Texte intégral
Le Figaro Magazine : La France aura cette année une croissance de 1 % ; l’Allemagne, de 0,5 % ; le monde occidental, de 2,1 % ; et les pays asiatiques, de 8 % à 10 %, voire bien davantage, selon l’OCDE. Comment expliquez-vous ces différences ?
Édouard Balladur : Aucune économie n'est plus indépendante ; et un pays comme la France dépend, pour une large part, du monde extérieur, tant pour ses approvisionnements que pour ses débouchés. Notre pays est, aujourd'hui, le quatrième exportateur mondial, le pays de l'OCDE qui exporte le plus par tête d'habitant.
On peut regretter cette internationalisation - à tort, je crois -, mais il nous faut nous incliner devant la réalité.
La zone européenne n'est pas, ou n'est plus, en tête pour ce qui concerne les taux de croissance. Pour des raisons qui peuvent être surmontées - en particulier une difficulté à accepter davantage de flexibilité et de mobilité - et pour des raisons objectives : une démographie peu dynamique, un niveau de développement économique déjà très avancé. Les pays asiatiques, eux, connaissent un développement particulièrement rapide. Pour la France, habituée à avoir un taux de croissance plutôt plus élevé que celui de ses partenaires, l'adaptation est difficile.
Rien n'indique que la pause actuelle dans la croissance se prolongera. L'économie américaine est entrée plus tôt en récession que les économies européennes. Elle en est aussi sortie plus tôt. Elle bénéficie, depuis lors, d'une croissance solide et prolongée. Les pays d'Europe continentale subissent aujourd'hui le contrecoup d'un ralentissement qui a pu être masqué pendant un temps par les effets de la réunification allemande. La baisse des taux d'intérêt, la maîtrise de l'inflation et les efforts de remise en ordre des finances publiques devraient leur permettre de retrouver un rythme de croissance plus soutenu dès 1997.
Cependant, nous ne retrouverons sans doute pas les rythmes de croissance du passé, et ce pour deux raisons. La disparition en 1971 d'un système monétaire international organisé a entraîné une succession de crises financières.
Les règles du jeu ne doivent pas nous pénaliser
En second lieu, n'oublions pas que notre niveau de vie aujourd'hui est incomparablement supérieur à celui de nos grands-parents ; en revanche, les populations asiatiques connaissent aujourd'hui encore des niveaux de pauvreté intolérables. Les marges de croissance y sont donc très supérieures. Il faut se réjouir des succès des économies asiatiques. C’est un marché d’exportation considérable et un facteur de croissance pour les pays exportateurs. La France doit y rattraper ses concurrents occidentaux.
Nous devons veiller à ce que la concurrence entre les économies ne nous soit pas systématiquement défavorable - du fait, en particulier, des conditions sociales qui existent encore en Asie - et qu'elle s'exerce dans le cadre de règles du jeu équitables. C'est le sens de l'action que j'ai menée lors des négociations du GATT, le résultat que j'ai obtenu. Il faut rester vigilant sur le respect de ces règles, acceptées par tous les pays.
Le lien essentiel entre croissance et confiance
Le Figaro Magazine : Pourquoi a-t-on besoin, aujourd'hui, de croissance ? Comment les vieux pays européens, déjà très développés, peuvent-ils y parvenir ?
Édouard Balladur : Nous avons besoin de la croissance pour des raisons nationales : il nous faut une économie plus forte pour résister à la compétition de nos concurrents. Pour des raisons internationales : comment faire entendre la voix de la France en Europe et dans le monde si nous ne savons pas maintenir notre puissance économique ? Pour des raisons sociales : puisqu'il s'agit de surmonter les difficultés auxquelles la société française est confrontée et d'assurer la décrue du chômage, décrue indispensable à la santé de notre société. Enfin, il faut la croissance pour redonner aux Français le sentiment que le progrès est possible, que l'avenir de leurs enfants est assuré. Là réside le lien essentiel entre la croissance et la confiance.
Que se passerait-il dans la situation inverse ? Nous en avons eu un bon exemple en 1993. La France traversait alors, pour la première fois depuis la guerre, une véritable récession : pour faire face à des besoins croissants, nous disposions collectivement de moins de ressources. La priorité des priorités, c'était donc d’inverser le courant qui faisait que les déficits alimentaient les déficits. C'est ce que nous avons réalisé, en faisant en sorte de retrouver la croissance.
