Texte intégral
RTL - 15 juillet 1997
J. Esnous : À la une de l’actualité politique, il y a bien sûr, ce soir, les suites de l’intervention de Jacques Chirac et en particulier, les accusations du Parti socialiste qui a vu, hier, en Jacques Chirac, plus un chef de l’opposition qu’un président de la République. Qu‘avez-vous à leur répondre, aux socialistes ?
Jean-Pierre Raffarin : Le Parti socialiste est amnésique, semble-t-il. Il oublie le comportement de François Mitterrand. Heureusement, M. Charasse vient de dire que le président Chirac se comportait comme l’avait fait précédemment le président Mitterrand.
J. Esnous : C’est un de vos alliés alors M. Charasse ?
Jean-Pierre Raffarin : Provisoirement probablement, mais je crois que le président, en fait, n’est ni un attaquant, ni un défenseur, c’est un arbitre. Alors, il est naturel et puis conforme à son rôle qu’il dispose d’une totale liberté de parole. C’est à lui de distribuer notamment les cartons jaunes quand le Gouvernement commet des erreurs. C’est ce qu’il a fait avec netteté et je crois qu’il est tout à fait dans ce rôle, c’est l’homme en charge de l’essentiel, selon le général de Gaulle. Le président de la République, donc, a ce devoir d’arbitre.
J. Esnous : Cela a dû vous faire plaisir quand même que Jacques Chirac critique aussi sévèrement le Gouvernement de Lionel Jospin, ça doit vous donner du cœur au ventre après la défaite du mois de juin ?
Jean-Pierre Raffarin : Nous savons bien quelles sont les idées politiques du président de la République, donc on n’avait aucune ambiguïté sur son attitude. Il est clair que les rendez-vous internationaux de la France – je pense notamment au sommet européen du Futuroscope, je pense à Amsterdam, je pense à Denver, je pense à Madrid – ont fait que le président a dû veiller d’abord à ce que la France s’exprime d’une seule voix, mais il est aussi important que le Gouvernement définisse un peu les règles de la cohabitation et donc que le président de la République puisse clairement dire ce qu’il a à dire quand les enjeux supérieurs du pays sont en cause. Et donc ça me paraît être un fonctionnement normal de cette cohabitation, même si évidemment la cohabitation en soi est un pis-aller.
J. Esnous : Est-ce que vous pensez que l’on s’oriente vers une cohabitation de combat, notamment sur les prérogatives du Premier ministre et du président de la République ? François Hollande, par exemple, disait qu’il n’est pas question de laisser Jacques Chirac se mêler de tout et en particulier que l’euro est du ressort de Lionel Jospin.
Jean-Pierre Raffarin : Je crois que François Hollande n’a pas les pouvoirs constitutionnels de s’opposer à l’expression du président de la République. Et pour qu’il y ait vraiment une cohabitation de combat, il faudrait que le Gouvernement fasse aussi preuve d’un plus grand rythme de travail. Aujourd’hui, finalement, les députés sont en vacances, les réformes sont en instance, le Gouvernement manque vraiment de cadence et je crois qu’en feignant d’ignorer les difficultés, le Premier ministre cherche à gagner du temps. Mais en vérité, il ne maîtrise pas le calendrier. Les rendez-vous sont fixés, notamment son premier grand rendez-vous, c’est la loi de finances pour l’automne prochain et je crois qu’il n’échappera pas à ces rendez-vous de vérité. Donc il devra faire ses propres arbitrages, notamment entre ses promesses électorales et ses engagements européens.
J. Esnous : Qu’avez-vous compris quand le chef de l’État indiquait qu’il n’y avait plus de grandes différences entre les formations de l’opposition ? Quand il a parlé d’union, est-ce que cela veut dire un seul parti ?
