Texte intégral
Les Échos : La loi Aubry est entrée en vigueur il y a un an. Quel est, aujourd'hui, à vos yeux, son vrai bilan ?
Nicole Notat : Si l'on se réfère à la lenteur habituelle avec laquelle, en France, les mesures législatives s'appliquent, les résultats concrets sont presque surprenants. Dans le bon sens ! Souvenez-vous de l'obligation faite en 1982 aux entreprises de plus de cinquante salariés de négocier : vingt ans après, un salarié sur cinq seulement est concerné ! C'est dire qu'il y a un écart considérable entre l'adoption d'une mesure législative et son application. Pour revenir aux 35 heures, l'impulsion du processus de négociation est au rendez-vous. Par rapport au nombre d'accords Aubry signés (3 300), les créations d'emploi, au nombre de 43 500, sont encourageantes. Mais les délais, qui ont été prévus pour que toutes les entreprises aient pu négocier et a fortiori parvenir à un accord, sont à l'évidence trop courts.
Les Échos : Pourquoi ?
Nicole Notat : Nous ne nous attendions pas à ce que les branches occupent le terrain de la négociation. L'interposition des branches entre la loi et les entreprises a modifié le contexte par rapport à nos prévisions. C'est plutôt une bonne surprise, mais c'était inattendu. Mais pendant ce temps-là, les entreprises n'ont pas négocié. La déclinaison des accords de branches n'est pas encore faite. Il faut attendre leur extension pour que s'enclenche un fort mouvement dans les entreprises. Beaucoup n'ont pas encore franchi cette étape. C'est pourquoi la deuxième loi ne doit pas venir contrecarrer la première.
Les Échos : Mais une des raisons de l'attente des entreprises, c'est qu'elles ne savent pas ce que le gouvernement leur prépare avec la seconde loi.
Nicole Notat : Vous avez raison, le temps est venu de connaître les règles du jeu. Si l'on veut que les entreprises embrayent sur les accords de branches, il faut que les nouvelles mesures législatives soient connues rapidement.
Les Échos : Le gouvernement, à votre avis, prend-t-il du retard ?
Nicole Notat : Pas pour l'instant, puisque les négociations de branches ne sont pas toutes terminées. Mais il faut qu'à la rentrée, quand un grand nombre d'entreprises commenceront à négocier, les règles du jeu soient claires, par exemple en matière d'heures supplémentaires. Qu'il s'agisse de leur volume, de leur rémunération, du repos compensateur, des modalités de la flexibilité...
Les Échos : Mais, compte tenu des débats parlementaires, les règles définitives ne seront pas connues avant la fin de l'année... Les entreprises ne négocieront donc pas en toute connaissance de cause.
Nicole Notat : Elles pourront démarrer les négociations. La loi peut et doit être votée par le Parlement dans le calendrier prévu. Mais, à l'évidence, avec les recours éventuels devant le Conseil constitutionnel, qui se systématisent, avec le temps nécessaire à l'élaboration par l'État des dispositions réglementaires, la loi ne sera pas effective dès le 2 janvier 2000. On sait par ailleurs qu'il faut du temps – six à neuf mois – aux négociateurs pour la conclure.
Les Échos : Concrètement, la deuxième loi devrait donc prévoir une période transitoire sur certains sujets.
Nicole Notat : C'est incontournable dans le cadre du calendrier prévu par la première loi. Imaginer que la totalité des entreprises françaises auront négocié et conclu un accord d'ici le 1er janvier 2000 serait illusoire. Laissons donc le temps utile à la négociation pour donner un deuxième souffle à la dynamique engagée.
Trois raisons incitent à croire que les négociations s'enclencheront. Premièrement, les entreprises savent que la réduction légale est inéluctable et datée. Deuxièmement, le contenu de la seconde loi va être connu : celle-ci devra leur montrer qu'elles ne pourront pas transformer des heures « normales » d'aujourd'hui (entre 35 et 39 heures) en heures supplémentaires de demain. La troisième raison, c'est la mise en place d'une aide permanente aux entreprises. Celles qui passent effectivement aux 35 heures ou en-dessous doivent pouvoir compter sur une aide pérenne qui peut prendre la forme d'un allégement des cotisations sociales. Sans assurance pour les entreprises d'une baisse du coût indirecte du travail, l'impact de la réduction du temps de travail sur l'emploi diminuerait d'autant.