Je ne partage pas le pessimisme qui consiste à considérer que la croissance d'aujourd'hui crée moins d'emplois. En 1994 et 1995, la croissance étant revenue, nous sommes parvenus à inverser la courbe du chômage pendent onze mois consécutifs et à le faire baisser de deux cent dix-sept mille personnes. Deux cent quatre-vingt-dix mille emplois ont été créés dans le secteur marchand.
Ne considérons pas que ce que vous appelez les vieux pays européens seraient à bout de souffle. Nos entreprises remportent des compétitions internationales extrêmement dures, que ce soit pour la construction d'équipements majeurs comme des TGV ou des centrales nucléaires, ou que ce soit dans les domaines sensibles de l'aéronautique civile ou militaire ou de l'espace. Nos agricultures sont les plus productives du monde. Nos exportations de services sont dynamiques. Nous n'avons aucune raison de nourrir des complexes qui, en eux-mêmes, généreraient un pessimisme injustifié. Je suis persuadé que nous avons des raisons d'espérer.
Le Figaro Magazine : Y-a-t-il un lien entre la croissance et notre rôle international ?
Édouard Balladur : Comment pourrions-nous espérer que la France continue à jouer le rôle majeur qui doit rester le sien sur le plan international, si elle ne disposait pas d'une économie solide et prospère ? À terme, c'est le message même de la France qui serait compromis. Je suis convaincu que la France peut et doit être, pour le monde, un exemple. Nous l'avons été souvent au cours des siècles passés. Aujourd'hui, y compris en matière économique, nous avons quelque chose à dire, à prouver.
Certes, l'économie libérale a fait la preuve au cours des dernières décennies qu'elle était mieux à même d'apporter la prospérité. Mais nous savons aussi qu'un monde sans règles ne peut durablement fonctionner. En matière monétaire, il est ainsi devenu urgent de réfléchir à ce que pourrait être une nouvelle organisation des rapports entre les grandes devises du monde pour rendre leurs cours plus stables, car l'instabilité monétaire entraîne désordres, inflation, bouleversement des courants commerciaux. Bref, la liberté ne va pas sans un certain ordre. Voilà ce qui doit être une part du message de notre pays. Il sera d'autant plus écouté que notre gestion sera plus crédible.
La France est plus forte au sein de l’Europe
Le Figaro Magazine : Y-a-t-il un lien entre la croissance et la marche vers l'Union européenne ?
Édouard Balladur : Oui. Imagine-t-on que l'on pourrait réaliser une véritable union entre les pays dont les économies ne seraient pas gérées d'une manière cohérente ? Seule une gestion économique orientée vers une croissance saine et durable peut convaincre les peuples européens de l'intérêt qu'il y a pour eux à s'associer dans un ensemble plus vaste. En d'autres termes, l’Union européenne ne sera crédible que si elle permet à l'intérieur de chacun des pays une croissance plus stable et plus solide.
Souvenez-vous des progrès de la France à la suite de la décision du général de Gaulle de la faire entrer dans la Communauté économique européenne. Nous n'avons qu'à redouter le repli sur nous-mêmes.
Le Figaro Magazine : Peut-on organiser une démarche solitaire pour améliorer la croissance ?
Édouard Balladur : Non, bien que ce soit une tentation chronique chez nous. Au début des années quatre-vingt, après la politique aventureuse menée par le premier gouvernement socialiste, la question s'est posée de savoir si la France se retirerait du mouvement de construction européenne, abandonnerait la place qu'elle occupait au sein du système monétaire européen pour poursuivre, seule, un développement dont personne ne pouvait alors prédire ce qu'il pourrait être. Tardivement, la raison l'a néanmoins emporté.
Qu’on songe simplement à la position qui aurait été la nôtre dix ans plus tard, lors des négociations du GATT. Alors, c'est la reconstitution de la solidarité européenne qui a permis à la France de faire triompher des règles du jeu équitable. Rien n'irait mieux si l'Europe n'existait pas, tout au contraire. Il y aurait moins de croissance et plus de chômage.
Le débat n'est pas seulement économique. Seul le renforcement de l'Union européenne peut nous donner une chance dans la bataille pour la défense de la culture française, de la culture européenne.
La France a beaucoup plus d'influence en Europe qu'on ne le dit souvent. Elle ne doit pas rester seule.
