Texte intégral
Libération : Que retirez-vous de vos visites dans les prisons ?
Elisabeth Guigou : J’ai déjà visite trois maisons d’arrêt et même en prévenant à l’avance de ma venue, ce que j’ai vu est assez terrible. La question de l’hygiène m’a énormément frappée. J’ai vu des toilettes, vaguement dissimulées par un linge, dans des cellules de trois ou quatre personnes. Je suis allée à la prison de Loos, près de Lille, parce que je savais qu’il y a là une surpopulation de 200 %, et que 50 % des détenus sont toxicomanes. En même temps, il y a une excellente équipe, et on y développe des expériences très intéressantes, notamment dans l’exécution de la peine qui intègre un projet de sortie, donc l’espoir. Mais j’ai constaté qu’à l’étage un seul surveillant est chargé de cent détenus, ce qui annihile les tâches d’écoute ou de réinsertion auxquelles aspire le personnel. Le directeur m’a montré des drogues interceptées, et j’ai vu dans des cellules, des jeunes hébétés, sans aucune flamme dans le regard.
Libération : Qu’allez-vous faire pour remédier à la surpopulation pénale ?
Elisabeth Guigou : Il n’existe pas de solution unique. Il faut agir en amont pour que la détention provisoire soit moins systématique et moins longue. Il faut également faciliter les alternatives à l’emprisonnement sous le contrôle des juges de l’application des peines. Mais aussi construire de nouveaux établissements. Je pense également que les juges d’instruction, les juges et les procureurs devraient aller visiter dans leurs cellules les gens qu’ils y ont envoyés, voir comment les choses s’y passent en réalité. Certains le font, c’est la règle, mais ce n’est pas appliqué. Enfin, je souhaite que s’engage une réflexion sur la peine et sa signification.
Libération : Avez-vous l’intention de proposer de nouvelles mesures sur les mineurs délinquants ?
Elisabeth Guigou : Dans ce domaine comme dans d’autres, il n’est pas possible que la justice règle ce que notre société a été impuissante à résoudre. Je souhaite que l’on explore toutes les possibilités des textes existants avant de légiférer à nouveau. Pour cela, j’envisage de constituer, d’ici à la fin du mois, un groupe de travail comprenant des juges des enfants, des parquetiers mineurs, des parlementaires, des psychologues. Sur ce sujet exceptionnel, il faut des méthodes de travail exceptionnelles.
Libération : Vous vous êtes engagée à ne plus intervenir dans les affaires politico-financières. Quand allez-vous traduire cet engagement par une loi ?
Elisabeth Guigou : Il ne doit plus y avoir d’interventions de nature à dévier le cours de la justice, mais, en même temps, le gouvernement doit mener sa politique judiciaire, dont il est responsable devant le Parlement. La difficulté est d’arriver à mener cette politique sans tomber dans les pratiques antérieures. Il faut s’assurer de l’impartialité de la justice, et qu’en tous points du territoire on soit jugé de manière cohérente. Il ne faudrait pas qu’ici on poursuivre les actes racistes ou les dérives des sectes et ailleurs non. La traduction juridique demande un travail législatif approfondi. Je présenterai un projet au Premier ministre à la fin du mois d’octobre.
Libération : Pourquoi avoir ajourné une réforme aussi symbolique que celle de la cour d’assises ?
Elisabeth Guigou : Je suis profondément convaincue qu’il faut instituer un appel des décisions des cours d’assises et je réfléchis à une solution plus simple, moins coûteuse que celle de mon prédécesseur. Je songe notamment à une formule d’appel tournant.
Libération : A propos des lois Pasqua-Debré, n’y a-t-il pas un hiatus entre les engagements et les actes du Gouvernement ?
Elisabeth Guigou : Sur le fond, notre approche est totalement conforme à ce que nous avons dit que nous ferions jamais, dans la campagne, vous ne vous avez entendu dire que nous allions ouvrir les frontières à tous les étrangers. Nous avons dit au contraire, que nous voulions maîtriser les flux migratoires et lutter contre l’immigration irrégulière, mais aussi que nous voulions accueillir les étrangers persécutés et assurer une vie digne à ceux que nous accueillons dans notre pays. Nous réformons profondément le système antérieur. Ce n’est pas rien d’ouvrir le droit d’asile, de faciliter le regroupement familial, d’aider les étudiants. Quant à la présentation, ce mot d’abrogation, nous ne le prononçons pas, parce que nous avons besoin de parler sur la réalité, spécialement dans ce domaine, plutôt que sur des mots. Il y a là un choix : il faut arrêter de faire de ces questions des guerres de religion.