Texte intégral
Date : Dimanche 7 septembre 1997
Source : Public
Michel Field : Bonsoir.
Merci de rejoindre ce nouveau rendez-vous politique de TF1, « Public », et vous comprendrez que, là, à ce moment précis, mes pensées aillent à celle qui a occupé, pendant 13 ans, cette tranche horaire et vous a habitués à un rendez-vous que vous avez suivi très, très nombreux. Donc, mes pensées vont à Anne Sinclair que j’embrasse en direct.
Dominique Voynet, bonsoir.
Dominique Voynet : Bonsoir.
Michel Field : Merci d’être ma première invitée et d’essuyer les plâtres, mais comme ministre de l’environnement, vous êtes adepte de la propreté. Donc, cela va à peu près.
La première question que j’avais envie de vous poser, étant donné que vous venez de vivre une semaine à peu près difficile. Sur quasiment tous les sujets sur lesquels vous étiez un peu engagée, le Premier ministre, semble-t-il, a donné des arbitrages en votre défaveur. Alors, vit-on mal une semaine comme celle-là ? sur la taxation du gazole, sur l’immigration. On y reviendra dans le cours de l’émission. Mais avez-vous le sentiment, déjà, d’être un petit peu mise à l’écart dans cette majorité plurielle dont on a tant parlé ?
Dominique Voynet : Pas du tout ou pas encore : selon que l’on soit optimiste ou pessimiste. En fait, je me suis donné comme règle, en acceptant de participer à ce gouvernement « pluriel », de juger les choses sur la durée et de rejeter les tentations que je pourrais avoir, de mouvements d’humeur, de petits clashs qui font plaisir...
Michel Field : ... vous n’avez pas encore proposé votre démission ou menacé de démissionner, puisque vous avez un certain nombre de collègues, au gouvernement, qui sont des grands spécialistes de la chose ?
Dominique Voynet : Je n’envisage pas de le faire. J’ai envie d’être jugée dans la durée. C’est d’ailleurs, me semble-t-il, ce qui est aussi l’ambition de ce gouvernement tout entier. J’ai envie aussi de pouvoir régulièrement revenir devant mes amis, chez les Verts, pour faire le bilan de mon action, pour leur exposer les difficultés que je rencontre, et il y en a ! …
Michel Field : Vous êtes un peu maso tout de même parce que, le week-end dernier, c’était chaud pour vous.
Dominique Voynet : Il y en a ! Parce que certaines d’entre-elles peuvent être comprises, d’autres moins. J’ai envie, en tout cas, que les décisions soient prises collectivement.
Je ne sais pas si vous êtes particulièrement bien informé, mais en ce qui concerne la taxation du gazole, je n’ai pas encore, moi, reçu de mauvaises nouvelles. En ce qui concerne l’immigration, le débat n’est pas encore clos. Et j’ai bien l’intention, pour ce qui me concerne, de participer à ce débat de la façon avec laquelle j’envisage les choses dans le Gouvernement. Tant que je me sentirai respectée, écoutée, considérée comme un membre à part entière d’une équipe gouvernementale, j’accepte très bien l’idée de ne pas gagner, surtout d’être minoritaire.
Michel Field : Y a-t-il déjà des grosses couleuvres que vous avez dû avaler ?
Dominique Voynet : Non...
Michel Field : ... des moyennes couleuvres, alors ?
Dominique Voynet : Les premiers mois ont été plutôt agréables à vivre avec deux victoires qu’on peut considérer comme des victoires historiques pour les écologistes, sans aucune réticence : l’arrêt de Superphénix qui est un gros dossier...
Michel Field : ... mais, là, c’est une sorte de revanche que vous avez prise. Parce que, lorsque vous étiez enceinte de 8 mois, vous étiez à la manifestation, sur le site de Superphénix, il y a quoi ?... en juillet 1977.
Dominique Voynet : Non, ce n’est pas une revanche. On ne peut pas du tout raisonner comme ça. Ce sont des dossiers suffisamment lourds, qui engagent suffisamment d’argent public, suffisamment d’emplois, suffisamment de projets d’aménagement du territoire, pour une région comme Rhône-Alpes, pour qu’on ne traite pas de ce genre de sujet à la légère.
Franchement, j’ai envie de faire mon travail de ministre avec exigence à l’égard de moi-même, avec exigence à l’égard de mes partenaires. Je m’interdis les revanches, les renvois d’ascenseur, le clientélisme. J’ai envie d’être exigeante et de pouvoir justifier de mes décisions à chaque fois que l’occasion s’en fera sentir.
Michel Field : Nous allons passer ces décisions ou ces perspectives de décisions en vue. Mais nous commençons cette émission, ce sera désormais la tradition, par un portrait, un petit portrait...
Dominique Voynet : ... subjectif.
Michel Field : Un portrait assez subjectif, assez incisif. Vous êtes là, aussi, pour y répondre.
Sébastien Deflasque l’a composé, regardez-le.
REPORTAGE : Portrait de Madame Dominique Voynet
Michel Field : Alors, les réactions à ce portrait ?
Dominique Voynet : Je crois qu’il est bien.
Michel Field : Vous vous sentez plus militante que ministre ?
Dominique Voynet : J’ai une lourde expérience militante, une lourde expérience des responsabilités dans ma profession. Et j’ai aujourd’hui, finalement, l’occasion de marier les deux. Mais c’est vrai que j’ai une expérience beaucoup plus faible, que bien d’autres membres du gouvernement, du fonctionnement de l’appareil d’État, des rapports de forces en leur sein, du poids des lobbies, de la façon dont se prennent les décisions. Moi, cela continue à m’agacer, jour après jour, de voir combien il est difficile, combien c’est lent, une fois que la décision est prise, de faire en sorte qu’elle soit vraiment appliquée sur le terrain.
Michel Field : Mais ce qu’on appelle « les lobbies », il y a ce travail d’influence et tout !... Mais, il y a derrière les lobbies, aussi, des secteurs d’activités, des emplois. On vous dit et on entend souvent dire que vos mesures, toutes sympathiques, toutes généreuses soient-elles, se paient généralement de risque, finalement, de catastrophe.
La polémique autour de Superphénix, vous la connaissez. Il y a quand même aussi un bassin d’emplois qui risque d’être menacé par la fermeture.
Dominique Voynet : Bien sûr ! Une partie de mon travail est de faire le tri entre les légitimes inquiétudes de corps de métiers qui sont exposés à l’arrêt de leur activité ou à des reconversions qui sont difficiles, qui sont douloureuses et qu’il faut assumer. Et puis les affirmations irrationnelles, les chiffres qui se gonflent de jour en jour, qu’il faut démonter, examiner. La pédagogie est nécessaire à chaque étape du traitement d’un dossier comme celui-là.
