Interviews de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe parlementaire PS à l'Assemblée nationale, à RTL le 6 juin, RMC le 3 juillet et dans "La Tribune" le 23 juillet 1997, sur les critiques des députés socialistes vis-à-vis des premières mesures du gouvernement, notamment sur l'augmentation de l'impôt sur les bénéfices, la privatisation de France Télécom qui "reste un service public", les zones franches.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - Emission L'Invité de RTL - La Tribune - RMC - RTL

Texte intégral

RTL : Vendredi 6 juin 1997

O. Mazerolle : Les premiers pas de la cohabitation, hier, vous ont semblé encourageants ?

J.-M. Ayrault : Tout à fait. Je crois que c’est digne et sérieux, rapide, avec beaucoup de signes qui montrent que les engagements vont dans la bonne direction, vont être tenus.

O. Mazerolle : Vous êtes en route pour cinq ans ?

J.-M. Ayrault : C’est le mandat qui nous a été confié par les Français.

O. Mazerolle : Vous seriez déçu que le Premier ministre n’accompagne pas le Président de la République dans chacun des rendez-vous internationaux ?

J.-M. Ayrault : Je pense que ça sera une question d’intérêt, d’utilité. Lorsque ce sera nécessaire, le Premier ministre accompagnera le Président de la République, parce qu’il y a des décisions qui concernent le Gouvernement, qui concernent aussi l’Assemblée nationale, parce que nous voulons le budget et les lois. Donc, je crois que cela devrait bien se passer.

O. Mazerolle : Notamment pour les rendez-vous européens ?

J.-M. Ayrault : La France parlera d’une seule voix et le peuple vient de parler. Je pense que cette voix sera entendue à tous les niveaux.

O. Mazerolle : Mais vaut-il mieux qu’ils soient présents tous les deux dans les rendez-vous européens ?

J.-M. Ayrault : Cela me paraît utile, en tout cas.

O. Mazerolle : Vous êtes président de groupe, élu hier soir par acclamation. C’est bien. Vous avez parlé, dans votre première allocution, de devoir et notamment de devoir à l’égard du Premier ministre. Cela veut dire que les 243 députés socialistes sont invités à être muets ou obéissants ?

J.-M. Ayrault : Pas du tout. Ni godillot, ni contre-pouvoir. Le groupe parlementaire jouera son rôle dans un esprit de solidarité et de confiance. Confiance dans le Premier ministre et solidarité avec lui, parce que sa tâche va être difficile, nous le savons – la situation économique, la situation sociale, les grands dossiers européens – et puis solidarité aussi avec le Parti socialiste et puis, aussi, surtout, devoir vis-à-vis de nos concitoyens qui nous ont confié une responsabilité. Donc ça nécessite, évidemment, qu’on travaille main dans la main avec tous ceux qui vont exercer les responsabilités gouvernementales, mais en même temps en donnant notre sentiment, en apportant notre expérience, nos idées, et en travaillant à la mise en œuvre des propositions qui ont été faites devant les Français.

O. Mazerolle : Vous avez 47 ans. Vous n’êtes pas un gamin, mais vous n’êtes pas tout à fait âgé. Quand vous rencontrez les éléphants du Parti socialiste, qui n’ont pas de poste de ministre, comme J. Lang, Quilès et d’autres, vous arrivez à leur remonter le moral ?

J.-M. Ayrault : Je ne pense pas qu’ils soient démoralisés. Qui aurait pu penser, il y a un peu plus d’un mois, que nous serions ici, dans ce studio, pour parler du gouvernement socialiste, de gauche, avec cette coalition où toutes les sensibilités de la gauche sont réunies ? Personne, donc ils sont satisfaits que nous ayons gagné. Surtout, je vais vous dire : nous avons besoin de tous les talents. En même temps, c’est une nouvelle étape, donc qui dit nouvelle étape dit nouvelles têtes, nouveaux responsables, rajeunissement et aussi des femmes en plus grand nombre. C’est ce que les Français attendent mais je suis convaincu que des talents comme ceux de P. Quilès ou de J. Lang s’épanouiront, notamment à l’Assemblée nationale.

