Interviews de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, à France-Inter le 10 et "Charlie hebdo" du 17 septembre 1997, sur son action au sein du gouvernement.

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Média : Charlie Hebdo - France Inter

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France Inter – 10 septembre 1997

France Inter : Est-il désormais banal, c’est-à-dire normal, d’être femme au Gouvernement ? Toute cette journée, « France Inter » accueille des femmes politiques sur le thème : « Être femme au Gouvernement ». C’est peu dire que beaucoup de celles qui l’ont exercée ont gardé de leur action politique gouvernementale un souvenir amer et parfois révolté, la droite et la gauche s’étant, ces dernières années, assez bien partagé cynisme et goujaterie à leur égard. Faites-vous partie de la première génération de femmes heureuses au Gouvernement ?

Dominique Voynet : Franchement, j’ai l’impression qu’il n’y a aucune différence entre les dossiers portés par des femmes et ceux portés par des hommes au Gouvernement, dans ce gouvernement-là. J’ai du mal à imaginer que ça ait pu être différent dans un passé finalement proche.

France Inter : Vous avez sûrement entendu les témoignages de celles qui vous ont précédée ?

Dominique Voynet : Oui, on aurait pu rajouter les expériences de Michèle Barzach ou tout récemment encore de la personne qui m’a précédée au ministère de l’environnement. Je crois que Corinne Lepage a souffert quelque part d’être une femme et aussi une femme sans parti derrière elle. Des femmes issues de la société civile sont certainement encore acceptées avec une certaine réticence.

France Inter : Mais qu’est-ce qui change d’un seul coup ? Pourquoi n’est-ce plus tout à fait comme avant, ou peut-être même plus du tout comme avant ?

Dominique Voynet : Il y a un problème de génération, ça me paraît évident. Toutes les femmes que vous citez ont été des pionnières, d’une certaine façon, aujourd’hui on est nombreuses et on a toutes entre 38 – je suis la plus jeune du Gouvernement – et 45 ans, donc une génération de femmes qui n’a pas du tout intégré l’autocensure et les difficultés de nos mères.

France Inter : La difficulté, est-ce que vous ne la trouvez pas dans le fait que vous êtes précisément, maintenant, au Gouvernement ? Je veux dire par là, entre la militante, entre l’action politique et l’exercice gouvernemental, c’est-à-dire la réalité du pouvoir, il y a quelquefois de rudes distorsions ?

Dominique Voynet : J’essaie de garder un certain parler frais, un certain ton direct, c’est évidemment plus difficile maintenant…

France Inter : C’est dangereux ou pas ?

Dominique Voynet : C’est difficile, l’équilibre entre la solidarité gouvernementale et la liberté de ton que je connaissais en tant que militante est quelque chose de très difficile à assurer. J’essaie de le faire dans le respect des électeurs, dans le respect des engagements que j’ai pris devant eux.

France Inter : Et les Verts, quand vous les voyez, vous leur dites quoi en ce moment, ceux de la base ?

Dominique Voynet : J’ai tendance à leur dire qu’il est plus difficile d’écrire des motions radicales et revendicatrices que de négocier tous les jours avec les lobbies, que de tenir tête jour après jour à des intérêts divergents qui peuvent parfois s’exprimer au Gouvernement. Je crois qu’ils le savent quelque part et que, finalement, cette répartition tacite des rôles convient à peu près à tout le monde aujourd’hui.

France Inter : Je ne sais si on le sait beaucoup mais vous êtes médecin-anesthésiste de formation, donc avec…

Dominique Voynet : J’espère que je n’endors pas trop les gens !

France Inter : Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire, c’est que dans ces cas-là, on a évidemment une responsabilité considérable. Comment mesurez-vous la valeur de votre engagement, la valeur de votre parole politique et comment résister aux distorsions, parce qu’elles arrivent tout le temps ?

Dominique Voynet : J’essaie d’être avant tout honnête envers moi-même, je crois que c’est finalement l’unique grille de valeurs qui compte. Ce sont mes propres valeurs et les gens qui m’accompagnent depuis longtemps. Le fait d’être médecin m’aide d’une façon considérable dans ce travail que je mène au ministère de l’environnement parce qu’il faut le savoir, les facteurs d’environnement, c’est la deuxième cause des pathologies en France. Et finalement en améliorant la qualité de l’air, la qualité de l’eau, la qualité des sols, les conditions de logement, les conditions de déplacement, les conditions de travail, on fait beaucoup pour la santé.