En ce qui concerne Superphénix, par exemple, on a discuté de tout avec nos interlocuteurs sur le terrain. Des sommes qu’on devait donner à nos partenaires étrangers, certains ont avancé des chiffres qui dépassaient la dizaine de milliards, du nombre d’emplois qui pouvait être éventuellement menacé, des possibilités de reconversion industrielle du site.
Ce sont des dossiers très lourds. Et c’est vrai qu’au-delà de la décision, c’est le travail qui commence.
Michel Field : Vous avez crié « victoire » en ayant un ministère « Aménagement du territoire et environnement » qui faisait sortir l’environnement d’une sorte de supplément d’âme gouvernementale. L’aménagement du territoire, c’est un ministère lourd et qui peut influer très directement sur le tissu même du pays. Néanmoins, n’est-ce pas finalement très contradictoire ? Et n’allez-vous pas sans cesse être dans le conflit d’intérêt entre les exigences de l’aménagement du territoire et les exigences de l’environnement ?
Dominique Voynet : En fait, ce sont deux secteurs de l’activité gouvernementale qui sont un petit peu atypiques.
L’aménagement du territoire, c’est typiquement un domaine transversal où il s’agit essentiellement de motiver les autres ministres pour aboutir à une cohérence des prises de décisions et à leur inscription dans la durée, parce qu’on ne travaille pas seulement sur la durée d’un mandat ou sur des politiques de court terme.
L’environnement, c’est la politique marginale, par excellence. D’ailleurs, on l’a bien vu, et on en reparlera sans doute, tout à l’heure, à propos des pics de pollution. Tout le monde a interpellé la ministre de l’environnement : « Quoi ? Que fait Voynet ? ». Personne n’est allé demander à Jean-Claude Gayssot où on en était de la révolution des transports...
Michel Field : ... enfin, cela ne vous choquait pas quand c’était vous qui hurliez après Corinne Lepage.
Dominique Voynet : On s’est toujours beaucoup intéressés aux transports. Et je n’ai jamais hurlé après Corinne Lepage...
Michel Field : ... comment ?... Sur le pic 2. Comment ? que fait-elle ? pourquoi ne met-elle en œuvre la circulation alternée ? ce que vous vous êtes bien gardé de faire cet été, tout de même.
Dominique Voynet : J’ai souvent été accusée de complaisance à son égard par mes amis qui me disaient : « La solidarité féminine ne te rend pas assez exigeante à son égard ». Moi, ce que je voyais surtout, c’est qu’elle éprouvait les pires difficultés à batailler devant des corps de métiers, des parlementaires, pour donner un peu de contenu à sa loi sur l’air. Elle n’y est guère parvenue. Et, d’ailleurs, aujourd’hui, on le paie. C’est-à-dire que, dans la loi sur l’air, il n’y a guère de dispositions réellement contraignantes permettant d’avoir une riposte graduée en cas de dégradation, jour après jour, de la qualité de l’air.
Michel Field : Mais vous n’avez pas fait grand-chose cet été ?
Dominique Voynet : Cela me paraît évident que je n’ai pas fait grand-chose...
Michel Field : ... Eh bien, oui, vous dites cela avec un air ! ... mais vous êtes là pour faire des choses.
Dominique Voynet : C’est vrai ! Je l’ai revendiqué, et cela a été un petit peu difficile...
Michel Field : ... vous avez revendiqué de ne rien faire. C’est original !
Dominique Voynet : J’ai revendiqué de ne rien faire, dans l’urgence, dans le superficiel. Je ne peux pas être le ministre qui fait croire qu’en cas de pics de pollution, on peut, d’un simple claquement de doigt, résoudre un problème qui est un problème lourd, de fond.
D’ailleurs, les ministres de l’environnement qui se sont succédés ont toujours eu un petit peu cette fonction. On les traînait sur les plateaux de télévision en cas de pics de pollution pour dire : « ne vous inquiétez pas, on s’occupe de tout ». Et puis le pic passé, tous leurs collègues au gouvernement, finalement, estimaient qu’on avait bien abordé la question et qu’on pouvait se rendormir jusqu’au pic suivant.
Michel Field : Et on ne vous invitait plus sur les plateaux de télé. Donc, vous êtes une sorte de grenouille. Si je vous invite là, cela veut dire qu’il y aura de la pollution, demain, sur Paris. C’est cela que vous craignez ?
Dominique Voynet : Lors du prochain pic, vous inviterez mes collègues au gouvernement s’ils n’ont pas fait ce qu’ils se sont engagés à faire. Je ne peux pas préjuger de cela, parce qu’on commence seulement un travail de longue haleine. Mais, c’est vrai qu’on a besoin de mettre en place les plans de déplacement urbain prévus par la loi sur l’air qui feront la part belle aux transports collectifs. On a besoin de dégager des moyens pour permettre de mettre davantage de marchandises...
Michel Field : Et quand ?
Dominique Voynet : ... sur le rail, et pas seulement à travers des camions qui traversent l’Europe.
Michel Field : Et quand toutes ces décisions ?
Dominique Voynet : Au fur et à mesure qu’on a, et l’argent et la volonté, et l’accord de la population pour le faire.
Personnellement, j’ai trouvé formidable la dernière enquête faite par « Le Parisien » sur la satisfaction ressentie par la population à l’égard de l’équipe gouvernementale. Ce qui vient en tête, c’est la satisfaction dans le domaine de l’environnement. Qui l’aurait dit !...
Michel Field : Ne vous fiez pas aux sondages, aux sondages d’audience. C’est très, très dangereux, vous savez.
Dominique Voynet : Oui, par exemple, il y a des sondages qui avaient prévu que je ferais 3 % des voix aux élections présidentielles, et je ne les avais pas crus. J’aurais dû !
Michel Field : Dominique Voynet, on se retrouve après la publicité. Et puis, nous feuilletterons ensemble l’actualité de la semaine, une actualité très fournie, avec un certain nombre de témoins de cette actualité et d’acteurs de cette actualité.
Michel Field : Retour à « Public » avec vous, Dominique Voynet.
Nous allons évidemment revenir sur les faits essentiels de cette semaine.
Fait essentiel, hier, ce sont les obsèques de Lady Di, suivis par plusieurs millions, voire plusieurs milliards de personnes, avec cette émotion mondiale. On va revenir sur les images les plus marquantes de cette journée d’hier, et puis je vous poserai une ou deux questions là-dessus.
On regarde.
REPORTAGE : Obsèques de Lady Diana
Michel Field : Elton John, bien sûr.
Comment comprenez-vous, Dominique Voynet, cette ferveur populaire ? Et pensez-vous, comme la presse britannique commence à l’évoquer aujourd’hui, que, finalement, cette journée d’hier marque une date, peut-être très importante, dans l’évolution même des rapports de la population britannique avec la monarchie ?
Dominique Voynet : Ce sera une surprise pour vous, je suis assez peu compétente en ce qui concerne la monarchie et les têtes couronnées, en général. Je n’ai jamais eu l’occasion de rencontrer Lady Di, et je n’ai pas d’avis personnel sur ce qu’elle était vraiment.
