Interview de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, à RTL le 9 septembre 1997, sur les objectifs de la conférence sur l'emploi, le temps de travail et les salaires, et sur la mission sur la ville confiée à Jean-Pierre Sueur.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

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O. MAZEROLLE : Cent jours pour le Gouvernement Jospin. Dans l'histoire de France, cent jours, cela ne se termine pas toujours très bien mais pour le Gouvernement Jospin, cela va bien. Il y a une embellie, les sondages le montrent mais pourtant, cela n'est pas un gouvernement composé de saints. Vous ne faites pas toujours exactement ce que vous aviez dit que vous feriez pendant la campagne électorale, notamment sur les privatisations. Alors, pourquoi cette embellie ?

M. AUBRY : Je crois tout simplement parce que les Français se rendent compte qu'il y a une ligne, que l'on sait où l'on va. Je crois que, contrairement à ce que vous dites, nous faisons ce que nous avons dit.

O. MAZEROLLE : Pas sur tout.

M. AUBRY : On en parlera, si vous voulez. Ce qui est important, c'est que les gens sachent effectivement où l'on va et puis je crois aussi que le style que L. Jospin a donné à ce gouvernement, c'est-à-dire un travail collectif, un gouvernement où l'on débat, où les décisions sont prises avec concertation, un début de débat public dans le pays sur beaucoup de sujets, je crois que tout cela montre un changement profond. J'ai l'impression que l'on a fait vieillir une certaine façon de faire de la politique assez vite, par l'équipe, par le travail collectif, par la façon dont les décisions sont prises, autant d'ailleurs que par le fond de ces décisions. Je crois que l'essentiel, c’est que nous avions dit que le chômage, la lutte contre le chômage était notre objectif numéro un et que tout le monde se rend compte aujourd'hui que tout est fait par tous, et pas seulement par le ministère de l'emploi, pour donner toutes les pistes qui permettent effectivement d'améliorer la situation.

O. MAZEROLLE : Les difficultés sont encore devant vous, avec notamment cette conférence sur l'emploi, le temps de travail et les salaires. Elle aura lieu quand ?

M. AUBRY : Elle aura lieu début octobre. Le Premier ministre n'a pas encore fixé la date.

O. MAZEROLLE : Elle ne sera pas retardée ?

M. AUBRY : Pas du tout. Ce ne sont pas des difficultés qui arrivent lors de la conférence. Qu'est-ce que c'est que cette conférence, quel est son objectif ? Son objectif, c'est de voir si l'ensemble des responsables économiques et politiques de ce pays, le Gouvernement, les syndicats, le patronat, sont enfin capables de se dire, tous ensemble : nous allons sortir de la façon dont nous raisonnons depuis des années, de nos comportements, de notre façon de poser les problèmes, pour effectivement faire de l'emploi la priorité numéro un. C'est une opportunité formidable. Que va-t-on faire pour que les salaires, notamment les bas et les moyens salaires, puissent être consolidés pour relancer la croissance et la consommation ? Que va-t-on faire pour mieux répartir la fiscalité, les cotisations sociales entre le travail et le revenu du capital ? Comment lancer de manière négociée et décentralisée la réduction de la durée du travail pour que son effet sur l'emploi soit le plus fort possible ? Et enfin, comment faire en sorte, avec les entreprises privées, d'embaucher plus de jeunes, de leur donner des possibilités d'intégration dans l'entreprise alors même que certains salariés âgés, qui ont travaillé depuis longtemps, pourraient en partir ? Voilà les objectifs. Donc, ce sont des opportunités formidables.

O. MAZEROLLE : Donc, dans la première semaine d'octobre ?

M. AUBRY : Sans doute, je ne sais pas si c'est la première ou la deuxième.

O. MAZEROLLE : Parce que M. Blondel est très inquiet.

M. AUBRY : Oui, mais ce qui est important, et je crois que M. Blondel le sait mieux que quiconque, c'est que quand on sortira de cette conférence, les Français se disent : il y a quelque chose qui est en train de bouger. Déjà, le Gouvernement nous a montré qu'il n'était pas comme les autres et qu'il essayait de faire en sorte que les choses bougent, eh bien maintenant, tout le monde s'y met.

