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On ne peut pas oublier la première des solidarités : celle qui doit unir les générations
Les contrats emplois-jeunes que le gouvernement s'apprête à lancer suscitent bien des espoirs et aussi bien des scepticismes, dont Patrick Artus, il y a deux semaines, s'est fait l'écho dans « Le Nouvel Observateur ». Il est vrai que c'est un pari, donc risqué comme tous les paris, mais, en dépit de certaines objections valables, c'est une initiative nécessaire et qui met la société au pied du mur.
Alors que la solidarité est plus que jamais à l'ordre du jour dans ce contexte de chômage massif et de réforme de l'État-providence, comment oublier, en effet, l'une des dimensions essentielles de cette solidarité : celle entre les générations. Les adultes ont trop souvent agi, ces vingt dernières années, en se disputant sur la répartition entre eux du gâteau, en oubliant ceux, moins nombreux en raison de l'évolution démographique, qui devront demain défendre les intérêts nationaux et supporter les lourdes charges collectives, à commencer par le paiement des retraites aux seniors issus du baby-boom. Je crois que cette prise de conscience est salutaire et se concrétise par le plan emplois-jeunes.
On ne répare certes pas, par cette seule mesure, les échecs du système éducatif et les insuffisances de la croissance économique, pas plus qu'on ne résout tous les problèmes de chômage. Mais on offre à ces jeunes une autre alternative qu'une oisiveté qui nourrit l'angoisse ou que des stages de formation à répétition et sans débouchés.
Car la confrontation avec la vie professionnelle et sociale est ce qui manque le plus à une politique de l'éducation qui a tout misé sur l'allongement de la durée des études, sans se préoccuper assez de la préparation aux réalités économiques et professionnelles. Ces jeunes vont découvrir, s'ils ne sont pas laissés à eux-mêmes tout au long de cette expérience, les exigences du travail mais aussi les potentialités qu'ils ont en eux. Ils pourront reprendre confiance en l'avenir, et cela d'autant plus que seront mis en place des mécanismes d'alternance. Ils pourront, en parallèle, compléter leur culture générale et acquérir les bases indispensables d'une compétence. Ainsi sera-t-il possible de répondre à la critique justifiée de Patrick Artus sur l'insuffisance de la formation des jeunes sortis du système scolaire sans diplôme ni capital éducatif suffisant.
D’autres difficultés surgiront, c’est certain, si le positionnement de ces nouveaux emplois n’est pas clairement défini, à côté des travailleurs régis par les statuts de la fonction publique nationale ou territoriale. Est-il vain d’espérer que les responsables des collectivités locales et des organisations syndicales acceptent sans réserve la nouveauté, se sentent des responsabilités particulières vis-à-vis de ces jeunes ? Quand se produiront des dérapages dus aux difficultés de lancement de cette expérience, on fera bien, en tout cas, de ne pas jeter l'enfant avec l'eau du bain. Sinon le scepticisme des uns et le désenchantement des autres, qui traduisent l'humeur présente de notre société, auront tôt fait de donner raison à ceux qui ne croient qu'au secteur public et à ceux qui ne raisonnent, à l'inverse, qu'en termes de marché.
J’en viens là à une autre critique formulée par Patrick Artus. Il affirme que « dans l’entreprise un emploi génère une production qui correspond à une demande réelle du consommateur. Il y a la sanction du marché ». Sans doute, et nul ne prétend se substituer massivement au marché. Mais dans une société en profonde transformation, avec l'urbanisation, le travail des femmes, l'allongement de la durée de la vie, l'accroissement du temps non consacré à l'activité professionnelle, de nouveaux besoins surgissent que l'on tente de satisfaire avec ce que l'on appelle des emplois de proximité. Le marché révèle-t-il ces nouveaux besoins dans toute leur ampleur ? Je ne le crois pas et je n'en veux pour preuve que les multiples expériences en cours dans les pays européens. Là, il s'agit bien d'actions menées par des entreprises qui opèrent sur le marché. Ailleurs, ce sont surtout des initiatives venant du secteur coopératif ou des associations. Bref, on observe, venant de la base, la naissance de nouveaux réseaux d'échanges de services et de relations qui redonnent de la vie aux collectivités de base, soutiennent le développement local et illustrent cette solidarité de voisinage que l'évolution des systèmes sociaux et des mœurs avait fait disparaître. On peut dès lors se poser légitimement la question : et si, entre l'État (ou le secteur public) et le marché, il existait quelque chose de prometteur et de nécessaire, un troisième secteur d'activité permettant le développement d'initiatives individuelles ou associatives, régénérant le tissu social ? Telle est, me semble-t-il, l'interrogation pleine de promesses qui sous-tend ces contrats emplois-jeunes. Si cette thèse se confirmait, il faudrait alors innover en termes juridiques et financiers pour permettre la naissance et le fonctionnement de ces entreprises du troisième type, afin qu'il soit possible à la fois d'inciter à la création de ces activités, d'assurer leur solvabilité et de ménager la flexibilité indispensable et les droits sociaux des acteurs. Mais que de raideurs de comportement et que de crispations idéologiques à surmonter ! Il ne s’agit de rien de moins, en illustrant les thèmes de la solidarité entre générations et de la qualité de la vie personnelle et sociale, que de mettre la société en mouvement. Le jeu en vaut bien la chandelle !