Jean-Pierre Raffarin : Je crois qu’il est clair que le président souhaite que toutes les forces se rassemblent et qu’on cherche plutôt à se rapprocher qu’à se diviser. Le parti unique n’est pas une solution puisqu’il priverait certaines sensibilités de s’exprimer et je crois qu’il faut au contraire que l’opposition soit, elle aussi, plurielle comme on dit maintenant, pour pouvoir parler à l’ensemble des sensibilités. Donc, il faut que les gaullistes, les libéraux, les démocrates-chrétiens, puissent exprimer leurs différentes sensibilités pour parler à l’ensemble des électeurs de l’opposition. Donc, je crois que l’opposition a, aujourd’hui, un devoir de reconstruction. Il faut qu’elle analyse ses échecs ; il faut qu’elle maîtrise maintenant ses propositions d’avenir. Elle doit le faire dans l’union mais aussi avec la recherche de dynamisme. Je crois qu’on n’en est plus, aujourd’hui, à un positionnement marketing. Il ne s’agit pas de positionner les forces politiques sur un échiquier, il s’agit de créer du mouvement. Démocratie libérale a cette ambition de créer un mouvement pour l’humanisme libéral.
J. Esnous : N’y a-t-il pas trop de formations dans l’opposition ? Est-ce que chaque parti est utile et représente bien une opinion différente ?
Jean-Pierre Raffarin : Quand on construit une maison, on ne compte pas les pierres au départ. Il y a une maison à l’arrivée, mais au départ il peut y avoir plusieurs pierres. Ce qui compte aujourd’hui, c’est de bâtir et de bâtir une grande maison-opposition capable de devenir une grande maison-majorité. Il est clair que plusieurs acteurs doivent conjuguer leurs efforts. Moi, je crois qu’aujourd’hui nous sommes engagés dans une course au dynamisme, au mouvement, et cette course ne se fait pas par l’élimination des uns ou des autres. Il faut, au contraire, qu’on soit capable de séduire, de proposer, d’attirer, de trouver des idées nouvelles.
J. Esnous : Justement, est-ce que vous allez vous mettre à l’écoute des Français, comme vous l’a conseillé Jacques Chirac ?
Jean-Pierre Raffarin : Je pense que c’est une nécessité. En ce qui me concerne, avec Philippe Vasseur, nous commençons, dès après les vacances, un tour de France pour aller repérer les projets de la France de l’an 2000 et les véritables forces et talents de la France des régions, notamment. Donc je crois qu’il faut exprimer ces forces-là et puis il faut trouver les solutions aux problèmes qui sont posés par les Français. Car, au fond, les Français votent sur les problèmes aujourd’hui. Ils ressentent les problèmes de manière douloureuse. C’est évident pour le chômage. Mais il y a d’autres difficultés que les Français ont à affronter. Notre problème, aujourd’hui, est de trouver les solutions. Je crois que Démocratie libérale, c’est le lieu où s’inventeront les solutions fondées sur la liberté, sur l’énergie personnelle, sur cet humanisme libéral qui est au cœur de notre action.
J. Esnous : On a connu hier les comptes de votre gestion 1997. Pas fameux ! Avec tous les prélèvements faits, il en manquait encore !
Jean-Pierre Raffarin : Écoutez, au fond les déficits ne constituent pas une surprise. Alain Juppé l’avait dit.
J. Esnous : Pas pendant la campagne !
Jean-Pierre Raffarin : Qui a dit que les finances publiques étaient dans un état calamiteux ?
J. Esnous : Il parlait de l’état des finances sous Édouard Balladur.
Jean-Pierre Raffarin : C’est vrai, qu’il y a les deux septennats socialistes, qu’il y a un certain nombre de dettes qui ont été réalisées mais il n’empêche que la situation dans laquelle Alain Juppé a dû gouverner était une situation de finances publiques calamiteuses. Il a commencé à la redresser. On nous annonçait un déficit qui pouvait dépasser les 4 % ! Le déficit est finalement dans ce qui avait été prévu à savoir entre 3,5 et 3,7 %. Il fallait continuer un certain nombre d’efforts. Je ne conteste pas du tout le fait que le Gouvernement était devant la nécessité de faire un effort de redressement. De toute façon, il fallait faire cet effort. C’était clair et je crois qu’il est nécessaire pour redresser les finances. Est-il aujourd’hui suffisant et apportera-t-il des réponses financières pour que nous puissions avoir une économie qui retrouve sa santé ? Il y a un point d’interrogation.
