Texte intégral
Olivier MAZEROLLE : Bonsoir Monsieur COHN-BENDIT. Pour une bonne partie de la France vous êtes Dany, celui qui a embrasé la politique en mai 68 et ce souvenir un peu nostalgique vous a valu de connaître une vague de sympathie lors de votre retour sur la scène politique française, en vous revoyant on rajeunissait de 30 ans. Mais les temps ont changé, les leaders politiques surtout de gauche ont reçu votre retour comme celui d'un concurrent, vous avez dû vous faire connaître d'une jeunesse qui vous ignorez et vous vous êtes heurtés à certaines couches de la population comme les chasseurs ou les pro-nucléaires. Toujours désireux d'expliquer, vous ne refusez pas qu'on vous étiquette, libéral libertaire, une position jusqu'ici inconnue dans le répertoire politique.
Alors avec Pierre-Luc SEGUILLON et Patrick JARREAU nous allons vous demander ce soir, votez COHN-BENDIT, c'est voter pour quelle idée, c'est voter pour quelle Europe ? Tout d'abord, le Kosovo, Daniel COHN-BENDIT, Milosevic accepte maintenant ce qu'il appelle les principes généraux du G8. Mais pour les alliés, cette formulation est encore un peu vague, ils veulent des faits concrets et l'OTAN a encore intensifié ses frappes sur la Yougoslavie, était-ce nécessaire ?
Daniel COHN-BENDIT : Ecoutez, moi je crois qu'il faut pousser Milosevic à accepter les cinq principes de Monsieur Koffi Annan, donc de l'ONU et de l'OTAN, qui est, qui se base autour de l'idée de retour des déportés au Kosovo. Donc intensifier les frappes sur les troupes de répression serbes au Kosovo, oui c'est nécessaire. Discuter...
Olivier MAZEROLLE : Même avec cette déclaration ?
Daniel COHN-BENDIT : Oui, parce que pour l'instant il se passe rien. Vous savez il y a eu treize cessez-le-feu signé par Messieurs Karadsic, Milosevic et Mladic depuis le conflit de Bosnie et il y a eu, je ne sais pas, 80 résolutions de l'ONU, donc c'est vrai qu'il faut intensifier les frappes sur les troupes. Je crois que ce n'est pas la peine d'agiter les choses en intensifiant les bombardements sur la Serbie. Je crois qu'il y a une différence à faire, je crois que le problème de faire de telle sorte que les troupes qui sont au Kosovo soient coupées de la Serbie, ça a été réalisé maintenant et donc le projet c'est d'obliger Milosevic à accepter les conditions du retour des déportés.
Pierre-Luc SEGUILLON : Ce que vous dites est en soit une critique de la manière dont fonctionne l'OTAN, puisque précisément ce n'est pas tellement les infrastructures militaires, semble-t-il qui sont touchées mais un certain nombre de cibles qui sont désignées comme cibles stratégiques par exemple les antennes de télévision, par exemple les ponts, mais pas l'infrastructure militaire ?
Daniel COHN-BENDIT : moi je crois qu'il y a eu plusieurs phases, vous savez, de toute façon l'OTAN a mal préparé l'intervention donc on a réinventé, j'allais dire redéfinir, les buts de l'intervention au fur et à mesure de l'intervention. Au début on croyait que ça allait durer trois jours puis on s'est aperçu que ce n'était pas vrai. Donc, on peut être pour l'intervention militaire et critiquer la pensée qu'il y a derrière la nature de l'intervention telle qu'elle existe.
Pierre-Luc SEGUILLON : Mais vous ne croyez pas que dans un premier temps, parce que c'est un peu l'histoire de l'oeuf et de la poule, il faut bien qu'il y en ait un qui commence et Milosevic dit : moi je satisfais les conditions si on arrête les bombardements, c'est un peu ce que disent les Soviétiques, voire ce que disent certains Allemands.
Daniel COHN-BENDIT : Non, les Allemands ne disent pas cela, ce n'est pas vrai. Oui il y a des gens qui disent cela. Moi je crois qu'aujourd'hui il faut être très clair, il faut être très clair. Quel est le but de cette intervention pour moi? C'est le retour des déportés Kosovars et je crois qu'il faut ne faire pression pour qu'il y ait un début de retrait des forces de répression, c'est quand même pas difficile à faire puisque c'est même ce qu'à signé Milosevic en octobre 98 donc on demande le retour de...
Patrick JARREAU : visiblement, ce que Milosevic recherche dans son mouvement réel ou feint de vendredi, c'est d'être considéré comme un interlocuteur pour une négociation.
Daniel COHN-BENDIT : Ecoutez, on négocie avec des preneurs d'otage, aussi, on les reconnaît et après on les met en prison. Moi je crois qu'il faut pas avoir d'état d'âme. Moi, pour moi, le but c'est le retour des kosovars au Kosovo, je le répéterai 36 mille fois , protégés par une force militaire. Si il y a cette défaite politique de Milosevic au Kosovo, je crois que le peuple serbe se chargera de Milosevic et l'on verra Milosevic comparaître au tribunal pénal international de La Haye.
Olivier MAZEROLLE : Mais attendez le retour des kosovars au Kosovo, vous disiez récemment "mais il faut que cela se fasse avant l'hiver parce que sinon ils ne rentreront jamais", or les mois passent, la stratégie de l'OTAN pour le moment n'a pas encore porté ses fruits, ça ne vous inquiète pas tout de même.
Daniel COHN-BENDIT : Si ça m'inquiète. Moi je dis clairement qu'avant le sommet du G8 qui est le 18 juin, je crois, avant le 18 Juin, il faut qu'il y ait une solution diplomatique, qu'elle ait réussi. Sinon, il faut le commencer, il faut se poser sérieusement, d'une manière responsable, parce que c'est difficile, le problème de l'intervention terrestre. Il faut donner toutes ses chances, toutes ses chances, à la solution diplomatique. Et même moi ça ne me dérangerait pas qu'on interrompe pendant trois ou quatre jours les bombardements si on est capable de les reprendre, c'est ça tout le problème politique, et surtout de bien monter qu'on ne canera pas sur l'histoire, c'est le retour de tous les déportés au Kosovo.
Pierre-Luc SEGUILLON : Est-ce que vous avez le sentiment que les Etats-Unis veulent une solution diplomatique ou qu'ils veulent aujourd'hui la capitulation pure et simple de Slobodan Milosevic ? Autrement dit que Slobodan Milosevic n'a le choix qu'entre résister de manière peut-être suicidaire ou bien accepter les conditions, se rendre et être arrêter ?
Daniel COHN-BENDIT : Moi, je vais vous dire, au pire ça ne m'intéresse pas ce que pense Clinton. Pourquoi ?
Pierre-Luc SEGUILLON : Sauf que c'est lui qui dirige ?
Daniel COHN-BENDIT : Non, et bien justement, si les européens sont capables de se mettre ensemble, c'est-à-dire les français, les allemands, les italiens, les anglais c'est plus difficile, disons les espagnols aussi, les portugais, etc. et qu'ils disent "voilà dans ces conditions nous continuons, sinon nous ne continuons pas, c'est fini de la direction américaine", mais si c'est chaque président français ou italien ou chancelier allemand, qui fait sa petite proposition alors c'est l'Amérique qui dirige. L'Europe doit parler d'une voix, l'Europe doit s'exprimer d'une voix avec sa stratégie, c'est ça que je demande et après ça m'est égal ce que pense Monsieur CLINTON.
Pierre-Luc SEGUILLON : Une voix donc qui ne soit pas nécessairement la voix de l'OTAN ?