Je pense, en particulier, à l'importante question de la réorganisation des relations monétaires internationales. Le problème n'est pas aujourd'hui de savoir si la France doit ou non participer à l'Union européenne. Ce choix a été tranché. La vraie question est de savoir comment nous parviendrons, le moment venu, à fixer la valeur de la monnaie européenne vis-à-vis des autres grandes devises du monde, à un niveau compatible avec nos intérêts. Il s'agit d'une question de la plus grande importance pour l'avenir des économies européennes.
Stabilité monétaire et croissance sont liées
Contrairement à ce que l'on dit, le problème n'est pas la parité entre le franc et le mark, mais la sous-évaluation du dollar par rapport au couple franc-mark, sous-évaluation qui est de l'ordre de 15 % environ. Or, la valeur externe de la future monnaie européenne découlera de la valeur du franc et du mark par rapport au dollar. Il faut obtenir des États-Unis qu'ils mettent en œuvre, avec l'appui de leurs partenaires, tous les moyens permettant de corriger la sous-évaluation du dollar et de stabiliser leur monnaie. Notre prospérité future en dépend. Seule, la France ne pourrait faire entendre sa voix avec succès.
Le Figaro Magazine : Vous dites qu'il y a de nombreuses idées fausses dans le débat sur la croissance : quelles sont-elles ?
Édouard Balladur : Prenons l'exemple des questions monétaires. L'objectif devrait être commun à tous : des taux d'intérêt suffisamment bas pour favoriser l'investissement et, donc, la croissance ; mais également une monnaie suffisamment stable pour ne pas entacher la réputation de notre pays et, donc, la confiance des entreprises et des investisseurs. C'est le sens de la politique que j'ai menée entre 1993 et 1995, et qui nous a permis en deux ans de faire diminuer de moitié les taux d’intérêt à court terme ; politique qui a été ensuite poursuivie. Ce n'est pas un hasard si les pays qui ont connu la plus grande stabilité monétaire sont aussi ceux qui ont obtenu les meilleurs résultats en termes de croissance et d'emploi. La solidité du franc est une conquête des Français, le résultat de patients efforts, la garantie de leur pouvoir d'achat, tant en France qu'à l'étranger.
Autre idée fausse : le maintien des dépenses publiques à leur niveau actuel, voire leur augmentation, permettrait de soutenir l'activité. Cette analyse ne prend en compte ni l'ampleur de la ponction sur l'épargne qu'exercent les déficits publics au détriment de l'investissement, ni l'effet de soutien à la croissance qui peut être exercé par la baisse des impôts. Baisse des déficits et baisse des prélèvements doivent aller de pair. C'est la baisse des impôts qui permettra de renforcer la croissance.
Le gouvernement fait bien de réduire les dépenses
Troisième idée fausse : la croissance française serait moins riche en emplois que celle de ses principaux partenaires. Ce n'est plus vrai. Depuis la fin de 1993, les créations d'emplois dans les secteurs concernés par la réduction du coût du travail non qualifié ont été fortes. La croissance française est devenue plus riche en emplois.
Ce n'est pas en cédant à la facilité que la France pourra résoudre les problèmes qui sont les siens. C'est, au contraire, en procédant aux réformes nécessaires avec patience et détermination. Ne cédons pas à la tentation de repousser les efforts indispensables qui n’en seraient, alors, que plus douloureux.
Le Figaro Magazine : Comment peut-on améliorer la croissance ? Par les taux d’intérêt ? Par les dépenses publiques ?
Édouard Balladur : La France est l’un des pays du G7 où le poids des dépenses collectives – avec 55 % du PIB – est le plus élevé. Ces dépenses sont financées par des prélèvements obligatoires qui nous placent en tête des pays les plus imposés. Ceci nuit gravement au dynamisme et à la compétitivité de notre pays. Ce n'est pas dans un alourdissement de dépenses qu'il faut s'engager, mais au contraire dans leur réduction : et j’approuve le gouvernement de s’y consacrer. Je souhaite également que l’on s’interdise de procéder à toute dépense nouvelle.
En matière de taux d’intérêt, les choses sont à peu près claires : ils sont aujourd'hui, dans notre pays, parmi les plus bas d'Europe. C'est le résultat heureux de la politique de stabilité du franc, initiée dès 1986 et qui, bon gré mal gré, a été confirmée depuis lors. Ce débat me paraît tranché par les évènements eux-mêmes. Il n’y a pas lieu d’y revenir, sauf à vouloir en faire un enjeu politique, ce qui ne me paraît pas conforme à l'intérêt de notre pays.
