problème de redonner un bon rapport qualité-prix et l'envie de prendre le train.
France Inter : Les cheminots ont sauvé leur statut, ils ont sauvé leur retraite...
A.-M. Idrac : Le statut des cheminots n'avait jamais été menacé.
France Inter : 18 milliards de francs par an tout de même : on ne parle plus d'aligner leur retraite sur le régime général, c'est fini ?
A.-M. Idrac : Mais absolument pas, le Premier ministre A. Juppé s'est exprimé très clairement à ce sujet il y a de nombreux mois déjà.
France Inter : On va parler aussi un petit peu de transport aérien. On l'a appris ce matin, British Airways et American Airlines vont se fiancer à partir de janvier prochain. Ils vont truster le trafic aérien sur l'Atlantique nord. Ils ont à peu près une flotte de 1 000 avions, c'est un sale coup pour Air France ?
A.-M. Idrac : Cela marque bien, effectivement, les révolutions très profondes qui se préparent et qui se font dans le transport aérien. Je ne dirais pas que c'est un sale coup, je dirais que c'est un nouveau défi. Je crois qu'Air France est bien engagé maintenant dans son redressement mais, comme je l'ai toujours dit, il y a une sorte de course-poursuite entre les différentes compagnies européennes et internationales. Air France est dans la course mais doit y rester et pour cela, il faut continuer bien entendu à avancer.
France Inter : Est-ce que les conflits sociaux n'ont pas un petit peu retardé le développement d'Air France justement, ou les alliances possibles ?
A.-M. Idrac : Non, Air France maintenant est tout à fait sur la bonne voie et je n'ai pas d'inquiétude quant à la capacité d'Air France à garder toute sa place, y compris dans le concert international, notamment sur l'Atlantique nord où vous savez que j'ai réussi à préserver les parts de marché que les Américains leur contestaient.