O. Mazerolle : Avec des présidences de commission ?

J.-M. Ayrault : Pas seulement ça. Je crois qu’il va y avoir un travail parlementaire énorme. Nous avons fait beaucoup de propositions sur le plan économique, social, sur le plan de la modernisation de la vie publique, eh bien il va y avoir des rapports, il va y avoir des commissions spéciales…

O. Mazerolle : … Et des propositions de loi ?

J.-M. Ayrault : Absolument, ou des projets de loi que nous amenderons, que nous enrichirons. Franchement, je pense qu’il va y avoir du travail pour tout le monde.

O. Mazerolle : La gauche socialiste se pose des questions. M.-N. Lienemann remarquait hier que les ministres chargés de mettre en œuvre les 35 heures sans perte de salaire, ou bien les 700 000 emplois pour les jeunes n’étaient pas forcément ceux qui s’étaient montrés les plus enthousiastes au moment où le PS avait adopté ces projets ?

J.-M. Ayrault : On ne va pas revenir là-dessus. Je pense qu’on peut faire confiance à L. Jospin pour animer son équipe et tenir ses engagements. Déjà, tous les signes sont donnés et moi, je ne veux pas me lancer là-dedans. Laissons à la droite les divisions ou les petites phrases, ce n’est pas l’actualité. Vous savez, on a souffert, dans le passé, de tous ces comportements. Cela nous a coûté très cher. Moi, je veillerais, nous sommes nombreux à cela – notamment la base, ceux qui nous ont élus mais aussi nos militants – et les députés veilleront à ce qu’on ne retombe pas dans ces travers. Cela ne veut pas dire qu’on n’a pas le droit de donner son sentiment, son point de vue, mais on ne va pas se mettre à se critiquer les uns les autres, ce n’est pas d’actualité.

O. Mazerolle : Sur des questions sensibles, comme par exemple les privatisations, est-ce que les députés socialistes, à votre avis, doivent rester des militants du socialisme ou bien, au contraire, endosser une sorte de coresponsabilité de gestion du pays ?

J.-M. Ayrault : Nous sommes en charge de la responsabilité de la France, donc on ne va pas simplement développer les thèses du Parti socialiste. Nous avons pris des engagements devant les Français, donc ces orientations seront tenues mais nous allons aussi essayer de tenir compte des réalités et les réalités, il faut d’abord les connaître complètement. Donc, le premier acte du gouvernement, c’est de faire un audit des finances publiques. Quelle est la réalité et quelles sont nos marges de manœuvre ? Il ne s’agit pas de faire le « coup de l’héritage », en disant : voyez, on ne peut rien faire. Non ! Il s’agit de dire ce que nous avons décidé de faire et à quel rythme pouvons-nous le faire, que ce soit la relance de l’activité économique – plus de pouvoir d’achat par exemple #, que ce soit la modernisation de la vie publique, que ce soit l’emploi des jeunes, la réduction du temps de travail. Tous ces grands chantiers que nous allons mettre en œuvre et à quel rythme parce qu’il faut connaître nos marges de manœuvre.

O. Mazerolle : Mais, compte tenu justement de la manière dont s’est déroulée la campagne électorale, quelles sont les premières mesures qui vous semblent absolument incontournables pour le Gouvernement ?

J.-M. Ayrault : J’en vois dans trois domaines. Vous venez d’en parler tout à l’heure : la nécessaire relance économique. Il faut que des signes soient donnés pour que les Français, les acteurs économiques, les salariés, les retraités, les entreprises – je pense aux petites et moyennes entreprises – sentent qu’on va dans la bonne direction.