Les Échos : Cette aide doit-elle être subordonnée à la création d'emploi dans les entreprises ?
Nicole Notat : Cette aide doit être subordonnée à un accord d'entreprise, à la réduction effective du temps de travail à au moins 35 heures et à son impact sur l'emploi. Ce que j'observe, c'est que les entreprises qui négocient, même sans demander les aides incitatives actuelles, ce qui est le cas des grandes entreprises, ont cette préoccupation d'emploi.
Les Échos : Quel contingent d'heures supplémentaires souhaitez-vous à terme ?
Nicole Notat : La CFDT est résolument hostile à tout relèvement du contingent légal actuel de 130 heures. Quand il y a annualisation, je ne comprendrais pas qu'on n'abaisse pas ce seuil. Je constate d'ailleurs qu'un certain nombre d'accords de branches prévoient un contingent plus réduit d'heures supplémentaires dans ce cas. En tout cas, les entreprises ne doivent pas espérer pouvoir cumuler plusieurs formes de flexibilité comme l'annualisation et un niveau élevé d'heures supplémentaires.
Les Échos : Quelle serait la bonne durée, pour vous, de la période de transition ?
Nicole Notat : Six mois, neuf mois ou un an, peu importe. Nous sommes engagés dans un processus d'une telle importance dont tout le monde ne tardera pas à reconnaître les effets. À ce moment, on se dira : les entreprises françaises ont réussi à se moderniser par un développement du dialogue social grâce auquel tout le monde, entreprises, salariés et l'emploi, ont trouvé leur intérêt. Vu l'enjeu, ça vaut le coup de lever le nez du guidon !
Les Échos : Est-ce que vous imaginiez au départ que la flexibilité demandée aux salariés serait aussi forte ?
Nicole Notat : La CFDT n'en a jamais douté. Mais nous avons toujours pensé que les discussions entre partenaires sociaux permettent de faire reculer la mauvaise flexibilité, celle où l'employeur gère ses à-coups de production avec des heures supplémentaires, l'intérim, etc. La bonne flexibilité, c'est celle qui consiste à moduler, par la négociation, les activités des salariés pour tenir compte des contraintes d'activité réelles de l'entreprise, avec d'autres perspectives que le développement de la précarité et la compression systématique de l'emploi. Les points de compromis ne se situent pas toujours au même endroit dans tous les secteurs. Ils sont à l'évidence différents dans l'automobile ou dans la restauration.
Les Échos : Que souhaitez-vous sur le SMIC ?
Nicole Notat : Je sais ce dont je ne veux pas, notamment d'un double SMIC. Il n'y a pas d'autre solution qu'une mise à niveau du taux horaire du SMIC. Mais cela a un coût pour les entreprises. C'est pour cela qu'il faut mettre en place l'aide structurelle dont je parlais.
Les Échos : Quatre fédérations de cadres se sont mises d'accord sur un texte commun, devançant les confédérations.
Nicole Notat : Les fédérations de cadres, tout en soulignant les spécificités du travail de l'encadrement, affirment la nécessité de ne pas l'exclure de la réduction du temps de travail. Il n'est pas question d'instituer un forfait sans référence horaire généralisé et conclu de gré à gré. En revanche, pour certaines catégories de cadres, il faudra instituer un forfait collectif avec une comptabilisation du temps de travail plus en jours qu'en heures. Pour ma part, je crois que le compte épargne temps est particulièrement adapté aux cadres.
Les Échos : Vous venez de décider d'une semaine d'actions décentralisées avec la CGT, la CGC et la CFDT. Pourquoi cette forme d'action et non pas une journée nationale ?
Nicole Notat : Pour la CFDT, l'élaboration de la deuxième loi sur la RTT ne doit pas provoquer d'attentisme, ni de pause dans l'action pour que les négociations s'accélèrent dans les entreprises. Et cette forme de mobilisation est apparue particulièrement adaptée à cet objectif.