France Inter : Est-ce que « l’utopie de La Rochelle », comme titre « Libé » ce matin, ça vous a fait rêver, hier, une journée sans voitures ?

Dominique Voynet : Une journée sans voiture, ça pose la question : que fait-on les 364 journées qui restent ? Je crois que Michel Crépeau en était bien conscient.

France Inter : Ancien ministre de l’environnement.

Dominique Voynet : Ancien ministre de l’environnement. Cette journée avait surtout valeur de symbole et de force d’interpellation des pouvoirs publics : les maires, les conseillers généraux, les conseillers régionaux sont demandeurs d’une plus forte implication de l’État dans la mise en œuvre d’alternatives à la voiture. Ils nous demandent souvent notre aide pour des transports collectifs, pour le développement de véhicules moins polluants et c’est vrai que nous avons à leur répondre. Nous avons aussi à leur dire, vous avez le droit, vous, de ne pas financer que des routes et d’aider la population à évoluer vers des comportements plus responsables et plus libres face à l’automobile.

France Inter : Quand vous entendez certains commencer à crier : « Piétons, prenons le pouvoir », est-ce que là, on est dans l’utopie ? Peut-on imaginer qu’un jour, on puisse connaître des villes sans voiture ?

Dominique Voynet : Je n’imagine pas que cela puisse se faire uniquement par de la culpabilisation de l’usager et de la contrainte. Je crois que l’essentiel sera de ne pas désigner de bouc-émissaire, mais d’aider les citoyens à prendre conscience de l’impact de leur comportement individuel et d’adopter des conduites plus vertueuses d’un point de vue environnemental. Je crois qu’on ne pourra le faire que si les transports en commun sont organisés d’une façon attrayante, s’ils ne sont pas chers, confortables, réguliers, sûrs. Ça demande un investissement très fort de la collectivité qu’on a su consentir à la voiture dans les années 50.

France Inter : Est-ce qu’il n’y a pas un risque de mesure antisociale ? Si vous taxez le gazole, n’allez-vous pas taxer une grande partie de la classe moyenne qui a choisi le gazole pour des raisons d’économie ?

Dominique Voynet : C’est la voiture qui est antisociale. Les étudiants n’ont pas de voiture, les personnes âgées n’ont pas de voiture, les SMICards et les RMIstes n’ont pas de voiture. Dire que la taxation équitable du gazole est antisociale, c’est oublier que finalement les gens ont un budget déplacement. Ceux qui ont un très faible budget sont bien contraints de prendre les transports en commun et plus ils sont dégradés, plus leurs conditions de vie sont mauvaises. Quand on a un budget voiture et que le prix des voitures ou du gazole baisse, on choisit de monter en gamme ou on choisit de rouler plus longtemps. C’est ça, la réalité.

France Inter : Comment allez-vous l’engager, cette taxation ?

Dominique Voynet : C’est une évolution inéluctable. Je n’ai pas demandé que ce soit fait cette année, indépendamment d’un plan cohérent de lutte contre la pollution atmosphérique et de reconquête par l’usager d’espace en ville.

France Inter : C’est un discours politique ou un discours de précaution par rapport aux lobbies ?

Dominique Voynet : Je n’ai pas de difficulté à dire que le lobby du transport au sens large est extraordinairement puissant, très efficace, et s’est trouvé des relais dans bien des couches de la société qui n’ont pourtant pas un intérêt objectif à le soutenir. Cela dit, je trouverais assez détestable qu’on procède simplement à une augmentation du gazole en se disant : finalement, je suis quitte et je n’ai pas besoin de changer l’organisation des transports dans la société. Ce serait plus facile sans doute. Ça permettrait d’équilibrer le budget de façon plus confortable, mais ça ne changerait pas d’un iota les problèmes de pollution.

France Inter : Et quand vous défendez un point de vue comme celui-là, Lionel Jospin vous écoute et vous répond quoi ?

Dominique Voynet : Je crois que c’est une banalité de le rappeler, mais Lionel Jospin me paraît être un Premier ministre très sensible aux problèmes d’environnement au sens large, et je bénéficie sans doute, dans ce Gouvernement, d’une écoute qui n’a pas eu d’équivalent par le passé.

France Inter : Donc vous êtes heureuse ?

