Interview de M. Charles Millon, Président du Conseil régional de la région Rhône-Alpes, dans "La Tribune" du 22 septembre 1997, sur la lutte contre le chômage dans sa région, la mise en place d'un "plan d'accès à la première expérience professionnelle" et sur son objectif de créer 25000 emplois grâce à l'aménagement du temps de travail.

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Média : La Tribune

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« La Tribune ». – Vous avez voté contre le projet de loi Aubry sur les emplois-jeunes. Pourquoi cette position critique ?

Charles Millon. – Si je me suis opposé au projet de loi Aubry, c’est parce que je crois que les emplois ne se décrètent pas. Ils ne sont pas le résultat d’une loi. Les emplois sont le résultat du développement, ou de la création d’entreprises. Il me paraît préoccupant de voir un plan jeunes qui va multiplier les emplois précaires, lesquels se transformeront en emplois de fonctionnaires ou relevant du secteur public. Qui dit emploi de fonctionnaire ou de secteur public dit financement public, donc financement par les impôts, et par là, une augmentation de la pression fiscale sur les entreprises. C’est la raison pour laquelle la région, il y a quelques années, a fait une analyse un peu différente. Elle a constaté qu’une partie des chômeurs ne parvenait pas à rentrer dans le marché du travail, à cause d’un manque d’expérience professionnelle. Nous nous sommes donc donné comme règle d’offrir aux jeunes – à plus de 30 000 Rhônalpins déjà – la possibilité de l’accès à une première expérience professionnelle, pour briser le cercle vicieux : pas d’expérience professionnelle, pas d’emploi… C’est le « Plan d’accès à la première expérience professionnelle », le Papep. Il s’agit d’une mobilisation par bassin d’emploi, lieu où tout le monde se connaît, employeurs, employés, syndicats, partenaires sociaux, élus locaux, administration. Nous conjuguons deux opérations parallèles. Un recensement des emplois potentiels dans les entreprises. Et la formation des chômeurs, pour qu’ils puissent occuper ces emplois, par des systèmes de contrats divers, type contrat de qualification ou d’apprentissage. Les résultats parlent d’eux-mêmes, puisque le chômage des jeunes, l’année dernière, a baissé de 11,5 % en Rhône-Alpes, alors qu’il n’a baissé en France que de 6,3 %.

« La Tribune ». - Pensez-vous que les élus de votre région auront néanmoins recours aux emplois Aubry ?

Charles Millon. - Il y a deux positions. La position de principe est qu’il me paraît meilleur de mobiliser l’argent dont on dispose pour le donner à des acteurs locaux, décentralisés, pour améliorer la formation, favoriser le développement d’entreprises, que de s’engager dans la démarche menée actuellement. Après, une fois la loi votée, c’est la loi de tous. Il est bien évident que la collectivité régionale – comme les départements ou les communes – aura recours à ce type d’emplois. Je ne voudrais pas être un semeur d’illusions. Il ne sert à rien de dire aux jeunes que l’on va résoudre leurs problèmes, quand on va peut-être les engager dans une impasse.

« La Tribune ». - Votre région a souhaité voir les entreprises s’engager sur la voie de l’aménagement du temps de travail. Quel est le bilan de cette action ?

Charles Millon. - Nous nous sommes aperçus qu’il fallait s’occuper non pas du seul chômage des jeunes mais du chômage en général. Nous avons donc souhaité développer l’offre d’emplois. Des chefs d’entreprise nous ont dit qu’il leur était possible d’augmenter leur productivité, en réorganisant le travail et en créant des emplois, mais avec un accompagnement de la collectivité. Nous avons offert cet accompagnement. D’abord, au niveau de l’ingénierie sociale, que la région prend en charge. Quatre cent vingt entreprises de Rhône-Alpes sont dans cette démarche-là. Elles font une étude pour savoir comment se réorganiser pour augmenter la productivité et créer des emplois. Cela a déjà permis, dans la région, de créer près de cinq cents emplois au sein de 60 entreprises qui ont abouti dans leur projet. Nous pensons qu’à court terme, on pourra faciliter la création d’environ trois à quatre mille emplois, ce qui est important. L’objectif de vingt-cinq mille emplois dans la région Rhône-Alpes paraît tout à fait accessible dans les trois ans qui viennent, sauf intervention de l’Etat pour modifier les règles.

« La Tribune ». - Rhône-Alpes, laboratoire économique et social, est-ce une démarche que vous souhaitez voir s’amplifier ?

