Interviews de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, dans "Le Quotidien du Salon international de l'agriculture" du 6 mars 1999, "Le Midi libre" du 11 et "La Nouvelle République du centre-ouest" du 29 mars, sur la réforme de la PAC et l'Agenda 2000, les prix agricoles et les contrats territoriaux d'exploitation.

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Intervenant(s) : 

Média : La Nouvelle République du Centre Ouest - Le Midi Libre - Le Quotidien du Salon international de l'agriculture - Midi libre

Texte intégral

LE QUOTIDIEN DU SALON INTERNATIONAL DE L’AGRICULTURE : 6 MARS 1999

Question
Comment s’est déroulé votre premier Salon de l’Agriculture ?

J. Glavany
J’ai été particulièrement heureux de constater l’intérêt, toujours plus vif au fil des années, qu’il suscite. A l’occasion de ce véritable bain de foule, j’ai été impressionné par la cordialité et la chaleur des contacts que j’ai pu établir, aussi bien avec les agriculteurs présents qu’avec les visiteurs.
Je tire plusieurs leçons de ma visite : le premier, c’est que notre agriculture évolue vers des productions de qualité. Alors qu’un récent sondage démontre que les français aiment les agriculteurs (44 % éprouvent de l’affection pour eux et 21 % de la fierté), j’observe avec satisfaction l’effort accompli pour aller au-devant des attentes des consommateurs, de plus en plus soucieux, à juste titre, de la qualité de leur alimentation. Une telle orientation présente en outre l’avantage d’améliorer le revenu des agriculteurs.
La seconde, c’est la meilleure prise en compte de l’environnement par les agriculteurs. Au travers des nombreux exemples qui m’ont été présentés, j’ai eu la possibilité d’observer le développement de pratiques agricoles raisonnées et soucieuses de ressources naturelles sans lesquelles il ne saurait y avoir de développement durable.
La troisième, c’est l’ouverture de nos campagnes aux citadins et l’instauration d’un dialogue entre les producteurs et les consommateurs. D’ailleurs, le public qui se contentait auparavant de venir admirer les animaux pose des questions de plus en plus précises sur les conditions dans lesquelles ils sont élevés et se montre beaucoup plus exigeant en matière de qualité, de traçabilité des produits et de transparence. Pour être totalement en prise avec cette grande manifestation, j’ai choisi d’installer mes bureaux, comme mes prédécesseurs, au cœur des locaux de la Porte de Versailles.

Question
Monsieur le Ministre, ce Salon se déroule sur fond de négociations européennes particulièrement difficiles concernant la réforme de la PAC et l’Agenda 2000. Avez-vous ressenti l’inquiétude des agriculteurs ?

J. Glavany
En effet, ces négociations traversent une période critique. Nous avons pu éviter, grâce à notre détermination, le co-financement de la PAC par les budgets nationaux. Ce principe est à mes yeux inacceptable, car il remet en cause le principe de solidarité qui fonde les relations entre les États membres de l’Union européenne.
D’ailleurs, sur ce point, je me suis senti conforté, lors de ce Salon, par l’appui que j’ai reçu de la part des organisations agricoles dans leur ensemble, et bien sûr de celle des agriculteurs.
Je me sens sur la même longueur d’ondes que les agriculteurs français qui, je crois, ont apprécié la fermeté dont j’ai fait preuve dans les négociations sur la réforme de l’Europe verte.
Mais cet échec n’est pas totalement négatif car il oblige à repenser le volet agricole de l’Agenda 2000. J’ai la conviction que l’Europe doit retrouver une production agricole équilibrée, avec des dépenses maîtrisées pour les réorienter vers le développement rural.


MIDI LIBRE : 11 mars 1999

Midi Libre : Vous étiez attendu à Rodez devant la Fédération des producteurs de lait. Le calendrier européen en a décidé autrement…

- Jean Glavany : Je suis désolé de ne pas me rendre à Rodez. Mais je crois avoir une bonne excuse : le marathon agricole a repris et je suis obligé d’être à mon poste.

Midi Libre : Un poste de combat ?

J. Glavany
– D’une certaine manière…

Midi Libre : Où en sont les négociations sur le lait ?

J. Glavany
– Le lait, particulièrement, est au cœur des dossiers européens. La Commission propose une réforme à la fois inutile et coûteuse.

Midi Libre : Vous parlez de la baisse des prix et des compensations ?

J. Glavany
– Oui. Si le front du refus devait s’effriter, ce que je crains, il nous faudra nous battre pour reporter cette erreur le plus tard possible dans le temps. Reste l’autre volet, le maintien du système des quotas. Sur ce point, je ne lâcherai pas.