Dominique Voynet : Je me sens écoutée et respectée. Il paraît que plus on le dit, plus on a de raisons d’en douter. Franchement, j’aimerais vous en convaincre : ça se passe bien dans ce Gouvernement.

France Inter : À vous écouter, ça semble être le cas, mais quand on est heureuse, est-ce qu’on n’a pas tendance, au fond, à en accepter un peu plus ? On entend des choses intéressantes en ce moment comme Monsieur Strauss-Kahn qui dit : on passe du ni-ni au et-et.

Dominique Voynet : Dominique Strauss-Kahn a le goût des formules, moi un peu moins. Je crois qu’il faut regarder au cas par cas l’avenir des entreprises publiques, leur mission. C’est une formule qui a fait fortune : ce n’est pas forcément à l’État de fabriquer des automobiles, ce n’est pas forcément à l’État de faire ce que font aujourd’hui les entreprises publiques. Cela dit, au cas par cas et selon les entreprises, il faudra redéfinir. Moi, je ne considère pas Air France comme une entreprise publique et je n’ai pas de malaise à l’idée d’ouvrir le capital d’Air France. J’en ai plus à l’idée d’ouvrir le capital de France Télécom qui est une entreprise extrêmement performante et efficace. Et puis en allant plus loin, je pense qu’il y a tout un tas de tâche qui ne sont aujourd’hui remplies par personne et qui devraient être prises en charge par le secteur public. Je pense notamment à l’accompagnement des personnes en grand vieillissement, je pense aussi au traitement des déchets, l’épuration de l’eau, etc. Autant de tâches qui, à mon avis, relèvent de l’intérêt public et qui ne sont assurées, aujourd’hui, par personne.

France Inter : Ce qui fait que quand on vous parle de « réalisme de gauche », au fond, c’est une commodité, un peu comme la casuistique chez les jésuites, cette espèce de système intellectuel qui permet de justifier l’injustifiable.

Dominique Voynet : Je ne sais pas si c’est de la casuistique ou du jésuitisme, mais ce qui est sûr, c’est que j’ai l’ambition, au ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement, et au Gouvernement, d’allier la radicalité de mes valeurs et de mes propositions et le réalisme dans la mise en œuvre, sans désigner de bouc-émissaire et sans négliger les problèmes des gens que je rencontre, des problèmes d’emploi, de qualité de vie, de santé, de relation aux autres. Bref, j’essaye d’être une ministre humaine et consciente des problèmes qui sont autour d’elle.


Charlie Hebdo : 17 septembre 1997

Charlie Hebdo : Cela fait plus de trois mois que vous êtes ministre. Vous avez déjà gobé beaucoup de couleuvres ?

Dominique Voynet : Je ne trouve pas que j’en avale beaucoup. Il y a des débats, su sein du Gouvernement. Et je perds parfois. Mais je ne suis pas obligée de cautionner ce que je réprouve.

Charlie Hebdo : C’est le minimum, non ?

Dominique Voynet : Pas forcément : du moins si j’en crois ceux qui ont été ministres, sous d’autres gouvernements. Avec Jospin, au moins, nous avons un espace pour dire ce qu’on pense. Éventuellement en dehors de notre domaine de compétence.

Charlie Hebdo : Exemple ?

Dominique Voynet : L’extension de l’aéroport de Roissy. En tant que ministre de l’aménagement du territoire, je trouve que cela va mettre en péril vingt ans d’effort pour déconcentrer l’Île-de-France. En tant que ministre de l’environnement, je pense aux nouvelles nuisances pour les riverains. Je me suis battue. Mais, même si la décision gouvernementale n’est pas celle que je souhaite, je n’ai pas besoin d’avaler de couleuvres. Personne ne me demande de prendre la tête du lobby pro-Roissy.

Charlie Hebdo : Vous dites que vous perdez, parfois. Mais qu’avez-vous gagné ?

Dominique Voynet : En matière d’environnement ? L’arrêt de Superphénix et du canal Rhin-Rhône, bien sûr. La remise en question de l’autoroute A51 Grenoble-Sisteron, et de l’A58, au nord de Nice. La mise en chantier de la ligne de chemin de fer Lyon-Turin pour développer le ferroutage. L’abandon de l’immersion des déchets radioactifs. La révision des normes de rejet de La Hague. Entre autres…

Charlie Hebdo : Et plus généralement ?