Charles Millon. - L’immense intérêt de la région est d’être une collectivité légère au niveau des structures. Elle peut donc innover. J’ai plaidé auprès des différents gouvernements la possibilité pour les régions d’être considérées comme lieux d’expérimentation et d’innovation. Comme nous le faisons par exemple, à l’instar de cinq autres régions, en matière ferroviaire. J’ai d’ailleurs rencontré récemment le ministre des Transports et le président de la SNCF pour plaider en faveur de la liaison TGV Lyon-Turin qui permettrait à la région Rhône-Alpes d’être une plaque tournante, un lieu d’échanges, et donc un lieu de croissance économique.

« La Tribune ». - Pensez-vous que la politique nationale d’aménagement du territoire a joué son rôle vis-à-vis de la région ? L’implantation des entreprises en Rhône-Alpes correspond-elle aux capacités de cette région à exister sur un plan économique ?

Charles Millon. - Rhône-Alpes est une région privilégiée – par sa desserte ferroviaire, son réseau autoroutier, son emplacement géographique et son réseau de villes. Il n’y a pas une capitale qui écrase la région, mais il y a un réseau de grandes villes internationales comme Lyon, Grenoble ou Saint-Etienne, et de villes moyennes nationales comme Chambéry, Annecy, Valence, Roanne, Bourg-en-Bresse ou autres. Ceci permet de mailler la région, de rentabiliser les équipements existants, et d’offrir des capacités d’accueil exceptionnelles pour les entreprises. Pour les équipements d’accueil de demain, on donnera plus d’importance aux domaines de la recherche et des équipements universitaires. Les entreprises décideront en effet de leur implantation en fonction du réseau de recherches. C’est pourquoi nous avons une politique de contrat d’objectifs avec toutes les universités et les grandes écoles de Rhône-Alpes, qui porte ses fruits. Ce type d’équipements est un moyen d’attraction des entreprises.

« La Tribune ». - Le débat est ouvert sur une clarification des compétences entre collectivités, s’agissant notamment du développement économique. Quelle est votre position ?

Charles Millon. - Je suis plutôt pour la notion de chef de file. Le chef de file en matière d’action économique est la région. Mais on n’évitera pas le débat sur les structures administratives et politiques françaises. Il pourrait être intéressant de voir comment adapter la structure politique française à la dimension européenne. Si la France veut demain répondre aux grands défis, il lui faudra opter pour une décentralisation véritablement forte, efficace. Cela exigera sans doute une solidarité beaucoup plus grande entre les départements et les régions. Il y a là l’objet d’une réflexion. Je pense que l’Europe bousculera tout. L’Europe va mettre les dirigeants économiques et politiques devant leurs responsabilités. Si l’on veut une France forte – et je suis pour une Europe des nations -, il faut des régions fortes.

« La Tribune ». - Quelle ambition avez-vous pour Rhône-Alpes dans le concert européen ?

Charles Millon. - Rhône-Alpes a toujours voulu jouer un rôle majeur dans l’aménagement du territoire européen. C’est pourquoi nous faisons partie de l’association « Quatre moteurs pour l’Europe », avec le Bade-Wurtemberg, la Catalogne et la Lombardie. Autant les régions ne se substitueront pas aux nations, autant sous l’angle économique, culturel, patrimonial, éducatif, les régions peuvent être d’abord des lieux d’expériences extraordinaires et des lieux d’échanges privilégiés. Je dis bien « des lieux d’échanges privilégiés ». C’est à partir de l’expérience du Bade-Wurtemberg qu’on a construit, dès 1983, notre formation par alternance.

Avec la Lombardie, nous avons étudié toute la politique des petites et moyennes entreprises, pour voir comment essaimer à partir des grands groupes.

Nous pensons par ailleurs qu’une région comme Rhône-Alpes doit accompagner les entreprises à l’étranger, qu’il n’y aura pas de réussite économique s’il n’y a pas d’exportation. Voilà pourquoi nous favorisons la poursuite d’études pour les jeunes Rhônalpins à l’étranger – avec actuellement 3 000 bourses par an, sans conditions de ressources, de 2 000 à 4 000 francs par mois – pour tous les jeunes qui veulent aller faire leur troisième cycle ou un stage de fin d’études dans un autre pays. Et nous aidons une association – Erai (Entreprise Rhône-Alpes Internationale) – qui a des antennes à l’étranger – en Europe, en Amérique du Nord ou en Asie – pour accompagner les petites et moyennes entreprises qui veulent soit s’implanter, soit conquérir des marchés, soit découvrir un pays.