Daniel COHN-BENDIT : Une voix qui ne soit pas nécessairement la voix de Monsieur CLINTON. Tous ces pays sont dans l'OTAN. Qui est l'OTAN ? J'en ai assez qu'on me dise l'OTAN. L'OTAN c'est une force militaire mais ce sont des états avec des gouvernements qui ont à diriger les actions de l'OTAN. Ce n'est pas aux militaires de diriger les politiques. C'est quand même une chose claire. Enfin on me dit l'OTAN, l'OTAN, élu par qui ? Quels suffrages, quels types de suffrage, où et comment ? L'Europe a des institutions communautaires, a un parlement, la France a un parlement, a un gouvernement, mais l'OTAN ce n'est rien, ce sont des militaires qui ont été nommés par des gouvernements, et c'est au gouvernement de faire la politique et non pas aux militaires. Aux militaires à exécuter ce que les politiques ont décidé.
Olivier MAZEROLLE : Quelle pourrait être alors la vision spécifique, la stratégie spécifique de l'Europe par rapport à celle des américains concernant cette crise ?
Daniel COHN-BENDIT : La stratégique de l'Europe c'est le futur de l'Europe. Et là je vous parle si vous voulez même de l'après crise. Tirons les leçons, les leçons quand même de la crise du Kosovo comme les leçons de la Bosnie ont été que le projet européen c'est la coresponsabilité, c'est de déclarer "nous sommes ensemble responsables du niveau de société, de nos sociétés, de la pauvreté dans nos sociétés, du chômage de notre société en tant qu'européens" et cette idée de coresponsabilité nous devons la montrer, l'imposer et la définir pour les Balkans. Et les américains ont d'autres intérêts. Les américains, quand ils sont intervenus en Afghanistan, c'est eux qui ont fait, qui ont soutenu l'état Liban. Donc moi je crois que l'idée de société des européens, de coresponsabilité pour le futur des Balkans doit être l'idée qui est de principe, qui nous mène à gérer ce conflit. Il faut absolument donner une chance à la population serbe pour son avenir, de bien démontrer qu'on se bat contre des militaires, contre des forces de répression, c'est pour ça qu'il faut dire...
Olivier MAZEROLLE : On devrait lui parler davantage ?
Daniel COHN-BENDIT : On devrait lui parler et surtout aux déserteurs, on devrait lâcher des millions de tracts au-dessus de la Serbie et dire tout déserteur serbe a le droit d'asile en Europe, il a le droit de venir, de s'établir, il faut susciter cette désertion, il faut chanter le déserteur en Serbe, en serbe. Monsieur le Président Milosevic, je vous fait une lettre, je ne veux pas de votre guerre. Voilà ce qu'il faut faire.
Patrick JARREAU : Alors je voudrais revenir un moment quand même sur les Etats-Unis, parce qu'une partie de l'opinion, y compris chez les écologistes, chez les Verts, sont extrêmement suspicieux par rapport à l'attitude des Etats-Unis, ils pensent que si les Etats-Unis se sont lancés dans cette affaire, c'est pas forcément ou en tout cas pas uniquement pour de bonnes raisons, et qu'il peut y en avoir aussi des mauvaises.
Daniel COHN-BENDIT : Ecoutez, quand dans la vie on fait quelque chose que pour des bonnes raisons, ça n'existe pour personne. Les américains ont été poussés pendant longtemps par les européens surtout sur le Kosovo, je vous rappelle que le processus de Rambouillet a été poussé par les européens et que si vous voulez c'est l'incapacité des européens pendant la guerre de Bosnie où ils étaient divisés, la diplomatie française et anglaise quand même plutôt pro-serbes, la diplomatie allemande quand même plutôt pro-croates, qui défendait les bosniaques ? Personne. Et les américains-là ont été les seuls à avoir pris position pro-bosniaques. Qu'il y ait des intérêts politiques des américains à maîtriser le processus de l'OTAN, c'est évident, c'est une lutte politique. Mais l'antiaméricanisme qui fait que d'un manichéisme incroyable, qui veut sous-entendre que c'est pour des raisons économiques, des intérêts économiques que l'Amérique intervient, c'est pas vrai. L'intérêt politique c'est pour tout le monde. Si on veut faire l'Europe, c'est pour un projet de civilisation politique, pour ne pas être dominé par un projet américain qui n'est pas totalitaire mais qui est différent.
Pierre-Luc SEGUILLON : Dans ce projet politique, si on regarde un petit peu au-delà des événements immédiats, l'avenir, comment est-ce que vous voyez le Kosovo. Vous disiez tout à l'heure ce que tout le monde souhaite, le retour des réfugiés, est-ce que vous voyez, parce que vous souhaitez une Europe multiculturelle, est-ce que vous voulez que kosovars et serbes puissent vivre ensemble au Kosovo ?
Daniel COHN-BENDIT : Oui, oui.
Pierre-Luc SEGUILLON : Est-ce que vous croyez que les kosovars veulent vivre avec les Serbes au Kosovo ?
Daniel COHN-BENDIT : J'en sais rien, j'en sais rien. Mais je vais vous dire, est-ce que vous croyez qu'en 1945 il y avait un juif qui voulait vivre avec des allemands. Non. Et ça c'est fait. Et ça existe. Donc notre but à nous c'est de créer les conditions de réconciliation des sociétés et des peuples, c'est difficile, c'est très difficile, mais je crois qu'aujourd'hui il faut dire une chose très claire, l'autonomie substantielle du Kosovo nous pose le problème du fédéralisme, nous pose le problème de l'intégration de toute cette région des BALKANS, de l'Europe du Sud-Est et de son association à l'Europe et qu'aujourd'hui on ne peut plus penser nation, nation. Ce qui se passe au Kosovo, c'est la défaite de l'idée d'un monde des nations, c'est la défaite de l'idée de l'Europe des nations, c'est l'idée justement d'une Europe communautaire et il faut créer une Europe du Sud-Est communautaire. Il faut qu'ils créent leurs institutions de coresponsabilité ensemble.
Pierre-Luc SEGUILLON : Pour la réussite de ce projet, question très précise, est-ce qu'il faut, il faudra désarmer l'UCK.
Daniel COHN-BENDIT : Je crois qu'aujourd'hui, si l'ont dit que l'on entre, que les kosovars vont rentrer avec une force militaire de protection, alors il faudra désarmer l'UCK. Parce que, mais si, plus jamais Srebrenica, plus jamais Srebrenica, ne pas faire semblant, si c'est faire rentrer l'ONU pour laisser massacrer les gens alors là nous prenons une responsabilité que nous avons déjà pris à Srebrenica, à Gorazde, en Bosnie, et on a jamais protégé. Il y a eu 1 000 personnes assassinées en une nuit après la prise de Srebrenica, par les forces serbes de Monsieur MLADIC, donc il faut faire attention aux responsabilités que nous prenons.
Olivier MAZEROLLE : Vous venez de parler de Mladic, on pourrait parler aussi de Karadzic, ils n'ont jamais été arrêtés bien que recherchés par le Tribunal pénal international, alors comment espérer si on y est favorable bien sûr que l'inculpation de Milosevic aboutisse un jour à ce type d'opération.
Daniel COHN-BENDIT : Ecoutez, le droit, l'idée de droit international est une idée neuve qui est en train de naître, c'est-à-dire qu'on a la souveraineté nationale et aujourd'hui on définit un autre concept que KOFFI ANNAN à Stockholm il y a quelques jours a repris, c'est la souveraineté éthique. Et on intègre maintenant dans l'idée de souveraineté nationale l'idée de souveraineté éthique. Et c'est vrai, vous avez raison, que les états, les nations, ont un rapport instrumental avec le droit international. Par exemple, prenez le droit de veto à l'ONU, il faut réformer l'ONU parce qu'il y a une instrumentalisation des Américains quand il s'agit par exemple d'Israël ou de la Turquie, et du droit de veto, des Français quand il s'agit d'un autre problème, des Chinois quand il s'agit du Tibet, des Russes quand il s'agit de la Tchétchénie, donc le droit international nous impose aujourd'hui une réforme de l'ONU et de supprimer le droit de veto des grandes puissances et ça c'est un projet européen.
