Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
J'ai déjà eu l'occasion de vous dire hier ce qui constituait à mes yeux le grand mérite du FIPA : en apportant chaque année la preuve de la vitalité et de la diversité de la création audiovisuelle – en France et dans le monde – ce festival nous ramène à une salutaire évidence : la télévision, ce sont d'abord des programmes, ce sont d'abord des œuvres.
Le titre que vous avez voulu donner à ce colloque – « Nouvelles créations – nouvelle télévision » – témoigne de la même conviction. Il est bon de rappeler que si l'innovation audiovisuelle doit, en règle générale, être reliée aux progrès de la technologie et aux transformations des habitudes de consommation, la « nouvelle télévision » ne saurait véritablement advenir qu'au prix d'un renouvellement des formes de la création.
C'est ce besoin de formes, d'images, et d'idées nouvelles qui en dernier ressort, donne son sens à l'ensemble des activités du secteur audiovisuel. Comme l'écrivaient déjà les théoriciens de Bauhaus dans le contexte de la seconde révolution industrielle : « les intérêts de l'artiste, du savant, et du marchand sont solidaires ; mais seul l'artiste peut insuffler de l'âme au produit mort de la machine. »
Encore faut-il, dans ce domaine où les impératifs de la création, de la technologie, et du marché, sont imbriqués de manière particulièrement étroite, que soient réunies les conditions générales de ce renouvellement :
– que les artistes puissent vivre en créant ces nouveaux programmes ;
– que les producteurs puissent vivre en les fabriquant ;
– que les chaînes de télévision puissent vivre en les diffusant.
L'actualité confère à cette question un caractère particulièrement brûlant.
C'est pourquoi je souhaite profiter de l'occasion qui m'est donnée ici pour vous dire comment j'apprécie aujourd'hui l'état de la production et de la création audiovisuelle, et pour vous exposer les grandes lignes de la politique qui me paraît souhaitable.
1. La production audiovisuelle en péril ?
Voici plus de cinq ans que l'économie et les règles du jeu audiovisuel ont globalement changé, avec l'apparition de nouvelles chaînes commerciales, le développement de la production indépendante, la création du compte de soutien aux industries de programmes. Quel bilan peut-on en tracer ?
A. – Un bilan contrasté : la rançon du succès
En termes quantitatifs, la demande de programmes s'est trouvée mécaniquement accrue du fait de l'apparition de nouvelles chaînes, et de l'augmentation du temps de diffusion. La réglementation adoptée dans cette perspective, en imposant aux chaînes des quotas de production et de diffusion, a permis que cette croissance du volume des œuvres diffusées n'ait pas pour seule conséquence l'augmentation des achats de droits à l'étranger (contre-exemple des trois chaînes de Berlusconi en Italie).
Cette croissance de la demande de programmes a entraîné l'apparition de nombreux producteurs indépendants, souvent talentueux : c'était du reste là un des objectifs de la réglementation mise en place. D'un point de vue qualitatif on ne doit donc pas méconnaître – comme le font à mon sens les esprits nostalgiques, prompts à célébrer un « âge d'or » de la télévision aujourd'hui révolu à leurs yeux – la diversité et la qualité de bon nombre des œuvres produites depuis la libéralisation du marché audiovisuel. Les catalogues des éditions passées du FIPA sont là pour en témoigner.
Mais il nous faut également gérer la rançon du succès. Il est certain en effet que cette multiplication des sociétés de production – en elle-même bénéfique, souhaitée – ne s'est pas toujours faite dans des conditions de rentabilité et de rationalité économique suffisantes : la faiblesse de fonds propres, l'endettement souvent excessif de certaines de ces sociétés, l'irrégularité des commandes, rendent leur situation extrêmement fragile.
B. – Des difficultés structurelles, liées à la relation entre producteurs et diffuseurs
Toutefois, cette fragilité intrinsèque des entreprises – liée à leur taille et à leur sous-capitalisation – a incontestablement été accentuée du fait de la situation et de l'attitude des diffuseurs. En effet :
D'une part, il est aujourd'hui avéré que les chaînes de télévision ont constamment réduit, ces dernières années, leurs apports à la production française, calculés en proportion du montant des devis : la part des premiers diffuseurs dans le financement de la production d'œuvres audiovisuelles, est ainsi passée, en moyenne, de 70 % en 1982 à 40 % en 1986, et à 32 % en 1990 (rapport Fansten). Cette évolution, qui oblige les producteurs à rechercher des sources de financement complémentaires liés à l'exploitation secondaire des œuvres (second diffuseurs, vente des droits à l'étranger), diffère d'autant la rentabilité de la production. Il va de soi, au demeurant, que cette politique n'est pas imputable à une quelconque malveillance des diffuseurs, mais plutôt à leurs propres difficultés de financement.