O. Mazerolle : Cela veut dire le Smic, notamment ?

J.-M. Ayrault : Ce n’est pas seulement ça. Je crois que c’est un ensemble de mesures, donc il faut laisser le Gouvernement travailler. L’audit des finances publics est important pour voir quelle est la bonne mesure qui donne le ton, qui donne un signe qu’on va dans la bonne direction, que ça repart. Je pense que les marges de manœuvre ne sont pas nulles parce que l’inflation est quasiment à zéro. Ce n’est pas la période de 81, en 81 il y avait 14 % d’inflation, il y avait un commerce extérieur déficitaire, les entreprises étaient endettées. Ce n’est plus la situation d’aujourd’hui, donc nous pouvons, je crois, par des mesures intelligentes, contrairement à ce qui a été fait par les gouvernements précédents, relancer l’activité économique. Il y a la question de l’emploi des jeunes. Là, je crois qu’il va falloir donner des signes très rapidement et puis il y a aussi la question de la modernisation de la vie publique et ça, je pense que ça fait partie des signes qu’il faudra donner très vite.

O. Mazerolle : Précisément, il y a le cumul des mandats. Un certain nombre de ministres ont renoncé à leur poste de maire. Vous êtes vous-même maire d’une grande ville, celle de Nantes. C’est compatible avec le poste de député et de président d’un groupe ?

J.-M. Ayrault : Je crois que c’est compatible. C’est aussi une question d’organisation, quelle que soit la taille de la ville. Simplement, nous avons pris des engagements. Premier engagement : des ministres à temps plein, c’est ce qu’a dit L. Jospin et donc cela va se faire. Il faut donc trouver les mécanismes pour que des garanties soient données en cas de démission ou de départ du Gouvernement pour que les maires retrouvent leur mandat. Donc, il faudra voter un texte. Et puis, concernant le reste de la lutte contre le cumul des mandats, je vous rappelle nos propositions : celle de juin 96 au Parti socialiste qui a été adoptée à la quasi-unanimité des militants, c’est-à-dire que nous souhaitons, à terme, interdire le cumul d’un mandat parlementaire avec un mandat d’exécutif local. Si cela est retenu par le Parlement, ça se fera au moment du renouvellement de la prochaine assemblée. Cela veut dire en 2001. Pour moi, je serai amené à choisir l’un ou l’autre mandat.

O. Mazerolle : Vous voyez une proposition de loi rapidement ?

J.-M. Ayrault : Je pense que ça ne devrait pas tarder parce que ça fait partie des signes que les Français attendent, comme dans le cas de l’indépendance de la justice et toutes ces questions. Donc, je pense que c’est ça qu’il faut faire et sans hésitation, avec beaucoup de tranquillité, beaucoup d’humilité, parce que c’est un travail très compliqué mais surtout une grande détermination.


RMC : Jeudi 3 juillet 1997

P. Lapousterle : On ne sait s’il faut envier votre position : les députés socialistes semblent un peu impatients, turbulents et remuants. Certains d’entre eux n’ont pas ménagé leurs critiques vis-à-vis du Gouvernement. C’est un problème, pour vous, que de tenir ce groupe ?

J.-M. Ayrault : Je suis heureux d’avoir un groupe de 250 députés dont la moitié sont des nouveaux députés qui n’ont jamais siégé dans l’assemblée. Ils viennent avec plein d’ardeur, plein d’idées et l’envie que cette politique que les Français ont choisie réussisse. Ce ne sont pas ceux-là qui se sont le plus exprimés jusqu’à présent. Ceux qui se sont le plus exprimés sont des députés plus connus. C’est leur droit. Peut-être un peu vite, un peu fort parfois ; en tout cas, je peux dire que la base, que tous ces députés, hommes et femmes – car il y a beaucoup de femmes aussi c’est important – n’entendent pas se laisser entraîner dans des critiques un peu rapides avant qu’on ait commencé à travailler. Mais ils veulent que le cap soit tenu et c’est ce que veut le Premier ministre, ce que veut le Gouvernement, ce que nous voulons tous et donc je crois que cela va marcher. Par contre, ce qui est vrai c’est que nous sommes dans un contexte institutionnel nouveau. Les députés qui sont là, ne sont pas élus après une dissolution décidée par un Président de la République de gauche, ils sont élus à travers une élection législative. C’est clair que le rapport entre l’exécutif – le Gouvernement – et le législatif – les députés – va être différent.