Pierre-Luc SEGUILLON : Mais cette souveraineté éthique, si je reprends l'expression que vous venez d'utiliser, elle suppose que demain des forces internationales interviennent par exemple, j'imagine que vous êtes d'accord, contre la Turquie ?
Daniel COHN-BENDIT : Non, la souveraineté éthique c'est pas toujours des armes, écoutez il faut pas réduire la…
Pierre-Luc SEGUILLON : Qu'est-ce que fait la Turquie vis-à-vis des Kurdes ?
Daniel COHN-BENDIT : Non, vous avez tout à fait raison, il faut quand même arrêter de penser en manichéisme, que quand on dit intervention politique c'est toujours avec des armées. Vous avez raison qu'aujourd'hui l'Europe et l'OTAN doit mettre sous pression politique et penser par exemple l'exclusion de la Turquie de l'OTAN si la Turquie n'arrive pas à résoudre démocratiquement le problème des kurdes. Il y a d'autres armes politiques avant tout de suite de penser militaire. Justement ce que je veux c'est que la souveraineté éthique devient un instrument qui guide la politique aussi et que je trouve scandaleux que d'un côté on a raison de soutenir les kosovars et que les américains et que le porte-parole de l'OTAN par exemple l'a dit-il y a aucun problème en Turquie. Ça, au nom de notre intervention au Kosovo.je demande aux gouvernements qui ont soutenu cette intervention de poser à l'intérieur de l'OTAN, le problème de la Turquie et des Kurdes.
Pierre-Luc SEGUILLON : Vous avez entendu l'autre jour Jean-Pierre Chevènement à propos de cette, entre guillemets, souveraineté éthique, il n'a pas utilisé le mot, il s'agissait de la décision du Tribunal pénal international, dire qu'une décision de ce type entraînait une sorte de démission de la politique.
Daniel COHN-BENDIT : Mais c'est le contraire, enfin c'est le contraire, demain il y a un attentat, je vous donne un exemple en Allemagne, il y a eu un attentat organisé par les services secrets iraniens à Berlin, à la Maison de France, il y a eu plusieurs morts. Le gouvernement allemand de l'époque ne voulait pas qu'on poursuive parce qu'ils étaient en train, politiquement, de négocier avec l'Iran et la justice allemande, autonome, a accusé et il y a eu un procès et c'est juste. Depuis quand il faut soumettre la justice aux règles de la politique. C'est la fin de l'état de droit et ce n'est pas par hasard que Monsieur Chevènement ne comprend pas cela, il ne comprend pas au niveau international parce que c'est un souverainiste qui ne comprend rien aujourd'hui à l'évolution du monde. Et moi je suis peiné, je suis pour par exemple qu'on arrête Monsieur Pinochet, je suis pour que Monsieur Pinochet soit jugé comme Monsieur Milosevic.
Olivier MAZEROLLE : Alors on parle beaucoup aussi comme sortie de crise ou de conséquence de la crise du Kosovo de la création d'une défense européenne, il en a été question entre Français et Allemands à Toulouse vendredi dernier et ils vont proposer à leurs partenaires l'intégration de l'U.O. dans l'Union Européenne, alors c'est un peu compliqué mais disons simplement quand même que dans l'U.O. il y a toute une collection de pays, certains sont neutres, la plupart font toujours appel aux américains pour l'idée de défense, donc intégrer l'U.O. dans l'union Européenne, est-ce que c'est pas placer délibérément et définitivement une défense européenne future sous la bannière américaine ?
Daniel COHN-BENDIT : Non, non, vous êtes vraiment, je crois pas que le commentaire de journaliste c'est tout de suite la démission devant la' politique. C'est difficile. On me pose la question de la manière toujours la plus difficile.
Olivier MAZEROLLE : C'est un fait, il y a beaucoup de pays neutres ou très proaméricains dans l'U.O.
Daniel COHN-BENDIT : C'est pour ça que ces pays neutres par exemple seraient, répondraient plus facilement oui à une unification militaire européenne que l'unification militaire à l'intérieur de l'OTAN. C'est par exemple, en décidant cela, c'est permettre à des pays neutres justement de participer à cela. Mais au-delà de dire, je voudrais faire une remarque, il faut être prudent, une politique étrangère commune ce n'est pas simplement une politique de défense commune, c'est la troisième étape. Première étape : c'est de définir l'intérêt commun. J'étais par exemple au parlement européen, dans une commission mixte, commission exécutif et parlement européen de prévention des conflits et tous les membres de la commission qui participaient vous disait que la difficulté c'est que les 15 se mettent d'accord sur l'intérêt commun de l'Europe et que les gouvernements ont tendance à réduire l'intérêt de l'Europe à leur intérêt national alors que le parlement européen au contraire, et sur le Kosovo par exemple, avait depuis longtemps demandé une intervention politique car nous jugions depuis quatre ans très dangereuse l'évolution au Kosovo. Mais que les gouvernements n'ont pas suivi. Donc il faut d'abord obliger les gouvernements a repenser l'intérêt européen. Deuxièmement.
Pierre-Luc SEGUILLON : Ça veut dire, simplement sur ce premier point, ça veut dire que vous souhaiteriez, je crois que Michel Rocard formule un souhait de ce type, la création d'une structure d'analyse européenne ?
Daniel COHN-BENDIT : C'est dans cette structure d'analyse de Michel Rocard que nous nous sommes retrouvés, Michel Rocard et moi et des gens de droite où on a travaillé ensemble avec la commission, mais au-delà de cela, Monsieur PESK pour moi ne devrait pas être un représentant des gouvernements mais un commissaire. L'Europe doit être représentée en tant que politique étrangère par un commissaire, il faut donc pousser plus loin la parlementarisation des processus de décisions de l'Union européenne.
Olivier-MAZEROLLE : Alors sur la Nation, vous même vous dites mais moi vu la manière dont je suis né, la manière dont vivaient mes parents, la manière dont je vis, ça représente pas grand chose pour moi, j'appartiens un peu au monde entier, mais comment pouvez-vous convaincre par votre discours ceux qui n'ont pas votre parcours, ceux qui n'ont pas vécu comme vous et qui ont besoin de racines, qui ont besoin de sentir cette espèce de communauté nationale ?
Daniel COHN-BENDIT : Je vais vous dire, c'est très simple. L'idée de souveraineté nationale aujourd'hui ne fonctionne plus. Les états nations, la France, ne peut pas réaliser son grand projet et si on veut que la France puisse réaliser son grand projet il faut une souveraineté partagée. Et la souveraineté partagée, c'est l'Europe. C'est très simple; C'est une question de dimension des problèmes, oui, si vous voulez aujourd'hui protéger le Kosovo, si vous voulez que demain il y ait une plus grande égalité entre le Nord et le Sud, la possibilité de développement, de réguler les marchés mondiaux, d'imposer des minimums sociaux au niveau mondial, il faut que d'abord nous ayons une unification sociale, il faut que nous fassions avancer l'Europe, pour que tous les européens soient au même niveau socialement, voilà.
Olivier MAZEROLLE : Mais quand vous dites que vous êtes favorable par exemple au vote à la majorité et non plus à l'unanimité il y a toujours le risque pour un pays comme la France, comme pour les autres d'ailleurs, d'être placé en minorité, de voir se dilapider un héritage social, un mode de vie ?