D'autre part, l'éparpillement du secteur de la production place les sociétés en position de faiblesse dans le cadre de leurs rapports commerciaux avec les chaînes de télévision nationales, peu nombreuses et puissantes. On m'a ainsi fait part, à plusieurs reprises, de la remise en cause unilatérale, par certaines chaînes, des accords préalablement conclus. Ce type de pratiques est évidemment malsain et dommageable au dynamisme de la production.
C'est pourquoi il nous faut réfléchir aux moyens :
– de contraindre les diffuseurs à adopter une attitude plus coopérative, favorable du reste à leurs intérêts à long terme ;
– d'encourager un processus de regroupement et de rationalisation des entreprises de production.
C. – Des difficultés conjoncturelles prévisibles, liées à la crise que traverse La Cinq
C'est donc un secteur déjà fragile que la faillite, la disparition, ou le changement de format, de La Cinq risque à présent d'affecter :
– immédiatement, du fait de l'annulation des commandes passées par cette société (défaillance dans le règlement des émissions livrées ;
– à moyen terme, du fait de la baisse du niveau de commandes d'œuvres audiovisuelles qui devrait résulter de la disparition d'une chaîne de télévision généraliste – si la société qui lui sera, le cas échéant, substituée, n'est pas à même de souscrire des engagements de production à même hauteur.
À ce sujet, et sans rentrer dans le fond de la polémique relative à l'échec de La Cinq, je tiens à préciser certains aspects de la position du gouvernement qui, à lire certains commentaires, ne semblent pas avoir été perçus avec une netteté suffisante.
L'échec de La Cinq tient essentiellement à l'incapacité où se sont trouvés ses dirigeants d'accorder leur audience aux recettes publicitaires limitées apportées par le marché (limitées notamment par le prélèvement prépondérant de TF1).
Ceci étant, Jack Lang et moi-même avons déjà eu l'occasion de rappeler que la marge de manœuvre du gouvernement ne pouvait qu'être limitée en cette circonstance : d'abord parce qu'il s'agit de l'échec économique d'une société commerciale, et que l'État ne peut se substituer aux opérateurs privés ; ensuite parce que la procédure judiciaire en cours attribue à l'administrateur judiciaire et à lui seul le soin de rechercher une solution favorable au maintien de l'activité de la chaîne ; enfin, parce que les décisions d'autorisation, et même les procédures d'appels d'offre pour la réattribution d'une fréquence, relèvent de la responsabilité du CSA.
Ceci posé, il va de soi que nous sommes a priori favorables à toute solution raisonnable permettant, autant que faire se pourra, de préserver l'emploi des personnels de La Cinq, et de maintenir les commandes de la chaîne aux entreprises de production. C'est seulement dans l'hypothèse – malheureusement vraisemblable – où aucun repreneur agréé par le CSA ne serait apparu, que pourrait être envisagée l'utilisation du canal par une chaîne publique : La Sept, peut-être, mais pas forcément La Sept, toutes les solutions pouvant et devant être envisagées.
Il s'agirait alors de ne pas léser les téléspectateurs en réduisant l'offre de programmes, quitte à offrir un programme radicalement différent et ne constituant alors en rien une continuation de La Cinq chaîne publique, chaîne cryptée, ces hypothèses, qui encore une fois ne sont que des hypothèses auraient l'avantage de ne pas être financé sur le marché publicitaire. Mais, encore une fois, cette solution n'a pas la préférence du gouvernement, notamment parce qu'elle ne saurait résoudre les problèmes posés par la disparition de La Cinq au secteur de la production. Elle constitue une éventualité par défaut.
II. – L'action des pouvoirs publics
Cette parenthèse refermée, j'en reviens au cœur de mon propos : face aux difficultés structurelles des diffuseurs, rendues plus aiguës par la conjoncture, quelle peut être l'attitude du gouvernement ? Comment favoriser l'assainissement du secteur ? Comment créer l'environnement favorable – pour reprendre votre expression – aux nouvelles créations, et par voie de conséquence à la nouvelle télévision ?
Il faut ici distinguer entre les échéances.
A. – Dans l'immédiat, il s'agit évidemment d'atténuer les effets que la crise de La Cinq peut exercer sur la situation des producteurs
Naturellement, le rôle premier revient ici à l'institution judiciaire. C'est en effet dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire que peut être posé la question de recouvrement des créances détenues par les sociétés de production. À l'évidence, le gouvernement ne saurait intervenir dans des rapports de droit privé, ni se substituer, le cas échéant, au débiteur défaillant.
Nous redoutons cependant, comme vous, les graves difficultés que pourraient alors rencontrer certaines sociétés – tout spécialement lorsque leur situation de trésorerie se trouvait déjà préoccupante : une mission d'expertise a été confiée au CNC afin de prendre l'exacte mesure de ces difficultés.
