Déclaration de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, sur les missions des commissaires de police, en particulier dans les quartiers "difficiles", et sur les mesures prévues pour l'amélioration des conditions de vie et de travail dans la police, à Saint-Cyr-au-Mont-d'Or le 23 juin 1997.

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Circonstance : Cérémonie de sortie de la 47ème promotion des commissaires de police, à Saint-Cyr-au-Mont-d'Or le 23 juin 1997

Texte intégral

L’écharpe tricolore que vous recevez aujourd’hui est le symbole de votre autorité en tant que magistrats de l’ordre administratif aussi bien que judiciaire. Elle est aussi le symbole de votre devoir. Vous devez exercer vos fonctions dans l’intérêt public, au service des citoyens.

Comme l’a dit le Premier ministre « la sécurité est un devoir primordial de l’Etat car la sécurité, garante des libertés, est un droit fondamental de la personne humaine ». 

Lorsque des quartiers délaissés deviennent des zones de non-droit, l’égalité est bafouée. Leurs habitants cessent d’être des citoyens à part entière. Il n’y a pas sur notre territoire de cité interdite. Loin de renoncer devant les difficultés que présentent ces quartiers trop longtemps abandonnés à eux-mêmes, vous aurez, comme représentants de la loi, à y consacrer le meilleur de vous-mêmes. Nos concitoyens les plus modestes attendent de l’Etat la protection et la sûreté qui les rendent vraiment libres et égaux en droit.

C’est en pensant aux victimes que vous devrez déterminer votre action. Vous le devez d’autant plus que la lutte pour la sécurité est aussi un enjeu pour l’égalité qui est au cœur de l’ambition républicaine. Vous savez que ce sont d’abord les plus faibles qui sont les plus victimes de l’insécurité. La perspective d’une France à deux vitesses en matière de sécurité, celle de quartiers aisés dans lesquels la sécurité serait assurée et celle de quartiers défavorisés qui seraient privés de la protection de l’autorité publique n’est pas tolérable.

Naturellement cette situation dégradée trouve ses racines dans une société à deux vitesses dont une République digne de ce nom ne saurait s’accommoder.

Le chômage, la désespérance, l’affaissement des repères, chez certains jeunes, trop souvent abandonnés à eux-mêmes, les difficultés des familles, minent l’esprit public. Les conséquences de cet affaissement du contrat social s’appellent incivilité, délinquance, violence, usage de la drogue. La police nationale est à l’avant-garde de ce combat contre la décomposition sociale. Elle ne peut certes résoudre à elle seule tous les maux, parce qu’elle intervient souvent quand tout a échoué. Ce qu’on appelle « le problème des banlieues » est la claire manifestation des carences de notre République : on a trop souvent laissé se créer de véritables ghettos sociaux. A des jeunes qui se sentent discriminés, on ne s’est pas assez adressé comme aux citoyens qu’ils sont ou qu’ils doivent devenir. C’est là un immense travail qui dépasse nos seules forces. N’oubliez pas, cependant, que dans les quartiers difficiles, vous êtes plus que des « gardiens de la paix ». Vous êtes aussi d’une certaine manière, les « hussards de la République ». L’action de prévention et de répression de la police nationale réussira en s’inscrivant dans une perspective plus vaste, celle d’une refondation républicaine de la France, où le civisme, la citoyenneté reprendront sens. La lutte contre l’incivilité est d'abord de la responsabilité de l’école et des parents auxquels il faudra rappeler leurs devoirs. L’intégration de tous à la nation suppose cependant que ce repère stable qu’est l’autorité publique soit respecté. Comptez sur moi pour rappeler à tous le respect, donc, et la considération qui vous sont dus. Ceux qui, avec dévouement et abnégation, assurent à chacun la protection des lois peuvent compter sur ma sollicitude.

