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Le Figaro Économie : À combien estimez-vous le coût du bogue de l'an 2000 notamment pour les PME ?
Marylise Lebranchu : Il est très difficile d'estimer le coût du passage à l'an 2000 et du risque de bogue pour une PME. Les situations sont diverses et ce coût dépend de plusieurs facteurs. L'évaluation doit prendre en compte l'ancienneté des matériels et des logiciels utilisés, leur origine et la nature des travaux à effectuer : changement complet ou partiel, correction des logiciels et reprise des bases de données, intervention sur les automatismes ou remplacement. Le niveau de technicité des applications et des machines utilisées, le volume des applications, l'importance du parc des systèmes installés et la difficulté parfois à retrouver les composants électroniques enfouis interviennent aussi. Le coût de correction peut varier de 2 000 à 4 000 francs par emploi dans l'entreprise, pour le seul domaine de l'informatique. La prise en compte des systèmes techniques peut entraîner un doublement de cette fourchette.
Le Figaro Économie : Comment ce dossier est-il traité dans les autres pays européens ? Une concertation est-elle envisagée ?
M. L. : Chaque pays européen conduit sa propre politique de sensibilisation des acteurs économiques et de suivi des travaux de préparation au passage à l'an 2000. Dans la pratique, comme nous le faisons en France, cela passe par la mobilisation de l'administration, la création de missions spécifiques ou de groupes de coordination relevant d'un ministère, voire le recours à des agences de communication. Au-delà des travaux entrepris dans chacun des États, une coordination existe au niveau européen dans le cadre d'un « groupe de travail pour le passage à l'an 2000 » qui s'est déjà réuni quatre fois. Son objectif est d'échanger les méthodes et expériences de chacun pour améliorer la sensibilisation, favoriser la transparence de l'information sur le bogue et suivre l'état d'avancement des travaux de correction et d'adaptation des matériels.
Le Figaro Économie : Quelle est selon vous la meilleure façon de sensibiliser les chefs d'entreprise ? Quels secteurs sont les plus exposés ?
M. L. : Selon le baromètre an 2000 mis en place par le ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, la sensibilisation des dirigeants des PME aux risques du bogue se heurte à des difficultés spécifiques tenant à leur incrédulité à l'égard du phénomène. Leur conviction est encore qu'il s'agit d'un faux problème inventé par les sociétés informatiques et que d'éventuels dysfonctionnements pourront être corrigés facilement lorsqu'ils apparaîtront. Il suffirait donc d'attendre... Ce comportement est particulièrement répandu dans les très petites entreprises.
Compte tenu du pourcentage alarmant d'entreprises qui n'ont toujours pas commencé à se préparer au passage à l'an 2000. Tous les moyens sont bons pour les sensibiliser. Depuis les campagnes de presse utilisant les médias de masse, en passant par la diffusion de courriers et de documents techniques et, bien sûr, l'utilisation de tous les relais de terrain disponibles : directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE), délégués régionaux pour le commerce et l'artisanat (DRCA), Chambres de commerce et des métiers, centres techniques industriels (CTI), organisation professionnelles. Tous se doivent, aujourd'hui de multiplier les initiatives d'information et de sensibilisation.
Toute les entreprises qui ne procéderont pas, d'ici au 1er janvier prochain, aux travaux de mise en conformité de leurs matériels de production et de gestion, toutes celles qui ne prépareront pas un plan de secours pour pallier les difficultés rencontrées, sont en danger. Et les dommages seront d'autant plus graves que leur structure financière est faible. Parce que le « risque bogue » est bel et bien réel et que sa prévention demande du temps, je maintiens que pour les chefs d'entreprise, il est impératif d'agir bien avant l'an 2000. Pour eux, l'an 2000, c'est le 1er août 1999. Après il sera trop tard. Mais, nous le savons, certains ne seront vraiment mobilisés que s'il leur est démontré que les équipements utilisés dans leur propre métier sont touchés. Or, pour l'heure, il continue de régner une grande opacité sur la situation des équipements professionnels. Les responsables des PME doivent donc adopter une démarche plus offensive vis-à-vis des fournisseurs qui ont tendance à privilégier leurs « grands comptes » au niveau des informations techniques et des solutions proposées.
Le Figaro Économie : Où en est votre projet de sanctionner les distributeurs et éditeurs de matériels non conformes à l'an 2000 ? Quelles mesures concrètes envisagez-vous ? Quand seront-elles présentées, et dans quel cadre ?
M. L. : Je n'ai pas spécialement projeté de sanctionner tel ou tel, et le recours à des procédures judiciaires n'a jamais été mon but. Mon objectif premier est, bien entendu, d'inciter les professionnels de l'électronique et de l'informatique à faire le nécessaire pour que tous leurs clients passent le 1er janvier 2000 sans encombre. Cela veut dire que, au-delà de l'indispensable sensibilisation que nous menons, il est aussi de notre devoir de rappeler aux fournisseurs qu'ils ont une responsabilité à assumer : celle d'informer sur la capacité des produits vendus à passer le cap de l'an 2000 sans dommages.
J'ai déjà eu l'occasion de le dire : il est totalement anormal que plus de la moitié des configurations informatiques encore proposées aujourd'hui ne passent pas l'an 2000. Au plan du droit de la consommation, les délits de « tromperie » et de « publicité mensongère » peuvent être invoqués. L'administration de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) est compétente pour constater ces deux catégories d'infraction. Des procédures sont actuellement en cours. Une quinzaine de dossiers dont sur le point d'être transmis aux parquets. Les suites éventuelles relèvent de l'appréciation souveraine des tribunaux.
Le Figaro Économie : Cette annonce a-t-elle déjà suscité des initiatives de la part des professionnels concernés ?
M. L. : Après une soixantaine de contrôles effectués, l'attitude des professionnels a effectivement changé. De la désinvolture et de l'impréparation psychologique face au problème du bogue, ils ont évolué vers davantage de mobilisation et d'action. La pression des enquêtes menées auprès des distributeurs les a conduits à exercer à leur tour une pression sur leurs fournisseurs. Et je me félicite de la prise de conscience de certains de ces professionnels qui, me dit-on, conduisent une démarche très active pour mettre à niveau leurs micro-ordinateurs soit chez les distributeurs, soit directement chez les clients qu'ils connaissent, soit encore en rappelant les matériels concernés pour les adapter. D'autres accélèrent actuellement la diffusion de corrections de leurs logiciels, soit par Internet, soit sur CD-ROM. Tous les utilisateurs ne possédant pas de lecteur de CD-ROM sur leur machine, j'ai demandé que ces solutions soient aussi disponibles sur disquettes. De plus, il me semblerait de bon ton que l'ensemble de ces solutions soit distribué gratuitement.
Le principal éditeur de logiciels et systèmes a mis en oeuvre un dossier an 2000, destiné aux consommateurs, qui sera complété à mesure que seront validées les comptabilités de ses produits. Par ailleurs, les sites Web de nombreux éditeurs et constructeurs proposent désormais des informations lisibles en français sur leurs diagnostics an 2000. Ce sont des exemples que j'invite tous les retardataires à suivre rapidement.