Interview de M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, dans "Jeunes Agriculteurs" de septembre 1997, sur la réforme de la PAC et la loi d'orientation agricole.

Prononcé le 1er septembre 1997

Intervenant(s) : 

Média : Jeunes Agriculteurs

Texte intégral

P. Kroslakova : Vous avez déclaré que la copie de la Commission européenne sur la réforme de la Pac était à revoir sérieusement. Qu’est-ce qui vous semble acceptable et qu’est-ce qui ne l’est pas ?

L. Le Pensec : La Commission présente ce qu’elle pense être la réponse aux contraintes internationales et internes qui pèseront sur la Pac à l’avenir. On peut résumer cette réponse en deux mots : baisse des prix et découplage des aides de la production. D’autres réponses sont possibles, plus conformes aux traditions de notre politique agricole. Mais pour l’instant nous sommes encore dans une période d’analyse, de vérification et de concertation pendant laquelle je me garderai d’arrêter une position. Il est clair que certaines propositions sont très précises (lait, céréales, viande bovine) mais pour le reste c’est le flou artistique.

P. Kroslakova : Quelle alternative française ?

L. Le Pensec : Il est encore trop tôt pour la formuler. C’est d’ailleurs une alternative européenne que nous devons formuler, car si nous ne prenions en compte que nos intérêts, nous nous retrouverions dans une impasse en termes de négociations à Bruxelles.

P. Kroslakova : Quelles seront les échéances des négociations de la réforme de la Pac ?

L. Le Pensec : La première échéance, c’est le sommet européen à la fin de l’année à Luxembourg. Mon souci est que les ministres de l’agriculture ne soient pas dessaisis de la discussion au profit d’une décision soumise hâtivement à un sommet européen ou à un conseil de ministres des affaires étrangères. J’ai demandé au président en titre du conseil que les ministres de l’agriculture gardent bien la maîtrise de cette réforme jusqu’à son terme.
Mais la négociation sera longue et la mise en œuvre des décisions n’interviendra pas avant l’an 2000. D’ici là, il faudra explorer toutes les alternatives.

P. Kroslakova : La loi d’orientation agricole est de nouveau en chantier. Quelle sera votre priorité ?

L. Le Pensec : Ma priorité part du constat suivant : l’agriculture est capable de bien se porter, d’être performante sur les marchés, de se développer, sans pour autant occuper tout le territoire et le gérer correctement. Nous avons assisté au cours des trente dernières années à un processus rampant de concentration et de délocalisation agricole. En l’absence de mesures fortes, nous pouvons craindre qu’à l’horizon 2020-2021, plus de 70 % de la production agricole soit concentrée sur moins d’un tiers de la SAU.
Cela n’est pas acceptable. Ma priorité sera donc de faire en sorte que l’agriculture soit présente sur l’ensemble du territoire. J’entends mettre le territoire au cœur de mon projet de loi d’orientation agricole.

P. Kroslakova : La profession agricole demande une réforme profonde de la politique des structures dans le cadre de cette loi d’orientation. Quelles sont vos intentions ?

L. Le Pensec : Dans la perspective que j’ai tracée, la politique des structures est essentielle. Non seulement parce qu’elle relève pleinement de la politique nationale mais aussi parce qu’elle est à l’articulation du territoire et de la production. Or, la politique des structures des lois de 1962 a eu une telle efficacité dans le processus de modernisation de l’agriculture française que nous avons le plus grand mal à envisager une architecture différente en la matière. Il s’est produit, depuis, trois phénomènes qui nous interpellent :
    - plus de la moitié de la SAU est gérée par des formes sociétaires. Il faut savoir que les terres détenues sous forme de part sociales échappent totalement au contrôle des structures, c’est une limite du dispositif actuel ;
    - on constate que sur les 1 000 hectares rétrocédés, 600 l’ont été pour l’agrandissement, et moins de 200 pour des installations. Le grand outil de la politique des structures que sont les Safer n’a donc servi depuis dix ans qu’à accompagner le processus d’agrandissement ;
    - enfin, la raréfaction de l’offre prévisible dans les prochaines années laisse craindre une forte augmentation du prix de la terre, et donc une poursuite des transactions en faveur de l’agrandissement.

C’est un chapitre de l’histoire de la politique des structures, « l’exploitation agricole à 2 UTHA », qui n’est autre que l’exploitation de couple, qui est en train de se clore sous nos yeux. Plus de la moitié des jeunes installés l’an dernier l’ont été dans un cadre sociétaire. La question est donc maintenant de bâtir une politique d’installation qui tienne compte de ce « fait sociétaire », politique capable de maintenir un nombre suffisant d’emplois et d’exploitations, et cela sur tout le territoire.