Le Figaro Magazine : Faut-il recourir à des économies sur les prévisions de dépenses ou opérer des coupes réelles sur le train de vie de l'État ?
Édouard Balladur : Le temps est venu pour l'État de mener une réflexion approfondie sur les objectifs qu'il doit s'assigner et sur les moyens qu'il emploie pour les atteindre.
La dépense publique en France est trop élevée. Trop élevée dans l'absolu parce que les Français paient à la fois trop d'impôts et trop de cotisations, mais également trop élevée eu égard aux résultats obtenus. Beaucoup de nos partenaires obtiennent des résultats meilleurs que les nôtres sur tous les plans, à moindre coût. Il nous faut donc dépenser moins. Plusieurs pistes doivent être explorées.
En matière de fonctionnement, il nous faut réexaminer les principaux budgets. Des économies sont possibles, en particulier du fait des doubles emplois dus à la décentralisation. Toutes les conséquences de cette importante réforme n'ont pas été tirées. Ne faut-il pas examiner le coût de la coexistence des multiples niveaux locaux ? Il faut en débattre avec les fonctionnaires et les élus locaux.
La politique d'aide à l'emploi coûte aujourd'hui au budget de l'État près de 140 milliards de francs. Est-on bien sûr que ces 140 milliards de francs soient judicieusement employés ? Certains systèmes coûteux ne doivent-ils pas être réexaminés, d'abord, parce que, en substituant des emplois subventionnés à des emplois existants, ils contribuent paradoxalement au maintien du chômage à un niveau élevé ? Tel semble être le cas du contrat initiative-emploi. Il faut donner la priorité aux créations nettes d'emplois et poursuivre dans la voie d'un allégement important des charges sociales pesant sur les bas salaires.
De 30 à 40 milliards de francs d'économies sont possibles dans le domaine des aides à l'emploi. Elles devraient être affectées, en priorité, à une étape supplémentaire dans la réduction du coût du travail non qualifié.
Enfin, les 450 milliards de francs de dépenses d’intervention faites chaque année par l'État ou les entités qui en dépendent ne peuvent plus être considérés comme un dû non négociable. Il y va du dynamisme et de la compétitivité de notre économie.
On peut économiser 250 milliards en cinq ans
Comment procéder pour améliorer durablement la situation de nos finances publiques et atteindre, comme une première étape, l'objectif de réduction des dépenses de 200 milliards de francs retenu par le gouvernement ?
Il faut tout d’abord recenser les dépenses publiques par fonction et évaluer, à intervalle régulier, l'efficience des sommes dépensées.
Il faut aussi recourir à une programmation pluriannuelle de la réduction des dépenses et des prélèvements ; fixer des objectifs à cinq ans en matière de baisse des impôts, de façon à inciter les Français à inscrire leurs décisions dans la durée et à faire bénéficier l'économie, dès à présent, des effets favorables de la baisse à venir des impôts sur l'activité.
Stabiliser les dépenses budgétaires en francs courants permettrait d'économiser 250 milliards de francs en cinq ans. À terme, 100 milliards de francs, soit près de la moitié de cet effort, pourraient être rétrocédés aux Français sous forme de baisses d'impôt.
II faut s'engager dans la voie de la réduction des effectifs de la fonction publique. Les gains de productivité représentent trente mille postes par an. L'objectif pourrait être de réduire les effectifs de vingt mille par an afin de tenir compte des besoins nouveaux (police, enseignement).
Le Figaro Magazine : Comment peut-on éviter les artifices en matière d'affichage de la dépense publique pour mobiliser l'opinion ? Faut-il commencer par baisser les impôts pour créer du pouvoir d'achat qui relancera la consommation, ou opérer simultanément réduction des impôts et des dépenses ?
Édouard Balladur : La baisse des impôts et la réduction des dépenses doivent être absolument concomitantes. Les dépenses publiques sont trop élevées et les prélèvements trop lourds. Chacun le sait, il y a un lien étroit entre des prélèvements élevés et un taux de chômage élevé, entre des prélèvements modérés et un taux de chômage faible.
Les 60 milliards de francs de baisse de dépenses dans le budget 1997 pourraient être accompagnés de 20 milliards de francs de baisse d'impôts.
Le taux de TVA sur l'automobile pourrait être ramené de 20,6 % à 18,6 %, pour compenser partiellement l'effet de la disparition de la prime automobile.