O. MAZEROLLE : Cela va durer combien de temps ?

M. AUBRY : Il va y avoir une grande journée de rencontres et puis ensuite de travail. Du travail sur chacun de ces thèmes pour que les conditions soient les meilleures pour l'emploi.

O. MAZEROLLE : Il y a aussi une interrogation, c'est de savoir si cette conférence va permettre la réduction du temps de travail qui sera une avancée sociale, conçue comme telle par beaucoup, ou bien est-ce qu'il y aura forcément un mécanisme avec comme priorité que cette réduction du temps de travail amène de l'emploi ?

M. AUBRY : Bien sûr. Le Gouvernement l'a dit : les 35 heures, c'est notre objectif et nous allons donner le « la » en disant : voilà, à telle date nous serons à 35 heures. Maintenant, tous ceux qui le souhaitent peuvent aller plus vite et plus loin. Et on va les y aider. Par la négociation, en prenant en compte dans chaque entreprise les meilleures modalités pour qu'effectivement, cette réduction de la durée du travail crée le maximum d'emplois. C'est comme cela que nous allons avancer.

O. MAZEROLLE : Donc votre objectif, c'est la création d'emplois ?

M. AUBRY : Notre objectif, c'est évidemment la création d'emplois.

O. MAZEROLLE : Est-ce que vous disposez d'une somme suffisamment importante pour aider les entreprises qui vont accélérer le cheminement vers les 35 heures, voire les 32 heures ?

M. AUBRY : J'espère que cette somme ne sera pas suffisante. Mais je crains qu'elle le soit. Si véritablement - et pourtant j'ai un budget avec un montant important pour la réduction de la durée du travail -, au mois de juin prochain, on se rendait compte qu'il n'y avait pas suffisamment d'argent, cela voudrait dire que les entreprises sont allées vraiment plus vite et plus loin, cela voudrait dire que nos résultats de chômage seraient en train de s'améliorer et je serais absolument ravie. Je voudrais dire aussi que la réduction de la durée du travail, c'est aussi un choix de société. Il faut qu'on arrive à vivre mieux. Il faut qu'il y ait un meilleur partage entre la vie de famille et la vie professionnelle. Il faut qu'on retrouve du temps pour voir ses amis, pour participer à la vie associative, etc. C'est tout cela qu'il y a derrière ce projet sur la durée du travail même si, à court terme, l'emploi est bien sûr l'objectif numéro un.

O. MAZEROLLE : Vous consultez beaucoup en ce moment, on dit que le patronat est aux abonnés absents sur ce débat ? C'est ce que disent les syndicats.

M. AUBRY : On ne peut pas dire que le patronat se précipite sur ces thèmes avec un enthousiasme absolu. Ceci dit, je rencontre les représentants du patronat comme j'ai rencontré les organisations syndicales et puis je vois qu'il y a beaucoup d'entreprises qui, au-delà des institutions, ont envie d'avancer. Parce qu'elles se rendent bien compte que réduire la durée du travail, c'est le moyen aussi de réorganiser le travail et donc peut-être d'être meilleures par rapport aux clients demain. Elles se rendent compte aussi que leur pyramide des âges est vieillissante et que si on ne fait pas rentrer des jeunes qui sont capables d'apporter de la novation, des idées dans l'entreprise, cela se passera mal pour elles. Donc, je pense que le milieu des entreprises est sans doute plus en avance, comme c'est souvent le cas. Vous savez que les Français sont souvent plus en avance que leurs responsables. C'est pareil entre les entreprises et les milieux patronaux.

O. MAZEROLLE : Quand allez-vous remettre vos propositions au Premier ministre ?

M. AUBRY : Vous savez, le Premier ministre je le vois souvent. Comme je vous l'ai dit, c'est un Gouvernement où l'on débat. Donc, sur pas mal de points, je dirais qu'il est déjà au courant des propositions que je suis amenée à faire. Je lance cette semaine une consultation officielle, à la suite de tous les travaux que nous avons faits avec les organisations syndicales et puis patronales, la semaine prochaine. À partir de tout cela, le Premier ministre tranchera définitivement sur le dispositif.