D’une certaine façon, l’émotion considérable que son décès a provoquée reste pour moi, quand même, assez largement une énigme. Si j’essaie de l’expliquer, je verrais avant tout deux raisons :
La première, c’est qu’elle incarnait quand même une volonté d’une monarchie moins lointaine ou moins austère, plus proche des préoccupations des gens.
Michel Field : Une forme de modernité aussi.
Dominique Voynet : Une forme de modernité. Quoi que la modernité en la matière est quelque chose qui se discute.
Elle incarnait aussi, saI1s doute, une volonté d’avoir des représentants plus proches des misères du monde, plus compréhensifs à l’égard de la vie quotidienne des gens modestes.
Je crois aussi qu’il y a une autre dimension qui mérite d’être relevée, c’est le fait qu’on a besoin d’avoir des moments d’émotion collective assez forts, où l’on se rassemble simplement pour dire : « on continue ensemble ». Et cela est quelque chose d’assez difficile à expliquer, d’un petit peu irrationnel.
J’aurais envie de dire, quand même, que cet événement mérite d’être relativisé et que, dans cette affaire, rien ne peut excuser le fait de rouler à 200 km/h à travers les rues de Paris. Et que chaque année, à travers la France, il y a 9 000 personnes qui meurent de l’alcool, de la vitesse et du sentiment, finalement, qu’on peut avoir d’être au volant, plus fort, plus vivant, plus puissant. Cela me paraît assez dangereux !
C’est presque être un rabat-joie que de le dire aujourd’hui. Ce sera peut-être mal compris. En même temps, la douleur ressentie ces jours-ci, par des millions de personnes anonymes, c’est la douleur de gens bien réels, de gens qui vivent, qui aiment, qui souffrent chaque fois qu’un des leurs meurt dans des conditions aussi absurdes.
Michel Field : Mais vous êtes une femme, vous êtes une militante. Vous avez été engagée dans le combat féministe. N’est-ce pas quelque chose d’un peu amer pour vous que de voir qu’une princesse, à la fois par la presse du cœur et par un engagement humanitaire, va peut-être remuer plus les consciences et les choses que plein et plein de combats militants auxquels vous étiez associée ?
Dominique Voynet : C’est vrai.
Michel Field : C’est un drôle paradoxe, ça !
Dominique Voynet : Non, ce n’est pas un paradoxe. Je crois que chacun, à sa place, fait ce qu’il peut pour que ça bouge. Qu’elle l’ait fait de façon volontaire ou involontaire, finalement, importe assez peu. Mais, en même temps, je crois qu’on a d’autant plus besoin de saluer la générosité et la modestie de gens qui ne seront jamais médiatisés et qui luttent pour les mêmes causes qu’elle. Il y a Mère Térésa, bien sûr, qui, elle, a été médiatisée, mais il y a aussi des princesses qui meurent tous les jours en Algérie. Je crois qu’on ne le dit pas assez.
Michel Field : Nous allons y revenir avec le semainier, l’actualité de la semaine, que vous propose « Public » :
- Rentrée Allègre
- Justice/le paradoxe
- Entreprises/débarquements
- Algérie/l’horreur
- Proche-Orient/l’impasse
Michel Field : Nous reviendrons, évidemment, sur un certain nombre de ces thèmes, notamment la privatisation d’Air France. Mais, tout de suite, nous allons rester sur le domaine de la politique étrangère, le Proche-Orient, l’Algérie.
Leïla Chahid, merci. Vous êtes la représentante de l’autorité palestienne en France. Vous avez, immédiatement, fermement condamné le triple attentat de Jérusalem jeudi dernier. L’actualité est là, le Caire voyait se réunir un sommet entre le Président Moubarak, Hussein de Jordanie et Yasser Arafat. Dans l’interprétation que nous vous proposons de la semaine, j’ai affirmé finalement que Netanyahu et Arafat payaient, chacun, le fruit de leur politique, notamment en ce qui concerne Yasser Arafat pour une trop grande complaisance ou une trop longue complaisance par rapport aux extrémistes du Hamas. J’imagine que cette assertion emporte votre critique ?
Leïla Chahid : Il n’est pas encore prouvé que ce soit le Hamas qui ait organisé les deux derniers attentats.
Michel Field : Il l’a revendiqué.
Leïla Chahid : Aujourd’hui, les informations, venant de la police et de l’armée israélienne, disent qu’ils ont des traces de possibilité que ce soit des commandants venus de l’extérieur.
Michel Field : Ce qui n’exclurait pas que ce soit le Hamas quand même ?
Leïla Chahid : Oui, parce que le Hamas est divisé entre celui qui est dans les territoires palestiniens et celui qui est à l’extérieur, étant beaucoup plus radical.
Il faut vous mettre à la place du Président Arafat, en train d’essayer de mettre en place une autorité palestienne nationale dans un bout de territoire minime qui sont les 5 % de Cisjordanie et les 60 % de Gaza, avec, au compte-gouttes, des améliorations de vie quotidienne. La vérité, c’est que, depuis l’arrivée au pouvoir de Monsieur Netanyahu, il y a plus d’un an et demi, le processus est pratiquement gelé. Et au lieu de continuer l’œuvre de Monsieur Rabin et de Monsieur Pérès, Monsieur Netanyahu a donné des signes très négatifs, comme la confiscation de nouvelles terres, comme la création de nouvelles colonies, comme le bouclage de territoires, donc une crise économique terrible, un chômage jamais atteint auparavant, de 68 % à Gaza, de 45 % en Cisjordanie, le dynamitage de maisons, de familles entières...
Michel Field : ... le processus a rencontré un grand écho dans une partie de l’opinion publique israélienne. Les attentats, comme ceux auxquels on vient d’assister, font revenir, à la fois, la méfiance, la haine, l’idée que ce processus de paix est une impasse, et on incrimine. Même les colons israéliens incriminent Yasser Arafat dans son impuissance à combattre le terrorisme dans son camp.
Leïla Chahid : Le Président Arafat ne peut combattre ce genre de groupuscules qui sont prêts à utiliser tous les moyens, même les plus violents, les plus terroristes, que s’il a un partenaire qui, avec lui, travaille pour rendre la possibilité d’isoler ces éléments d’extrême droite, je dirais, d’une manière plus efficace.
On ne peut pas uniquement par des moyens policiers... regardez d’ailleurs dans d’autres pays comme cela se fait !... Le Président Arafat a choisi d’isoler ces éléments, et le meilleur moyen de les isoler, c’est lorsque la population nous aide à les marginaliser. Mais, elle nous aide lorsque la paix donne réellement une amélioration de la vie quotidienne. Lorsque la paix recule, comme elle le fait depuis un an et demi, c’est vrai qu’ils trouvent dans la population de l’aide, ils sont comme un poisson dans l’eau.