J. Esnous : Si vous aviez été élu, vous auriez dû faire la même purge ?
Jean-Pierre Raffarin : Je pense très franchement, car il faut être honnête, qu’il était nécessaire de poursuivre le redressement. Il était clair que la situation des finances publiques dans ce qu’elle a de difficile aujourd’hui, tant que l’on n’a pas une réforme de l’État qui permet d’avoir une dépense publique mieux maîtrisée, nécessite des efforts.
J. Esnous : Est-ce que vous avez été content que les ménages et les petites entreprises aient été épargnées ?
Jean-Pierre Raffarin : D’abord, je suis un peu déçu du manque de réformes. Cela fait maintenant plusieurs semaines que le Gouvernement est au travail, on annonce des mesures et pas de réformes. Ce dont le pays a besoin, ce sont des réformes et pas des mesures. Quant aux techniques mêmes qui sont proposées, j’ai noté un matraquage gouvernemental sur la protection des PME qui est un véritable et un immense coup de bluff ! En effet, la plupart des entreprises de moins de 50 millions de chiffre d’affaire sont déjà dispensées de l’impôt sur les sociétés. C’est notamment le cas d’un très grand nombre d’artisans, de commerçants. Donc ce seuil de 50 millions est un seuil quelque peu bidon ! Il faudrait remonter au moins jusqu’à 200 millions pour pouvoir protéger ces petites entreprises qui, aujourd’hui, grâce à leur réussite à l’exportation créent des emplois en France. Et il y a là, une vaste opération marketing. L’équipe Jospin est sans doute la meilleure équipe quant au cosmétique, mais je ne pense pas que la cosmétique soit aujourd’hui nécessaire pour la politique.
J. Esnous : Pourtant le plan est bien accueilli en Allemagne, à Bruxelles, à l’étranger.
Jean-Pierre Raffarin : C’est un début. Il est important que l’on voie que Lionel Jospin est d’ores et déjà en train de tourner le dos à ses promesses irréalistes. Donc, ce que salue l’étranger, c’est cette vérité qui est en train de s’affirmer à savoir que les promesses électorales de Lionel Jospin sont incompatibles avec la situation de la France en Europe. Et donc, progressivement, l’étranger salue un retour progressif au réalisme du Gouvernement français.
J. Esnous : Vous n’êtes pas un peu gêné aux entournures…
Jean-Pierre Raffarin : Est-ce que j’ai l’air d’être gêné aux entournures, franchement !
J. Esnous : N’êtes-vous pas gêné de critiquer le Gouvernement Jospin qui essaye de reboucher les trous que vous avez créés vous-même ?
Jean-Pierre Raffarin : Vous savez bien que les trous ont été créés depuis un certain temps dans ce pays. Quand vous voyez que l’on a aujourd’hui, une masse salariale de la fonction publique qu’on n’est pas capable de financer, qu’il faut emprunter pour payer les fonctionnaires, il faut bien faire une réforme ! Ce n’est pas nous qui avons créés les postes dans la fonction publique qui nous mettent dans cette situation-là aujourd’hui. Donc, les déficits ne sont pas des déficits Juppé ! Ce sont les déficits d’un État français qui n’a pas su se réformer ! Voilà la véritable situation que nous devons affronter aujourd’hui. Très franchement, je crois que ce que fait aujourd’hui le Gouvernement Jospin, c’est un petit pas vers l’abandon de ses promesses et je crois qu’il est nécessaire que les Français prennent conscience que la vérité ne peut plus être masquée. Lionel Jospin n’échappera pas au moment de vérité où il devra avouer que ses promesses électorales ne sont pas compatibles avec la situation des finances publiques de notre pays.
J. Esnous : Votre pronostic est donc que le plan Jospin sera suivi d’autres plans ?
Jean-Pierre Raffarin : Je crois que les causes des déficits ne sont pas traitées au fond. Comme les causes des déficits ne sont pas traitées, les déficits vont continuer. Il faudra à l’automne cette épreuve de vérité pour traiter les causes du déficit et donc faire une loi de finances 1998 qui, non pas bouche des trous, mais qui réforme l’État pour faire en sorte qu’il n’y ait plus ce niveau de déficit.
