Texte intégral
France 2 - 7 Janvier 1999
Question
Que pensez-vous de l’intervention de Lionel Jospin dans Le Monde ? Vous êtes d’accord sur tout ?
J.- L. Benhamias
« On n’est pas d’accord sur tout. Mais c’est une intervention équilibrée de Lionel Jospin. Quelques bonnes réponses, et même excellentes sur la défense – la continuité de la défense -, sur les retraites par répartition. Ce n’est pas rien en France. C’est même quelque chose d’important. Un rappel aussi important, c’est que Lionel Jospin demande que les projets de loi qui sont présentés au Parlement soient beaucoup plus discutés en amont, notamment dans la majorité plurielle. Je trouve que c’est une bonne chose. L’autre sujet, sur lequel Lionel Jospin insiste beaucoup, c’est la sécurité publique. »
Question
C’est le retour d’une sorte de sécurité ?
J.- L. Benhamias
« Il n’y a jamais eu d’absence de sévérité. Le débat sur la sécurité publique est un débat fondamental. L’ensemble des résidents français ou des résidents étrangers vivant en France ont droit à une sécurité totale. Je crois que là où le débat est un peu faussé, c’est qu’on ne peut pas mélanger à la fois les phénomènes de délinquance – de grande délinquance ou de petite délinquance – au niveau adulte, et les phénomènes de délinquance au niveau jeune, notamment au niveau des 10, 11 et 12 ans. Et quand on fait appel à la responsabilité, comme le fait Lionel Jospin, on ne peut pas mélanger non plus. Il faut que la France, la République française, la démocratie française trouvent des réponses particulières par rapport aux 10, 11 et 12 ans. Le fait d’en appeler à la responsabilité des parents ne suffit pas. Quand des gamins de 10, 11 et 12 ans sont dans la rue passées dix ou onze heures du soir, c’est que la responsabilité parentale n’existe plus. Eh bien, je crois que c’est à la République française de prendre en charge ces enfants, avec l’accord évidemment des autorités parentales. Je pense qu’il faut créer en France ce qu’on pourrait appeler des maisons de citoyenneté, qui seraient des maisons d’accueil dans le lieu même où vivent ces différents enfants qui peuvent tomber dans une délinquance de plus en plus difficile et de plus en plus dure. C’est la notion même de République qui est à revoir, et les notions mêmes de droit et de devoir. Je crois que ces jeunes-là ne savent mêmes plus qu’ils ont des droits et ils se demandent même pourquoi ils auraient des devoirs. »
Question
On a parlé de maison de redressement, mais le terme n’est peut-être pas approprié.
J.- L. Benhamias
« Tout à fait inapproprié. Je parle de maison de citoyenneté. C'est-à-dire qu’on est dans une requalification de la citoyenneté dès le plus jeune âge. Il faut croire que, pour un certain nombre de jeunes, le milieu scolaire, le centre scolaire de l’éducation nationale ne joue plus son rôle. On voit bien d’ailleurs les débats difficiles sur la rénovation de l’Education nationale. Je crois que là, on a besoin de repartir sur la notion citoyenne de droits et de devoirs. »
Question
Sur la forme, vous avez le sentiment que l’interview du Premier ministre est une interview de candidat à la présidentielle, pourquoi pas à des présidentielles anticipées ?
J.- L. Benhamias
« Il ne faut pas se cacher. Il est clair que, de plus en plus, que ce soit le Président de la République ou Lionel Jospin, ils répondent toujours en futurs présidentiables. Une des réponses notamment à une question qui nous intéresse beaucoup, nous les Verts, sur le cumul des mandats. Lionel Jospin répond : je verrai ça dans un futur et dans une autre institution, dans un autre moment de la République française. Je ne vois pas autrement que la présidentielle future à laquelle il compte se présenter. »
Question
La campagne des européennes : Daniel Cohn-Bendit a donné une interview à Libération. Est-ce que vous êtes capable de nous expliquer ce qu’est le « libéralisme libertaire » ?
J.- L. Benhamias
« Je le dirais en d’autres termes. C’est ce qu’on appelle chez les Verts, le “réformisme libertaire“. “Réformisme“, parce que nous sommes pour des réformes, pour qu’il y ait des transformations réelles dans la société. Je crois que c’est possible, je pense que les Verts le montrent et la majorité plurielle aussi dans son ensemble. Quant au terme “libertaire“, c’est un terme qui met phase à la fois une aspiration de transformation collective de la société, tout en laissant une grande place, une large place à chaque individu. »
Question
En tant que directeur de campagne, comment gère-t-on un individu comme Cohn-Bendit ?
