Interviews de Mme Corinne Lepage, ministre de l'environnement, à RMC le 10 et à Europe 1 le 14 juin 1996, sur le projet de loi sur l'air et sur la conférence "Habitat" à Istanbul.

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Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC FR3 - Europe 1 - RMC

Texte intégral

Date : lundi 10 juin 1996
Source : RMC / Édition du Matin

RMC : Votre réaction devant les violentes attaques de L. Jospin, les premières depuis l'élection présidentielle, contre le président de la République, surtout pour ce qui concerne les affaires d'HLM de la Ville de Paris et sa gestion de la crise de « la vache folle » ? Comment subissez-vous ces assauts ?

C. Lepage : Très franchement, je dirais que c'est un combat vraiment purement politicien. Sur l’affaire de « la vache folle », les principes de transparence et d'information et de précaution ont été tout à fait appliqués. Je rappelle que nous sommes quand même le premier pays à avoir fermé nos frontières à l'importation de viandes bovines. C'est bien, donc, que ces principes de précaution ont primé sur le reste. Il y a une procédure qui est en cours et je trouve que, franchement, ces attaques n'ont vraiment pas lieu d'être.

RMC : Donc, cela va au-delà de la bataille politique normale ?

C. Lepage : Je crois que oui, franchement.

RMC : Depuis que vous êtes ministre, on parle d'une loi sur la qualité de l'air. La loi n'est toujours pas votée, l'air est toujours aussi pollué. La semaine dernière, la pollution a atteint le degré 8 sur une échelle de 10, c'était une pollution assez grave à Paris et à Strasbourg. Quand va-t-on faire quelque chose et quand y aura-t-il finalement une loi sur l'air en France ?

C. Lepage : Le Sénat l'a votée déjà en première lecture et elle sera présentée devant l'Assemblée nationale d'ici trois jours.

RMC : Cela a déjà du retard par rapport à ce que vous espériez ?

C. Lepage : C'est vrai que j'aurais aimé que cette loi puisse être votée avant la fin de la session parlementaire. Je ne suis pas sûre que nous y parviendrons. Il est vrai que beaucoup se sont ingéniés à ce que cette loi ne puisse pas voir le jour alors que je crois que chacun a pu juger, ne serait-ce que la semaine dernière, de son absolu nécessité et de son urgence.

RMC : Qui vous met des bâtons dans les roues ?

C. Lepage : Très franchement, les choses ne sont jamais très claires, mais visiblement, un certain nombre de groupes ne souhaitent pas que cette loi puisse voir le jour alors qu'elle m'apparait vraiment répondre à un besoin de nos concitoyens. Alors, on me dit qu'il y en a trop, d'autres disent qu'il n’y en a pas assez. Ceux qui disent qu'il n'y en a pas assez, c'est parfois pour eux l'occasion de dire que ce n'est pas la peine de la faire, c'est-à-dire qu'ils rejoignent le groupe de ceux qui pensent qu'il ne fallait pas la faire. Moi, je suis persuadée qu'il faut la faire. Je me bats depuis près d'un an pour que cette loi voie le jour et je continuerai à me battre.

RMC : Vous vous battrez ou vous gagnerez ?

C. Lepage : Le Sénat a nettement amélioré le texte et j'attends beaucoup du débat devant l'Assemblée nationale. Je suis très confiante.

RMC : Si le degré de pollution devait rester en l'état, ce qui, pour le moment, est le cas, est-ce qu'on pourrait imaginer de devoir interdire un jour ou limiter au moins le trafic automobile en ville pour protéger la santé des citoyens jusqu'au retour à un taux de pollution normal, c'est-à-dire pendant la période où le taux de pollution dépasse le pic admis ?

C. Lepage : Le projet de loi, tel qu'il existe aujourd'hui, prévoit très clairement que les jours de pics de pollution importants, le préfet doit restreindre la circulation automobile. Alors, faut-il la restreindre aux véhicules les moins polluants, faut-il trouver d'autres solutions, la discussion est ouverte mais je crois qu'on ne peut pas continuer comme ça.

RMC : Sur le principe et non pas les modalités, vous défendrez coûte que coûte ce point précis que le préfet devra se plier à l'obligation de limiter le trafic automobile ?

C. Lepage : Oui, tout à fait, c'est dans le projet de loi et cela existe déjà dans beaucoup de pays ou de villes à l'étranger. C'est la loi allemande, c'est la situation dans les villes de Milan, de Rome ou de Florence, ou d'Athènes ou dans bien d'autres capitales européennes. Par conséquent, ce qui est possible ailleurs est possible chez nous.

RMC : J'insistais parce que j'entendais P. Massoni, préfet de Paris, dire encore la semaine dernière qu'il n'était pas "disposé à prendre des mesures concrètes concernant la limitation du trafic automobile" ?

C. Lepage : Parce que le système juridique actuel est très délicat et la répartition des compétences n'est pas parfaitement claire. J'espère que la loi viendra mettre de l'ordre dans tout cela."

RMC : Quand 85 % des Français, d'après un sondage que vous avez fait faire, sont favorables à l'interdiction d'utiliser sa voiture en cas de forte pollution, cela vous donne du courage pour aller plus loin ?