P. Lapousterle : C’est-à-dire ?

J.-M. Ayrault : Le Parlement va davantage jouer son rôle. On n’a plus l’arbitre suprême qu’était notre Président qui, au fond, décidait, orientait. Aujourd’hui, nous allons continuer à travailler efficacement dans un dialogue constant entre le Gouvernement et l’Assemblée nationale et, en particulier, les groupes majoritaires.

P. Lapousterle : Cela fait quinze jours que vous siégez : vous avez demandé à vos députés d’être un peu plus disciplinés ou bien vous considérez que ce qui s’est passé jusqu’à présent c’est l’exercice normal de la démocratie ?

J.-M. Ayrault : Nous sommes maintenant début juillet, le Parlement n’a pas encore commencé à travailler, les projets de loi vont se préparer pendant l’été, les commissions se réunissent : 35 ministres vont être auditionnés. Les députés travaillent et à la rentrée, nous allons travailler sur des projets de loi prioritaires qui sont ceux concernant l’emploi et, notamment celui des jeunes et puis aussi la législation sur les licenciements et puis tout ce qui concerne la redistribution, les mesures qui apportent plus de justice sociale. L’idée, c’est qu’en amont, les députés soient consultés, apportent au Gouvernement leurs idées, leurs suggestions, donc des débats collectifs avec le Premier ministre et les ministres ; et puis, une fois que c’est décidé, tout le monde doit être solidaire du gouvernement. On ne peut pas réussir si à la fois on ne débat pas, et si en même temps, on n’est pas complètement solidaire d’abord du Premier ministre et de ceux qui travaillent avec lui.

P. Lapousterle : M. Jospin a jugé utile et indispensable de voir les députés de votre groupe pour leur demander quand même de soutenir le Gouvernement.

J.-M. Ayrault : Oui, cela ne s’est pas passé exactement comme cela. Il est venu pour travailler avec nous. On a parlé de tous les sujets. Il a simplement rappelé – et il a raison – que la droite existe et que cette droite est en pleine recomposition et qu’elle va reprendre son combat après avoir subi cette défaite et qu’elle commence déjà à parler d’alliance avec l’extrême-droite et donc, attention, le danger est là, le danger d’une droite dure et il ne faut pas l’oublier : c’est le conservatisme. Certains, même, se laissent aller pour paraphraser le titre d’un roman d’un auteur connu, aux amitiés particulières. Même si M. Séguin teinte cela d’un discours républicain, je dis qu’il y a là danger et que la droite sera face très vite à ses responsabilités. Nous sommes là pour le rappeler.

P. Lapousterle : Dans quelques heures, M. Jospin va parler sur France 2 aux Français. C’est la première fois, un mois juste après son arrivée en fonction. Sur quels points attendez-vous qu’il éclaircisse le sentiment des Français ?

J.-M. Ayrault : Il est important qu’il rappelle le cap, la direction dans laquelle nous sommes engagés, qui est celle de réussir la construction d’une France et d’une Europe solidaires sur la base d’un modèle de civilisation et de société qui préserve la solidarité. Nous sommes dans une grande époque de mutation, la fin d’un siècle. Préparons le suivant. Il faut que cela soit réussi. Cela ne peut pas se réussir en quarante jours. Fixons donc le cap. Il l’a dit dans sa déclaration de politique générale et il va le rappeler. Et en même temps, il va expliquer la méthode. La méthode, cela veut dire expliquer aux Français. On leur doit la vérité. D’abord nous aurons bientôt le résultat de l’audit sur la situation financière de la France et nous savons que les déficits sont plus importants que ce que le gouvernement précédent laissait entendre, que les comptes sociaux sont dans le rouge et que d’autre part, il y a la dette que nous ont laissé nos prédécesseurs. Il va falloir agir au travers de tout cela.