J.- L. Benhamias
« On ne gère pas un individu comme Cohn-Bendit. On le laisse vivre et puis on discute largement, en amont ou en aval, pour dire ce que nous pensons de cela, et ce que lui peut en penser. On échange. Il ne s’agit pas, quand on a une bête de scène comme Daniel Cohn-Bendit, de le contrôler et de la maîtriser. Il faut lui laisser toute sa vie, sa vie publique et son franc-parler tel qu’il l’a. C’est une de ses grandes forces. C’est beaucoup plus simple qu’on ne pourrait le croire. Plus difficile est à gérer, ce qu’on appelle en terme marketing, le plan média. L’ensemble des médias se l’arrache. Dans ce cadre, la difficulté est de répondre non. Parce qu’il ne va pas passer sur toutes les chaînes en même temps ou sur tous les médias en même temps. Vous avez vu quand un certain nombre de news – du Nouvel Observateur, Marianne à l’Evénement du Jeudi – avaient fait la une en même temps avec Daniel Cohn-Bendit, on se demandait bien pourquoi L’Express et Le Point ne l’avaient pas fait aussi. »
Question
Vous n’avez pas le sentiment que la campagne a commencé un peu trop tôt ?
J.- L. Benhamias
« Vous savez, nos instances sont ce qu’elles sont, chez les Verts. Le congrès annuel des Verts, qui se tient tous les deux ans, était en novembre. Il fallait bien élire la tête de liste. C’est ce que nous avons fait de manière tout à fait démocratique chez les Verts. Daniel Cohn-Bendit, ça fait 30 ans qu’il tient, six mois de plus ou six mois de moins, il va y arriver, ne vous en faites pas ! Ce n’est pas lui qui sera fatigué. Je ne parle pas de l’équipe de campagne qui, à terme, sera peut-être un peu plus fatiguée fin juin. Mais si on est fatigué le 13 juin et qu’on réussit un score au-delà des 8 % - c’est ce que nous voulons – la fatigue disparaîtra très vite. »
Question
Et ce sera un score des Verts ou de Daniel Cohn-Bendit ?
J.- L. Benhamias
« Ce sera un score des Verts amélioré par Daniel Cohn-Bendit. Vous savez, les Verts aux dernières cantonales et régionales ont fait en moyenne 7 %. Eh bien, le petit plus ce sera Dany ! »
RMC – mardi 26 janvier 1999
Question
L’affaire fait la une des journaux en Allemagne et en France, ce matin : le chancelier allemand a donc reporté le projet qui prévoyait d’interdire le retraitement des déchets pour le 1er janvier 2000. Est-ce qu’à votre avis, il y a une menace de crise en Allemagne entre les Verts, vos amis Verts allemands, et le gouvernement allemand ?
J.- L. Benhamias
« Je ne le crois pas. Ce report est un report de trois semaines. Moi, je signe tout de suite, au nom des Verts français, des accords de ce genre où on me dirait qu’on sortirait du nucléaire non pas en dix ans ou onze ans mais en dix ans ou onze ans et trois mois. Pas de problème. Non, je pense que là, il y a une question de rapport de force qui se pose là-bas, comme ici. »
Question
Derrière les trois semaines, il y a probablement un petit message ?
J.- L. Benhamias
« Des négociations économiques entre la France et l’Allemagne pour se mettre d’accord sur les compensations, compensations directes ou compensations indirectes. »
Question
Vous pensez qu’il faut des compensations, vous chez les Verts ?
J.- L. Benhamias
« Je pense que c’est discutable. Je pense qu’on doit arriver à un compromis. La France et l’Allemagne ont suffisamment d’échanges économiques pour arriver à un compromis. »
Question
Alors, c’est un coup de canif, c’est un bras de fer ?
J.- L. Benhamias
« Petit bars de fer entre un ministre de l’Environnement qui veut dire que sa place est bien là, et ce que ce qui a été décidé dans un accord Grünen-sociaux démocrates allemands, est un vrai accord, vraiment signé, et puis une présidence allemande de l’Europe qui dit : attention, il faut qu’avec nos partenaires anglais et français, on soit un peu plus d’accord. »
Question
Un mot, parce que j’imagine que vous connaissez le ministre allemand de l’Environnement, M. Trittin.
J.- L. Benhamias
« Oui. »
Question
Est-ce un Vert intégriste comme certains le disent ou bien est-ce que c’est un monsieur qui connaît le compromis obligatoire ?
J.- L. Benhamias
« Non, les gens disent fondamentaliste, réaliste. Non, il n’est ni fondamentaliste, ni réaliste. Il fait partie, dans les courants Verts, au niveau allemand, de la gauche des Verts si vous voulez. Mais ni intégriste ni fondamentaliste. C’est un garçon qui sait ce qu’il fait. »
Question
Donc, c’est un peu comme en France : en Allemagne, les Verts ne sont pas assez écoutés ?
