Interviews de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, à France 2 le 17 mars 1999 et à "Ouest-France" le 20, sur la démission de la Commission européenne, la préparation du sommet franco-allemand de Berlin et la nécessité d'un accord sur le financement de l'Union européenne (Agenda 2000).

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2 - Ouest France - Télévision

Texte intégral

FRANCE 2 – 17 mars 1999

F. Laborde :
Vous allez peut-être nous dire comment cela va se passer maintenant après la démission de la Commission européenne parce qu'on s'y perd un peu ? Il y a une démission qui a été annoncée, hier, mais quand est-ce qu'ils partent les commissaires européens ? Ils partent maintenant ? Après les élections de juin ? J. Santer veut rester jusqu'au bout de son mandat. Quand vont-ils partir quand et qui décide ?

P. Moscovici :
« Qui décide, d'abord. Ce sont les chefs d'État et de Gouvernement réunis dans ce qu'on appelle le Conseil européen. Cela tombe bien même si c'est le hasard, il y en a un la semaine prochaine les 24 et 25 mars qui est prévu pour discuter de tout sujet extrêmement important comme la réforme de la politique commune. À cette occasion ils vont devoir définir les conditions dans lesquelles la Commission sera remplacée. Ils peuvent le faire tout de suite – cela ne paraît pas raisonnable parce qu'honnêtement il n'y a pas mal de pain sur la planche – ou ils peuvent décider de le faire dans un sommet extraordinaire qui se déroulait quelque part entre mars et juin avant les élections européennes. Et pour vous donner mon opinion, c'est ce qui me paraît le plus sage. Parce que je ne vois pas comment le Parlement européen actuel, qui termine son mandat en juin, pourrait renommer dans des conditions convenables une nouvelle commission. La solution qui pourrait être envisagée c'est que la Commission actuelle expédie les affaires courantes, autrement dit, elle ne prend pas d'initiative mais elle continue à gérer, et puis ensuite elle est remplacée au mois de juin, présentée devant le nouveau parlement. On peut aussi aller un peu plus vite et je comprends que certains en aient envie, mais attention, il faut faire les choses de façon efficace. Allez vite mais pas se précipiter ».

F. Laborde :
L'idée c'est quoi ? C'est de changer les hommes mais c'est aussi de réformer un petit peu le système ?

P. Moscovici :
« Je crois que ce que le rapport du comité d'experts indépendants a montré, ce sont les dysfonctionnements du système. Il faut à la fois remettre les choses à plat, mieux hiérarchiser la Commission, mieux l'organiser, s'assurer qu'elle fonctionne comme un collège, parce que c'est un collège, un collectif ; s'assurer que les responsabilités sont bien exercées ; contrôler aussi les services et on a vu qu'on manquait peut-être paradoxalement de moyens à la Commission. Et puis il faut remplacer les hommes et les femmes. Pas tous sans doute mais un certain nombre et notamment hausser le profil politique de cette commission. Je crois que si elle a échoué et on le sait depuis le départ, c'est peut-être parce qu'il y a un manque de vision, un manque de charisme et il faut trouver dans cette commission des hommes et des femmes forts ».

F. Laborde :
Alors justement, c'est ce que disait G. Schröder hier et qui traçait le profil d'un candidat allemand, ou d'un nouveau président qui ressemblait singulièrement à H. Kohl. Cela pourrait être un bon futur président de commission ?