Le gouvernement auquel j’appartiens entend, comme l’a indiqué le Premier ministre à l’Assemblée nationale dans sa déclaration de politique générale, exercer toutes ses responsabilités, sans aucune faiblesse, avec une totale détermination. Il a l’ambition résolue de faire reculer la criminalité en même temps que le sentiment d’insécurité.

C’est là un chantier majeur, qui concerne, bien sûr, tout le gouvernement, mais dans lequel m’incombe une responsabilité particulière. Je l’assumerai pleinement, tout en sachant que l’effort ne portera ses fruits que dans la durée. Au moment où je prends mes fonctions, j’entends respecter et faire respecter le principe énoncé par l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique ; cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ».

Ce principe essentiel de l’Etat républicain s’applique, cela va sans dire, à la police nationale. Mais c’est la responsabilité de l’Etat de faire en sorte qu’il s’applique aussi aux polices municipales et aux sociétés privées qui interviennent dans le domaine de la sécurité. Comptez sur moi pour y veiller.

Mesdames et messieurs les commissaires, dans le difficile métier qui va être le vôtre, je vous demande un engagement total et déterminé, comme celui qu’a su faire, au service de la France, André Malraux, dont vous avez choisi le nom pour éponyme de votre promotion.

Cet engagement doit recouvrir tous les aspects des missions de police, qu’il s’agisse de lutter contre le terrorisme, qui a pour autre but d’affaiblir et de dissoudre le lien social qui fonde la République, de faire face à la criminalité organisée, ou de garantir la tranquillité et la sûreté à nos concitoyens dans leur vie quotidienne.

Il doit aussi être personnel. La fonction de commissaire de police est exigeante. Elle requiert une grande disponibilité et aussi une éthique. Le commissaire de police doit être exemplaire, car il a la charge de faire respecter la loi. Son comportement doit être l’illustration des vertus républicaines. A cet égard, j’attends beaucoup de vous dans deux domaines, celui du respect de la déontologie et celui de la modernisation des relations hiérarchiques. Vous devez y veiller avec une particulière attention, dans votre propre pratique comme dans celle de vos futurs collaborateurs.

Le respect de la déontologie est impératif dans un Etat de droit. Le fonctionnaire de police, dépositaire d’une parcelle de l’autorité de l’Etat, doit lui-même être irréprochable. C’est la condition d’un lien renforcé, confiant, avec la population.

La modernisation des relations hiérarchiques, quant à elle, est nécessaire au bon fonctionnement de la police nationale. On ne commande plus aujourd’hui comme autrefois. Exercer complètement ses responsabilités, assumer les ordres donnés, c’est expliquer, c’est écouter, c’est former, c’est associer aux orientations prises. Vous devrez y veiller. C’est plus difficile mais aussi plus exaltant. C’est un beau défi. Vous vous honorerez en le relevant. Et ce sera aussi un gage d’efficacité accrue.

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Les missions prioritaires de la police nationale sont de protéger notre démocratie des menaces du terrorisme, d’améliorer la sécurité notamment dans les quartiers défavorisés, de protéger notre jeunesse, et particulièrement en enrayant la montée de la délinquance des mineurs.

Pour y parvenir, il convient d’abord de recentrer les activités de la police sur ses fonctions essentielles.

Cela suppose la clarification des missions, une meilleure coordination entre les services de police, une plus grande complémentarité avec la gendarmerie nationale, et enfin une coopération renforcée avec l’institution judiciaire et avec les autres acteurs de la sécurité.

Nous devons aussi développer toujours plus une véritable sécurité de proximité, c’est-à-dire une police disponible, soucieuse de répondre aux préoccupations de nos concitoyens. Ce grand service public doit être véritablement au service des citoyens et développer avec eux des relations de confiance et de respect réciproques.

L’accueil doit faire l’objet de toute votre attention, la présence sur la voie publique doit être accrue, la prévention et la répression exercées avec discernement certes, mais sans faiblesse. Tout cela demande de grandes qualités.