C. Lepage : Tout à fait. J'ai franchement l'impression de travailler en plein accord avec ce que souhaite la population.

RMC : Il y a un problème qu'on n'a pas très bien compris, c'est qu'apparemment, le Sénat vous a proposé une somme tirée sur le budget de l'État, de 200 ou 300 millions, pour installer d'abord, en préalable à tout cela, la surveillance de la qualité de l'air. Et on a dit partout que vous aviez refusé cette enveloppe parce que vous teniez absolument à ce que les pollueurs soient les payeurs, c'est-à-dire que ce soit une taxe prise sur l'essence qui paye la qualité de l'air ?

C. Lepage : Cela fait partie des fausses informations destinées à décrédibiliser purement et simplement la loi. C'est inexact. Le projet du Gouvernement vise à faire payer les 200 millions par an nécessaires pour assurer le financement des réseaux, par une affectation de 0,4 centime de TIPP. C'est ce que nous avons proposé au Sénat. C'est-à-dire 0,4 centime par litre d'essence, ce qui fait environ 200 millions par an, et c'est ce qui nous permettra de financer les réseaux. Il y a un problème de formulation juridique, par conséquent le Sénat a légèrement modifié la formulation juridique mais le principe reste totalement inchangé et je n'y suis, évidemment, pas opposée. Quant aux bruits qui ont circulé sur le fait que l'en aurait proposé 300 millions que j'aurais refusés, c'est évidemment totalement infondé. Le Premier ministre a rendu un arbitrage de 200 millions et cet arbitrage n'a jamais bougé.

RMC : À votre avis, puisqu'apparemment, le Premier ministre vous soutient beaucoup sur l'affaire de la qualité de l'air...

C. Lepage : Tout à fait, il faut le souligner.

RMC : ... Quand cette loi sera-t-elle publiée en France, à l'automne prochain ?

C. Lepage : Je fais tout ce que je peux pour que ce soit le plus rapidement possible. Ce que je puis vous dire, c'est que le Premier ministre m'a donné des instructions très précises pour commencer, d'ores et déjà, à travailler sur les décrets d'application, de manière à ce que les choses puissent entrer en vigueur le plus rapidement possible.

RMC : Vous avez été à Istanbul la semaine dernière pour représenter la France au sommet des Grandes villes, quelle est la voix de la France dans un cénacle de ce genre ? Les grandes villes sont finalement le problème majeur de l'humanité ?

C. Lepage : C'est un problème absolument immense. Quand vous pensez que, d'ici une vingtaine d'années, les dix plus grandes villes du monde seront situées dans des pays en voie de développement et feront entre 20 et 30 millions d'habitants, on mesure l'ampleur du problème. C'est vrai qu'il faut être modeste, mais ça ne veut pas dire qu'il ne faille pas agir et je crois que la voix de la France a été très bien entendue, d'abord parce qu'avec mon collègue allemand, nous avons préparé un projet de déclaration franco-allemand, que nous avons soumis à nos collègues de l'Union européenne qui eux-mêmes l'ont, après l'avoir légèrement amendé, adopté.

RMC : Les déclarations ne règlent pas les problèmes ?

C. Lepage : Non, mais elles fixent bien les principes que l'on doit suivre. Principe sur le droit au logement, principe sur l'égalité homme-femme, principe sur la démocratie participative, principe sur le partenariat public-privé, réalisation de réseaux d'expérience, d'indicateurs de ville durables, etc. Ce sont des principes qui nous paraissent importants et dont nous souhaiterions qu'ils puissent devenir également les principes admis par les villes en développement.

RMC : Est-ce que la France est bien placée, avec ses problèmes de banlieues qui ne sont toujours pas réglés, pour donner des conseils aux pays en voie de développement qui ont des villes gigantesques ?

C. Lepage : Je ne crois pas qu'il s'agisse de donner des conseils, il s'agit d'échanger des expériences, de dire ce qui marche bien, de voir ce qui ne marche pas, d'apprendre aussi des autres. Et je veux ici souligner le travail tout à fait remarquable qui a été fait par les villes françaises elles-mêmes. À Istanbul, vous avez bien sûr l'État qui était présent, et que je représentais, mais vous aviez toutes les villes de France qui étaient présentes et vous avez également les organisations non-gouvernementales qui ont joué un rôle important.

RMC : Je lisais le discours que vous avez prononcé à l'ouverture de cette conférence. Vous avez rappelé le droit de vivre en sécurité dans son quartier, d'accéder aux équipements de première nécessité, de trouver un travail et de bénéficier de conditions de vie décentes. Est-ce qu'il y a une seule ville au monde qui assure tout ça ?

C. Lepage : Non, mais il faut y tendre. Cela me parait être les objectifs qui vont avec la dignité de la personne humaine, tout simplement.

RMC : Oui, mais personne n'a les moyens d'assurer la mise en place de ces principes dans les faits ?

C. Lepage : Il faut y tendre. Nous avons bien un droit au logement qui est un objectif de valeur constitutionnelle, je crois qu'il est important d'afficher des objectifs forts et puis ensuite d'essayer de se donner progressivement les moyens pour remplir ces objectifs.

RMC : Comme pour la qualité de l'air ?

C. Lepage : Comme pour la qualité de l'air, exactement.

 

(Manque l'interview sur Europe 1)