Déclaration de M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, sur la commercialisation des médicaments génériques et ses conséquences sur la maîtrise des dépenses de santé, Paris le 28 juin 1996.

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I. – L’industrie pharmaceutique mondiale est entrée dans une nouvelle phase de son histoire. Son évolution s’accélère selon des orientations perceptibles de longue date ; concentration, internationalisation, niveau technique de plus en plus exigeant entraînant des coûts croissants de recherche et de développement.

La concurrence mondiale est d’abord une concurrence par l’innovation. Les investissements de recherche seront de plus en plus lourdes, les délais de mise au point de nouveau médicament sans doute de plus en plus longs, et la rentabilisation de ces efforts exigera une présence sur le marché mondial. Il faudra pouvoir accéder simultanément aux consommateurs d’Europe, d’Amérique du Nord et du Japon, qui représentent à eux seuls 80 % du marché mondial.

On peut également relever, pour en craindre les effets néfastes à moyen terme, un transfert progressif de responsabilités des chercheurs et des professionnels de santé vers les financiers. Cette évolution affecte d’ores et déjà la France : des centres de recherche sont menacés, des usines à vendre, des emplois compromis.

II. – Or, comme dans tous les pays développés, l’assurance maladie rencontre des difficultés qui appellent une meilleure maîtrise des dépenses et notamment des dépenses de médicaments.

Nous avons entrepris de les traiter par une réforme ambitieuse qui impose à tous les acteurs de la santé, y compris bien sûr les industriels, de nouvelles règles du jeu. Mais en même temps, elle va consolider le financement de votre industrie en permettant de maintenir les remboursements à un niveau élevé pour solvabiliser la demande.

Dans ce contexte nouveau, le Gouvernement entend mettre en œuvre ses pouvoirs avec détermination, notamment en matière de remboursement, pour que puisse continuer à se développer sur notre sol une industrie pharmaceutique dynamique et innovante, dans le respect des règles européennes et des contraintes sévères qu’impose le rétablissement de l’équilibre financier de l’assurance maladie.

III. – Dans le monde contemporain, les normes qui s’appliquent à  l’industrie pharmaceutique s’internationalisent ou au moins s’européanisent, et l’on ne peut qu’e s’en réjouir. Le poids de l’Agence du médicament de Londres va aller grandissant. Les négociations quasi-planétaires pour dégager des normes internationales s’intensifient.

Dans ce contexte, la qualité des AMM délivrées en France, l’efficacité et le sérieux de nos procédures, gage de leur valeur internationale, seront plus que jamais des atouts pour les industriels et les chercheurs installés dans notre pays. L’Agence du médicament, dont la crédibilité est maintenant internationalement reconnue, joue un rôle déterminant en matière scientifique. Elle doit apporter une égale attention à l’émergence des innovations et au développement des génériques, dont il lui appartient tout particulièrement de garantir la qualité.

Le Gouvernement entend soutenir notre potentiel de recherche et de développement, bref d’innovation. La collaboration entre l’industrie privée et les institutions publiques de recherche – INSERM, CNRS, CEA notamment – pourrait être utilement renforcée à cette fin. En étroite liaison avec le ministère de la recherche, une réflexion se précise sur les mesures à prendre pour mieux valoriser la recherche publique.

La priorité à l’innovation ne s’impose pas seulement à vous ; elle s’impose aussi à la collectivité toute entière. Elle est en effet la condition du progrès thérapeutique et le moyen de répondre aux besoins sanitaires de demain. Le développement de la recherche pharmaceutique en France est le moyen de donner à nos compatriotes un accès plus rapide à l’innovation thérapeutique.

Le cadre juridique dans lequel ces recherches se développent a été profondément renouvelé au cours des dernières années : en 1988, avec la loi HURIET, et encore cette année avec les dispositions nouvelles de la loi votée en mai, qui conforteront le développement des thérapies géniques et cellulaires. Les garanties apportées par ces textes notamment en ce qui concerne le consentement et la sécurité sanitaire, constituent une condition indispensable pour favoriser les recherches.

IV. – Le Gouvernement entend aussi promouvoir le bon usage du médicament. Il sait pouvoir désormais compter à ce sujet sur le concours actif de l’industrie pharmaceutique, dont l’intérêt n’est plus aujourd’hui de « faire du volume ».

La formation initiale et continue des médias, et notamment des généralistes, à la prescription médicamenteuse doit être améliorée. Elle est aujourd’hui insuffisante.

L’information du corps médical sur l’arsenal thérapeutique disponible doit être complète, objective et immédiate. L’informatisation des cabinets médicaux ouvre de ce point de vue des possibilités nouvelles.