P. Kroslakova : Quand cette loi verra-t-elle le jour ?

L. Le Pensec : Compte tenu du travail déjà fait, j’entends avancer à un bon rythme. Mes propositions seront présentées à la fin de l’année et, idéalement, le projet sera présenté au printemps 1998 à l’Assemblée.

P. Kroslakova : Quel regard portez-vous sur les initiatives prises depuis deux ans en matière d’installation ?

L. Le Pensec : Je prends acte du grand effort de mobilisation du CNJA qui s’est illustré autour de la charte de l’installation. Mais force est de constater que les objectifs n’ont pas encore été atteints. Moins de 13 000 exploitants de moins de 40 ans se sont installés en 1996. Je m’interroge sur l’adéquation des moyens mis en œuvre pour atteindre nos objectifs. Par exemple, un chef d’exploitation sur cinq installé en 1996 exerce une autre activité que l’agriculture. Or, nous ne prenons pas en compte cette donnée dans le projet d’installation. De même, dans certains départements, un quart des jeunes et souvent plus s’installent sans demander ou obtenir la dotation aux jeunes agriculteurs. Les pouvoirs publics ne peuvent pas l’ignorer et nous avons probablement à imaginer des dispositifs d’accompagnement et de ces diverses formes d’entrée dans l’agriculture.

P. Kroslakova : L’aménagement du territoire et l’environnement sont des secteurs de compétence interministérielle. Quelle est votre marge de manœuvre ?

L. Le Pensec : Il est clair que le ministère de l’Agriculture ne peut pas prétendre résoudre seul les problèmes de gestion de l’espace rural et d’environnement. Mais il ne peut y avoir qu’une seule voix gouvernementale et je travaille de concert avec madame Voynet. Certains dossiers sont extrêmement complexes et ont besoin de cette approche conjointe. C’est le cas actuellement de l’extension et de l’installation d’ateliers porcins dans les zones d’excédents structurels. Avec la multiplication des condamnations d’éleveurs, ce problème est en train de prendre de l’ampleur.

P. Kroslakova : Que pensez-vous de la pression croissante de l’environnement à laquelle est soumis le secteur agricole ?

L. Le Pensec : C’est vrai, les revendications environnementales exercent une pression croissante. Là encore, nous devons réexaminer nos perspectives et apprendre que l’environnement est aussi une source de production de richesses pour un pays. Pour le monde agricole, cela signifie que la société française lui demande d’ouvrir une nouvelle période de son histoire plus délicate et complexe que la précédente, mais aussi plus exaltante et plus riche. Car de même que le développement quantitatif était au cœur de la politique agricole et du début de la Ve République, les questions de cadre de vie et de sécurité alimentaire au sens qualitatif sont aujourd’hui au centre des préoccupations de nos concitoyens.

P. Kroslakova : Concertant la relation de l’agriculture et du territoire, quelles mesures concrètes prendrez-vous ?

L. Le Pensec : Ma préoccupation est de faire admettre que la gestion du territoire n’est pas un supplément d’âme de l’activité agricole mais qu’elle est au cœur de la dynamique agricole. Bien entendu, la question de la localisation et la répartition des droits à produire, comme celle de la répartition des primes, est au cœur du débat. Mais si l’on veut une agriculture sur tout le territoire et si l’on admet qu’elle rend ce que j’appelle un « service territorial », il convient de rétribuer ce service. Passer de la subvention ou de la compensation à la rétribution d’un service territorial, c’est, je crois, inventer une politique agricole d’un nouveau type. Je proposerai quelque chose sur ce sujet dans la loi d’orientation.

P. Kroslakova : Le FGER est justement un des rares outils de la politique d’aménagement de l’espace rural. Or chaque année, sa dotation budgétaire est menacée. Que comptez-vous faire ?

L. Le Pensec : Je suis très attaché à l’avenir du Fonds de gestion de l’espace rural. C’est un outil de mise en œuvre de cette approche territoriale de l’agriculture. Je souhaite l’insérer dans le projet de loi d’orientation agricole.

P. Kroslakova : L’emploi est la priorité absolue du gouvernement. Quelle contribution le secteur agricole peut-il y apporter ?

L. Le Pensec : L’agriculture ne résoudra pas seule la question du chômage, c’est clair. En revanche, le monde agricole doit se poser la question de savoir si à moins de 3 % de la population active, il ne risque pas de disparaître comme force professionnelle et sociale. De ce point de vue, le renouvellement des générations est primordial.

La seconde question à se poser est celle de la pleine reconnaissance de l’emploi salarié en agriculture, en amont et en aval. La focalisation sur le problème de l’installation, qui est complètement légitime pour un syndicat de jeunes agriculteurs, ne doit pas faire oublier l’importance d’autres formes de statuts et de travail.