Dominique Voynet : La majoration de l’allocation de rentrée scolaire. Ou le plan emploi. J’aurais préféré que ce dernier dispositif ne soit pas réservé aux jeunes. Il y a tout un tas de nouveaux métiers qui risquent d’être peu crédibles s’ils ne sont pas confiés à des gens ayant un peu de bouteille. Mais, au moins, le Gouvernement a choisi de s’attaquer immédiatement à la précarité.

Charlie Hebdo : Autres sujets de satisfaction ?

Dominique Voynet : Il y a des choses qui sont passées inaperçues, et qui me paraissent positives. Tiens : la suppression des aides à l’irrigation du maïs. Vous vous rendez compte que, depuis des années, vous financiez les gros céréaliers pour qu’ils bousillent les nappes phréatiques ? Au détriment des petits agriculteurs ?

Charlie Hebdo : Ce qui vous paraît moins satisfaisant ?

Dominique Voynet : Ce que j’attends du Gouvernement, c’est le respect de ses engagements de campagne. D’abord, sur les 35 heures. Je sais qu’il y a des gens au Gouvernement qui plaideront pour qu’on commence par les 37 heures, et pas tout de suite, et sans maintien du salaire, et…

Charlie Hebdo : Qui ça ?

Dominique Voynet : Je vais pas dénoncer mes petits camarades. Mais je pense – et Martine Aubry aussi – qu’il faut au contraire une loi-cadre sur les 35 heures, vite.

Charlie Hebdo : Le programme Verts-PS parlait même de lancer « des négociations sur les 32 heures » devant aboutir « dans le cadre de la législature ». Vous le maintenez ?

Dominique Voynet : Oui. Avec Aubry, nous voudrions mettre en place un système de baisse des charges pour les entreprises qui voudraient aller jusqu’aux 32 heures.

Charlie Hebdo : L’immigration ?

Dominique Voynet : J’ai dit : abrogation des lois Pasqua-Debré. Nous avons besoin de donner un signe de rupture avec les politiques précédentes. Mais je comprends la préoccupation de certains de dépolitiser le débat. Après tout, une fois les lois Pasqua-Debré abrogées, il reste les lois Joxe-Marchand. Et ce n’est pas brillant.

Charlie Hebdo : Ce n’est pas une raison pour aggraver les lois Debré, sur certains points…

Dominique Voynet : L’enjeu n’est pas non plus de dire : frontières ouvertes, on est tous frères, etc. C’est inacceptable pour la société française actuellement et cela ne peut s’imaginer qu’à long terme. Dans un monde juste et beau. On en est loin, hélas. Il y a, dans ce projet, des choses intéressantes et des choses pas claires. Ainsi, le droit d’asile. C’est bien de le réaffirmer. Mais l’histoire des « combattants de la liberté », je trouve cela un peu bizarre. Cela sent son Régis Debray. Est-ce que cela s’adresse à une femme qui refuse un mariage forcé, ou une excision ? Il n’y a pas que des combattants de la liberté, il y a aussi des victimes de l’oppression.

Charlie Hebdo : Autre déception ?

Dominique Voynet : Le retour – Partiel – au droit du sol me paraît une grande avancée. Mais je déplore que des parents ne puissent plus demander la nationalité française pour un de leurs enfants mineurs. Comme c’était le cas dans le temps. On aurait pu, au moins, reprendre le compromis que proposait Élisabeth Guigou. Et permettre aux enfants de choisir leur nationalité dès l’âge de 13 ans. À cet âge, un enfant de divorcés peut déjà choisir de vivre chez son père ou sa mère.

Charlie Hebdo : Et puis ?

Dominique Voynet : Je vois bien tous les abus possibles, en matière de regroupement familial. Mais le droit de vivre en famille est subordonné, pour les étrangers, à une double condition de ressources et de logement. J’aurais préféré qu’on dise : vivre en famille et un droit, que l’État doit garantir. Si nécessaire, en fournissant des allocations familiales et des conditions de logement décentes.

Je regrette aussi le maintien de la double peine. Ou l’allongement de la durée de rétention : le fait qu’on puisse détenir quelqu’un 48 heures sans qu’il puisse voir un avocat me paraît… fortement contestable.

Charlie Hebdo : Le certificat d’hébergement ?