Il n’y a pas que les moyens policiers, malheureusement. Parce que vous savez, des kamikazes sont des personnes qui viennent se faire sauter, on l’a vu d’autres pays, il n’y a pas à 100 % de garantie. Par contre, lorsqu’on travaille ensemble, en vrai partenariat, pas seulement sur le plan sécuritaire, mais sur le plan politique, sur le plan économique, là, vraiment, on peut essayer de minimiser au maximum ce genre d’attentat.
Michel Field : C’est l’objet de ce communiqué qui a clos le sommet du Caire aujourd’hui où, à la fois, Moubarak, Hussein de Jordanie et Yasser Arafat appellent à reprendre le processus de paix.
Leïla Chahid : Je crois que l’appel du sommet, aujourd’hui, des trois présidents était fait, surtout à la veille de l’arrivée de Madame Albreigth, pour dire qu’ils tiennent encore à la paix, qu’ils sont déterminés à la faire. Mais il faut, pour la faire, avoir aussi l’accord du gouvernement israélien qui, aujourd’hui, a refusé de mettre en œuvre le deuxième retrait de la zone C qui aurait dû avoir lieu aujourd’hui. Ce qui est encore une fois un message négatif.
Michel Field : Dominique Voynet, la politique du gouvernement français en la matière ? Quand la gauche était dans l’opposition, elle ironisait sur les tournées au Proche-Orient d’Hervé de Charette. Au moins, on y voyait quelque chose, tandis que, là, silence radio, semble-t-il ?
Dominique Voynet : Je crois que Leïla Chahid a dit l’essentiel, à savoir que les accords d’Oslo, les accords de Dayton, engagent les deux partenaires et qu’ils sont voués, l’un et l’autre, et quelle que soit l’envie qu’ils en ont au fond de leur cœur, à respecter leurs engagements s’ils veulent, devant leur opinion publique et devant la communauté internationale, pouvoir dire, avec quelque crédibilité, qu’ils défendent la mise en œuvre des accords de paix.
Je crois que des gestes très négatifs ont eu lieu depuis les élections israéliennes, que ces gestes sont de nature à handicaper très profondément le processus de paix, et que ce n’est pas l’augmentation des exigences à l’égard d’une autorité palestienne qui maîtrise une partie, très faible; du territoire et qui dispose de moyens matériels tout à fait limités au regard des attentes d’une population appauvrie par des années d’Intifada, ce n’est pas sérieux de renvoyer dos à dos ces deux partenaires.
En revanche, on peut tenir, à l’un et à l’autre, le même discours très ferme : « vous devez renouer le dialogue sans poser de conditions préalables parce que votre parole est engagée par les accords que vous avez signés ensemble ».
Michel Field : L’arrestation, ce matin, en Jordanie, d’lbrahim Goshe, l’un des porte-paroles du Hamas, c’est une initiative jordanienne ou c’est sur la demande de l’autorité palestienne ?
Leïla Chahid : Je pense que c’est une initiative jordanienne et, probablement, pour de bonnes raisons, peut-être de soutien à l’action entreprise. Comme je vous l’ai dit, il y a une différence entre le Hamas à l’intérieur et le Hamas à l’extérieur, et je crois qu’il est primordial d’essayer d’utiliser les moyens politiques et policiers pour arriver à faire un consensus au sein de la société palestienne.
Nous ne pourrons pas mener uniquement une répression lorsque, en retour, on ne donne rien à la population de ce qui a été promis dans les accords. Je vous signale qu’il n’y a toujours pas de passage en Cisjordanie, à Gaza. Il n’y a toujours pas d’ouverture. Les gens n’arrivent pas à travailler puisqu’il n’y a aucun passage. L’aéroport qui est déjà construit ne fonctionne pas. Le port n’est pas fait. Les prisonniers ne sont pas libérés. Je crois que ce genre de mesure répressive n’arrêtera pas, malheureusement, les attentats. Le meilleur moyen de les arrêter, c’est de faire en sorte que la paix devienne une réalité dans le quotidien. Et la sécurité sera la conséquence de la paix.
Michel Field : Leïla Chahid, merci.
Dominique Voynet, je vous interroge sur l’absence de visibilité de la politique gouvernementale, tant au Proche-Orient qu’en Algérie, puisqu’il en a été question, également, dans le semainier.
Quand vous étiez dans l’opposition, quand il était dans l’opposition, Lionel Jospin avait dit qu’il fallait changer de politique, montrer des signes plus déterminés d’actions sur le gouvernement algérien, et on ne voit rien venir.
Dominique Voynet : Je crois qu’il avait raison de le dire...
Michel Field : ... Maintenant, il pourrait le faire !
Dominique Voynet : Il est de ma responsabilité de le dire aujourd’hui : « je ne suis pas le porte-parole de Lionel Jospin, ni le porte-parole d’Hubert Védrine » ...
Michel Field : Non, mais vous êtes membre du gouvernement de la République.
Dominique Voynet : ... mais je suis membre d’un gouvernement « pluriel » au sein duquel le problème de l’Algérie est examiné, bien sûr Il -faut le dire, nous avons une responsabilité écrasante en ce qui concerne l’Algérie, nous ne pouvons pas nous contenter, attentat après attentat, assassinat après assassinat, de dénoncer, de déplorer, de faire part de notre sympathie devant les épreuves du peuple algérien.
Michel Field : Mais c’est le Gouvernement qui peut agir.
Dominique Voynet : C’est le Gouvernement qui peut agir, encore faudrait-il savoir comment agir. Je crois qu’il y a plusieurs phases dans cette situation algérienne. Au début, les personnes assassinées étaient des personnes qui incarnaient l’État, des policiers, des gendarmes, et on pouvait avoir une lecture politique de ce qui se passait là. Ensuite, cela a été les intellectuels, des journalistes, des professeurs...
Michel Field : Des femmes.
Dominique Voynet : ... et on s’est dit que cela pouvait être deux conceptions différentes du développement et de l’avenir de la société algérienne qui s’opposaient. Aujourd’hui, je ne pense pas qu’on puisse avoir une lecture aussi facile de la situation. Quand on égorge des bébés, quand on jette des jeunes femmes au fond d’un puits, quand on les vole à leur famille pour s’en servir lors de mariage de jouissance, on fait preuve d’une haine de l’autre et d’une volonté de détruire la culture, la civilisation, l’existence même de l’autre, qui sont absolument effrayantes.
Donc, que faire ? Aider les démocrates algériens, oui, bien sûr, accueillir sur le sol français les combattants de la liberté que sont les démocrates menacés, oui, bien sûr ! et la France n’a pas toujours fait ce travail. Sans doute aussi se donner le mal de contact avec les uns et les autres pour renouer les fils fragiles du dialogue. La communauté algérienne est légitimement inquiète de ce qu’elle interprète comme une volonté d’ingérence, il faudra être très prudents. Des initiatives avaient été prises l’année dernière qui pouvaient laisser penser que le dialogue était, sinon facile du moins possible. Je pense qu’il faudra y travailler au cours des semaines à venir.