P. Lapousterle : Agir, c’est-à-dire imposer ?

J.-M. Ayrault : Pas forcément imposer mais mieux répartir. Je sais qu’on parle de réforme fiscale, notamment pour les entreprises – cela a été évoqué -, ce n’est pas encore décidé complètement. Les formules sont différentes mais L. Jospin expliquera aussi qu’on ne peut réussir sans mieux partager. Mieux partager, cela veut dire demander plus à ceux qui ont plus. Et commencer par un certain nombre d’exemples. Concrètement, je voudrais prendre l’exemple des allocations familiales. Certains disaient : pourquoi est-ce qu’on n’attend pas de faire le grand soir de la réforme de la politique familiale en France ? Car il faut une politique familiale. Notamment en réformant la fiscalité qui est injuste en France, qui ne touche pas tous les ménages, il y a ceux qui ont beaucoup d’avantages et ceux qui n’ont rien. Et puis, il commence par des allocations familiales pour les diminuer, ou les supprimer pour les très hauts revenus. C’est-à-dire les gens qui vont avoir entre 50 000 francs et plus par mois. Si on n’avait pas commencé comme cela, de façon pragmatique, on n’aurait rien fait. Car attendre toujours le grand soir des réformes dans tel ou tel domaine sans agir concrètement… C’est un peu la méthode Jospin : c’est-à-dire que l’on commence par agir sur des points précis pour obtenir des résultats et puis ensuite, on peut engager des réformes de fond. Cela ne se fait pas en quarante jours.

P. Lapousterle : Pendant la campagne, M. Jospin avait dit qu’il n’y aurait pas d’imposition supplémentaire.

J.-M. Ayrault : Non, il a dit qu’il n’y aurait pas globalement d’augmentation des prélèvements obligatoires.

P. Lapousterle : On apprend que les entreprises qui font des bénéfices, c’est-à-dire, toutes les entreprises qui marchent…

J.-M. Ayrault : Ce n’est pas tout à fait cela.

P. Lapousterle : Vous êtes favorable à ce que les entreprises qui ont fait des profits soient taxées sur ces profits ?

J.-M. Ayrault : Moi, je suis favorable à ce que l’on fasse tout pour relancer l’investissement, relancer l’activité économique, relancer la croissance qui sera de nature à redonner confiance aux Français qui en ont besoin. Aujourd’hui, on a une économie qui est atone : on voit des entreprises qui ont des situations financières qui sont bonnes mais qui privilégient le placement financier. Et cela, ce n’est pas normal. Il faut encourager l’investissement, donc cet argent, il faut qu’il aille à l’investissement. Il faut encourager ceux qui investissement, ceux qui prennent des risques. Que ce soit des petites ou des moyennes entreprises, celles qui sont le plus dans l’incertitude des commandes et puis les grosses entreprises, il ne faut pas qu’elles gèrent simplement leur avenir en faisant des placements financiers mais qu’elles investissent dans la machine, qu’elles investissent aussi dans l’humain, c’est-à-dire, qu’elles développement des emplois. Cela ne peut se faire que s’il y a de la croissance. La croissance, il faudra l’obtenir non pas en thésaurisant, en mettant de côté mais aussi en agissant.

P. Lapousterle : Je voulais vous poser une question, à vous qui êtes maire de Nantes, sur l’affaire des zones franches dont on dit que le Gouvernement pourrait peut-être modifier les conditions. Est-ce que vous pensez que le bilan des zones franches établies par M. Gaudin est une bonne chose ? Ou considérez-vous qu’il serait bon de changer ?

J.-M. Ayrault : Je n’ai jamais été partisan des zones franches. Vous savez avec les zones franches à l’intérieur d’une ville, donc un quartier qui est défiscalisé, on est complètement hors des règles fiscales, sociales habituelles. Alors évidemment, le problème c’est que les quartiers qui sont dans une situation classique, comment font-ils ? Il y a souvent une envie de transférer les activités d’un quartier à l’autre.