Daniel COHN-BENDIT : C'est quoi la démocratie. Je vous donne un exemple. Les socialistes ont voté deux choses, ont fait un texte avec Monsieur Chevènement, hein Monsieur Jospin, donc contre le vote à la majorité qualifiée quand l'intérêt vital de la France est en jeu, d'accord. Deuxièmement, ils sont pour l'harmonisation fiscale, d'accord. L'harmonisation fiscale pour boucher les paradis fiscaux. Si paradis fiscal il y a par exemple au Luxembourg, le Luxembourg n'a qu'a décrété que le paradis fiscal c'est de l'intérêt vital du Luxembourg et on ne bouchera jamais les capitaux parce que c'est l'intérêt du Luxembourg. Ce qui est bon pour la France sur l'intérêt est bon pour le Luxembourg. Ou alors que l'intérêt national ne joue que pour la France et les autres pays ont à se soumettre au vote à majorité. Ca ne peut pas marcher. Ou on fait l'Europe ou on ne fait pas l'Europe.
Olivier MAZEROLLE : Mais vous savez bien que la France, à tort ou à raison, pense qu'elle a un message universel particulier à proposer aux autres pays.
Daniel COHN-BENDIT : Tout le monde, tout le monde a des messages particuliers. La France a une grande expérience de messages particuliers. La France c'est le pays des droits de l'homme, la France a une certaine expérience de l'intégration par exemple des émigrés mais que les émigrés ici n'ont pas le droit de vote. Par exemple, d'autres pays comme la Hollande, au niveau des municipales, les émigrés ont le droit de vote, donc la citoyenneté européenne doit dépasser en allant vers le mieux faisant européen, ce qui se fait de mieux en Europe, il faut essayer de l'étendre et ça c'est un vrai débat.
Patrick JARREAU : Mais alors justement, un des rares débats qu'il y a dans cette campagne européenne, c'est celui qui tourne autour de la nation et de l'Europe et vous vous êtes ressenti, perçu, à juste titre, comme un défenseur, comme quelqu'un qui croit à l'émergence d'une nouvelle entité politique, d'un pouvoir politique européen. Et puis en face de vous il y a des gens qui disent au fond ça c'est du rêve, c'est de l'illusion, c'est même dépassé, la réalité de l'Europe on la voit tous les jours elle se fait par coopération entre les gouvernements, elle ne se fera jamais autrement.
Daniel COHN-BENDIT : C'est pas vrai, prenez un exemple, c'est l'Europe et le parlement européen qui a imposé au niveau européen une commission d'enquête sur la vache folle et si aujourd'hui il y a une vraie réflexion sur la qualité de la nourriture, qu'on va arriver à une institution européenne de contrôle et de protection des consommateurs sur la qualité de la nourriture, de l'eau, c'est à cause des activités du parlement, des parlementaires européens et que les gouvernements ont pendant des années refusé de poser le problème de la vache folle. On peut vous donner des tas d'exemples où c'est le parlement, ce sont les institutions communautaires qui ont amené l'Europe à faire ce que cette entité souveraine doit faire.
Patrick JARREAU : Alors l'Europe que vous proposez, l'Europe que vous voulez, c'est une Europe qui passe par l'abaissement finalement des pouvoirs nationaux ?
Daniel COHN-BENDIT : Non, écoutez, ça dépend pour quoi. Il faut faire très attention. Par exemple, quand on veut la décentralisation réelle, bien fait, ce n'est pas nier l'état français, c'est dire que l'état français peut fonctionner d'une manière beaucoup plus efficace si il y a décentralisation, on est d'accord là-dessus. Donc je dis qu'aujourd'hui il y a des problèmes, on doit trouver la solution au niveau européenne, si on ne trouve pas une solution européenne sur la pollution et bien on ne trouvera pas de solution au niveau français. Et sur le nucléaire, je sais qu'en France, parce qu'on a un message spécial, on était le seul pays à avoir décrété après Tchernobyl que le nuage de Tchernobyl connaissait exactement les frontières de l'hexagone, voilà l'exception française, on peut dire n'importe quoi comme ça et on a dit n'importe quoi. Un grand corps d'état a dit n'importe quoi. Donc moi je ne veux pas abaisser la nation, je dis, discutons ensemble c'est pour ça que je veux une constitution européenne, c'est pour ça que je veux une déclaration des droits fondamentaux européenne, ce qui doit être décidé au niveau européen, ce qui doit être décidé au niveau des régions et je pourrais donner des tas d'exemples où ça ne fonctionne pas pour définir l'espace souverain de l'Europe.
Pierre-Luc SEGUILLON : Mais jusqu'à présent l'espace souverain dans lequel s'est exercé la démocratie c'est l'espace national. Vous proposez un autre espace qui est l'espace européen.
Daniel COHN-BENDIT : Je suis pas le seul visiblement.
Pierre-Luc SEGUILLON : Non, non, mais j'entends bien. Mais la question est" où est le dedans et où est le dehors de cet espace", parce que cet espace européen, pour ceux auxquels vous le proposez, aux électeurs si moi j'ai envie de voter pour votre projet je me dis mais où est-ce qu'elle commence, où est-ce qu'elle se termine cette Europe parce que sa géométrie est en perpétuelle mutation.
Daniel COHN-BENDIT : ben je crois que c'est une définition des européens qui se fait au jour le jour et là c'est un grand débat. Vous savez l'Europe d'aujourd'hui c'est le rêve d'il y a 50 ans qui se fait avec l'intégration prochaine de la HONGRIE, de la TCHEQUIE, de la POLOGNE, c'est un vieux rêve européen qui est en train de se réaliser d'après la deuxième guerre mondiale, qui a pu se réaliser après l'effondrement du mur. Maintenant, nous devons nous projeter dans 50 ans, et c'est un débat compliqué. Jacques Attali dit : "il faut y intégrer la RUSSIE", moi je dis il faut y intégrer la Turquie, mais ça c'est une décision volontaire politique dont la solution ne m'appartient pas. Il faut lancer ce débat, c'est au parlement européen, c'est aux institutions communautaires de lancer ce débat pour, dans un certain temps, et après arriver à un référendum européen.
Pierre-Luc SEGUILLON : Alors qu'est-ce qui va faire l'identité de ce projet si on se projette précisément à 50 ans. Est-ce que c'est un projet politique, est-ce que c'est une langue, non, est-ce que c'est une religion, non, est-ce que c'est une vision économique et sociale, pas nécessairement parce qu'il y a des diversités, qu'est-ce qui va faire l'union, c'est une histoire.
Daniel COHN-BENDIT : C'est une histoire contradictoire et une idée de civilisation, cette idée de coresponsabilité et du mieux vivre ensemble, de la capacité de résoudre des problèmes qu'on doit résoudre ensemble et qu'on doit les résoudre ensemble en excluant des forces de résolution à l'intérieur de cette communauté, la guerre. Ce qui est neuf pour l'Europe, ce qui est neuf pour ce territoire, c'est-à-dire en créant des institutions communes, d'avoir la capacité d'une gestion permanente de la paix et à l'intérieur de cet espace de paix, l'on a une dramatisation politique, des décisions politiques, est-ce qu'on est, quel type d'Europe sociale, quel type de minimums sociaux vont-ils exister, quels types de travailler ensemble, de réduire le temps de travail, etc. ou est-ce qu'on est pour ou contre le nucléaire, c'est cet espace de souveraineté dans un cadre de paix qui donne la possibilité de rêver d'une autre manière de vivre.
Olivier MAZEROLLE : Alors Daniel COHN-BENDIT, tout à l'heure on parlait de nations, mais il y a aussi tous les acquis sociaux, la vie sociale pour les Français. Il y a un certain nombre de choses qui existent : la fonction publique, le secteur public, le service public, la Sécurité sociale. Alors, tout cela vous voulez aussi que ce soit soumis également au vote à la majorité ?