Midi Libre : Le dossier « vin » se révèle également sensible…

J. Glavany
– Il est lui aussi au cœur de la discussion. La délégation allemande proposait, la semaine dernière, un désengagement européen. Cela pourrait nous inquiéter. Je me battrai pour que cette proposition ne mette pas en cause nos efforts de restructuration et de qualité de notre vignoble, particulièrement dans le Midi.

Midi Libre : Et sur les vins doux ?

J. Glavany
– Là aussi, je suis à la fois déterminé et vigilant tant que tout n’aura pas été signé. Attendons le compromis final, en fin de semaine.

Midi Libre : La guerre entre chasseurs et écologistes ne semble qu’à ses débuts. Le député Henri Sicre, représentant du Premier ministre, vient de se voir condamné, moralement certes, par la Cour internationale de la défense des animaux. Quelle est votre réaction ?

J. Glavany
– Je ne suis pas chasseur mais il m’arrive d’aller à la chasse avec des amis pour profiter avec eux d’un certain art de vivre. Les chasseurs que je fréquente, dans le Sud, ne sont pas des « viandards », mais des gens très amoureux et très respectueux de la nature. Henri Sicre est de ceux-là. Il est le prototype du chasseur raisonnable qui recherche une solution intelligente.

Midi Libre : Comment recevez-vous sa condamnation ?

J. Glavany
– Je n’en dirai pas davantage. Elle a un côté dérisoire tant elle est excessive.

Midi Libre : Certaines rivières et nappes phréatiques sont polluées. Les industriels ne sont pas seuls responsables. Les pollueurs agricoles seront-ils aussi les payeurs ?

J. Glavany
– Le Gouvernement a arrêté le principe du « pollueur-payeur ». Cela vaut pour tout le monde. C’est un principe de justice. Ceux qui dégradent la nature ou notre environnement doivent payer pour réparer. Mais je me bats bec et ongles pour qu’une éventuelle taxe ne soit pas une charge sur l’ensemble des agriculteurs, mais qu’elle sanctionne les excès des pollueurs en encourageant les pratiques vertueuses.

Midi Libre : Faites-vous la différence entre l’artisan agricole et l’industriel de l’agriculture ?

J. Glavany
– Bien sûr. Qui ne le ferai pas ? L’agriculture française est diverse. Il existe de très grosses exploitations qui produisent et exportent. Elles se battent sur des marchés mondiaux. Et il y a les petites exploitations familiales, notamment dans le Sud de la France, qui ont plus de mal à vivre. Ces exploitations doivent bénéficier d’un traitement différencié de la part de la politique européenne comme de la politique nationale.

Midi Libre : A terme, va-t-on sauver les petits fermiers ?

J. Glavany
– Pour les très grosses exploitations, la réponse est dans la compétitivité. Pour les autres, ceux que vous appelez les petits fermiers, la réponse est dans l’offre de produits de qualité, forte en valeur ajoutée, et dans l’organisation collective. La qualité n’est pas un luxe. Elle est de plus en plus exigée par les consommateurs. Répondre à cette attente, c’est une assurance-revenu pour les petits producteurs, et c’est, j’en suis sûr, l’avenir de nos terroirs.


LA NOUVELLE REPUBLIQUE DU CENTRE-OUEST : lundi 29 mars 1999

La Nouvelle République : Le compromis de Berlin est-il un bon accord pour les agriculteurs français ?

Jean Glavany : « Le résultat de cette longue négociation est globalement positif. J’avais obtenu des avancées au niveau des ministres de l’Agriculture dès le 11 mars : l’abandon du cofinancement de la PAC, tout d’abord, mais aussi une moindre baisse des prix sur la viande bovine, une bonne compensation pour le troupeau allaitant, un bon paquet pour le vin, une aide spécifique pour le maïs, etc.
« D’autres acquis du 11 mars ont été solennellement confirmés par les chefs d’État et de gouvernement. C’est le cas d’un engagement de la Commission à suivre de près, à la fois, les conséquences de la baisse des aides aux oléagineux, baisse que par ailleurs je continue à regretter, et la situation du marché de la viande bovine, pour prendre, si nécessaire, des mesures de régulation.
« Des améliorations significatives ont été obtenues par le Premier ministre et le président de la République à Berlin. La réforme du lait, dont j’avais déjà obtenu le report de deux ans, l’est à nouveau de deux années supplémentaires. Elle n’interviendra donc qu’en 2005.
« Quant aux céréales, la baisse des prix est moins forte que ne le voulait la Commission, et les majorations mensuelles sont rétablies. C’est bon pour le revenu des producteurs. Je m’en réjouis évidemment.
« Il reste qu’un rendez-vous important a été manqué à Berlin, le 26 mars, comme à Bruxelles, le 11 mars : celui des indispensables réorientation et équilibrage des aides vers le développement rural pour soutenir les petites et moyennes exploitations, l’emploi, l’environnement, les produits de qualité.
« Mais je compte bien m’y employer par tous les moyens possibles, nationaux et communautaires, dans le cadre de cet accord – qui offre quelques possibilités déjà en ce sens – et la loi d’orientation agricole. »

La Nouvelle République : La compensation à 50 % de la baisse des prix des céréales, de 85 % de la viande traduit un alignement progressif sur le marché mondial. Les agriculteurs français vont-ils être capables de supporter cette nouvelle compétition ?