L'impôt sur le revenu doit être simplifié et abaissé ; il faut notamment s'attaquer aux niches fiscales, abaisser tous les taux, y compris le taux maximal qui devrait être ramené à 50 % et confirmer que cet impôt doit demeurer un instrument d'aide aux familles, ce qui veut dire le maintien du quotient familial et de l'exonération des prestations familiales.
Ensuite, les cotisations sociales qui pèsent sur les salaires, notamment sur les bas salaires, doivent être réduites ; cela signifie qu'il faut progressivement transférer une partie des cotisations salariées vers la CSG, à concurrence de 2 points, afin d'accroître le pouvoir d'achat des salariés et de favoriser l'emploi des personnes les plus touchées par le chômage.
On comprend le désarroi des « Français moyens »
Le Figaro Magazine : Les classes moyennes n'ont pas assez d'argent pour bénéficier des cadeaux fiscaux du type de la loi Pons, mais trop de revenus pour percevoir les aides et les allocations qui sont plafonnées : comment leur éviter un certain sentiment d'exclusion et rallier leur adhésion ?
Édouard Balladur : Leur sentiment se comprend aisément. Depuis vingt ans, les prélèvements obligatoires sont passés de 35 % à 45 %, soit l'équivalent de deux fois l'impôt sur le revenu.
Qui a payé ? Ceux qui ont la chance d'avoir un emploi ou une activité mais qui ont le plus souvent des revenus moyens.
Parallèlement, ces « Français moyens » ont vu leurs enfants frappés par le chômage, l'insécurité se développer et les retraites menacées.
Enfin, l'accès à un patrimoine est devenu très difficile, du fait de taux d'intérêt longtemps très élevés. On comprend aisément leur désarroi quand, dans le même temps, ils ont le sentiment d'être exclus d'un grand nombre d'aides, d'allocations, de déductions, d'avantages fiscaux, parce qu'ils dépassent un certain seuil de revenu, souvent modeste.
Pour changer cet état d'esprit, il faut leur redonner espoir.
Cela passe par le recul du chômage qui menace toutes les familles, par une réelle baisse des impôts, qui permette aux classes moyennes de conserver une plus grande part du fruit de leur travail.
Le Figaro Magazine : D'une manière générale, comment peut-on aujourd’hui faire renaitre l'espérance ?
Édouard Balladur : En offrant une perspective aux Français, en leur proposant des choix qui permettront de satisfaire leurs aspirations. Il faut avant tout les informer, leur dire la vérité. Acceptons d'analyser nos forces et nos faiblesses. Le niveau des dépenses et des prélèvements publics dans notre pays est trop élevé. Reconnaissons que les solutions du passé ne sont plus adaptées.
Il faut ensuite faire appel au courage des Français, les appeler à la réforme et au changement. Nombreuses sont les réformes nécessaires, qu'il s'agisse des dépenses publiques, des impôts, du coût du travail ou de la protection sociale. Elles sont possibles, la réforme du régime général des retraites ou bien les mesures prises pour le redressement de la Sécurité sociale en témoignent. Les mener à bien suppose d'expliquer pourquoi et de se plier à une méthode qui doit être fondée sur la concertation, le dialogue, la recherche de l'adhésion la plus large.
Enfin, il faut donner espoir, tracer des perspectives claires et définir les actions à mener sur plusieurs années.
Quels sont les objectifs ? Retrouver une croissance moyenne de 2,5 % par an et faire reculer le chômage d’un million de personnes sur les cinq prochaines années.
C’est l’intérêt de la nation qui commande
Quels sont les moyens ? Faire des économies sur les dépenses budgétaires, à hauteur de 250 milliards de francs et lancer dès maintenant la réforme fiscale pour restituer 100 milliards de francs aux Français sur ces cinq années. Réaliser dès 1997 une première étape, 60 milliards de francs d'économies et 20 milliards de francs d'allégement d'impôts. Continuer d'enrichir le contenu de la croissance en emplois en abaissant le coût du travail. Enfin, défendre les intérêts de la France et de l'Europe en obtenant la correction de la sous-évaluation du dollar qui pénalise injustement la compétitivité de nos économies.
Je ne méconnais pas que tout cela est difficile, peut-être exigeant sur le plan politique. Mais, dès lors que l'intérêt de la nation le commande, nous devons agir. Les Français sont un grand peuple, qui a de grandes possibilités. Le mieux est possible, si nous le voulons.