Michel Field : Puisque nous évoquons la politique étrangère, je voudrais vous donner un rendez-vous, enfin vous faire parvenir un rendez-vous qui sera régulier, c’est le regard d’une télévision étrangère sur un fait d’actualité concernant la France. C’est un effet de décalage qui, quelquefois, peut nous en apprendre beaucoup.
Cela s’imposait. Le Président de la République est en voyage officiel en Mauritanie. Je vous propose donc de regarder un reportage de la télévision mauritanienne, la manière dont la télévision mauritanienne vient de rendre compte du voyage du Président français.
REPORTAGE
Source TVM : Tout Nouakchott s’est mobilisé pour réserver un accueil enthousiaste et coloré au Président français, Monsieur Jacques Chirac. La capitale mauritanienne n’a pas lésiné sur les moyens pour assurer le succès de cette visite. Et pour cause, la Mauritanie, pays confronté à une sécheresse persistante fonde beaucoup d’espoirs sur la venue d’un président dont le pays est, de loin, son premier partenaire au développement.
Jacques Chirac a d’ailleurs annoncé, au cours d’un échange de toasts avec son hôte mauritanien, le Président Ould Taya, une aide substantielle à la Mauritanie dans les secteurs de l’eau et de la sécurité alimentaire.
Sur le plan politique, le Président français a indiqué au cours d’une conférence de presse que la Mauritanie, pays charnière entre l’Afrique et la Méditerranée, a un rôle important à jouer dans l’installation de la paix au Proche-Orient.
Jacques Chirac : La France a des bases en Afrique, elle les maintiendra, et elle les maintiendra avec le même potentiel militaire. Et c’est là, je crois, qu’il y a eu, en Afrique, une incompréhension.
Donc, la France ne se désengagera pas sur le plan militaire en Afrique, c’est très clair.
Journaliste : Le Président français estime que l’intérêt porté à l’Afrique par les États-Unis d’Amérique devrait être sous-tendu par une action plus accrue en faveur du développement du continent noir.
Jacques Chirac : Je vais vous dire très franchement : plus les Américains s’intéresseront à l’Afrique et mieux cela vaudra ! À condition que ce soit un intérêt qui soit accompagné ou manifesté par les moyens nécessaires au développement de l’Afrique.
Journaliste : Le Président français, dont c’est la première visite en Mauritanie, s’est rendu également à Atar, une oasis du nord du pays et ville natale du Président mauritanien Ould Taya.
Michel Field : Voilà donc le reportage de la télévision mauritanienne. Quel effet cela vous fait de voir le président, que vous voyez quand même tous les mercredis en conseil des ministres, en visite officielle, comme cela ?
On a l’impression que, un peu loin de ce gouvernement qui ne lui est pas favorable, il reprend un peu d’aisance, un peu de vie...
Dominique Voynet : ... des couleurs et de la respiration.
Michel Field : Il est comme cela au conseil des ministres, le mercredi ?
Dominique Voynet : Moins gaullien, peut-être.
Ce qui serait bien quand même, c’est que l’on en vienne assez vite à une autre conception de notre coopération avec les pays d’Afrique. Je rêve de voir, parallèlement au voyage officiel des présidents, des ministres et des professionnels des relations diplomatiques, des ONG, des associations, des citoyens, des élus locaux, des gens qui font la coopération décentralisée, qui montent des projets de développement, qui se rencontrent, qui baragouinent sans interprètes entre eux, pour essayer finalement de vérifier, nez à nez...
Michel Field : ... Est-ce que vous êtes au gouvernement ? Parce que cela fait un quart d’heure que vous dites : « Il faudrait.... Je rêve, etc. », mais, cela dit, vous êtes aux affaires ?
Dominique Voynet : Je ne suis pas ministre de la coopération, donc, j’essaie de faire ce qu’il faut faire dans le champ de ma compétence et puis, pour le reste, je suis 1/27e du gouvernement. On est 27, on discute et l’on débat. Je crois que les choses vont se mettre en place tout doucement, petit à petit. Je sais que c’est une volonté du secrétaire d’État à la coopération que d’encourager la coopération décentralisée et les contacts directs entre populations.
Je pense que l’on aura changé le regard que l’on a les uns sur les autres quand on aura privilégié ce type de contacts.
Michel Field : J’ai entendu le Président Chirac dire que les bases en Afrique seraient maintenues avec les mêmes effectifs. Il me semble avoir entendu rigoureusement le contraire dans la bouche du Premier ministre cette semaine ? Vous aussi ?
Dominique Voynet : Je crois que vous avez bien entendu !
Michel Field : Et cela vous fait...
Dominique Voynet : La cohabitation est un art très difficile. Et, je ne pense pas que vous ayez, une minute, imaginé que vous alliez m’entraîner sur un terrain glissant à cet égard, Michel Field. Je vais être vigilante.
Michel Field : Bien. Dont acte.
Votre vigilance pourrait être prise en défaut aussi sur un thème qui, alors, agace énormément vos amis les Verts, cette querelle autour du terme de l’abrogation. Et puis, plus généralement, évidemment, et puis, peut-être plus sérieusement aussi : le sort de ce qu’on a appelé les lois Debré-Pasqua.
Juste, ces quelques secondes, un petit rappel, je ne dirais pas des faits, mais des paroles.
Lionel Jospin : Nous abrogerons les lois Pasqua et Debré remplacées par une nouvelle législation.
Jean-Pierre Chevènement : Le mot « abrogation » prête à une querelle de mots, une querelle sémantique. Ces dispositions sont changées et elles sont changées dans le sens que je vous ai dit.
Dominique Voynet : Je préfèrerais, parce que ce serait un signe fort de rupture avec les logiques discriminatoires des lois Pasqua-Debré, que l’on abroge ces lois. Ce serait un symbole, ce serait un signe. Au-delà des symboles, ce qui compte, ce sont les politiques qui vont être menées.
Michel Field : L’anguille, c’est un emblème, parce que, là, vous vous en sortez bien. Mais c’est de l’équilibrisme que vous faites quand même ?
Dominique Voynet : Non. Je crois que Lionel Jospin, au Zénith, était très convaincant.
Michel Field : C’est la chaleur communicative du meeting ?
Dominique Voynet : C’est ce qu’il dit aujourd’hui. Je pense vraiment que l’abrogation des lois Pasqua est un signe très fort dont nous avons besoin pour dire que l’immigration zéro est un mythe et qu’il est normal que des dizaines de milliers de personnes entrent chaque année en France, de même que d’autres en sortent. Pour dire aussi que chaque résident étranger n’est pas le délinquant potentiel, ledit lascérateur de liens sociaux que certains avaient cru déceler au moment de l’adoption des lois Debré.