J. Glavany : « Je ne suis pas un libéral au sens économique du terme et je n’ai évidemment pas la religion de la baisse des prix. C’est pourquoi je souhaitais que les baisses soient limitées. Une baisse de prix peut être nécessaire dans certains secteurs pour prendre en compte une part d’ouverture du marché européen aux marchés mondiaux, pour maîtriser la production et limiter le coût de la politique agricole commune pour les contribuables.
« Mais la France, son agriculture et ses agriculteurs, n’est ni l’Argentine, ni les États-Unis. Certains agriculteurs peuvent supporter la compétition mondiale. La plupart, non. Le marché européen doit donc continuer à être protégé, et la politique d’intervention sur les marchés est nécessaire. Mais il nous faut aussi adapter les soutiens aux fonctions nouvelles des agriculteurs qui se développent en lien avec la production. C’est la vocation de la loi d’orientation agricole que de lutter contre la réduction du nombre des exploitants en rémunérant les productions, soucieux de création d’emploi, d’animation de l’espace rural et de préservation de l’environnement.
« Je regrette, une fois encore, que la négociation européenne n’ait pas pris totalement en compte ces impératifs, mais, j’en suis persuadé, ce n’est que partie remise. Dans l’immédiat, je continuerai à ouvrir cette voie d’avenir avec les possibilités offertes par cet accord et la loi d’orientation agricole. »

La Nouvelle République : Allez-vous réintroduire, lors de la discussion sur la loi d’orientation, des éléments permettant de baisser les charges des exploitations ?

J. Glavany : « Concernant d’éventuelles baisses des charges sociales, le projet de loi d’orientation agricole prévoit à l’article 65 actuel, qu’un rapport sera élaboré sur les adaptations à apporter à la fiscalité, aux charges sociales et au régime des transmissions.
« Trois ans après l’achèvement de la réforme des cotisations sociales, calculées désormais sur les revenus professionnels des exploitants agricoles, il apparaît nécessaire d’en tirer un bilan précis et d’envisager, si besoin est, d’éventuelles évolutions. C’est au vu des conclusions prévues par la loi d’orientation agricole que pourront être engagées les évolutions dans le domaine des charges sociales. »

Les contrats territoriaux en question

La Nouvelle République : L’accord remet-il en question les contrats territoriaux (CTE) en préparation en France ?

J. Glavany : « Les Contrats territoriaux d’exploitations (CTE) ne sont absolument pas remis en cause par l’accord. Leur préparation se poursuit selon le calendrier prévu : parallèlement au débat parlementaire qui reprend la semaine prochaine à l’Assemblée, un large échange aura lieu en avril avec les régions, les départements et les communes. Les représentants du monde agricole et, j’y tiens beaucoup, les représentants du monde associatif, seront invité à exprimer leurs souhaits pour définir les priorités et les méthodes à mettre en œuvre.
« A la fin du mois d’avril, nous aurons donc recueilli les avis des collectivités, des élus, des associations et de la profession. Une réunion d’ultime arbitrage, que je présiderai se tiendra début mai au Conseil supérieur de l’orientation (CSO). A la suite de cette réunion, nous aurons tous les éléments pour déposer le décret, rédiger le guide au contrat territorial d’exploitation, ainsi que la circulaire d’application.
« Le 29 juin 1999, nous organiserons un colloque à Rambouillet pour marquer le bouclage de la phase préparatoire et la sortie du décret, très peu de temps après la promulgation prévue de la loi. »

La Nouvelle République : La majorité plurielle est mise à l’épreuve par l’engagement français au Kosovo. Crise passagère ou vraie divergence ?

J. Glavany : « Personne ne peut se réjouir de l’intervention armée de l’OTAN, surtout dans cette partie de l’Europe où l’histoire nous enseigne la prudence… Mais la seule question à se poser est : « Que    serait-il passé si l’on était resté passifs ? » C’est la seule question qui vaille. Pour le reste des différences d’appréciation peuvent apparaître. C’est bien naturel. Mais la cohésion de la majorité n’est aucunement menacée. »