Daniel COHN-BENDIT : Non, mais le problème est de savoir comment on peut protéger ces acquis et ces acquis sociaux n'existent pas seulement en France. La lutte de classe qui a permis ces acquis sociaux, elle n'a pas existé seulement en France. Elle a existé en Allemagne, en Italie et aujourd'hui le grand débat sur la défense des acquis sociaux, la défense donc des salariés, est un débat dans toute l'Europe. Et ce que je veux, moi, c'est qu'il y ait une harmonisation sociale. J'ai parlé tout à l'heure du "mieux faisant" pour qu'en Europe on empêche que le descende sous les acquis, mais qu'on descende sous les acquis qui sont des acquis européens parce qu'ils existent dans tous les pays et que l'Europe est responsable de l'égalité sociale.
Olivier MAZEROLLE : Attendez. Dans votre livre,"une envie de politique", vous dites, les services comme le téléphone, les chemins de fer, l'électricité n'ont pas de raisons de rester dans les mains de l'état.
Daniel COHN-BENDIT : Mais le problème, ce n'est pas qui possède financièrement. C'est à dire, le problème c'est quel cahier des charges ? L'Etat a à définir, par exemple, le cahier des charges des chemins de fer, la sécurité, que les chemins de fer sont responsables, que tout le monde ait la possibilité de voyager. Donc, vous avez un minimum social à définir qui entre et que ce soit privatisé ou pas. Ce que je trouve scandaleux, c'est que TF1 privé, RTL ou d'autres, il n'y ait pas un cahier des charges rigide d'un minimum politique et culturel nécessaire. Et que justement, l'exception culturelle française ne soit pas imposée dans un cahier des charges, par exemple "chaînes privées".
Patrick JARREAU : Mais le débat que vous évoquez là en reprenant par exemple le nombre de fonctionnaires en France ou le secteur public, c'est un propos entre ceux qui sont davantage libéraux et ceux qui sont pour un libéralisme davantage maîtrisé. Vous tenez un propos plus proche, disons d'Alain MADELIN, sur ce sujet.
Daniel COHN-BENDIT : C'est pas vrai. Je n'ai rien dit sur le nombre de fonctionnaires. J'ai simplement dit, par exemple, sur l'école, que c'est un service national, organisé et à payer, à financer par l'état et en même temps, je suis pour une autonomie des établissements pour que le projet, le profil d'une école ou d'université soit ancré dans la région, dans la ville, dans l'arrondissement, dans la banlieue où cette école existe. Ça rien n'a avoir avec Alain MADELIN. Je ne suis pas pour la privatisation. Je suis pour la possibilité aux acteurs, c'est-à-dire les enseignants, les parents d'élèves, les lycéens quand ils ont atteint un certain âge, à participer à la définition du lieu où ils vivent, où ils apprennent. C'est ça ce que j'appelle la citoyenneté.
Patrick JARREAU : Mais est-ce que l'Europe, au fond, c'est le débat qui dure en France depuis des années, c'est de savoir est-ce que l'Europe c'est une protection contre la mondialisation, contre l'aggravation de la concurrence économique qui, évidemment menace les plus fragiles, ou est-ce bien est-ce que c'est au contraire la porte ouverte à la loi du plus fort ?
Daniel COHN-BENDIT : Bien, si vous voulez, l'Europe, pour moi, ça peut être ceci ou cela, ça dépend des majorités.
Patrick JARREAU : Oui, mais aujourd'hui, d'après vous, elle prend quelle direction ?
Daniel COHN-BENDIT : Je veux dire, à partir du moment, où dans 11 pays européens, il y a eu un vote des électeurs pour refuser le libéralisme. Si on met des différents gouvernements disons, pluriel, en place et bien je crois que les citoyens européens veulent que l'Europe défende une idée du social face au processus de mondialisation dérégulé. Et donc, ils veulent une re-régulation, par exemple, du commerce mondial. Et je crois que là, ils ont raison les citoyens. Et donc l'Europe doit intervenir au niveau de l'organisation mondiale du commerce en tant que voix, en tant que pouvoir politique, demandant à une régulation, pour que l'échange mondial soit.
Patrick JARREAU : Oui, il y a l'échange mondial et puis il y a l'intérieur de l'Europe. Alors, beaucoup de gens ont le sentiment qu'il y a une prime au moins-disant. Vous parliez tout à l'heure de mieux-disant. C'est plutôt une prime au moins-disant social par exemple.
Daniel COHN-BENDIT : Qui a décidé cela ? C'est la majorité des 15 gouvernements du conseil. Aujourd'hui, nous avons une autre majorité. Aujourd'hui, nous nous battons pour une majorité sociale au niveau du parlement européen. Et bien, nous devons imposer de nouvelles lois, de nouveaux règlements. Cela s'appelle des directives. Il faut, face aux logements, comme le demande "Droit au Logement" ici, qu'il y ait une directive d'un minimum vital pour tout le monde. Et les taudis que j'ai vus à Paris – prenons le mieux-disant qui existe en Suède ou en Allemagne – doivent être interdits. Il faut reloger les gens. Donc l'Europe doit être la possibilité d'élever par l'idée du mieux-disant le niveau social de tout le monde. C'est une garantie de protection. Et cela alors, les gens comprendront l'intérêt de la souveraineté européenne.
Olivier MAZEROLLE : Regardez, il y a à l'heure actuelle, il y a une majorité de gauche en Europe. Et c'est pareil ?
Daniel COHN-BENDIT : Si, mais vous faites l'erreur, comme d'ailleurs M. HOLLANDE, de croire que tout est fait parce qu'il y a 11 gouvernements. La majorité de gauche elle se fait au parlement.
Olivier MAZEROLLE : Mais j'allais vous dire, tout n'est pas fait, puisqu'il y a à l'heure actuelle une bagarre entre Français et Allemands, notamment, et sans doute Britanniques d'ailleurs, sur le pacte pour l'emploi. Les Français en veulent avec des directives contraignantes. Les Allemands ne veulent pas en entendre parler et les Britanniques non plus semble-t-il.
Daniel COHN-BENDIT : Il y a deux bagarres. Il y a deux bagarres d'abord de la France. Mais c'est vrai, pour cela que je crois que la constitution européenne est mal faite. Il faut mettre à pied d'égalité le conseil, les 15 gouvernements qui trouvent des décisions, des compromis bancals. Par exemple, si vous voyez l'Agenda 2000 et sur l'agriculture, c'est un compromis bancal des 15 et le parlement européen qui est l'expression de l'identité européenne. Et que quand il y aura la codécision généralisée entre ces deux institutions, alors on aura la mise sur pied d'une politique européenne.
Je vous donne un exemple : le parlement européen a voté des minimums sociaux qui sont bien plus avancés que ce que veut faire le conseil. Mais, aujourd'hui, le parlement européen n'a pas la possibilité d'une initiative pour une directive et nous nous battons, nous les Verts, pour que justement le Parlement avec sa majorité, puisse s'imposer au gouvernement, aux 15, une certaine politique.
Patrick JARREAU : Mais on a l'impression qu'au parlement européen, ça fait quand même maintenant 20 ans que le parlement européen est élu au suffrage universel. Au fond, c'est une institution qui fonctionne au consensus. Il y a la droite, alors là-bas, ça s'appelle le parti populaire européen, il y a la gauche, c'est le parti socialiste. Ils alternent. Ils se partagent la présidence du parlement. Et au fond, le genre de problème que vous posez là, on a l'impression qu'ils ne sont jamais traités au niveau du parlement européen ?
Daniel COHN-BENDIT : Oui et non. C'est les Verts qui ont pris l'initiative de la commission d'enquête sur la vache folle, avec certains députés socialistes, etc. Et l'on a imposé au consensus mou. Si vous voyez ce qui s'est passé par exemple sur le contrôle de la commission et à la fin de la démission, nous l'avons imposé au consensus mou. Le parlement européen, c'est une capacité aussi, pour nous les Verts, de gérer des majorités qui changent. Et nous avons, par exemple, par deux fois, réussi à faire une majorité éthique contre les organismes génétiquement modifiés. Et que la direction des deux grands, socialistes et conservateurs, étaient modernistes et nous avons réussi à mobiliser une autre majorité. C'est ça notre force au parlement européen, les Verts. C'est d'être capable d'agir avec différentes majorités en fonction du contenu de notre programme.
