Texte intégral
- La Provence : le débat parlementaire a montré l'opposition des politiques au juge d'instruction et l'on sait les magistrats hostiles à sa suppression. Votre texte ne tente-t-il pas de concilier ces deux revendications ?
- Elisabeth Guigou : “ D'abord, mon projet de loi réaffirme le rôle pivot du juge d'instruction. Ainsi, le juge d'instruction est-il conforté comme arbitre, instruisant à charge et à décharge. Non seulement, je ne préconise pas sa disparition, mais je me suis déjà préoccupée d'accroître les moyens à disposition des juges pour être plus efficaces dans leurs enquêtes, que ce soit à travers la mise en place de pôles économiques et financiers ou en prévoyant dans mon projet de loi sur la simplification de la procédure pénale d'assouplir et de faciliter les règles de l'entraide pénale internationale.
“S'il y a une hostilité des politiques envers le juge d'instruction, il faut tout de même voir qu'elle est particulièrement vive sur les bancs de l’opposition en propositions contradictoires pour bouleverser totalement notre tradition juridique”.
- Le P. : vous vous êtes d'ailleurs opposée aux propositions de M. Balladur de supprimer la mise examen au profit d'une procédure publique de mise en accusation.
- E.G. : “Ce que souhaite une partie de l'opposition, c'est un basculement de notre système vers la procédure accusatoire à l'anglo-saxonne. Je me suis posée cette importante question. Les exemples étrangers sont intéressants, mais il ne faut pas les idéaliser. Moi, je me suis rendue sur place, au Royaume-Uni. Et j'ai pu constater plusieurs défauts majeurs : si en théorie, ce système accorde une place éminente aux droits de la défense, il faut voir qu'en pratique, seuls les plus riches, entourés d'une équipe de brillants avocats, arrivent à en tirer avantage. Sans compter les insuffisances du contrôle des juges sur la police. Au point qu'il y a en Grande-Bretagne, un débat […] nombreuses plaintes parvenues devant la Cour européenne des Droits de l'homme. Certains suggèrent même de s'inspirer du modèle français… Notre procédure pénale, si elle doit faire davantage de place à une égalité des armes entre l'accusation et la défense, a un mérite essentiel : le juge d'instruction y traite sur un pied d'égalité chaque citoyen “qu'il puisse soit puissant ou qu'il soit misérable”.
- Le P. : vous retirer cependant au juge d'instruction le pouvoir de placer en détention provisoire.
- E.G. : […] pour conforter ce juge dans son rôle d'arbitre, il paraît évident, et la convention des Droits de l'homme nous l'impose, de distinguer les fonctions du juge qui dirige l'enquête de celui qui place en détention. D'où la création d'un juge de la détention provisoire qui apportera un autre regard, décisif, sur les propositions de placement en détention du juge d'instruction. Cela n'enlève rien aux importantes prérogatives du juge d'instruction en matière d'enquête qu'il pourra exercer avec davantage de recul”.
- Le P. : le juge de la détention provisoire ne risque-t-il pas de connaître le même sort que le juge délégué issu d'une réforme de Michel Vauzelle ?
- E.G. : “En 1993, la droite, au nom de convictions diamétralement opposées à celles qu'elle prétend défendre, aujourd'hui sur mon projet, a abrogé d'entrée, au lendemain de l'alternance, le juge délégué institué six mois plus tôt. Cette abrogation pour des motifs politiques est abusivement présentée comme l'échec du juge délégué. Ceci dit, aujourd'hui la situation est très différente. On ne met plus guère en doute l'intérêt d'un autre regard que permettra l'instauration du juge de la détention provisoire. De plus, la réflexion s'est de […] toutes les leçons des six mois d'application de la réforme Vauzelle. Trois points clefs : le juge de la détention provisoire sera un juge expérimenté, président ou vice-président de juridiction, ce qui lui donnera le recul nécessaire. De plus, sa mise en place pratique – élaborée en étroite concertation avec les chefs de cours – sera organisée de manière souple. Il n'y aura pas une solution unique pour des tribunaux de taille différente. Enfin, il y a les moyens…”
- Le P. : justement, ne risquez-vous pas d'achopper sur le manque évident de magistrats ?
- E.G. : « Non. Avant tout, parce que, fidèle à mes engagement, je n'entreprends pas de réforme sans les moyens nécessaires. En l'occurrence, la réforme du juge de la détention provisoire est déjà financée en large partie, avant même son entrée en vigueur, puisque sur les 140 postes de magistrats créés dans le budget 1999, 60 sont pré-affectés à cette tâche. C'est inédit. Et cela marchera parce qu'il ne sera pas nécessaire d'avoir un magistrat pour chacun des 187 tribunaux de grande instance. Dans les plus grands tribunaux, il en faudra certes un ou plusieurs à plein temps. Mais un même juge pourra par ailleurs être compétent pour plusieurs petits tribunaux”.