Michel Field : En même temps, il y a vraiment deux lignes :
- il y a une ligne dont vous venez un petit peu d’exprimer la philosophie qui est : on reste fidèles aux engagements les plus formels ;
- et puis, il y a cette ligne défendue par le Premier ministre et Jean-Pierre Chevènement qui consiste à dire : « Essayons d’avancer sur une réforme qui puisse faire consensus national je reprends les termes du ministre de l’intérieur , faire sortir cette question du débat pourri dans laquelle elle règne ».
N’y-a-t-il pas là, à nouveau, une sorte de conflit entre une ligne plus réaliste, plus pragmatique, et puis une sorte de ligne un petit peu plus dogmatique, même si elle est généreuse, dont vous seriez la représentante ?
Dominique Voynet : Je crois qu’il n’y a pas de désaccord sur la volonté, en tout cas, de dépolitiser ce débat, parce que je ne crois pas qu’il y ait d’un côté les « généreux utopistes de gauche » voulant ouvrir les frontières et laisser des flots d’immigrés entrer sur le territoire national, sans que les citoyens français soient amenés à définir les conditions dans lesquelles ils souhaitent que cela se passe, et, de l’autre côté, les...
Michel Field : Donc, vous êtes pour un contrôle aux frontières, pour une lutte contre l’immigration clandestine ?
Dominique Voynet : Oui. Je suis pour une maîtrise de l’immigration. Mais, je ne suis pas pour que l’on ait une approche frileuse, défensive de l’immigration, en considérant que c’est un risque, c’est aussi une richesse. Et d’ailleurs, c’est une richesse considérable que nous devons, pour une bonne part, aux résidents étrangers. Je crois que le mouvement des sans-papiers a eu cet intérêt phénoménal de nous faire réfléchir sur ce qu’est la nationalité, ce qu’est la citoyenneté et pour nous faire réfléchir sur notre relation aux autres.
Michel Field : Les arbitrages de Lionel Jospin, sur ce projet de loi, sont quand même tous allés dans le sens de la fermeté. Tous les observateurs le disent et ils disent aussi que, quasiment, tout est bouclé. Vous, vous affirmez que cela ne l’est pas. Est-ce que cela peut être vraiment l’objet d’une crise gouvernementale ? Les Verts disent : « Carton-jaune » au gouvernement, possibilité d’une crise de confiance dans la majorité ?
Dominique Voynet : Je crois qu’ils ont raison. Le projet gouvernemental semble bouclé puisque les arbitrages ont été rendus. Au-delà, ce sera au débat parlementaire de faire en sorte que ce texte soit ou non amélioré.
Je l’ai dit au Premier ministre, je l’ai dit à Monsieur Chevènement, je l’ai dit à Madame Guigou : « Je déplore que l’on ait maintenu, par exemple, les certificats d’hébergement. Je déplore que l’on n’ait pas précisé davantage les conditions dans lesquelles on allait protéger les personnes qui sont aujourd’hui menacées par ce que nous appelons la « double peine », c’est-à-dire, le risque d’être expulsées à l’issue de la peine. Si cela peut se comprendre pour des personnes étrangères qui étaient depuis quelques semaines ou quelques mois en France, qui n’y ont pas d’attaches familiales, parce qu’il est hors de question de tolérer des délits graves ou des crimes de leur part sur le territoire national, cela ne peut pas se concevoir quand il s’agit d’adolescents dont toute l’enfance s’est déroulée en France et dont la délinquance est en quelque sorte une sorte de témoignage d’une faillite de la société française.
Michel Field : Vous iriez jusqu’à démissionner si le mot d’ordre d’abrogation n’était pas réalisé d’une façon ou d’une autre ?
Dominique Voynet : Encore une fois, ce n’est pas comme cela que je raisonne. Je ne suis pas dans une logique de « tout ou rien ». Je crois que, réunion après réunion, parce que nous discutons ensemble, j’ai l’occasion de faire valoir mon point de vue. Je respecte le point de vue des autres, comme j’attends qu’ils respectent le mien.
Donc, je ne pense pas pouvoir répondre à cette question. Je crois que c’est sur des décisions, qui me donneraient l’impression de violer profondément les valeurs auxquelles je crois du plus profond de moi-même, que je pourrais être amenée à faire un geste de cette nature, comme Jean-Pierre Chevènement l’avait fait d’ailleurs à l’époque de la Guerre du Golfe. On a bien compris que c’était quelque chose qui le bouleversait profondément.
Michel Field : Vous ne voulez pas me répondre sur votre démission, mais vous verriez d’un bon œil que Chevènement redémissionne ? C’est cela l’idée ? C’est sympathique pour lui !
Dominique Voynet : Il fait comme il veut, il est grand !
Franchement, je crois que, toutes les semaines, j’aurais des occasions de faire du chantage à la démission. Premièrement, ce serait indigne, parce que ce n’est pas comme cela que l’on travaille au sein d’une équipe gouvernementale ; deuxièmement, ce serait sans doute peu efficace, parce que, après quelques psychodrames, je pense que Lionel Jospin serait heureux de m’accompagner vers la sortie et ma cause n’y aurait gagné.
D’ailleurs, il a montré cette semaine, en d’autres occasions, qu’il pouvait être extrêmement ferme quand il avait décidé.
Michel Field : Dominique Voynet, merci. On se retrouve après la pub et nous reviendrons sur deux aspects de l’actualité :
1. La privatisation d’Air France.
2. Sur les mesures et les projets de Dominique Voynet comme ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement.
À tout de suite, c’est après la pub.
Michel Field : Dernier moment, dernière partie de Public. Je reçois Dominique Voynet, ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement. Et comme il va être de tradition désormais, cette dernière partie est consacrée à revenir sur des faits d’actualité de la semaine, avec des témoins qui l’incarnent.
J’ai donc à la table :
- Robert Génovès qui est secrétaire général du syndicat Force ouvrière Air France. Et nous allons évoquer tout de suite la privatisation d’Air France ;
- et puis René Petit qui est président de la Fédération nationale des transports routiers, qui a failli voir le vent du boulet d’une taxation du gas-oil le mettre très en colère, et nous allons voir s’il repartira de cette émission plus serein ou pas.
Robert Génovès, vous êtes le syndicat qui s’est le plus engagé, je dirais, peut-être pas en faveur de Christian Blanc mais, en tout cas, en faveur de la politique qu’il menait, et j’imagine que vous avez dû être extrêmement déçu de cette démission... bon, ce n’est pas une démission, il ne demande pas le renouvellement de son mandat... et peut-être aussi un peu agacé de l’hypocrisie du communiqué de Matignon, qui disait en substance : « Le Gouvernement prend acte avec regret du renoncement de Monsieur Blanc ». Si c’était vraiment avec regret, peut-être n’en seraiton pas là ?
