Article de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, dans un numéro spécial de la revue "Challenge Europe" consacré au traité d'Amsterdam le 1er août 1997 et message publié dans "La Lettre des jeunes européens" datée du 1er septembre, sur le bilan du conseil européen d'Amsterdam.

Prononcé le 1er août 1997

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conseil européen à Amsterdam les 17 et 18 juin 1997.

Média : Challenge Europe - La Lettre des jeunes européens

Texte intégral

Date : 1er août 1997
Source : Challenge Europe

Le Conseil européen a conclu à Amsterdam la Conférence intergouvernementale qu’il avait ouverte le 29 mars 1996. Les négociations ont été difficiles et la révision du Traité, qui est demeurée inachevée, n’est qu’une étape sur la voie de l’Union européenne.

La révision du traité constituait un double défi. Elle visait à réformer en profondeur les institutions de l’Union dans la perspective de son élargissement. Elle entendait aussi rapprocher la construction de l’Europe des préoccupations concrètes de ses citoyens.

Comme nos partenaires, nous souhaitions que les futurs élargissements de l’Union parachèvent l’entreprise de paix commencée il y a 40 ans sur le continent européen. Le Conseil d’Amsterdam a ouvert cette voie : les premières négociations d’adhésion s’engageront dès l’année prochaine.

Cet élargissement est une grande ambition compte tenu du nombre de pays candidats, de l’histoire tragique qui fut la leur pendant près de cinquante ans. Mais, déjà à l’étroit dans un cadre prévu au départ pour accueillir six membres, l’Union a plus que jamais besoin d’une réforme profonde de ses institutions. Cette exigence, qui n’a pu aboutir à Amsterdam, demeure fondamentale. L’élargissement implique la réforme institutionnelle. Il ne s’agit pas de poser un préalable mais de constater entre ces deux objectifs l’existence d’un lien logique et impératif : l’Union doit se doter d’institutions et de politiques qui peuvent fonctionner dans le cadre d’une Europe élargie.

A cet égard, si des décisions ont été prises pour permettre entre les Etats qui le souhaitent de nouvelles coopérations et pour renforcer la puissance politique de l’Europe sur la scène internationale, de nombreuses incertitudes demeurent. L’extension des domaines dans lesquels le Conseil pourra décider à la majorité qualifiée aurait pu être plus ambitieuse ; il aurait aussi fallu réduire la taille de la Commission et trouver une pondération des voix au Conseil plus conforme à l’importance relative de chaque Etat membre : c’est à la fois une question d’efficacité, d’équité et de démocratie. Sur tous ces sujets, il faut reprendre date.

Pour la France, il était tout aussi important de réconcilier la construction européenne avec les préoccupations de ses citoyens : la lutte pour l’emploi et la promotion du dialogue social, le renforcement des libertés et de la sécurité, les progrès de la démocratie.

La lutte pour l’emploi devient prioritaire et pourra être désormais traitée au niveau communautaire. Les Etats membres, qui conservent leurs responsabilités, se sont engagés à coordonner leurs politiques dans ce domaine. A l’initiative de la France, une réunion extraordinaire du Conseil européen à l’automne abordera concrètement cette question.

Il devenait logique que l’Europe harmonise ses pratiques sociales. L’intégration du « protocole social » dans le Traité est, à cet égard, un progrès important. Ces dispositions pourront faire obstacle au développement de pratiques déloyales au sein de l’Union. De même, la reconnaissance de la spécificité des services publics contribuera à la cohésion sociale et territoriale de l’Union.

Avec l’intégration de l’acquis Schengen, le nouveau traité consacre par ailleurs un espace de liberté, de sécurité et de justice qui concilie la liberté de circulation sur le territoire de l’Union avec un renforcement de la sécurité des personnes. L’ouverture des frontières s’accompagnera ainsi d’un renforcement de la coopération policière et judiciaire, indispensable pour lutter contre les fléaux que sont le trafic de drogue, le terrorisme et le crime organisé qui sapent les fondements de la démocratie en Europe.