J. Esnous : Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?
Jean-Pierre Raffarin : Et la réforme de la Sécurité sociale ? On a commencé à maîtriser les dépenses publiques. Nous avons fait des efforts. Regardez, aujourd’hui tout le monde parle de la protection des PME dans ce plan ; qui a fait, en France, que la cause PME est aujourd’hui respectée ? Avant on n’en parlait pas des PME ! Moi, je suis très heureux que nous ayons réussi avec Alain Juppé à faire exister la priorité PME mais pas une priorité PME à 50 millions de chiffre d’affaires ! C’est de la cosmétique ! Moi, je veux que la petite entreprise – qui fait cent salariés en Poitou, en PACA ou en Languedoc-Roussillon, qui grâce à son talent exporte aujourd’hui, est capable aujourd’hui de créer des emplois grâce à la croissance internationale – eh bien je veux que cette petite entreprise-là soit considérée comme une valeur nationale ! Pour cela, il faut l’exempter de cette augmentation de l’impôt sur les sociétés qui va venir la pénaliser à nouveau.
J. Esnous : Le Parti socialiste se réunit aujourd’hui pour voir s’il serait utile, nécessaire de réformer le mode de scrutin des régionales, êtes-vous pour ?
Jean-Pierre Raffarin : On ne change pas une loi électorale dans l’année qui précède les élections. Cela fait magouille.
J. Esnous : Même si les régions sont paralysées ?
Jean-Pierre Raffarin : Je crois qu’il est trop tard aujourd’hui pour la loi électorale. Aux électeurs de prendre leur responsabilité pour éviter la paralysie de leur région.
J. Esnous : À droite, votre camp se recompose dans la douleur.
Jean-Pierre Raffarin : Non, pas dans la douleur.
J. Esnous : On a compris quand même que cela grinçait.
Jean-Pierre Raffarin : Cela a l’air de vous faire plaisir !
J. Esnous : Pas du tout !
Jean-Pierre Raffarin : Alain Madelin a restructuré autour de Démocratie libérale un pôle à la fois libéral et démocrate dans l’UDF.
J. Esnous : N’y a-t-il pas trop de pôles justement dans l’opposition ? Ne serait-il pas temps de faire qu’il n’y ait qu’une opposition ?
Jean-Pierre Raffarin : Je pense qu’il faut du dynamisme et ce n’est pas du marketing qui consisterait à dire aujourd’hui que l’un couvre l’espace à droite et l’autre au centre et un troisième l’espace entre le centre et la droite, autrement dit le partage, la segmentation. Les Français en ont marre des cloisonnements ! Il faut une dynamique, une mobilisation. Il faut la prise de conscience que dans ce pays, seules des réformes structurelles nous éviteront d’avoir des plans de redressement tous les trimestres. Il faut faire en sorte que nous puissions réformer ce pays. Pour le réformer, il faut une dynamique de mobilisation, c’est ce que bâtit Alain Madelin avec Démocratie libérale. Il faut le faire dans l’union avec le RPR, avec les centristes. Il faut faire la compétition des dynamismes. Il ne faut pas se priver du pluralisme pour être dynamique !
J. Esnous : Que pensez-vous de la décision de quatre maires d’interdire aux enfants de moins de douze ans d’être seuls la nuit de minuit à six heures ?
Jean-Pierre Raffarin : Je voudrais dire d’abord que j’ai été très choqué de voir que le Gouvernement a fait des reproches aux maires, agressé les maires faisant du maire le responsable des difficultés sociales dans le pays. Je crois que les maires sont sans doute parmi les acteurs politiques les plus dévoués, les plus proches du terrain. Il faut aujourd’hui que le Gouvernement respecte davantage les maires et leurs décisions. C’est très important
J. Esnous : Sur le fond ?
Jean-Pierre Raffarin : Sur le fond, je pense qu’il est bon que l’on fasse prendre conscience aux familles des responsabilités de chacun.
(manque RMC)