Robert Génovès : Oui, j’ai été pleinement engagé dans l’action qui a conduit à arrêter le plan Attali en 1993, qui avait prévu les licenciements, il y avait eu des licenciements, premiers licenciements à Air France. Je suis à Air France depuis plus de 38 ans et il n’y avait jamais eu de licenciements... et il y en a eu ! Et le ministre du travail de l’époque était Madame Aubry.
La compagnie était au bord du gouffre, 35 milliards d’endettement, un déficit de 8 milliards, les grèves. Je pense que tout le monde se souvient de cette triste période de l’entreprise.
Michel Field : Là, ce n’est plus du tout le cas. Aujourd’hui, si l’on tire le bilan de Christian Blanc, on est, au contraire, avec un résultat net positif...
Robert Génovès : C’est le bilan de Christian Blanc avec les personnels qui ont combattu, justement, pour redresser l’entreprise. Aujourd’hui, l’entreprise est redressée. Elle fait des bénéfices.
Michel Field : Pas de déficit pour la première fois depuis 1989 ?
Robert Génovès : Bénéfices. Et ce qui est important : investissement et achat de nouveaux avions. Donc, voilà quel a été le bilan.
Michel Field : Donc, votre crainte est que le refus de la privatisation fasse que : qui va mettre l’argent pour développer Air France ?
Robert Génovès : Je ne milite pas pour la privatisation, ce n’est pas mon truc, mais je mets en avant les difficultés que nous avons rencontrées tout en étant dans le secteur nationalisé.
La compagnie a failli disparaître alors qu’elle était dans le secteur public, ce n’est pas une garantie absolue. Pas plus que d’être dans une compagnie privée, on a cette garantie ! Donc, je veux que l’on réponde à un certain nombre de questions maintenant. On dit : « Air France doit être dans le service public ». Je ne connais pas le service public dans le transport aérien. Cela n’existe plus. Il existe dans le métro, il existe dans le train. Dans l’aérien, cela n’existe plus. Cela existait, quand on assurait la desserte, dans le cadre de la continuité territoriale, sur la Corse...
Michel Field : Mais cela a été donné à des sociétés privées ?
Robert Génovès : Ensuite sur les DOM par Monsieur Fiterman. C’était lui qui était à l’époque le ministre en 1981. Cela n’existe plus aujourd’hui. Donc, le Gouvernement doit répondre à cette question. J’ai posé moi-même la question à Monsieur Gayssot, il y a 3 ou 4 jours, quand il est venu nous rendre visite... ...
Michel Field : ... Est-ce qu’il vous a répondu ?
Robert Génovès : Il n’a pas répondu.
Michel Field : Dominique Voynet, là on a l’impression que l’on a affaire à peut-être ce qui est la première tempête politique que va affronter le Gouvernement, parce que, globalement, l’idée est un geste purement politique pour garder l’alliance avec les communistes. Lionel Jospin sort de son réalisme et de son pragmatisme économique. Et l’on murmure même que la majorité des ministres, finalement, aurait bien préféré que Christian Blanc reste avec ses propositions ?
M. Voynet : Je crois que tout le monde a salué, effectivement, la qualité du travail fait par Christian Blanc et le désir de le voir rester à la tête de l’entreprise.
Mais je crois que Monsieur Génovès a dit finalement l’essentiel. Il a cité le cas d’une entreprise qui, dans le secteur public, a connu à la fois des moments très néfastes, où l’entreprise était quasiment menacée dans son existence même, et des moments plus satisfaisants où elle retrouve un équilibre financier.
Parallèlement, on peut citer le cas de France Télécom qui est une très belle entreprise publique qui fait du profit, bien qu’elle soit dans le secteur public.
Je crois que le problème n’est pas « public » ou « privé », « privatisation » ou « secteur public » en la matière, en ce qui concerne Air France proprement dit. Je crois que la volonté du gouvernement de procéder à une ouverture du capital pour augmenter le capital propre de l’entreprise et pour permettre des alliances avec des partenaires européens est quelque chose qui allait globalement dans le sens qu’aurait pu choisir Christian Blanc. D’ailleurs, c’est celui que vous soutenez implicitement, Monsieur, puisque vous dites ne pas soutenir l’idée d’une privatisation.
Robert Génovès : Mais Christian Blanc a toujours affirmé qu’il fallait au moins, à terme, affirmer la perspective de la privatisation.
Dominique Voynet : Je pense que l’on peut travailler en plusieurs étapes et que l’ouverture du capital était quelque chose qui était déjà une bonne réponse à ce que proposait Christian Blanc.
En tant que ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement, j’aurais eu envie de poser deux problèmes qui ont été évoqués finalement de façon très discrète au cours des semaines précédentes :
- la question du devenir des petites lignes, qui ne me paraît pas réglée et qui aurait pu se poser avec plus d’acuité encore en cas de privatisation ;
- et puis la question aussi de Roissy, pour laquelle on a peut-être regardé un peu vite les arguments avancés par l’Aéroport de Paris Air France au détriment des arguments d’aménagement équilibré du territoire, qui plaidaient plutôt pour l’autre solution.
Michel Field : Une courte réponse, Monsieur Génovès.
Robert Génovès : Les petites lignes sont déficitaires. Qui paie le déficit ? Nous, nous disons que c’est l’État. Qu’on nous réponde. Or, on sait très bien que Bruxelles ne l’autorise plus. Ce qui veut dire que cela va obliger la compagnie à équilibrer avec les lignes rentables et la mettre en difficulté par rapport aux autres entreprises qui n’ont pas à assumer le service public. Le service public ne fait pas de bénéfices. En règle générale, il faut le financer. Alors que l’on me réponde : « L’État, aujourd’hui, peut-il nous affirmer qu’il pourra financer le service public ? ». Il ne peut pas. Vous savez très bien que Bruxelles n’autorisera plus de recapitalisation, et la compagnie a besoin d’argent frais justement pour assurer son développement. Donc, là, il y a un vide. Alors qu’on nous réponde ?
Que proposait Christian Blanc ? Il proposait 1/3 du capital pour les salariés, 1/3 pour l’État et 1/3 le privé.
Dans la mesure où les salariés et l’État ont la majorité, pour moi ce n’est pas une privatisation.
Et la dernière proposition, l’ultime proposition qu’il a faite : il a proposé d’ouvrir le capital à 49 % pour les salariés, plus la part de l’État. Ce n’est pas une capitalisation capitalistique, cela ! Et pour moi, cela n’en est pas une ! Je ne suis pas pour la privatisation.
Les pistes de Roissy...
Michel Field : Laissez répondre le ministre, surtout qu’il nous reste 3 minutes.