Pierre-Luc SEGUILLON : Alors, je vous écoute. Vous parlez d'un marché mieux maîtrisé, si je vous suis bien. Vous parlez d'aller construire une Europe vers le mieux-faisant ou le mieux-disant social.
Daniel COHN-BENDIT : Mieux-faisant !
Pierre-Luc SEGUILLON : Mieux-faisant social. Finalement, si j'hésite entre un vote pour François HOLLANDE ou un vote pour Daniel COHN-BENDIT, c'est la même Europe, mais la vôtre irait plus vite ?
Daniel COHN-BENDIT : Bien, c'est la même Europe.
Pierre-Luc SE GUILLON : C'est la même philosophie ?
Daniel COHN-BENDIT : Ce n'est pas la même philosophie.
Pierre-Luc SEGUILLON : Où est la différence finalement ?
Daniel COHN-BENDIT : La différence entre les Socialistes vous la retrouvez entre l'accord entre le parti socialiste et le MDC, dans les déclarations.
Pierre-Luc SEGUILLON : Attendez. Là vous citez un accord qui est un accord tactique.
Daniel COHN-BENDIT : Je prends le ministre européen, Monsieur... Non mais attendez, qu'est-ce que ça veut dire l'accord tactique ? L'accord tactique. Moi je ne sais pas si François HOLLANDE va siéger. Est-ce qu'il va siéger, ça veut dire, s'impliquer dans la politique, faire avancer les choses au milieu du parlement européen. Et moi je dis simplement que la différence entre les socialistes et nous, nous avons une autre idée de l'urgence face à la pauvreté, face aux minima sociaux, face à la nécessité de faire avancer le débat sur le nucléaire, face à la nécessité d'imposer une politique des droits de l'homme qui est portée par un projet européen qui dépasse le projet national traditionnel. Donc, je crois que nous sommes des européens à conscience écologique et social qui définissent d'une manière plus radicale la nécessité d'avancer en ce moment.
Pierre-Luc SEGUILLON : Alors, est-ce que François HOLLANDE ne l'a défini pas d'une manière plus réaliste ? Parce que vous nous avez défini au fond le rose qui va exister, dans 50 ans, peut-être ?
Daniel COHN-BENDIT : Non, non. Je n'ai pas dit ça. J'ai dit sur le projet de l'agrandissement. Il ne faut pas tout mélanger. Moi, je veux que le minima social, je veux par exemple qu'en 10 ans, nous arrivions à une réduction du temps de travail de 10 %. Je veux que ce qu'on appelle "l'économie solidaire et sociale" qui existe dans tous les pays avec d'autres noms,"charities, en Angleterre". Ça s'appelle "coopérative sociale en Italie", etc., "alternative en Allemagne" soit déclarée d'intérêt général en Europe et que cette nouvelle manière de travailler ensemble. Une manière d'autogestion, de reprendre cette vieille idée d'autogestion, nous la développions et nous accélérions à l'intérieur de l'Europe.
Olivier MAZEROLLE : Mais il y a tout de même beaucoup d'électeurs en France qui sont des électeurs de gauche très enracinés, mais qui se disent : "bon, d'accord Daniel COHN-BENDIT, il a un langage social très engagé, mais il s'est soumis, il a accepté quelque chose qui, dans son essence même, va empêcher que cette politique sociale engagée puisse un jour apparaître, c'est la loi du marché. Il accepte le marché". Alors, ça Arlette LAGUILLER, Alain KRIVINE vous disent : "Renégat !". Robert HUE vous dit : "mais il faut dépasser le capitaliste".
Daniel COHN-BENDIT : Il ne faut pas confondre. Monsieur Robert HUE fait partie du gouvernement gauche-plurielle et autant que je sache, l'activité de ce gouvernement auquel participe M. Robert HUE, est à l'intérieur du marché. Que Robert HUE pense comme nous, d'une autre manière, qu'il va falloir changer beaucoup de choses et qu'il y a plusieurs économies. Il n'y a pas simplement l'économie de marché. Mais cette économie est plurielle et c'est pour cela, j'ai parlé par exemple de l'économie sociale et solidaire, de répondre à de nouveaux besoins. Ça c'est pour Robert HUE.
Patrick JARREAU : Robert HUE, il accepte le marché, mais que vous, vous aimez le marché.
Daniel COHN-BENDIT : Non, moi je ne fais pas semblant. Je ne fais pas semblant. Ecoutez, qu'est-ce que ça veut dire. Je crois qu'aujourd'hui, nous devons donner au collectif et des individus, la possibilité de prendre des initiatives. Il y a le marché ou la société planifiée. Moi, je suis contre la société planifiée. Ça a donné tous les totalitarismes.
Olivier MAZEROLLE : C'est ce que vous dites à Alain KRIVINE et à Arlette LAGUILLER ?
Daniel COHN-BENDIT : C'est ce que je dis à Arlette. Arlette dit qu'elle est pour la dictature démocratique du prolétariat. Moi, je dis que je suis contre. Je suis contre, parce que ça a donné tous les totalitarismes. Je dis qu'aujourd'hui, on ne peut pas promettre la planète, comme ça. Tout est beau et tout est bon, sur notre terre. Donc, ce que je demande à Arlette et à Alain, où vont-ils siéger à ce parlement européen ? Ou avec les non-inscrits. Donc, ils devront négocier leur temps de parole au parlement européen avec le Front National. Impensable. Donc, je ne leur souhaite pas. Donc, ils auront HUE. Ils iront dans le même groupe que le parti communiste. Donc, ils seront dans la même logique de groupe que le parti communiste français. Voilà, donc, le vote soi-disant radical, se retrouvera le lendemain des élections, redimensionné au niveau du parti communiste.
Olivier MAZEROLLE : Mais attendez. Là, vous faites de la politique, j'allais dire politicienne. En tout cas de la cuisine politique. Dans les idées, ceux qui sont vraiment d'extrême gauche, qui se disent mais la loi du marché, c'est pas possible, c'est le diable.
Daniel COHN-BENDIT: Ecoutez. Le diable, ça ne veut rien dire. Si on veut changer le monde, il faut être capable de structurer des majorités pour changer le monde. Il y a le mouvement social. Il y a des mouvements sociaux qui font avancer les choses. Une avancée extraordinaire. La CGT est rentrée dans la confédération européenne des syndicats. Là, on va vers le mieux-disant européen. Parce que les salariés vont s'organiser au niveau européen. Mais, maintenant, à l'intérieur du parlement européen, il faut avoir une activité, une capacité d'intervention et de fédérer les majorités, pour que le parlement vote des directives qui font avancer justement la protection sociale ou qui font avancer la réflexion écologique. C'est à dire des directives sur la qualité de la nourriture. Regardez ce qui se passe avec les poules et les oeufs en Belgique et la Dioxine. C'est à dire qu'on a nourri des poules avec des détritus de vaches mortes qui avait brouté au pied d'incinérateurs. Donc, vous voyez qu'on a la catastrophe.
Olivier MAZEROLLE : Oui, mais enfin, en acceptant le marché, par exemple et la mondialisation, vous dites il y a l'OMC. D'accord, il y a l'OMC.
Daniel COHN-BENDIT : Qu'est-ce que ça veut dire d'accepter le marché. Parce que je ne savais pas que RTL était l'organe général de l'extrême gauche. C'est intéressant !
Olivier MAZEROLLE : L'OMC est en train d'expliquer aux européens qu'ils doivent accepter les boeufs aux hormones américains.