P. Moscovici :
« Pourquoi pas ? Mais je crois que ce n'est quand même pas le candidat idéal. Que faut-il pour être président de la Commission ? Il faut d'abord être un homme qui a une vision européenne – cela, Kohl l'a sans doute – il faut un homme qui ait les capacités gestionnaires importantes. Je crois qu'il faut un homme qui ait été dans les rouages de l'Europe au plus haut niveau et il faut aussi – me semble-t-il – un homme qui puisse convenir à la majorité des gouvernements. Ce serait plutôt pour moi quelqu'un qui aurait un profil, socialiste ou social-démocrate acceptable en même temps par les Gouvernements conservateurs ou l'inverse. Est-ce que c'est H. Kohl ? On verra bien. Moi, je crois qu'il faut quelqu'un qui ait effectivement un profil extrêmement élevé, et plutôt un social-démocrate. Vous me pardonnez de souhaiter cela ? »

F. Laborde :
Est-ce que certains commissaires pourraient retrouver leur poste ? Je pense notamment à Y.-T. de Silguy, commissaire français, qui est déjà candidat à sa propre succession

P. Moscovici :
« Ne parlons pas des personnes, aujourd'hui, si vous le voulez bien, d'autant que vous avez compris que ma thèse était plutôt que cette commission devait expédier les affaires courantes donc de façon assez sereine, mettons jusqu'au mois de juin. Peut-être pour un mois, deux mois, trois mois. On verra ».

F. Laborde :
Vous avez déjà eu des candidatures depuis hier ?

P. Moscovici :
« Pas encore. Vous savez, il y en avait déjà avant, des gens qui étaient intéressés par la Commission. Pour moi, je ne vois pas d'obstacle à ce que tel ou tel commissaire qui a bien fait sa tâche puisse être renommé. Le fait qu'il y ait eu une démission collective ne signifie pas que chacun des individus est en cause. Il ne me paraît pas illégitime que dans tel ou tel pays, pourquoi pas le nôtre, tel ou tel commissaire puisse être confirmé ».

F. Laborde :
Vous l'avez évoqué, il y a un sommet à Berlin dans huit jours. Après la crise en Allemagne, afin et après le départ d'O. Lafontaine et la démission de la Commission de Bruxelles aujourd'hui comment allez-vous faire pour travailler ? Vous allez quand même pouvoir avancer sur les dossiers clés comme le financement de l'Europe, la réforme de la politique agricole commune ou cela va être un peu plus difficile ?

P. Moscovici :
« Oui, honnêtement oui, parce que de toute façon la Commission sur ces dossiers-là, avait un peu terminé son rôle. Là, on est dans la dernière semaine : le Chancelier Schröder va être à Paris, vendredi, nous allons avoir une réunion dimanche des ministres des affaires étrangères et européennes qui est très importante et ensuite un Sommet la semaine prochaine. Ce sont les politiques qui sont en charge et c'est à eux de résoudre le dossier. Et ils ont les éléments pour cela. Mais je suis même plutôt optimiste sur ce Sommet de Berlin. Je pense qu'à partir du moment où il y a cette crise de la Commission, où il y a ce climat, les chefs d'État et de Gouvernements seront d'autant plus tentés de montrer que l'Europe, cela peut marcher et qu'ils peuvent entre eux, au niveau politique, souhaitable mais, encore une fois, pas à n'importe quelle condition. Je pense notamment à tout ce qui concerne la politique agricole commune. Nous, nous avons des exigences afin que ce qui a été présenté comme un accord il y a quelques jours à Bruxelles soit substantiellement amélioré. Mais nous y allons avec un état d'esprit positif ».

F. Laborde :
Est-ce que le parlement européen n'a pas donné un peu une leçon de démocratie. Il y avait un caricaturiste qui disait prévarication, plus népotisme, plus fraude égale démission. Est-ce que c'est une leçon de démocratie ou est-ce que c'est : avant les élections européennes, on fait parler de nous ?

P. Moscovici :
« Je ne dirais pas qu'il y a un peu des deux mais je vais insister quand même sur l'aspect démocratique. C'est vrai que le parlement européen a pris ses responsabilités. C'est vrai que c'est en commençant à censurer la commission et puis en mettant en place le comité d'experts indépendants puis en mettant la pression qu'il a contraint la commission à la démission et donc il a joué son rôle et pour ceux qui pourraient penser qu'après cette crise il n'est pas utile de voter, je crois que c'est le contraire : ce parlement prouve qu'il est très important. Il est très important et en même temps je crois qu'il ne faut pas qu'il abuse de ses pouvoirs ».

