Texte intégral
La piste d’Edmonton vient de se refermer. J’aurai à cœur d'accomplir mes responsabilités en accompagnant la Fédération française d'athlétisme dans son travail d'analyse des résultats de la délégation française, dans la poursuite de ses efforts pour adapter les structurés et construire une véritable chaîne entre nos générations d'athlètes. Mais tel n'est pas mon propos ici. C'est la victoire d'Amy Mbacke Thiam sur le 400 mètres féminin et les performances d’autres athlètes d'Afrique francophone qui m'ont donné envie de revenir sur le lien entre les pays qui ont la langue française en partage et les pratiques sportives.
Le parcours d'Amy Mbacke Thiam, c'est d'abord une pratique sportive démarrée à l'école, qui, plus qu'aucune autre structure, peut apporter aux filles et aux garçons l'accessibilité à la pratique sportive dans l'égalité. Puis c'est l'accueil dans un centre d'entraînement international, mis en place par la Conférence des ministres de la jeunesse et des sports de la francophonie (la Confejes) en 1998. Il en existe trois à ce jour : un à Dakar pour l'athlétisme, où Amy Mbacke Thiam est inscrite depuis sa création, un à Tunis pour la boxe, et un à Abidjan pour la lutte et le judo. A travers la Confejes, la francophonie offre des bourses à la plupart des sportifs et sportives qui s'y entraînent.
Durant cette période, ce sont des stages de courte durée, ponctués de compétitions, puis, quinze jours avant les Mondiaux d'athlétisme, une première médaille d'or aux Jeux de la francophonie qui lui a permis d'enclencher une dynamique de succès. Je ne conçois pas la francophonie autrement qu'ainsi : la coopération d'égal à égal, le partage, l'aide au développement. Sur le plan politique, la coopération dans le sport a malheureusement aussi servi à d'autres objectifs, avec des pratiques marquées par une démarche néo-colonialiste, réactionnaire. Nous travaillons à corriger ces comportements.
L'arrivée massive de l'argent dans le sport a, plus récemment, conduit à une course effrénée aux talents sportifs, dans laquelle des agents sans scrupule et certains grands clubs professionnels se partagent le bénéfice de transactions commerciales juteuses, parfois sur de jeunes mineurs. Mais les phénomènes de migration sportive ont parfois d’autres motifs, qui nous interpellent tout autant. En demandant l'asile politique au Canada, la centaine de jeunes sportifs et sportives africains qui viennent de participer aux Jeux de la francophonie n'expriment-ils pas surtout leur aspiration à disposer de meilleures conditions d'entraînement et, tout simplement, de vie ?
La francophonie ne peut pas seule répondre durablement à un tel phénomène, qui résulte en tout premier lieu du déséquilibre économique du monde. Mais elle peut être un espace de débats, de prise de parole, de décisions qui interpelle, empêche les dérives et construit des réponses. Le sport, par la place qu'il occupe aujourd'hui, se trouve parmi les enjeux de la mondialisation. Le sport de haut niveau a-t-il vocation à être de plus en plus concentré dans les quelques pays les plus riches de la planète, tandis que les pays les plus pauvres devraient se résoudre, impuissants, à n'être que des viviers ? Ou chaque pays disposera-il des moyens de se construire une organisation du sport dans laquelle chaque niveau de pratique coexistera et s'épaulera ? La réponse à cette question relève de la vision que l'on a du sens du sport : marchandise comme une autre, source de rentabilité pour quelques grands groupes, ou activité humaine source d'épanouissement individuel et collectif ? On retrouve là deux conceptions de la mondialisation qui s'opposent : partage dans la reconnaissance de la diversité des individus et des peuples, ou concentration des pouvoirs et des biens dans une pensée uniforme ?
Au moment où émerge fortement dans toutes les sociétés, à travers les mouvements que l'on appelle « anti-mondialistes » , la volonté d'une construction plus juste des rapports internationaux, fondés sur l’humain et non sur le profit, les liens que nous entretenons entre pays développés et en développement au sein de la francophonie nous permettent – si nous en avons la volonté politique – d'initier des réponses nouvelles et adaptées.
D'abord, le système d'aide aux athlètes devrait viser la formation non seulement de futurs champions et championnes, mais aussi de véritables acteurs du développement sportif, de sorte que de véritables filières pyramidales de formation se constituent, dans une perspective de développement durable. Parallèlement, il faut privilégier l'établissement des moyens d'entraînement et de préparation sur place, à l'instar des centres de Dakar, Tunis et Abidjan, de sorte que les stages de longue durée dans un pays du Nord, comme ceux que nous organisons à l'Insep, ne soient plus l'unique alternative pour réaliser une carrière sportive.
Un nouveau centre est en cours d'installation à Maurice, pour l'océan Indien, un autre est à l'étude en Égypte, destiné au sport pour handicapés. Mais trois, ou cinq, centres de haut niveau, est-ce vraiment suffisant pour l'ensemble des pays de la francophonie ?
Enfin, la lutte contre le dopage. J'en fais un axe prioritaire qui doit accompagner toute l'assistance au développement des pratiques sportives de tout niveau, notamment pour que des moyens soient consacrés à des politiques adaptées d'éducation et de prévention. La Confejes est peut être un partenaire de l'Agence mondiale antidopage pour cela.
Il arrive que l'on brocarde la francophonie, que l'on y voie une démarche désuète, conservatrice. C'est vrai, beaucoup de pratiques vont dans ce sens. Faut-il pour autant déserter ? Pourquoi ne pas y voir, plutôt, un espace possible d'actions concrètes dans une démarche progressiste ? Certaines nouvelles, venues d'Edmonton, nous y encouragent.