Interview de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, à France-Inter le 3 mars 1999, sur le projet de loi relatif à la couverture maladie universelle.

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Média : France Inter

Texte intégral

France lnfo : Le conseil des ministres a donc adopté, ce matin, votre projet de couverture maladie universelle. Il permettra dans un an, à 150 000 exclus d’avoir accès au régime de base de la Sécurité sociale et, à six millions de personnes en situation précaire, d’avoir accès à un régime complémentaire. C’est une innovation aussi spectaculaire que le RMI ?

Martine Aubry : Oui, je crois que nous avons commencé, si je puis dire, la décennie par le RMI, et nous la terminons par la couverture maladie universelle. C’est tout simplement, renoncer d’accepter que, dans notre pays, une personne sur quatre renonce à se faire soigner pour des raisons financières et qu’on puisse mourir ou avoir une maladie grave parce qu’on n’a pas pu se soigner, parce qu’on n’avait pas d’argent ! C’est tout simplement ça que nous refusons. Et c’est ce que cette loi va changer.

France lnfo : Application à la fin de l’année, procédure d’urgence pour aller très vite ?

Martine Aubry : Pas d’urgence, non. Procédure normale, qui est déjà prévue d’ailleurs, avec les différentes lectures à l’Assemblée, mais qui sera votée au premier semestre. C’est le grand texte du premier semestre.

France lnfo : Pour l’accès des six millions de défavorisés à un régime complémentaire, est-ce que vous mettez – si on comprend bien – pour la première fois en concurrence le public et le privé, c’est-à-dire la Sécurité sociale et les assurances, et les mutuelles ? Ou est-ce que vous orientez les intéressés ?

Martine Aubry : Non, mais je crois qu’il faut que les choses soient extrêmement simples. D’abord, le régime de base, il y a 150 000 personnes aujourd’hui ; je pense à des jeunes en rupture de famille, à des femmes abandonnées par leur mari, alors qu’elles devraient avoir droit à cette assurance de base, et elles n’arrivent pas à l’avoir. Aujourd’hui, leur simple carte d’identité montrant qu’elles sont régulière sur le territoire, ayant un domicile, ou en étant affiliées par une association – si ce sont des sans domicile fixe –, donne droit à la Sécurité sociale. Donc, plus de difficultés, pas de recherche de preuves, etc.
Mais c’est insuffisant, car nous savons que, dans notre pays, il reste le ticket modérateur, aussi bien pour le médecin que pour les médicaments. Et il reste le forfait hospitalier, quand on va à l’hôpital. D’où cette couverture maladie universelle qui va permette, effectivement, à six millions de personnes d’avoir accès, en montrant simplement qu’ils sont en-dessous du barème – c’est-à-dire : 5 500 francs pour un célibataire, 5 250 pour un couple, 7 700 francs pour un couple avec deux enfants, par exemple –, de bénéficier de cette couverture maladie universelle. Ils auront la possibilité, comme tous les Français – et il n’y a aucun changement – de choisir entre une mutuelle, une institution de prévoyance et une société d’assurance.
Et je veux répondre, là, à votre question : aujourd’hui, dans les couvertures complémentaires que 84 % des Français ont, eh bien, pratiquement un tiers d’être eux sont dans une société d’assurance ; les deux autres tiers dans une mutuelle et une institution de prévoyance. Ces personnes pourront le choisir. Si elles ont du mal à choisir, étant donné leurs difficultés, ou si l’offre n’est pas suffisante dans le département, elles pourront demander à la caisse primaire d’assurance maladie d’effectuer ces remboursements.
Mais, je crois que ce qui est très important, surtout, pour toutes ces personnes, c’est la facilité des choses. C’est le fait qu’elles n’auront pas d’avance de frais à faire – puisque ce sera le tiers-payant – et que, munies de leur carte, elles pourront être soignées comme tous les autres Français, et dans les mêmes lieux.

France lnfo : Il faut avoir moins de 3 500 francs de revenus par mois pour bénéficier de cette couverture universelle. Qu’est-il prévu pour ceux qui gagnent juste quelques centaines de francs en plus – le seuil officiel de pauvreté étant de 3 800 francs – ?

