Texte intégral
R. Arzt : Globalement, les réactions étaient plutôt positives et les critiques plutôt mesurées après la présentation du plan de redressement des finances publiques. Admettez-vous que le Gouvernement a réussi là une première épreuve ?
François Léotard : Je crois que l’attitude du Gouvernement était plus habile que courageuse. Est-ce que l’habileté dans les périodes que nous vivons est la bonne réponse aux problèmes des Français ? C’est de l’habileté en effet que de faire porter la charge d’un redressement qui est essentiellement fait par la fiscalité sur les entreprises. Mais première question : la fiscalité des entreprises n’est-elle pas la fiscalité des Français ? Est-ce qu’en touchant les entreprises comme on le fait de cette manière, on ne touche pas aussi l’emploi ? Or vous savez que nous battons tous les records des pays industrialisés dans le domaine du chômage. C’est la première remarque. Le Gouvernement a fait – c’est ma seconde remarque – une double erreur : une erreur de diagnostic – quelle est la situation de la société française ? Il a également commis une erreur de stratégie.
R. Arzt : Quel est le diagnostic, alors ?
François Léotard : C’est que nous sommes le pays, parmi les pays les plus riches du monde, le plus écrasé par la dépense publique, et donc par la dette ; nous sommes également le pays dans lequel le chômage est le plus élevé. Or, il y a un lien entre ces deux réalités : s’il y a du chômage en France, c’est parce que la dépense publique pompe littéralement l’énergie des Français. L’erreur de diagnostic coûtera très cher au pays, et très cher au Gouvernement. Si on ne réforme pas l’État – qui, dans le plan qui été présenté il y a 48 heures, est la seule entité à ne pas être touchée, pratiquement, puisque ce sont les entreprises qui supportent l’essentiel de la charge – on arrivera en loques à la monnaie unique. Je crois que c’est une très grave erreur de la part du Gouvernement.
R. Arzt : À propos de l’État et des finances publiques, il y a 2 milliards d’économies annoncés sur les équipements de défense nationale en préservant les grands programmes. Vous avez été ministre de la défense. Comment et sur quoi de telles économies sont-elles possibles ?
François Léotard : Vous observerez – vous venez de le dire vous-même – que c’est sur l’investissement qu’on fait porter l’effort, jamais sur le train de vie de l’État, jamais sur le fonctionnement. D’ailleurs, cela avait déjà été le cas dans les deux dernières années. On a fait des efforts budgétaires sur l’investissement, ce qui là aussi est une erreur de stratégie. Faisons des efforts sur le fonctionnement de l’État. C’est le train de vie de l’État qui coûte cher.
R. Arzt : Et l’investissement en matière de défense ?
François Léotard : L’investissement en matière de défense, ce sont des technologies qui sont extraordinairement nécessaires à l’Europe, à la France et à l’Europe. C’est l’informatique de défense, c’est la balistique, c’est le nucléaire, c’est l’optronique, c’est un certain nombre de technologies qui nous permettent d’être souverains ou d’être sous tutelle. Puisqu’on parle beaucoup aujourd’hui des Américains, si nous abandonnons ces investissements-là, nous serons sous tutelle technologique, c’est-à-dire politique.
R. Arzt : Parlons des Américains, justement, à propos du projet de fusion Boeing-Mc Donnell : B. Clinton indique qu’un véto de la commission européenne entraînerait une guerre commerciale entre les États-Unis et l’Europe ; la Commission européenne peut et doit tenir le coup ?
François Léotard : Au moment où nous parlons – elle se réunira dans une heure – nous pourrions lui envoyer un message de fermeté. Je souhaite que les Européens comprennent que s’ils capitulent devant ces attitudes qui sont des attitudes d’hégémonie politique, malheureusement, il ne servirait à rien d’aspirer à une Europe construite politiquement. Cela voudra dire qu’on a laissé aux Américains, après avoir détruit le Concorde, la possibilité de détruire l’Airbus.
R. Arzt : Vous avez été convié hier à dîner par le président Chirac. Avez-vous parlé de ce dossier ?
François Léotard : Bien entendu. C’était même l’essentiel de notre conversation car je crois que l’enjeu de la construction politique du continent européen est un enjeu formidable pour cette fin de siècle. Le président en est très conscient. C’est lui d’ailleurs qui anime en grande partie la volonté de réflexion, de fermeté, éventuellement de résistance parmi les Européens.
