Articles de M. Marc Blondel, secrétaire général de Force ouvrière, dans "Force ouvrière hebdo" des 17 et 24 septembre 1997, sur la préparation de la Conférence sur l'emploi, le temps de travail et les salaires du 10 octobre et le transfert de la cotisation maladie vers la CSG.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : FO Hebdo

Texte intégral

Force Ouvrière Hebdo - 24 septembre 1997

Jeux de mots

En cas d'agitation intellectuelle, de spéculations mentales excessives, il est toujours utile de savoir prendre du recul pour mieux apprécier les choses et l'actualité.

Pour cela, à chacun ses méthodes. Il en est une qui en vaut d'autres : la lecture du dictionnaire.

Alignons donc quelques définitions de mots très utiles en ce moment :
    - Conférence : échanges de vues entre deux ou plusieurs personnes (réunion).
    - Engagement : fait de s'engager à quelque chose, à un contrat, par une promesse.
    - Promesse : fait de s'engager à faire, dire ou fournir quelque chose.
    - Contrat : engagement réciproque. Exemple, contrat de travail : contrat liant un employeur et un salarié, ce dernier fournissant un travail en échange d'un salaire.
    - Pacte : accord, convention solennelle entre Etats ou particuliers.
    - Stabilité : caractère de ce qui tend à conserver son équilibre. Mécanique : propriété d'un système de revenir à son régime après en avoir été écarté par une perturbation.

Ainsi on peut noter que la notion d'engagement est très proche de celle de promesse. A la différence de la notion de contrat, qui est réciproque, celle d'engagement est unilatérale. De là à se souvenir de la formule selon laquelle les promesses n'engagent que ceux qui y croient, il n'y aurait qu'un pas que, pour la circonstance, nous franchirons.

En quelque sorte, la promesse, on y croit ou on n'y croit pas. Si on y croit, on agit pour la faire respecter. Si on n'y croit pas, on agit pour la faire oublier.

Cela peut, certes, être fait de manière brutale ou subtile : c'est une question de style ou de méthode.

Cela étant, quand on vous promet quelque chose qui vous agrée et que la promesse n'est pas tenue, le doute commence à s'installer.

Ainsi : comment respecter des promesses sociales dans le cadre d'un pacte de stabilité ?

En jouant la modération ; un mot terrible que celui que celui de modération. Ça fait gentil, comme ça, modération, ça fait sage et sérieux. Et pourtant !...

- Modération : caractère ou comportement éloigné de tout excès (pondération) mais aussi : "action de freiner, de limiter, de réduire".

On comprend ainsi tout de suite le sens de la modération salariale.

Mais revenons au pacte. Appliqué aux questions économiques, il signifie concrètement aujourd'hui limitation des déficits, inflation maintenue très faible.

Ainsi s'explique également l'incongruité, pour des syndicalistes, de la notion de "pacte social", qui reviendrait en quelque sorte à "geler le social', c'est-à-dire notamment, le chômage et les salaires, à encadrer les revendications et les syndicats.

Dans ces conditions, il est évident qu'une conférence, c'est mieux qu'un pacte.

Mais si la conférence devait avoir pour objet d'essayer de transcrire des engagements dans le cadre du pacte de stabilité, cela reviendrait à faire beaucoup de bruit et de circonvolutions pour ne rien ou peu changer.

Dans cette hypothèse, c'est une autre définition du mot conférence qu'il conviendrait de retenir : "Poire de taille moyenne, de couleur verte."

Le dictionnaire refermé, on est conforté à se dire que, dans tous les cas, et au-delà des mots, il faut revendiquer et défendre les intérêts des salariés.

Au fait, au plan budgétaire une contribution est un impôt, c'est-à-dire un prélèvement d'autorité pour les dépenses d'intérêt général de l'Etat.

Nouveau casse-tête sémantique : c'est quoi, alors, un impôt social comme la CSG ?

Tous au Littré avant le 10 octobre.

"Et à la position de la CE confédérale publiée dans le numéro ce FO Hebdo (page 20).


FORCE OUVRIERE HEBDO - 17 septembre 1997

Qui trop embrasse mal étreint

Plus le temps passe, plus le contexte dans lequel la conférence sociale va se tenir s'alourdit. La gestion du temps par le gouvernement, aussi subtile soit-elle, ne fera pas oublier les promesses et engagements électoraux.