Martine Aubry : Oui, il y a plusieurs seuils de pauvreté ; il y en a qui sont à 5 000, d’autres à 5 800, d’autres à 5 600, bon. Aujourd’hui, ceux qui étaient en-dessous du RMI – c’est-à-dire : 1,4 million personnes bénéficiaient, de manière obligatoire, de la gratuité des soins. Nous allons toucher non plus 1,4 millions, mais six millions de personnes. Alors, bien sûr, quand on fixe un seuil. Il y a toujours des difficultés. Mais, je tiens à vous dire que, puisque l’État va prendre ça en charge, en tout cas la solidarité nationale, eh bien, les communes, les départements qui, par leur action sociale, aidaient ceux qui n’étaient pas pris en charge – parce qu’ils n’étaient pas en-dessous du RMI –, eh bien, j’espère que ces fonds, qui vont être dégagés, pourront être utilisés pour ceux qui seront juste au-dessus du seuil et qui n’arriveraient pas à prendre, par exemple, une couverture complémentaire.

France lnfo : Donc, il y aurait une répartition des tâches. Or, M. Douste-Blazy, lui, vous reproche, en quelque sorte, d’étatiser ce qui est déjà réalisé au niveau des départements en tant qu’action sociale…

Martine Aubry : M. Douste-Blazy devrait se renseigner auprès de ses amis, présidents de conseils généraux, puisque l’association des présidents de conseils généraux nous a demandés ce transfert à l’État pour une raison extrêmement simple : c’est qu’il y avait des différences énormes entre les départements. Quand on est dans un département riche ou généreux – riche : je pense, par exemple à Paris ou les Hauts-de-Seine –, on avait l’aide médicale gratuite jusqu’à 4 000 francs ou 4 500 francs même parfois. Et, quand on était dans un département pauvre ou pas généreux, eh bien, on avait même du mal, en étant au RMI, à se faire soigner gratuitement Et je crois que c’est cette inégalité de traitement qui n’est pas acceptable. On n’a pas le droit de marchander la santé. Parce que c’est le droit à l’avenir bien évidemment, et parfois à la survie. Aussi, ce sont les départements eux-mêmes qui nous ont demandés, que l’État – c’est-à-dire : la solidarité nationale – prenne ceci en charge.

France lnfo : Le président du Medef, M. Seillière, regrette que, selon lui, on met, une fois de plus en place « une sorte de régime d’assistanat », dit-il, « plus favorable que le régime de travail ».

Martine Aubry : Oui, alors là, heureusement ce n’est pas le cas. Encore que M. Seillière a raison : il y a certaines branches où il n’y a pas de couverture complémentaire. Et puisqu’il soulève la question, j’espère qu’il va s’engager, avec ces branches, à négocier des régimes de couverture complémentaire pour les salariés qui, aujourd’hui, n’ont rien et qui sont encore assez nombreux. Et je suis ravie qu’il ait soulevé le problème. Pour le reste, dire que « c’est de l’assistanat », vous savez, comment peut-on monnayer la santé ? Comment peut-on dire que, aider les gens à se soigner, ou leurs enfants à se soigner, c’est aujourd’hui « de l’assistanat » ? Je crains que M. Seillière rencontre assez peu souvent des personnes qui arrivent, par exemple avec un cancer du foie éclaté, dans un hôpital au service d’urgence, c’est-à-dire à quelques jours de la mort, sans avoir vu aucun médecin, alors qu’elles sont gravement malades ! Ou de cette petite fille que j’ai connue dans le Nord, qui a eu une septicémie, parce que les bons que le précédent conseil général avait mis en place étaient épuisés, et que sa famille n’avait pas pu la faire soigner pour un abcès ! Voilà la réalité de notre pays et c’est cela qui doit changer !

France lnfo : Craignez-vous que les institutions patronales soient de plus en plus méfiantes à l’égard du système paritaire – de la CNAM, de l’assurance maladie –, au point qu’elles brandissent, ces temps-ci, la menace d’en partir et de mettre fin à ce paritarisme ?

Martine Aubry : Je crois qu’on ne gère pas les problèmes de relations dans un pays démocratique par le chantage. Ça fait au moins dix fois, depuis dix-huit mois, que le Medef nous annonce que, sous telle ou telle condition, il quittera la CNAM. Moi, je ne parle pas sous le chantage. Chacun a le droit d’avoir des opinions différentes. Discutons-en ! Si le Medef veut prendre cette décision, c’est sa responsabilité et il sait très bien ce que ça signifie. C’est-à-dire que les cotisations payées par les entreprises ne seront plus gérées par ses représentants. C’est son problème. Moi, je suis prête à discuter, mais pas sous forme de chantage. Je crois que ce n’est pas comme ça qu’on règle les problèmes. J’accepte très bien qu’on soit en désaccord avec moi, mais je préfère qu’on essaie de trouver des solutions plutôt que de brandir des menaces.