Dominique Voynet : Chevènement disait que cela ne servait à rien, et qu’il fallait le remplacer par une simple déclaration. Je suis évidemment d’accord.

Charlie Hebdo : Vous avez eu envie de démissionner ?

Dominique Voynet : Je ne démissionnerais que si quelque chose heurtait profondément mes valeurs, et que j’avais le sentiment de n’être ni écoutée, ni respectée. Mais, sur l’immigration, notamment, il n’est pas exclu que le projet évolue lors du débat parlementaire.

Charlie Hebdo : Vous parliez tout à l’heure d’un monde « juste et beau ». On peut être ministre et garder ses utopies ?

Dominique Voynet : OK. Ça va être de la philosophie à la petite semaine, mais vous l’aurez voulu. À la différence de certains Verts, qui sont de grands optimistes, je ne crois pas tellement à une longue marche civilisatrice. Je ne pense pas que les êtres humains soient bons. Je ne pense pas non plus qu’ils soient mauvais. Mais je pense que notre action se justifie en soi comme un acte de résistance citoyenne…

Charlie Hebdo : Ça doit être dur, de gouverner sans utopie…

Dominique Voynet : L’utopie, je l’ai quand même. Mais ce n’est pas dans le succès de mes projets que je trouve ma satisfaction. Ma satisfaction, c’est d’avoir la force d’agir. Mon utopie, c’est d’abord une mobilisation des êtres humains. En dehors du résultat.

Comme tout le monde, j’ai plein de grands mots en tête. Liberté, égalité, fraternité, c’était formidable. Mais je suis plus attachée aux motivations de l’être humain qu’à l’organisation de la société.

La démarche de celui qui trie ses déchets m’intéresse autant que la propreté de la nature. Mon rêve n’est pas tant un monde propre que des êtres humains responsables.

Charlie Hebdo : Qu’est-ce qui vous sépare des communistes ?

Dominique Voynet : Leur productivisme. Ils tiennent un discours de développement soutenable. Mais dès qu’on passe au concret, c’est : défense de l’emploi, nucléaire, industries d’armement, etc.

Je voudrais aussi qu’on considère l’impôt, non plus comme une punition venue d’en haut, mais comme le grand moyen de la solidarité. Ça m’énerve de voir la façon finalement très poujadiste avec laquelle la mouvance communiste affronte souvent les problèmes budgétaires et financiers.

Charlie Hebdo : Qu’est-ce qui vous sépare du PS ?

Dominique Voynet : Il y a plusieurs générations, chez les socialistes. Je vois plus de choses qui me séparent de Charasse que de la jeune génération…

Cela dit, je trouve les socialistes très scientistes. Ils ont l’impression que les progrès de la technologie vont résoudre tous les problèmes. Genre : la culture fors sol nourrira bientôt l’humanité souffrante et les voitures à l’eau seront non polluantes. Je ne suis pas sûre, moi, qu’il y ait toujours des solutions techniques. Et je suis sûre que les problèmes d’organisation sociale sont plus importants que les problèmes techniques.

Seconde différence, le centralisme ou le jacobinisme.

Charlie Hebdo : Vous arrivez à vous entendre, au sein d’un même gouvernement ?

Dominique Voynet : Ce n’est pas parce que je parle franchement qu’il faut inventer de faux clivages. Il y a des régionalistes au PS et des jacobins chez les Verts. Cela ne me gêne pas dans mon travail quotidien. D’ailleurs, en tant que ministre, je vois surtout les bons côtés du jacobinisme. Comment il permet de s’opposer aux baronnies locales. Ou d’établir une péréquation entre régions riches et pauvres. Cela m’agace que le PS soit jacobin. Mais il n’est pas exclu que je le devienne un peu plus… [Silence.]

Au moins, là, je vais m’en prendre plein la gueule de tous les côtés, du PS, du PC et des Verts !

Charlie Hebdo : En deux mots : la chasse ?

Dominique Voynet : Il faut étendre le droit de non-chasse, en permettant à tout un chacun de l’interdire sur son terrain. Faire respecter la législation européenne sur les oiseaux migrateurs et le gibier d’eau. Mais j’ai dit aux chasseurs que je n’étais pas contre le fait d’étudier des plans de chasse, pour des espèces qui pullulent.

Charlie Hebdo : Vous aviez promis qu’il n’y aurait pas d’autre contrat de retraitement à La Hague…

Dominique Voynet : Je le maintiens.