Le sentiment d’une sécurité retrouvée par nos concitoyens est aussi à ce prix. Il sera l’indicateur de notre succès, même si ce résultat procédera aussi, nous le savons bien, d’un effort résolu mais s’inscrivant dans la durée, en matière de cohésion sociale et de morale civique.

Nul n’est plus conscient que moi-même de la nécessité de donner aux policiers la considération et la place qui leur reviennent dans la nation. Appuyée sur une politique de formation ambitieuse dans laquelle j’entends m’investir, l’organisation des carrières dans la police doit être le révélateur des talents et permettre l’aboutissement des aspirations de chacun.

L’octroi de la qualification d’OPJ aux fonctionnaires du corps de maîtrise et d’application, l’accélération de la déconcentration de la gestion de la police, la relance du dialogue social permettront, j’en suis sûr, de nouvelles avancées.

Je serai attentif aux conditions de vie et de travail dans la police : une action sociale forte devra renforcer la cohésion et les capacités d’actions des services.

Pour tout cela la police devra recevoir les moyens de ses missions, moyens en personnels, moyens techniques et scientifiques, moyens financiers. Soyez sûrs que je me battrai pour les obtenir, car depuis mon arrivée au ministère de l’Intérieur, j’ai déjà pu constater des insuffisances certaines.

Mesdames et messieurs les commissaires, ce qui donnera en définitive du sens à vos efforts, c’est le service de la République. Nous n’atteindrons nos buts que si, dans l’immense majorité de la population, dès l’enfance, dès l’adolescence, naît et vit durablement un profond sentiment d’attachement aux valeurs de la République, le respect de la chose publique, le sens de l’intérêt général, bref une adhésion pleine à une citoyenneté active et responsable, ensemble indissociable de droits et de devoirs. C’est le rôle de l’éducation civique que je m’étais efforcé en 1985 de réintroduire à l’école, mais qui, faute d’une impulsion forte et continue, a été délaissée et dont l’horaire a même été réduit de moitié.


L’impulsion forte donnée par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale va permettre - j’en suis sûr - de mobiliser le pays, car cette initiative est massivement approuvée par l’opinion. L’éducation civique doit reprendre ou prendre toute sa place de l’école primaire à l’université. Notre pays a besoin de cette morale civique que le Premier ministre s’est engagé à faire enseigner à nos enfants, mais vous êtes bien placés pour savoir qu’il faudrait aussi en rappeler les principes aux parents.

Dans votre tâche, vous trouverez à vos côtés les autres institutions républicaines et d’abord la justice avec laquelle des liens étroits et confiants doivent être établis, dans le respect des compétences de chacun mais surtout dans la conscience de servir le même projet : la sûreté et la liberté des citoyens.

Vous trouverez à vos côtés les élus locaux, les administrations, les associations, qui doivent mieux comprendre, et à qui vous chercherez donc à mieux faire comprendre, les missions de la police, et dont vous rechercherez aussi à tout moment la coopération. 

La police n’a pas à se substituer aux éducateurs ou aux travailleurs sociaux. Elle doit assumer pleinement et sans état d’âme son rôle qui est de prévenir la délinquance et de déférer les délinquants à la justice.

Mais son rôle et votre action s’éclaireront à la lumière du projet commun qui nous anime, celui d’une refondation républicaine et civique de la France.

Mesdames et messieurs les commissaires ce n’est pas la voie de la facilité que vous avez choisie. Cet engagement exigera de vous beaucoup de dévouement et même d’abnégation. Mais c’est un métier d’une grande noblesse. Une mission dont l’exercice correspond à une des premières attentes de nos concitoyens. Le gouvernement considère qu’il a aussi un devoir face à cette attente, un devoir prioritaire. Et ce devoir, il le remplira.

A vous, commissaires de la 47e promotion, à ceux qui vous ont précédés, à tous les policiers de France, je demande avec confiance - car je sais leur professionnalisme, et je sais leur dévouement - de faire en sorte qu’ensemble, et pour ce qui nous concerne, nous soyons à la hauteur de ce défi républicain.