Car c’est bien de démocratie dont il s’agit. Une Europe proche de ses citoyens implique un renforcement du rôle du Parlement européen et des parlements nationaux. C’est pourquoi le champ de la codécision a été étendu. C’est pourquoi les parlements de chaque Etat seront désormais davantage associés à l’activité de l’Union, assurant ainsi mieux leur fonction de relais privilégiés des préoccupations de leurs concitoyens auprès des institutions de l’Union.

Amsterdam est loin d’être un aboutissement. Le Conseil européen a seulement commencé à définir les moyens de réconcilier l’Europe avec ses peuples. Il reste beaucoup à faire pour redonner du sens à la construction européenne et, pour cela, faire avancer l’Europe politique vers plus de démocratie.


Date : 1er septembre 1997
Source : La lettre des jeunes européens

Il est particulièrement réconfortant pour moi, quelques semaines après avoir pris mes fonctions, d’adresser un message aux « Jeunes Européens », qui représentent l’avenir et l’espoir de notre continent.

L’Europe est à la veille d’une échéance historique cruciale : le passage à la monnaie unique. Nous avons dit que nous la ferons et que ce serait un succès. Mais cet objectif n’a de sens que s’il donne un sens à l’Europe, que s’il conforte un modèle de société solidaire.

C’est ce modèle européen, menacé par les crises et la mondialisation, que nous voulons défendre sans repli sur soi. Reconstruire les solidarités pour faire reculer le chômage est une urgence et une priorité. Il est vital en particulier de lutter contre le chômage des jeunes, de tous le plus inquiétant pour le lien social. Cela exige une politique nationale claire et une véritable coopération européenne, qui fassent sa place à l’imagination et à l’innovation. Deux conditions sont nécessaires, me semble-t-il, pour réussir : une volonté politique ferme et un débat public large.

Le Gouvernement est déterminé à conduire cette politique aussi au niveau européen. Notre détermination, nous l’avons affichée dès Amsterdam, quand nous avons convaincu nos partenaires que la convergence des économies devait être accompagnée de la coordination des politiques économiques, que partager une monnaie commune devait aussi créer un nouvel espace de coopération pour la croissance et l’emploi.

C’est un premier pas, que personne, faut-il le rappeler, n’espérait à quelques jours encore du Conseil européen. Il illustre une idée simple, souvent perdue de vue : la résolution politique, dès lors qu’elle s’appuie sur un véritable dessein, reste un outil essentiel de la construction européenne. Il doit être, pour vous qui dédiez vos forces et vos intelligences à ce projet ambitieux, un encouragement.

Mais les résultats d’Amsterdam, la résolution sur la croissance et l’emploi, le nouveau chapitre sur l’emploi dans le Traité, l’adoption, enfin, par le Royaume-Uni du protocole social, ou bien le rendez-vous du Conseil européen spécial sur l’emploi, ne constituent qu’une ouverture. Il faut transformer l’essai pour obtenir des mesures concrètes.

L’Europe sociale, l’Europe de l’emploi ne se décide pas seulement à Bruxelles ou à Luxembourg. Elle ne peut pas être seulement l’affaire des Gouvernements. Elle appelle la mobilisation de tous à tous les niveaux : entreprises, collectivités locales, syndicats, associations, partis…

De ce point de vue, le débat public est essentiel. Vous qui en êtes, pour partie, les acteurs, vous avez un rôle et une responsabilité irremplaçables. Votre tâche, je le sais, n’est pas facile. Le paradoxe, c’est que l’Europe est présente et que pourtant elle reste à faire. La difficulté réside en ce que les politiques européennes manquent bien souvent de visibilité et de lisibilité. Cela nourrit l’amertume et l’inquiétude, d’une part, et d’autre part, le scepticisme, voire l’indifférence. C’est donc un vrai combat que vous menez.

J’ai, comme vous, le souci prioritaire du débat et de la rencontre, parce que l’Europe ne se fera que si elle est populaire, dans les deux sens du mot. C’est une méthode et un engagement. Je suis sûr que nous aurons l’occasion de travailler ensemble. Je le souhaite.