Daniel COHN-BENDIT : L'OMC c'est un rapport de force politique et l'Europe a raison. Et d'ailleurs, toutes les associations de consommateurs américains ont dit à l'Europe : "vous avez raison de tenir". Et moi, je veux me battre pour que l'Europe fasse une vraie lutte. S'il le faut, même, une lutte de marché pour ne pas accepter la position américaine. Je veux dire. Ce qu'on oublie, c'est que la politique, c'est un rapport de force. C'est un débat et je veux une Europe qui, justement, se base sur ces valeurs sociales, sur ces valeurs écologiques et ne laisse pas marcher dessus. D'ailleurs, c'est exactement ce que disait Jacques DELORS. C'est exactement la définition de l'Europe que donnait Jacques DELORS. Alors, vous voyez, je n'ai rien inventé. Je n'ai rien inventé, là-dessus. Seulement il faut le faire. Il faut être capable de le faire.
Pierre-Luc SEGUILLON : Est-ce que vous avez le sentiment que dans ce concert européen et dans cette Europe sociale qui se bâtit, la France de Lionel JOSPIN, gouvernée par Lionel JOSPIN, est des pays qui font le gros travail aujourd'hui en matière sociale ?
Daniel COHN-BENDIT : Est-ce que je peux dire, la France de Lionel JOSPIN et de Dominique VOYNET et du parti communiste ? Il ne gouverne pas seul.
Pierre-Luc SEGUILLON : Ils font partie du gouvernement, bien entendu.
Daniel COHN-BENDIT : Oui, oui, mais c'est trop simple. On fait comme si il y avait JOSPIN et que les autres, c'étaient des broutilles qui n'existaient pas. Je veux dire. C'est la gauche plurielle. Et je crois que la gauche plurielle a une certaine idée. Mais il y a aussi une critique de la gauche plurielle sur les minima sociaux. Par exemple, comment faire avancer sur l'urgence. Il y a une critique sur la gauche plurielle, avec raison, sur les sans-papiers. Les Italiens ont régularisé 240 000 sans-papiers. Je ne comprends pas pourquoi Monsieur Lionel JOSPIN et M. CHEVENEMENT, à un moment où il y a une France généreuse extraordinaire qui téléphone pour accueillir des sans-papiers Kosovars, que cette France là n'est pas capable de régulariser 60 000 sans-papiers. Donc, vous voyez que la France de Lionel JOSPIN c'est pas tout bien ou tout faux. Moi, je me bats, je suis à l'intérieur de la gauche plurielle avec les Verts, une certaine dimension de ce gouvernement, mais il faut le faire avancer.
Pierre-Luc SEGUILLON : L'Europe écologique au sommet de Toulouse entre les Allemands et les Français, on a reparlé de ces déchets retraités qui devraient revenir en Allemagne. Les Allemands ne disent toujours pas qu'ils vont les reprendre. Qu'est-ce que vous en pensez ?
Daniel COHN-BENDIT : Ce n'est pas vrai. Le gouvernement allemand a dit...
Pierre-Luc SEGUILLON : Il n'est pas très pressé ?
Daniel COHN-BENDIT : D'ailleurs, à La Hague, ils ne sont pas très pressés non plus, parce qu'ils ne veulent pas non plus l'arrêt du retraitement. Vous savez, personne n'est très pressé dans cette chose. Les Allemands disent que la sortie du nucléaire sera finie, c'est la position du gouvernement, en 2020. Moi, je trouve ça très bien. On a une perspective de sortir du nucléaire dans 20 ans. Maintenant, il faut gérer cette sortie. Il faut gérer le problème des déchets que personne ne sait gérer en ce moment. Qu'on veuille continuer ou pas. Mais par exemple, c'est sûr que le nouveau réacteur franco-allemand ne verra jamais le jour. Donc, il y a une position en Europe qui est en train de se généraliser. La France est le seul pays en Europe a encore croire au nucléaire. Tout le monde veut en sortir. Madame TATCHER a tenté de privatiser le nucléaire. Personne n'a voulu reprendre en Angleterre. Vie Economiste, l'organe d'extrême gauche et écologiste européen a fait un article il y a deux ans en disant : "nous y avons cru, nous nous sommes trompés, sur le nucléaire". Et ils ont dit que tous les arguments financiers et écologistes du nucléaire ne tiennent pas la route.
Enfin, faisons ce grand débat sur le nucléaire en France, sur la diversification. Et j'aimerais bien dire aux électriciens en France de l'EDF. L'EDF ce n'est pas la garantie d'un monopole sur le nucléaire. Le service public, c'est le droit à tout le monde à avoir de l'électricité, pas le droit à tout le monde d'avoir de l'électricité qui vienne du nucléaire. C'est quand même une chose très simple et si on veut défendre l'emploi de l'EDF, il faut diversifier. Il faut sortir du nucléaire, parce que je vous dis, en ne vendra plus beaucoup de centrales nucléaires hors de France.
Patrick JARREAU : Alors, on approche du jour, le 2 juin, qui sera l'anniversaire de la nomination de Lionel JOSPIN à Matignon. Vous avez rappelé à l'instant que dans sa majorité, il y a les Verts. Vous, en tant qu'écologiste européen, est-ce que vous vous reconnaissez dans ce qu'a fait ce gouvernement depuis deux ans. Vous dites : "c'est bien parfait ". Où bien, vous dites : "on peut mieux faire".
Daniel COHN-BENDIT : Je dis c'est bien et on peut mieux faire. Ça je le dirai même des Verts. C'est banal. Et je vous donne un exemple.
Patrick JARREAU : Ils ne parlent pas assez les Verts ?
Daniel COHN-BENDIT : Non, ce n'est pas·les Verts. Ce n'est pas seulement les Verts français. Lionel JOSPIN mène une bagarre juste sur la parité. Inscrire la parité dans la constitution. Et l'on apprend aujourd'hui, le Président de la République dit :"moi aussi". Et on apprend aujourd'hui que la France va proposer deux commissaires pour Bruxelles, ce sont par hasard, deux hommes. C'est scandaleux. Pas sur la qualité de M. BARNIER ou de M. LAMY qui sont de bons européens. Mais c'est scandaleux qu'au moment où on parle tellement de parité, que comme par hasard, pour l'Europe, sur les commissaires, on n'a pas trouvé une femme.
Patrick JARREAU : Parce que parité, ça veut dire pour vous, dès qu'il y a deux postes, qu'il faut systématiquement qu'il y ait un homme, une femme ?
Daniel COHN-BENDIT : Pour moi, la parité, c'est dans un moment où l'on veut changer une société, c'est qu'on utilise des symboles pour que la société avance. Oui, c'est ça.
Patrick JARREAU : Mais la parité a été respectée chez les commissaires sortant ?
Daniel COHN-BENDIT : Moi, je suis pour l'argument de la liste de M. HUE Il y a la double parité. Le contenu et la forme qui sont tous les deux des contenus. Donc, je suis pour la parité et pour rediscuter, maintenant, de la politique qu'ont menée les commissaires. Et là, Mme CRESSON, dans la gestion de ce qu'elle avait à gérer, elle l'a mal fait.
Patrick JARREAU : Alors, je voudrais revenir quand même sur le bilan de Lionel JOSPIN. Est-ce que vous vous reconnaissez dans ce bilan ou pas ? Par exemple, la décision d'autoriser la mise en culture des OGM. C'était bien ou ce n'était pas bien ?
Daniel COHN-BENDIT : Non, ce n'était pas bien. Ce n'était pas bien, parce que je crois qu'il faut un moratoire.
Patrick JARREAU : Vous l'avez dit à Dominique VOYNET ça ?
Daniel C0HN-BENDIT : Elle est d'accord, elle l'a dit. Je l'ai lu dans Le Monde. Je ne sais pas si vous lisez tous les jours Le Monde.
Patrick JARREAU : Elle a dit qu'elle regrettait d'avoir pris cette décision. Mais entre-temps, vous lui avez dit que c'était une mauvaise décision ?