F. Laborde :
Ce n'est pas transposable en France ce qui se passe en Europe ?

P. Moscovici :
« Il y a ces pouvoirs qui existent dans notre parlement. Mais qu'on aille vers un parlement qui exerce vraiment ses responsabilités jusqu'à la censure, jusqu'au contrôle, oui. Qu'on aille dans le parlementarisme, c'est-à-dire que chaque acte de l'exécutif soit contrôlé par le Parlement ou plutôt mis sous tutelle du Parlement, je ne crois pas. Il faudra trouver cet équilibre ».


OUEST FRANCE – 20 mars 1999

Joseph Limagne :
À l'issue des visites que vous venez de faire en Espagne et au Portugal, jugez-vous possible un accord sur le financement de l'Union (Agenda 2000) au prochain sommet de Berlin ?

Pierre Moscovici :
« Il y a maintenant une volonté générale de conclure à Berlin. L'accord est possible sur la base de la stabilisation des dépenses communautaires. Il faut ensuite exclure tout ce qui touche à des mécanismes généraux, comme le cofinancement de la politique agricole commune ou la généralisation du type de rabais consenti aux Britanniques depuis Maastricht. Cela ne serait pas dans l'esprit communautaire. Sur ces bases-là, on peut avancer, en essayant de trouver ensuite une solution aux priorités qui sont celles de chacun des pays ».

Joseph Limagne :
Qu'est-ce qui a changé dans les positions de l'Espagne ?

Pierre Moscovici :
« Un état d'esprit. L'Espagne était longtemps figée dans un refus de négocier. Or, là, elle est entrée dans la négociation. Cela veut dire qu'elle est déjà dans l'esprit d'un compromis. Ne serait-ce que parce qu'elle a déjà obtenu satisfaction sur certaines de ses demandes, notamment l'augmentation de ses quotas laitiers. En outre, l'Espagne, qui était jusque récemment partisane du coûteux "paquet" proposé par la Commission de Bruxelles, est désormais prête à accepter une ligne plus rigoureuse. Enfin, Madrid accepte le plafonnement des ressources propres de l'Union à 1,27 % du produit intérieur brut ».

Joseph Limagne :
Tous les pays de l'Union sont-ils entrés dans cette logique de négociation ?

Pierre Moscovici :
« Presque tous. La question est : la Grande-Bretagne va-t-elle bouger sur le montant et le mode de calcul de son rabais. Ce fameux "chèque", obtenu en 1964 par Margaret Thatcher, n'est plus justifié. Personne ne demande qu'il soit remis en cause intégralement mais, au moins, que les Anglais acceptent de participer aux dépenses d'élargissement comme tous les autres. Si la Grande-Bretagne s'y met à son tour, on peut parvenir à Berlin à un accord équilibré, c'est-à-dire un compromis, chacun faisant un effort. Les Allemands ont compris qu'ils allaient demeurer le premier payeur de l'Union. Ils sont prêts à consentir une baisse plus modérée qu'ils ne le souhaitaient de leur contribution budgétaire. En outre, à notre demande, ils ont renoncé au cofinancement de la politique agricole commune. Nous leur en sommes très reconnaissants.

Joseph Limagne :
La crise ouverte par la démission de la Commission peut-elle nuire au succès de l'accord budgétaire à Berlin ?

Pierre Moscovici :
« Je ne vous dirai pas que la démission de la Commission est un atout à court terme pour l'Europe. Néanmoins, cette crise peut être salutaire à un double titre. Si l'on est capables de réformer vite les institutions et d'abord de nommer une Commission plus forte, plus responsable, dans un esprit de démocratie. Et si les Quinze réalisent que l'accord financier est devenu impératif à Berlin. Car il ne faut pas ajouter la crise à la crise ».