Le développement des références médicales opposables en matière de médicaments contribuera lui aussi à un meilleur usage des médicaments, en même temps qu’il permettra une meilleure maîtrise de la dépense : les 14 RMO portant sur le médicament en vigueur en 1994 ont permis dans l’année une économie de l’ordre de 300 millions de francs ;

Pour continuer à progresser vers un meilleur usage du médicament, il importe enfin de définir le rôle les uns et des autres et en particulier de situer les responsabilités du secteur public (dont les caisses d’assurance maladie sont naturellement une ces composantes) par rapport à celles, distinctes, des opérateurs privés.

V. – Le Gouvernement entend par ailleurs promouvoir la prescription la plus économique. C’est désormais une obligation morale pour les prescripteurs. Des propositions ont par ailleurs été faites par le Comité économique du médicament pour que les conditionnements des médicaments soient mieux adaptés aux nécessités thérapeutiques et pour que soit encouragée la prescription de génériques, dont la présence sur le marché français reste encore trop limitée. Leur développement constitue une priorité, notamment pour tous les rouages administratifs concernés, depuis l’Agence du médicament jusqu’au Comité économique du médicament. La qualité est un impératif sanitaire, et une condition du succès de toute politique du générique. Les copies d’un médicament princeps doivent répondre aux mêmes exigences de qualité, d’efficacité et de sécurité, qui sont les trois critères européens pour l’attribution des AMM. Aucune souplesse particulière ne serait justifiée sur ce plan, où la politique des génériques perdrait immédiatement toute crédibilité.

La définition des médicaments génériques que nous avons retenue dans l’ordonnance s’est voulue rigoureuse pur permettre de s’entourer de toutes les garanties sanitaires. Ainsi, deux médicaments ne sont reconnus génériques l’un de l’autre que si leur équivalence thérapeutique est totalement établie. Dès lors peut s’ouvrir le jeu normal d’une concurrence parfaitement transparence.

Ceci permet aussi d’aborder de façon sereine la question du rôle du pharmacien dans la délivrance du générique : elle sera donc traitée avec les professionnels, médecins, pharmaciens et industriels, dans le cadre des ateliers de l’officine qui viennent de s’ouvrir et se dérouleront jusqu’à la fin de l’année.

Il ne faut pas se le dissimuler : les temps qui viennent seront rudes pour l’industrie pharmaceutique française qui devra s’adapter au monde nouveau qui émerge. Aucune solution miracle ne peut la dispenser d’accentuer les efforts qu’elle a d’ores et déjà engagés à cette fin.

Il nous faudra faire des choix. Il n’est plus question d’accumuler les dépenses sans évaluation, et il faut s’assurer que les financements demandés à la collectivité servent au mieux les objectifs de santé publique.

Pour ce faire il faut œuvrer dans une étroite collaboration des acteurs impliqués, et en particulier en bonne intelligence avec les entreprises fabricant les produits ; Du côté de l’administration, les trois commissions, commission d’AMM, commission de la transparence, et comité économique devront bien coordonner leurs travaux.

La commission d’AMM devra mener à son terme la validation des quelques 6 000 visas accordés selon les anciennes procédures ce qui devra être fait avant la fin de la présente année. Mais elle devra aussi « revisiter » les autorisations délivrées à certaines spécialités réservées à l’hôpital, et qui pourraient être dispensées par les officines de villes.

La commission de la transparence sera au cœur de cette évolution. Dans le processus d’évaluation, cette commission est chargée d’émettre un avis sur l’intérêt d’un médicament en vue de son éventuelle inscription au remboursement. La publication de ces avis, sur la base du plan type qui sera repris dans le Bulletin officiel la semaine prochaine, permettra de rendre ce travail encore plus clair et perceptible. Nous en indiquerons dès lundi les orientations à ses nouveaux membres.

Le Comité économique du médicament, dont l’institutionnalisation a été décidée est l’interlocuteur unique de l’industrie pharmaceutique au plan économique. Dans le cadre des orientations que lui fixe le Gouvernement, il lui revient de conclure avec les laboratoires des conventions pluriannuelles, de fixer en concertation avec eux les prix des spécialités remboursables, de veiller dans les limites de la compétence au bon usage du médicament.

Sa composition qui devra faire une place à l’assurance maladie et ses modalités de fonctionnement seront prochainement confirmées par un décret en cours d’élaboration. Il préparera notamment avec le SNIP l’accord-cadre que le Gouvernement souhaite prochainement conclure avec l’industrie pharmaceutique pour fixer clairement les « règles du jeu » jusqu’à la fin du siècle.