Les Échos : Êtes-vous toujours aussi favorable à une refonte de l'assiette des cotisations patronales ?
Nicole Notat : Le principe de l'aide dite structurelle favorise, si elle est forfaitaire, les entreprises à bas salaires par rapport aux autres. Pour financer cet allégement sur les bas salaires, il faut bien trouver une recette nouvelle. Or, presque tout le monde est d'accord pour penser que l'assiette actuelle des cotisations patronales n'est pas satisfaisante. La CFDT est favorable à une assiette plus large, étendue à la valeur ajoutée. Si cela n'est pas fait aujourd'hui, cela ne se fera jamais.
Les Échos : La CFDT ne semble pas défendre les 35 heures dans le secteur public, notamment les hôpitaux, avec le même acharnement que dans le privé.
Nicole Notat : Il y a une différence de fait : dans le privé, la réduction du temps de travail est un chantier ouvert de négociation ; dans le public, ce n'est toujours qu'une revendication. Il serait incompréhensible et choquant que l'État s'exonère d'une négociation dont l'intérêt et la nécessité ne sont pas moindres que dans le privé.
Les Échos : Venons-en aux retraites. Quel est, pour vous, le calendrier auquel doit se tenir Lionel Jospin ?
Nicole Notat : La CFDT estime qu'il ne faut pas retarder à l'infini les décisions. Il doit y avoir maintenant un temps de débat public permettant à tous les salariés de s'approprier les données du problème. Mais, d'ici la fin de l'année, le gouvernement doit donner des précisions sur les décisions qu'il entend prendre. Renvoyer à plus tard les décisions et tout attendre de ces marges de manoeuvre qui sont aléatoires nous promettrait des lendemains plus douloureux.
Les Échos : Que pensez-vous de la proposition du rapport Charpin d'allonger la durée de cotisation à quarante-deux ans et demi ?
Nicole Notat : Ce n'est pas là une position de la CFDT. Nous voulons substituer l'idée plus juste de la durée de cotisation à celle de l'âge de la retraite. Mais il n'y a pas une seule solution magique. Il faudra trouver une palette de solutions qui toucheront sans doute au niveau des cotisations, à leur durée, au mode de calcul des pensions, à la création d'un fonds de réserve, etc. La CFDT se prononcera sur l'équilibre général de la réforme qu'il vaudrait mieux concevoir par étapes, pour mieux l'adapter aux évolutions. Il est impossible d'imaginer dès maintenant une réforme « clef en main » pour 2040. Mais il y a aujourd'hui un contresens majeur qui consiste à envisager l'allongement de la durée de cotisation alors même que les entreprises continuent à faire sortir des gens prématurément du marché du travail et à embaucher les jeunes de plus en plus tard. Si elles modifient leur comportement, alors les salariés seront moins réticents aux réformes.
Les Échos : Vous pensez à la proposition du MEDEF d'allonger la durée de cotisation à quarante-cinq ans ?
Nicole Notat : Elle dépasse tout entendement.
Les Échos : Mais comment convaincre le secteur public plus aisément qu'en 1995 ?
Nicole Notat : Les syndiqués CFDT du public entendent bien que la situation des gens du privé est moins enviable que la leur. Une chose est sûre : le secteur privé ne supportera pas d'être le seul secteur concerné par une éventuelle nouvelle réforme. Une bonne partie des salariés du public ont conscience des difficultés de leur régime de retraite. Ils savent qu'ils sont concernés par la réforme s'ils veulent voir garantir leur niveau de retraite. Et qu'à ne rien changer l'État serait contraint à des décisions drastiques, par exemple sur l'emploi.
Les Échos : La CNAM propose d'économiser jusqu'à 62 milliards de francs par an. Martine Aubry estime que ce n'est pas son rôle.
Nicole Notat : Ce qui est important, c'est que les propositions existent et que le débat ait lieu. Il est naturel qu'il y ait des points de vue différents. Pourquoi ne pas imaginer que les confrontations seront fructueuses ? Elles sont nécessaires car l'évolution inquiétante des dépenses ces derniers mois montrent que les mécanismes de la régulation n'ont pas encore été trouvés.