Dominique Voynet : Vous savez, je suis une femme simple et pragmatique. Je vais vous donner une petite comparaison pour expliquer au public qu’on a intérêt à maintenir les petites lignes non rentables et les grandes qui le sont. Quand vous allez au supermarché, vous trouvez des paquets de gâteaux à 15 F le paquet et puis des paquets à 1,50 F. Et, c’est évident que les grands distributeurs gagnent plus d’argent sur les paquets à 15 F que sur les paquets à 1,50 F, mais ils gardent les paquets pas chers pour les gens qui n’ont pas les moyens.
Robert Génovès : Mais tous les grands distributeurs sont mis au même niveau, alors que, là, les compagnies aériennes ne le sont pas !
Dominique Voynet : Les compagnies aériennes feront la même chose...
Robert Génovès : Non, non.
Dominique Voynet : ... c’est-à-dire qu’il faut organiser le marché. La concurrence sauvage mettant chacun en concurrence avec les autres n’est pas le modèle de société que nous proposons.
Robert Génovès : Nous, non plus.
Michel Field : Dominique Voynet, en un dernier mot, vous êtes pleinement solidaire de la position du gouvernement sur l’affaire Air France ?
Dominique Voynet : Complètement. Je trouve que l’ouverture du capital est une solution acceptable pour tout le monde, qui constitue déjà une belle révolution intellectuelle pour une partie de la gauche.
Michel Field : René Petit, on va finir par vous, avec un petit peu moins de temps que ce que j’avais prévu, mais vous essuyez, vous aussi, les plâtres de cette première émission.
Président de la Fédération nationale des transports routiers, vous êtes également chef d’entreprise, une entreprise de transport basée dans le Nord, avec une cinquantaine de véhicules dont la moitié dans le transport pétrolier, et vous êtes monté au créneau, je dirais préventivement, au moment où Dominique Voynet, en retour de vacances, etc., a proposé une taxation du gas-oil, et vous avez évidemment, comme c’est un peu systématique chez vous, menacé à nouveau d’un blocage généralisé du pays et d’une grosse colère des routiers si la taxation du gas-oil avait lieu.
Deux questions :
1. Était-ce si grave que cela ?
2. N’avez-vous pas l’impression de fonctionner comme un lobby menaçant, finalement, d’un blocage du pays à chaque fois qu’il y a des mesures qui sont, en perspective, défavorables pour vous ?
René Petit : Non, ce qui est grave dans les propos de Madame Voynet de cet été, c’est que dire : « chaleur plus transport routier = pic de pollution » et dire : « il suffit de mettre les camions sur le train » est apparu aux yeux du monde du transport routier comme, à la fois, une contre-vérité et une fausse solution.
Michel Field : Mais rééquilibrer le rail et la route, ce n’est pas une mauvaise idée, dans l’abstrait je dirais ?
René Petit : Absolument pas. Mais cela se fait. Le transport combiné se développe. La route développe le combiné avec la SNCF sans arrêt.
La meilleure démonstration le transport combiné qui a crû de 60 % ces 10 dernières années, de 10 % l’an dernier, ne peut pas aller beaucoup plus vite que cela et il a ses limites est que la SNCF les Français le savent ou ne le savent peut-être pas qui est le premier transporteur routier par camions en France, est probablement la mieux placée pour organiser ce transfert. Elle le fait, mais très lentement. Et, aujourd’hui, c’est sa part sur la route qui croît.
Si la panacée était le transport combiné, je pense que la SNCF, au travers de son parc routier et de ses wagons, serait probablement la première à réaliser l’opération.
Michel Field : Votre vieille revendication d’un gas-oil professionnel qui ferait que, finalement, s’il y avait une taxation supplémentaire du gasoil, cela concernerait les constructeurs automobiles, et je pense que cela aurait des conséquences graves, mais, d’un certain point de vue, vous vous en laveriez les mains, cela vous permettrait de continuer à travailler ?
René Petit : Pour une bonne raison, c’est que la surtaxation du gas-oil dans le monde du transport routier n’aurait aucun effet sur la pollution, pour une raison toute simple, une fois encore, c’est qu’il n’y a pas de solution de substitution.
Je suis transporteur, si demain mon gas-oil est surtaxé, je ne pourrais pas pour autant rouler avec des véhicules qui consomment autre chose. La solution est ailleurs : elle est dans l’amélioration du carburant, elle est dans l’amélioration des pots d’échappement, des catalyseurs, des filtres à particules, etc.
Michel Field : Dominique Voynet, c’est l’exemple type, parce que si vous prenez cette mesure-là, les transporteurs routiers ont leurs arguments, les constructeurs automobiles, vous allez les attaquer de front... ce qui fait finalement que Peugeot qui est le 1er constructeur mondial d’automobiles au diesel... est-ce que, là, on n’a pas justement les limites de votre action gouvernementale par rapport aux nécessités économiques et sociales de l’emploi dans ce secteur ?
Dominique Voynet : Déjà, il n’y a pas une personne irresponsable dans le ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement pour penser qu’il y aurait une solution, il y a un faisceau de solutions : plan de déplacement urbain et encouragement aux transports collectifs, encouragement du rail pour les transports de marchandises longue distance, amélioration des caractéristiques des véhicules et des carburants, modification de la fiscalité des carburants pour encourager les moins polluants d’entre eux, etc., etc.
Michel Field : Tout cela, ce sont des mesures que vous allez prendre ?
Dominique Voynet : C’est un bouquet de solutions parmi lesquelles il faudra arbitrer et choisir.
Il me semble que les choses sont assez claires : personne n’a dit, Monsieur Petit, que c’était le transport longue distance des camions par la route, qui avait été responsable des pics de pollution notés à Strasbourg et à Paris. Simplement, année après année, il y a un certain nombre de choix qui sont faits dans ce pays, qui visent toujours à encourager la route au détriment des transports collectifs qui ne bénéficient pas des mêmes moyens de financement que l’automobile et du même encouragement tacite de la société.
L’exemple même du débat un petit peu mal engagé, c’est le problème de la taxation du gas-oil.
Michel Field : Alors, en un mot, parce que l’on est à la fin de l’émission. Il vous reste 30 secondes.
Dominique Voynet : En un mot. Il y a deux questions très différentes qu’il ne faut pas mélanger :
1. Le gas-oil est-il polluant ? La réponse est oui, parce que le diesel contient des petites particules qui peuvent provoquer des cancers. On le sait maintenant.
2. Le différentiel des taxations entre l’essence sans plomb et le gas-oil est-il justifié ? La réponse est non. Quelle que soit l’opinion que l’on a sur sa dangerosité, cette espèce d’encouragement au gas-oil, depuis des années, n’est pas justifié, ni pour les camions, ni pour les individus.
Michel Field : Dominique Voynet, merci d’avoir été ma première invitée.
Alain Madelin sera mon invité de la semaine prochaine dans Public.
Et, dans un instant, vous avez évidemment rendez-vous avec Claire Chazal qui reçoit Édouard Balladur et aussi, en duplex de Deauville, Harrisson Ford.
À dimanche prochain. Merci.