Charlie Hebdo : Vous comptez faire interdire les panneaux publicitaires qui enlaidissent la périphérie des villes ?

Dominique Voynet : Je n’ai pas le pouvoir de les interdire. Mais je suis d’accord : les entrées des villes sont défigurées. J’envisage quelque chose. Mais ce n’est pas prêt.

Charlie Hebdo : Le gouvernement de droite avait bloqué le dispositif européen de protection des zones naturelles « sensibles ». Ce qu’on appelle Natura 2000.

Dominique Voynet : C’est un processus long, qui prévoit six ans de concertations entre les usagers de ces milieux, leurs propriétaires et les spécialistes de ce milieu. Mais nous transmettons à Bruxelles une première liste des sites à classer, avant la fin septembre.

Charlie Hebdo : Les ministres vont changer leur Safrane pour des voitures électriques ?

Dominique Voynet : On a déjà commencé à rendre moins polluant le parc automobile dans les ministères. Mais je ne suis pas fana des voitures électriques. Leurs batteries sont encore difficiles à recycler. Et l’énergie électrique vient du nucléaire. Je préfère les véhicules qui roulent au gaz.

Charlie Hebdo : Vous étiez pour la légalisation de la marijuana…

Dominique Voynet : J’y suis toujours favorable. En tant que médecin et en tant que femme politique. Autant la dépendance à l’héroïne est souvent un problème de personnalité toxicomaniaque, autant la consommation occasionnelle de cannabis est sans impact sur la santé et le lien social. Je suis plus inquiète du nombre de Français qui ont besoin de somnifères que du nombre de gens qui avouent avoir fumé un joint.

Charlie Hebdo : Vous avez déjà fumé des joints, Madame la ministre ?

Dominique Voynet : Oui.

Charlie Hebdo : Pourquoi le Gouvernement ne veut-il pas taxer davantage le gazole ?

Dominique Voynet : J’ai demandé qu’on réduise le différentiel entre le gazole et l’essence. C’est indispensable. Mais cela doit se faire dans le cadre d’un plan cohérent de reconquête de la qualité de l’air. Au moyen d’écotaxes globales, frappant la consommation de toutes les ressources énergétiques non renouvelables. Et cela demande du temps.

Au niveau européen, les écotaxes ont longtemps été bloquées par la France, qui voulait bien qu’on taxe toutes les énergies, sauf son nucléaire. Il faut, maintenant, être cohérent.

Mais il n’est pas nécessaire de mettre en place une mesure fiscale unique, qui cristalliserait la hargne des usagers. Il n’y a pas que les microparticules du gazole qui empoisonnent l’air.

Charlie Hebdo : Lorsqu’il vous a interviewée, Michel Field vous a comparée à une grenouille, puis à une anguille. Ça vous a plu ?

Dominique Voynet : Sur le coup, je n’ai pas réalisé. Par la suite, j’ai lu « Charlie Hebdo », et je me suis dit qu’effectivement il n’aurait probablement pas comparé Balladur à un crapaud…

Charlie Hebdo : Vous ne vouliez pas être ministre. Ça fait quoi de l’être, aujourd’hui ?

Dominique Voynet : C’est vrai que je ne voulais pas l’être. Ce n’est pas de la fausse modestie. Dans un coin de ma tête, je crois que j’ai toujours su que je le serais un jour. Quand on s’engage en politique, c’est bien qu’on a l’espoir de pouvoir appliquer ses idées. Mais c’était trop tôt. J’ai été frustrée de ne pas être députée.

Aussi, j’aimerais essayer d’autres façons d’être ministre. Éviter de perdre autant de temps en rituels, en réunions formelles…

Charlie Hebdo : Vous avez l’impression que le pouvoir vous coupe de la réalité ?

Dominique Voynet : Il m’arrive toujours de prendre le métro, si c’est la question. Mais, culturellement, c’est désagréable. En quatre mois, je n’ai pas réussi à aller une seule fois au cinéma.

Au moins, cela me conforte dans mes positions : il faut vraiment interdire le cumul des mandats. Quand je vois le travail que j’ai, et quand je pense qu’un de mes prédécesseurs, Jean-Claude Gaudin, était tout à la fois ministre de l’aménagement du territoire, ministre de la ville, président du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur et maire de Marseille, je me dis que, franchement, il se foutait de la gueule du monde…