R. Arzt : Plus que le Gouvernement ?
François Léotard : Certainement plus que le Gouvernement !
R. Arzt : Avez-vous parlé de l’opposition ? Comment se situe-t-il par rapport à l’opposition, à l’UDF en particulier ?
François Léotard : Je ne dirai pas que ce n’est pas son affaire, parce qu’il est issu de la réflexion intellectuelle et culturelle de l’opposition, notamment à travers le mouvement gaulliste. Mais ce n’est pas de cela dont nous parlons avec le président de la République. Par contre, il est de mon devoir et de celui de P. Séguin de reconstruire ce qui était l’ancienne majorité. À l’UDF, nous le faisons avec sérieux et avec discrétion. Nous le faisons avec une volonté simple : faire exister des vieilles familles politiques en les renouvelant, la démocratie-chrétienne d’un côté, la famille libérale de l’autre, et en les réunissant. C’est ce que je m’efforce de faire. Vous verrez à la rentrée que l’UDF sera en bon état de marche pour affronter les décisions qui vont être très difficiles du Gouvernement actuel.
R. Arzt : Quel type de dialogue aurez-vous avec le RPR de P. Séguin ? Y a-t-il une différence entre le RPR dirigé par P. Séguin et dirigé par A. Juppé ?
François Léotard : Au lendemain de son élection, j’ai écrit à P. Séguin pour lui dire que nous souhaiterions le rencontrer. J’ai des relations personnelles qui sont excellentes avec lui. Nous allons, je crois, dans un esprit d’union, parce que c’est ce que nous demandent nos électeurs, construire une opposition responsable. Je fais tout à fait confiance à P. Séguin pour faire ce qui convient pour le mouvement gaulliste, comme j’essaie de le faire pour l’UDF.
R. Arzt : Il semble qu’il y avait à la mairie de Fréjus des faux tampons de la sous-préfecture et de la préfecture. À quoi cela servait-il ?
François Léotard : Ce qui a été fait, c’est un montage un peu indigne de la part de certains de vos confrères. Je trouve qu’il y a actuellement des manquements à la déontologie dans le monde des médias tout à fait graves.
R. Arzt : Ces tampons, tout de même !
François Léotard : Il n’y a aucune fraude, tout le monde le reconnaît, l’État lui-même le reconnaît, l’État intérieur, l’État-justice. Il n’y a donc aucune espèce de fraude, ni a fortiori de volonté de fraude. Il y a simplement la volonté de prendre acte d’une décision qui a été envoyée le moment venu à la sous-préfecture. C’est donc un montage. En d’autres temps, je dirais une farce. Mais faire de cela une affaire pour des journalistes, c’est véritablement scandaleux. Je regrette pour ma part que certains journalistes se laissent aller à ce type de comportement qui est très loin de l’honnêteté au plan intellectuel.
R. Arzt : Je ne sais pas si vous en faites un lien, mais le préfet Marchiani a quitté le Var, le maire FN de Toulon l’a regretté. Et vous ?
François Léotard : Je n’ai pas fait de commentaires, et je n’en ferai pas. C’est un mouvement qui relève du ministre de l’Intérieur. Vous savez ce que je pense sur ce sujet. Je n’ai pas à commenter une décision qui m’est d’ailleurs assez indifférente, pour tout vous dire.
R. Arzt : Plusieurs communes de maires RPR ou UDF ont pris des arrêtés interdisant la circulation des enfants dans les rues la nuit. Qu’en dites-vous ?
François Léotard : Je suis maire, et je ne le fais pas et ne le ferai pas. J’attache trop d’importance à la liberté des individus pour prendre des décisions de cette nature. Je laisse à chaque maire le soin de faire ce qu’il ressent, ce qu’il souhaite. C’est son droit et son devoir. Mais je ne le fais pas. Si on parle des enfants non-accompagnés, il faut dire aussi par qui les enfants doivent être accompagnés. À 11 ou 12 ans, s’ils sont accompagnés par leur frère, il faudra en vérifier l’identité ? Tout cela est peut-être grave pour la liberté des gens ! Je ne prendrai pas ce type de décision.