Mais, il ne faut pas se le cacher : s'agissant d'un secteur concurrentiel, et non plus administré, l'intervention de l'État à très court terme ne peut qu'être limitée. Ses principaux moyens d'action – budgétaires ou réglementaires – s'inscrivent dans la durée.
B. – Il faut créer un environnement favorable au secteur de la production
Il s'agit en effet de permettre à l'ensemble du secteur audiovisuel de dégager les ressources nécessaires au financement d'une production de qualité : d'abord, au moyen d'une réglementation forte, mais réaliste, adaptée et adaptable aux caractéristiques des chaînes. Une réglementation forte, parce qu'il est évidemment hors de question de renoncer à imposer aux diffuseurs, en contre partie du privilège qui leur est accordé, (l'utilisation d'un bien public rare), certains engagements en matière de production et de diffusion. Une réglementation réaliste, parce qu'à fixer trop haut le niveau de ces obligations, on sait qu'on risque d'aboutir à des effets pervers : en particulier d'inciter les chaînes à commander des programmes de médiocre facture, mal financés. Une réglementation adaptable aux caractéristiques des chaînes, enfin, afin de mieux prendre en compte leurs moyens, leur format, leur esprit spécifique voire même leur évolution.
Ce sont du reste ces trois objectifs qui ont présidé à l'élaboration de la loi récemment adoptée par le Parlement : maintien du principe de quota de diffusion ; réduction de 50 % à 40 % du quota d'œuvre EOF, afin de tenir compte de la conjoncture ; introduction d'un régime de modulation confiée annuellement à une autorité administrative indépendante le CSA.
Ensuite, en donnant aux chaînes publiques – et plus largement à toutes les entreprises de l'audiovisuel public – les moyens de financer la production de qualité, diversifiée, que les téléspectateurs sont en droit d'attendre. Je n'ai pas besoin de rappeler ici que les chaînes publiques ont déjà ce souci de la qualité qu'elles investissent par heure de programme, bien davantage que leurs concurrents privés ; qu'elles assurent pratiquement seules, la survie de certains secteurs de la production, justement mis en valeur au FIPA (documentaires, spectacles vivants...), qui seraient sans elles condamnés à disparaître.
Les chaînes publiques sont les alliés, naturelles de la création : c'est là une des plus fortes raisons qui incitent à poursuivre l'effort budgétaire entrepris. On n'a pas encore trouvé le moyen de faire de grandes choses avec peu d'argent.
C. – Il faut assainir les structures
Toutefois, ces moyens d'intervention traditionnels ne suffiraient sans doute pas, à eux seuls, à assurer le dynamisme général du secteur de la production. Les insuffisances que j'évoquais précédemment (taille, endettement, sous-capitalisation des entreprises...) paraissent en effet de nature à entraîner, à plus ou moins brève échéance, une réduction du nombre des entreprises actuellement présentes dans ce secteur.
Ce mouvement de concentration, succédant à l'effervescence de l'après 1986, n'est pas en soi négatif, pourvu qu'il soit maintenu dans des limites raisonnables. Mais pour cela, il doit être accompagné : ce qui signifie que des mesures doivent être prises afin de faciliter les regroupements, les alliances, la mise en commun des capitaux et/ou des savoir-faire.
C'est là notamment l'objet de la réforme du COSIP, qui est aujourd'hui pratiquement aboutie, et qui va dans le sens d'un meilleur financement des œuvres et des entreprises. Deux innovations méritent à ce titre d'être soulignées : d'une part l'accès des œuvres documentaires au soutien automatique, sous certaines conditions ; d'autre part, la possibilité désormais ouverte à deux entreprises de se partager l'apport initial de 15 % exigé. Ces dispositions réglementaires sont complétées par la réorientation de la politique de gestion du COSIP, aussi bien en ce qui concerne l'aide automatique que l'aide sélective, conçue de manière à éviter l'émiettement des aides entre des œuvres et des entreprises trop nombreuses.
Conclusion
Telles sont les quelques remarques dont je souhaitais vous faire part à l'occasion de cette séance inaugurale, sans naturellement prétendre à l'exhaustivité.
Pour être complet il aurait en effet au moins fallu analyser les perspectives offertes au secteur de la production par le développement du câble, ou encore les efforts à entreprendre dans deux directions stratégiques : le second marché ; les coproductions internationales. Soyez assurés que les services du ministère de la communication travaillent aujourd'hui dans cette double perspective.
L'essentiel, vous le voyez, est que la politique de la communication ait aujourd'hui, dans le domaine qui vous préoccupe, quitté le terrain de l'administration directe pour se préoccuper prioritairement de l'environnement dans lequel vous exercez votre activité.
Beaucoup reste à faire, notamment dans le domaine du financement public. Dans cette perspective, persuadé de ce que nous partageons les mêmes espoirs, les mêmes valeurs, les mêmes convictions, je sais pouvoir compter sur votre soutien.