O. MAZEROLLE : La politique de la ville sur la sécurité, le retour à la morale civique, à une vie sociale organisée : on a beaucoup entendu C. Allègre, votre collègue de l'éducation nationale, ou J.-P. Chevènement, ministre de l'Intérieur, mais pas vous. Vous êtes pourtant ministre de la ville ?

M. AUBRY : Oui, je suis ministre de la ville mais si la politique de la ville, comme d'ailleurs la lutte contre toutes les exclusions, devient une priorité du gouvernement, comme le Premier ministre l'a souhaité - c'est-à-dire que le ministre de la santé s'intéresse à la santé des plus défavorisés, le ministre de l'éducation nationale aux jeunes qui sont en échec scolaire ou aux quartiers violents ainsi que le ministère de l'intérieur - je ne peux que m'en réjouir. J'ajouterais volontiers, L. Besson, mon ami qui est au logement et avec lequel nous travaillons beaucoup. Aujourd'hui, je vais annoncer une mission que je confie à J.-P. Sueur, le maire d'Orléans, pour que nous réfléchissions à la fois avec des intellectuels, des sociologues, des philosophes, des scientifiques mais aussi bien sûr, avec des élus et des acteurs de terrain, à ce que doit être la ville de demain. Nous voyons bien aujourd'hui que nous avons des quartiers qui pourraient devenir des quartiers ghettos où il y a une espèce de relégation sociale. Les catégories sociales ne se mélangent plus. On a parfois 50 % de gens au chômage, un taux de RMI important, des jeunes en échec scolaire et puis toutes les fonctions de l'homme ne sont pas représentées. On a le logement, parfois quelques lieux de loisirs, rarement des entreprises, rarement des lieux commerciaux, rarement des lieux culturels. Il faut reconstruire des vraies villes, faire que toutes les catégories sociales se frottent, que dans l'école élémentaire du coin, on ait des enfants dont les parents sont des cadres supérieurs mais sont aussi des ouvriers ou des chômeurs.

O. MAZEROLLE : Il faut encore un comité pour réfléchir à cela ?

M. AUBRY : Oui, parce que c'est très difficile de construire la ville du XXIe siècle. Il ne suffit pas de le dire. Il va falloir réhabiliter des quartiers, il va falloir remettre des logements sociaux dans les centres villes, il va falloir remettre de l'accession à la propriété dans les quartiers en difficulté. Il va falloir avoir une autre politique des transports et des services publics. Pour toutes ces raisons, moi, j'ai besoin que ce travail soit un travail collectif du gouvernement - ce qui est le cas aujourd'hui - que chacun des ministres porte dans ses priorités politiques le fait qu'aucun quartier ne doit rester à l'écart de ce que nous voulons faire et puis, bien sûr, il y a une politique spécifique de la ville, dont je m'occupe, et qui vise, dans cette période un peu difficile, à aider ceux qui y vivent. Mais je crois que c'est beaucoup plus important que le Gouvernement se dise : un des grands chantiers des dix ans qui viennent - on ne sera peut-être pas là dans dix ans, me direz-vous, mais faut-il encore le lancer - c'est de reconstruire de vraies villes, avec de la mixité sociale, avec toutes les fonctions représentées dans ces quartiers en difficulté.

O. MAZEROLLE : Vous donnez combien temps de réflexion à J.-P. Sueur ?

M. AUBRY : J.-P. Sueur a déjà commencé à travailler cet été. Il va réunir son groupe au mois de septembre. Il nous donnera un pré-rapport en novembre et nous travaillerons avec lui pour remettre en place des dispositifs de la politique de la ville qui finissent en fin d'année prochaine. En début d'année, je pense que nous serons prêts.

O. MAZEROLLE : Une précision sur l'emploi des jeunes : les maires des villes demandent qu'en contrepartie de l'embauche des jeunes, il y ait un engagement de l'État à ne pas alourdir leurs charges pendant cinq ans, vous êtes prête à le prendre ?

M. AUBRY : Pour l'instant, on prépare le budget de 1998. Je crois que le Premier ministre a entendu cette demande mais c'est à lui de l'annoncer.