Interview de M. Bernard Kouchner, secrétaire d’État à la santé, dans "Le Monde" le 2 octobre 1997, sur la mise en place de la circulation alternée en région parisienne en raison de la pollution, intitulée "Il faut interdire les autocars dans tout Paris".

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Circonstance : Mise en place de la circulation alternée en région parisienne le 1er octobre 1997, en application de la loi sur l'air, en raison d'un pic de pollution observé le 30 septembre 1997.

Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Le Monde : Que pensez-vous de l’impact, en termes de santé publique, de la mise en place de la circulation alternée ?

Bernard Kouchner : Je me réjouis de cette mesure. Je suis d’ailleurs intervenu sur le sujet mardi à l’Assemblée nationale, sous quelques quolibets de la droite, qui, pourtant, avait voté la loi sur l’air que nous ne faisons qu’appliquer ! Cette décision constitue une étape très importante pour la santé publique. Au ministère de la santé, nous mettons en place, pour la première fois, une enquête dite « Un jour donné » dans les hôpitaux de Paris afin de disposer d’un état des lieux sanitaire précis les jours de grande pollution. J’ai en effet le sentiment que le nombre d’insuffisances respiratoires et de crises d’asthme, notamment chez les personnes âgées et chez les enfants, se comptent plus, en France, par milliers que par centaines.

Le Monde : Ces mesures, prises avec une journée de décalage sur l’alerte, peuvent-elles être réellement efficaces ?

Bernard Kouchner : C’est, à Paris, une première, brutale, je le reconnais. Il faut désormais que cela devienne un réflexe. La prochaine fois, ce sera plus rapide. On n’avait jamais décidé de telles limitations du trafic. C’est donc un vrai progrès de santé publique, non pas en termes de résultat immédiat, mais en termes de sensibilisation des gens. Nous devons prendre conscience que notre terre est fragile. Nous devons léguer à nos enfants un peu de ce qu’on appelle le « développement durable ».

Le Monde : Les controverses qui agitent la communauté scientifique et médicale sur les conséquences sanitaires de la pollution atmosphérique n’ont-elles pas, selon vous, retardé la prise de conscience ?

Bernard Kouchner : À mon avis, il s’agit plutôt d’un retard sur la santé publique dans l’esprit médical. La santé publique a longtemps été le parent pauvre, et tout ce qui en relevait, l’épidémiologie, la prévention, les considérations de masse, n’affectait pas un système pervers qui fonctionnait uniquement sur la maladie. Tout ce qui était en amont ou en aval n’intéressait personne. La noblesse de l’école de clinique française était de reconnaître les signes quand il était trop tard ! Cela explique en partie les controverses. Si nous pouvons prévenir des affections pulmonaires graves pour cet hiver et éviter des morts, nous aurons fait notre travail.

Le Monde : Face aux lobbys industriels, la marge de manœuvre des ministères de l’environnement et de la santé semble tout de même étroite…

Bernard Kouchner : Il est évident que les ministères de l’environnement et de la santé font cause commune et doivent travailler main dans la main. Je trouve extraordinaire, avec tout le respect que je dois à Jacques Calvet (patron sortant de PSA Peugeot-Citroën), que l’on mette en œuvre ces mesures au moment de son départ. Il y a là une symbolique forte. Il faut que l’industrie automobile innove et développe d’urgence le secteur de l’automobile électrique et des bus à gaz.

L’intérêt des constructeurs est de prendre de l’avance. Ce sont les véhicules les plus sûrs et les moins polluants qui se vendront le mieux.

Expliquez-moi pourquoi les autocars viennent encore traverser Paris ! À Florence, on arrête les touristes à la porte de la ville et on les transporte tranquillement dans des véhicules non polluants. On a commencé à le faire à Montmartre, mais il faut interdire les autocars dans tout Paris ! Cela n’empêchera pas un seul touriste de venir, au contraire.