Force Ouvrière sera reçue officiellement par la ministre du Travail le 17 septembre 1997 et ce après différents contacts officieux. A l'ordre du jour ce cette réunion, pour la ministre, les salaires, la durée du travail, l'emploi et… la Sécurité sociale.

D'ores et déjà, le débat est ainsi lancé sur le transfert de la cotisation ouvrière maladie vers la CSG, l'objectif affirmé étant la suppression de la cotisation ouvrière, c'est-à-dire la fin du lien, par la cotisation, entre les syndicats et la Sécurité sociale (1), puisque l'impôt deviendrait non seulement dominant mais exclusif. Que la CSG soit déductible ou non ne change rien. Le Conseil constitutionnel a d'ores et déjà stipulé que la CSG était une imposition (décision du 28 décembre 1990).

Rappelons d'ailleurs qu'en 1993, des sénateurs et députés socialistes avaient fait un recours devant cette juridiction, concernant l'augmentation de la CSG avec une part déductible. Ce recours portait sur la loi de finance rectificative, c'est-à-dire la loi qui définit le montant des recettes et dépenses fiscales.

Officiellement, le gouvernement accélère le mouvement pour augmenter le pouvoir d'achat des salariés du privé d’un montant de l’ordre de 0,6 à 0,8 %, dans une vision keynésienne il justifierait ainsi sa mise à l'ordre du jour de la conférence. Mais il est clair que cela tend à bloquer toutes les autres initiatives en matière de salaires qui doivent privilégier la négociation et le contrat. En quelque sorte, l'annonce porte atteinte à la relance contractuelle dans le domaine des salaires minima de branches et des salaires réels (articles L.132-12 et L.132-27 du Code du travail).

A noter que l'augmentation ne coûte rien aux entreprises et s'inscrit dans la volonté d'alléger le coût du travail au nom de la compétitivité.

Quand on sait qu'en douze ans – pour ne prendre que cet exemple – l'importance du nombre des très bas salaires a doublé, on mesure l'effet de la politique d'allègement du coût du travail.

Mais encore, le transfert pénalise les retraités, chômeurs et fonctionnaires (2), sauf à prévoir des dispositions particulières. Mais dans ce cas, pourquoi continuer à faire peser la CSG, pour les salariés du privé, sur l'intéressement et la participation ?

De fait, ce qui est "gagné" d'un côté est sérieusement amputé par le poids de la CSG sur ces primes ainsi que sur les indemnités maladie, maternité et de licenciement (en termes du montant conventionnel).

N'oublions pas que lorsque M. Juppé a transféré 1,3 point de cotisation maladie sur 1 point de CSG cela a conduit à faire perdre au régime d'assurance maladie 1,7 milliard de francs qui ont dû ensuite être compensés "à la louche" par l'Etat.

Enfin, et ce n'est pas la le moindre des dangers de la CSG, cela correspond à la volonté (déjà exprimée en son temps par MM. Evin et Lamassoure) de remplacer l'impôt sur le revenu progressif (3) par la CSG, impôt proportionnel, retenu à la source, donc plus inégalitaire. Avec le transfert complet de la cotisation maladie ouvrière sur la CSG, cette dernière aurait un rendement de 335 milliards de francs, contre 292 pour l'impôt sur le revenu (4).

Tout cela pour dire qu'officiellement, ce transfert s'inscrit dans la volonté affichée de poursuivre la mise en œuvre du plan Juppé.

Cela n'obère-t-il pas les discussions des Etats généraux de la santé 1998 ?

Le 24 septembre, le Conseil des ministres va faire connaître le projet du budget 1998, le 8 octobre ce sera le projet de loi de financement de la Sécurité sociale.

A vouloir tout mélanger et à retarder les échéances, le gouvernement prend le risque de l'attente et de la confusion.

Qui trop embrasse mal étreint…

En ce qui concerne FO, nous rappellerons au ministre du Travail et des Affaires sociales toutes nos analyses et revendications, que ce soit en matière de durée du travail, de salaires, de cessation anticipée d'activité… et de Sécurité sociale.


(1) Plus que le syndicat, le salarié ne se comporte pas de la même façon envers un impôt ou une cotisation.
(2) La cotisation maladie des retraités et chômeurs (2,8 %) est inférieure à l'augmentation envisagée de la CSG. Quant aux fonctionnaires ils paient la CSG sur les primes.
(3) Plus on gagne, plus le taux de l'impôt est fort.
(4) Serait également dans les tuyaux la transformation en impôt de la cotisation patronale.