P. Lapousterle : C’est fait pour cela ?

J.-M. Ayrault : Oui, mais transférer d’un quartier vers l’autre où il n’y a que des avantages fiscaux, qu’est-ce que cela va donner au bout du compte ? Est-ce qu’il y aura plus d’emplois ? Je vous prends un exemple très concret : aujourd’hui, on peut employer des jeunes – on appelle cela des emplois ville – mais le premier problème, c’est que l’État n’en paye que 50 % et après, il faut que les villes, celles qui sont souvent les plus défavorisées, payent la suite. Et puis, d’autre part, si vous n’habitez pas tel quartier, si vous dépassez tel diplôme, au-dessus du bac, c’est-à-dire que si vos parents vous ont payé des études et que vous avez un bac plus quatre ou cinq et que vous n’avez pas de travail, vous n’avez droit à rien. Il y a cet effet de seuil. En soi, il y avait des bonnes idées, mais il faut remettre à plat les choses parce que ce qui compte, c’est le résultat concret pour que la vie des gens change dans leur quartier et dans leur ville. C’est comme cela que l’espoir reviendra car sinon les Français auront l’impression qu’on leur annonce plein de choses. L’effet d’annonce, c’est déplorable, c’est dangereux pour la démocratie et ensuite, quand ils vont sur le terrain, ils ne voient rien venir. Cela est démoralisant. Il faut que cela change de façon concrète et de façon pragmatique et je crois que Mme Aubry veut travailler dans ce sens et nous, à l’Assemblée nationale, puisque nous aurons des lois à voter, nous sommes prêts à l’aider.


La Tribune : 23 juillet 1997

La Tribune : Quelle est la position du groupe socialiste sur l’ouverture du capital de France Télécom ?

Jean-Marc Ayrault : Les parlementaires et le Parti socialiste ont des positions beaucoup moins dogmatiques qu’en 1981. Notre approche est pragmatique. Nous nous sommes rendu compte que même en disposant de 100 % du capital, l’État ne pouvait pas régler tous les problèmes économiques et les problèmes sociaux. Aujourd’hui, la question est de savoir comment être le plus efficace possible sur les questions économiques et sociales. La privatisation du GAN et du CIC ne me donne pas d’état d’âme, à partir du moment où le CIC continuera à jouer son rôle au plan national. À l’inverse, les parlementaires constatent avec regret sur le terrain que la démarche de La Poste s’apparente à la gestion d’une entreprise privée, ce qui est incompatible avec ses missions. Concernant France Télécom, il est certain que ce dossier va provoquer des débats au sein du groupe. Mais pas nécessairement des déchirements.

La Tribune : Sur quels points va s’exercer votre vigilance ?

Jean-Marc Ayrault : Il faut donner les moyens à France Télécom de passer des alliances industrielles, tout en veillant à ce que France Télécom reste un service public. Il faut que l’État joue son rôle de garant de l’accès au service universel pour tous et sur tout le territoire. Mais, à partir du moment où l’État reste majoritaire, et il est hors de question de passer en-dessous de 51 %, il doit pouvoir jouer ce rôle.

La Tribune : Êtes-vous satisfait de la définition du service universel ?

Jean-Marc Ayrault : C’est le point sur lequel le groupe va se montrer très exigeant. Dans le domaine du service universel, il ne faut pas se contenter de quelques vagues principes. Le service universel n’inclut pas les développements multimédias et les services à haut débit. Or, ces services doivent pouvoir être accessibles à tous sur l’ensemble du territoire. Peut-être faudra-t-il modifier la loi dans ce sens. Cette question sera sûrement abordée lors des journées parlementaires des 17 et 18 septembre prochain, lorsque seront connues les propositions du gouvernement. Le groupe a besoin de s’exprimer et je suis certain que le Gouvernement saura l’écouter.

La Tribune : La nomination de Michel Delebarre va-t-elle dans le sens du dialogue ?

Jean-Marc Ayrault : Il y a une certaine urgence à résoudre le dossier France Télécom. Michel Delebarre est un homme d’expérience, pragmatique et diplomate. Il a beaucoup d’atouts pour mener à bien sa mission. De surcroît les données du problème sont aujourd’hui connues.