Daniel COHN-BENDIT : Oui. Elle était dans un rapport de force négatif.
Aujourd'hui, le rapport de force est en train de changer parce qu'il y a une prise de conscience extraordinaire sur les OGM. Donc, c'est pour cela que je dis. Je me reconnais dans la majorité plurielle, mais ça ne veut pas dire que je défends toutes les décisions de cette majorité plurielle. Par exemple, sur les OGM, par exemple sur le nucléaire où j'irai beaucoup plus loin sur la stratégie de sortir. Par exemple, sur les sans-papiers, etc. Maintenant, il y a d'autres choses. Sur les 35 heures, je suis pour. Les 35 heures nous démontrent qu'aujourd'hui ça permet aux salariés de réinvestir l'organisation du travail. C'est à dire, c'est le "travailler mieux" qui est en train d'être discuté, mais si on veut pour le chômage arriver à créer de l'emploi, il faut aller vers les 32 heures. Il faut aller vers les semaines des 4 jours.
Pierre-Luc SEGUILL0N : Mais vous avez une lecture très optimiste de ce qui vient de se passer. Parce que certains ont une autre lecture en disant : "les 35 heures, ça a fabriqué peu d'emploi". C'est que vous appelez une nouvelle organisation du travail, c'est en fait une dérégulation du travail. Et troisièmement, ça a coûté très cher à l'état.
Daniel COHN-BENDIT : Non, c'est pas vrai. Les salariés – voyez tous les sondages – sont à 65 % pour les 35 heures. C'est les sondages qui ont été faits. Ce n'est pas moi. Maintenant, c'est un rapport de force et là, vous avez raison. Par exemple, il faut se battre sur une instrumentalisation du patronat du débat sur les 35 heures. Sur la flexibilité par exemple, il faut arrêter la flexibilité imposée. Il faut reprendre l'idée des syndicats italiens, sur la flexibilité négociée. Que la flexibilité peut être une arme des salariés à réorganiser leur mode de vie, leur travail. Mais pour cela, on n'a pas le droit de l'imposer. Il faut que les syndicats, que les salariés négocient l'organisation du travail et la flexibilité.
Olivier MAZEROLLE : Tout de même. Toujours dans votre livre, vous dites bien : "En échange de la réduction du temps de travail, il faut accroître la productivité". Donc, il y a une espèce de donnant-donnant, qui n'est pas forcément acquis d'avance dans l'esprit des salariés ?
Daniel COHN-BENDIT : Mais jamais. Là encore, il faut bien discuter les choses. Même une entreprise autogérée. Moi, j'ai milité et j'ai travaillé. Il faut, pour une autre organisation du travail,. il faut quand même vivre. Il faut tenir le coup. li faut s'imposer par exemple sur un marché. Que vous ayez une librairie, une imprimerie, que vous fassiez des jardins d'enfants, vous devez quand même offrir un service qui réponde à quelque chose. Donc, je dis par là qu'aussi la négociation sur l'augmentation de la capacité d'une entreprise à produire, me parait justifiée. Aujourd'hui, ce qui m'énerve du côté du patronat, c'est qu'en fait, dès qu'il y a une proposition, ils disent non. Mais c'est le patronat français, allemand, italien: Il y a une instrumentalisation de la crise. Il y a une instrumentalisation du chômage pour faire peur aux salariés. Et là, je crois qu'il faut dire non et que l'Europe doit être une des possibilités de faire comprendre au patronat européen, que ce n'est par une négociation reconnaissant les salariés qu'on arrivera à avancer.
Olivier MAZEROLLE : Alors, sur Lionel JOSPIN, il nous reste trois minutes. Disons un mot de la Corse quand même. Il a dit récemment qu'il pourrait éventuellement parler d'un nouveau statut pour la Corse, mais seulement lorsque la violence aura été définitivement abandonnée par les nationalistes. Il a raison d'imposer cette condition ?
Daniel COHN-BENDIT : Moi je crois qu'il faut être très clair. Il y a deux choses. Il faut un projet politique et il faut rétablir l'état de droit. Qui veut rétablir l'état de droit sans projet politique n'y arrivera pas. Bonjour, M. BONNET. Qui veut rétablir quelque chose avec un projet politique sans rétablir l'état de droit, n'y arrivera pas. On l'a vu dans l'histoire.
Donc, l'équilibre à trouver dans la Corse, c'est cela. Mais que la Corse nous montre autre chose, si on parle de l'Europe. C'est regardons comment d'autres pays traitent des problèmes d'identité régionale. Regardons du côté des Catalans. Regardons ce qu'est en train de faire M. BLAIR avec l'Ecosse et le Pays de Galles: L'Europe interpelle aussi le mode de fonctionnement.
Olivier MAZEROLLE : Et l'abandon de la violence ?
Daniel COHN-BENDIT : Mais c'est ce que dit M. BLAIR en Ecosse avec l'Irlande. Evidemment qu'il faut dire oui à l'abandon de la violence. Mais quand vous négociez le projet politique, c'est pas avec ceux qui sont violents. Justement, c'est notre capacité de lutter contre la violence et en même temps de négocier un projet politique qu'on fait avancer la pacification en Corse.
Pierre-Luc SEGUILLON : Est-ce que précisément, à partir de cet exemple Corse et de l'exemple des régions où vous semblez préférez un modèle, par exemple, à l'allemande, où les régions ont davantage.
Daniel COHN-BENDIT : Non, j'ai parlé de l'Angleterre, j'ai parlé de l'Espagne.
Pierre-Luc SEGUILLON : Ou d'autres pays. D'accord.
Daniel COHN-BENDIT : Ce n'est pas la même chose qu'à l'allemande. Surtout avec moi, parce que ça simplifie les problèmes et quand je vois des déclarations de gens sur moi et l'allemand, je préfère être européen.
Pierre-Luc SEGUILLON : OK. Angleterre. Bien ! Mais est-ce que ça ne veut pas dire que le problème que vous avez dans cette campagne, c'est que finalement vous récusez une spécificité historique française ?
Daniel COHN-BENDIT : Mais en quoi, en quoi je récuse ? La France a décidé d'entre à deux pieds en Europe.
Pierre-Luc SEGUILLON : Elle a décidé d'entrer à deux pieds dans l'Europe, mais vous oubliez que par tradition de la révolution française, par la tradition napoléonienne.
Daniel COHN-BENDIT : La révolution française est finie a dit M. FURET et il a raison ! Elle est finie la révolution française. Arrêtons de raconter.
Pierre-Luc SEGUILLON : Mais, est-ce qu'on peut biffer l'histoire d'un trait, comme ça ?
Daniel COHN-BENDIT : Non, toute la tradition française c'est faite en 200-250 ans. Mais la tradition, ce n'est pas seulement la révolution française. C'est la lutte de classe, c'est le front populaire qui n'a pas donné le droit de vote aux femmes. Quand est-ce que la France a donné le droit de vote aux femmes, cette grande nation ? En 1945. La démocratie au temps du front populaire existait sans le droit de vote des femmes. Un détail ! Un détail historique ! Pour dire que dans tous les pays, il y a des moments… Il y a des choses extraordinaires qui ont été faites en France. La patrie des droits de l'homme. Se défendre, c'est plus facile aujourd'hui de se battre en France pour une intervention pour protéger les Kosovars qu'en Allemagne, par exemple. Qu'en Allemagne, c'est vrai. Il faut prendre le mieux disant, le mieux faisant, ce qui a été historiquement le plus fort dans tous les pays. La France a beaucoup d'atouts. Mais l'atout, ce n'est pas de réduire tout à seulement la dimension française. C'est ça l'extraordinaire possibilité de l'Europe. C'est qu'on apprenne ensemble, parce qu'on est coresponsables ensemble de tout et de tout le monde.
Olivier MAZEROLLE : Merci Daniel COHN-BENDIT.