J.- L. Benhamias
« Non, non, je crois qu’ils sont assez écoutés. Il y a un accord qui a été signé. M. Trittin, ministre de l’Environnement, veut que ça aille vite et dit : voilà, on va le faire. M. Schröder dit : attendez, j’ai d’autres parcours à faire. J’entends discuter avec mes collègues français et anglais, notamment M. Blair et M. Jospin. Ce n’est pas si simple. Trois semaines de retard, ce n’est rien du tout. »
Question
Qu’est-ce qui se passe en France dans le camp de la majorité plurielle qui est ensemble au Gouvernement, entre votre candidat tête de liste, Daniel Cohn-Bendit, et le ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, qui est le chef d’une autre branche de la gauche plurielle – le Mouvement des citoyens – parce que tous les jours, des « amabilités » sont échangées ? Est-ce que ça peut durer ?
J.- L. Benhamias
« Non, ça ne peut pas durer comme cela. Il faut que les choses s’arrangent, il faut que la discussion reprenne sérieusement, sereinement. Il y a des débats de fond où vraiment les Verts et le Mouvement des citoyens, c'est-à-dire M. Cohn-Bendit, Mme Voynet ou M. Chevènement, ne sont pas d’accord. On les connaît. Je veux dire, sur l’ensemble de situations, nous ne sommes pas d’accord. Il faut que le ton baisse sérieusement. On ne peut pas continuer comme ça. M. Chevènement en a rajouté sérieusement. Je pense que, du côté des Verts, il faut qu’on arrive maintenant à être aussi pragmatiques et dire : bon, voilà, les choses sont dites. Il faut cesser. »
Question
Qui va dire le halte au feu alors ?
J.- L. Benhamias
« Mais je le dis, je le dis régulièrement. Je crois que Daniel Cohn-Bendit a essayé, en proposant un repas à M. Chevènement. »
Question
Vous avez vu la réponse ?
J.- L. Benhamias
« Mais oui, bien sûr, j’entends bien… »
Question
« Je choisis mes commensaux. » C’est presqu’une…
J.- L. Benhamias
« Ce n’est pas très gentil. Ceci dit, sur le fait, effectivement chacun mange avec qui il veut. Alors, on ne fera pas un repas, un petit déjeuner, je ne sais pas ou une simple rencontre de discussions. Je crois qu’il y a des divergences qui existent entre Daniel Cohn-Bendit et M. Chevènement. Mais il n’y a pas que des divergences. Je pense qu’on peut arriver à discuter sur un certain nombre de choses. »
Question
Ils sont d’accord sur quoi ?
J.- L. Benhamias
« Citoyenneté, République, démocratie. Pas sur l’Europe, ça c’est sûr et certain. »
Question
Mais pas simplement sur l’Europe, sur la sécurité, sur les sans-papiers.
J.- L. Benhamias
« Sur les sans-papiers, c’est autre chose. Mais sur la sécurité et sur l’immigration, on peut discuter sérieusement. Sur le co-développement, sur les rapports Nord-Sud, sur tout cela on peut discuter sérieusement. Je ne pense pas qu’on n’ait que des points de divergence. »
Question
Est-ce que par exemple, le problème qui est le problème de fond, puisque demain il y aura un Conseil national de sécurité regroupant tous les ministres, est-ce que sur ce point-là, de ce qu’a dit M. Chevènement, est-ce que vous considérez chez les Verts que c’est convenable, que sous réserve de quelques modifications, c’est acceptable, que le cap est possible ?
J.- L. Benhamias
« Pour ce qu’a dit le Gouvernement, il y a des choses qui sont tout à fait acceptables. »
Question
Le Gouvernement, c’est qui ? Ce n’est pas M. Chevènement ?
J.- L. Benhamias
« Non, c’est M. Jospin. La façon dont il l’a dit sur une grande chaîne privée, dont il l’a exprimé. Parce que sinon, ce qui n’est pas acceptable, c’est de dire : on va supprimer telle partie de l’allocation familiale par rapport à un enfant délinquant dans une famille. Donc, on va supprimer des fonds à une famille qui est déjà en extrême pauvreté, ce qui est le sujet principal de la délinquance, l’idée principale. A ce niveau-là, ce n’est pas possible. Pour le reste, qu’on s’occupe réellement de la sécurité de nos concitoyens, et qu’on réponde, là, au quotidien par rapport à cette sécurité, est une demande qui est tout à fait logique et qui va dans le bon sens. Maintenant, il ne faut pas uniquement crier sécurité, sécurité. Il faut que ce soit extrêmement visible, ce qui veut dire qu’on doit arriver vers un redressement réel de ce qu’on appelle les droits et devoirs, notamment la compréhension des droits et devoirs par les jeunes de nos différentes cités. »
Question
Est-ce que vous ne craignez pas que pendant que la campagne – évidemment dans chaque campagne, chaque parti essaye de faire le maximum de voix – qu’il y ait une surenchère, que la gauche plurielle apparaisse bien divisée ?
J.- L. Benhamias
« Le grand risque et c’est pour l’ensemble de la classe politique, c’est trop de divisions. Mais vous savez, au niveau de la majorité plurielle, pour l’instant, avant qu’elle soit aussi divisée que la droite dite démocratique et que, aujourd’hui et heureusement l’extrême droite, il y aura encore beaucoup de chemin à faire. Je crois qu’on peut s’arrêter là en disant clairement : discutons. Ce n’est pas pour rien que les Verts demandent régulièrement des réunions de la majorité plurielle, entre les différents partenaires. Faire le point sur les situations, se mettre d’accord ou voir quels sont les points de divergence. On devait faire un grand débat sur l’Europe ensemble : PS, PC, Verts et les autres partis de la majorité plurielle. Puis on attend toujours. Nous sommes prêts, nous les Verts, à rencontrer de manière multilatérale, c'est-à-dire l’ensemble des partenaires quand on le veut. Je pense que c’est très utile et excellent pour la majorité plurielle. »
Question
Vous proposez un armistice ce matin à M. Chevènement ?
J.- L. Benhamias
« Oh un armistice, oui. Mais enfin, ce n’est pas comme cela que je le dirais. Je pense qu’on peut discuter ensemble de beaucoup de choses, et qu’on peut se mettre d’accord. »
Question
Sur un ton courtois.
J.- L. Benhamias
« Sur un ton courtois et aimable. »
Question
Il y a une pomme de discorde entre le PS et vous : c’est l’affaire du mode de scrutin. Est-ce que M. Jospin vous avait promis qu’on modifierait le mode du scrutin en France ?
J.- L. Benhamias
« C’est plus que promis. Donc, ce n’est pas une pomme de discorde, c’est une pomme d’accord, puisque nous avons signé ensemble, en avril 97, avant les législatives de 1997, et donc l’arrivée de la majorité plurielle au pouvoir, un accord entre les Verts français et le PS français qui stipulait, noir sur blanc, une dose de proportionnelle aux élections législatives. »
Question
Cela ne se fait pas. On n’en parle plus.
J.- L. Benhamias
« Nous, nous en parlons et on en reparlera. On en parle aussi avec M. Hollande, premier secrétaire du PS, qu’avec les autres partenaires de la majorité plurielle. Le PC est d’accord. »
Question
Qu’est-ce qu’ils vous répondent ?
J.- L. Benhamias
« Pour l’instant, il y a beaucoup de choses qui se sont passées. On a déjà changé de mode de scrutin – il était temps – pour les élections régionales. C’est fait. Passons à un autre mode de scrutin. On ne peut pas, en France, comme dans beaucoup d’autres pays européens, avoir un scrutin du style d’aujourd’hui qui est un scrutin de type uniquement majoritaire. On peut arriver à des scrutins qui mixent un scrutin majoritaire et un scrutin proportionnel, qui affirment de vraies majorités, sans qu’il y ait des problèmes, c’est faisable, mais qui permettent à l’ensemble des partenaires, qu’ils soient de la droite démocratique ou de la gauche démocratique ou écologiste, d’exister dans le paysage politique. »
Question
Quelle est la bonne dose ?
J.- L. Benhamias
« La bonne dose : 450 députés ou 400 députés au scrutin majoritaire, 100, 150 ou 170 députés au scrutin proportionnel. »
Question
Et quelle est la bonne date pour cela ?
J.- L. Benhamias
« Je pense qu’il faut se mettre d’accord avant juin 1999, parce qu’après cela, on serait trop près des prochaines élections législatives. »
Question
Et votre petit doigt vous dit que cela se fera ?
J.- L. Benhamias
« En tout cas, on va beaucoup y insister. Et je pense que, pour une bonne logique, encore une fois, une bonne convivialité dans la majorité plurielle, ce serait une excellente chose. »
Question
Et si le PS refusait ?
J.- L. Benhamias
« Cela poserait de larges problèmes de vie et d’indépendance des différents partenaires dans la majorité plurielle. »
Question
C’est un motif de rupture ?
J.- L. Benhamias
« Oh, un motif de rupture, je n’irais pas jusque là, mais ce serait un motif de très fort mécontentement. »