Texte intégral
La lettre des Européens : Vous avez déclaré que le Traité d’Amsterdam vous laisse éprouver « quelques frustrations ». Pouvez-vous nous rappeler lesquelles ?
Pierre Moscovici : Aussitôt après Amsterdam, j’ai dit ma frustration de voir qu’une nouvelle fois, les partenaires européens n’avaient pu se mettre d’accord sur les réformes institutionnelles, ni pour la commission, ni pour le conseil. C’était pourtant un enjeu décisif et cela reste une priorité à l’approche des futurs élargissements de l’union. Personne, ni les États membres actuels, ni les candidats, à l’adhésion, n’a intérêt à une union diluée que la paralysie de ses institutions rendrait incapable d’affirmer son identité.
La réforme institutionnelle que la France continue de souhaiter, en dépit de l’échec d’Amsterdam sur ce point, porte principalement sur la composition de la commission et sur la répartition des voix du conseil. Réduire le nombre de la commission, c’est redonner à celle-ci le rôle d’organe exécutif collégial qu’elle a un peu perdu au fil des élargissements successifs ; changer la pondération des voix au sein du conseil, cela signifie d’abord rendre à chaque État son juste poids au sein de l’union., ensuite faciliter le recours au vote à la majorité qualifiée. Il ne s’agit là, ni de mesures techniques, ni de favoriser la tyrannie des grands États. Ce n’est pas l’achèvement de la construction des institutions européennes, mais une condition minimale pour garantir l’efficacité et la représentativité de ces institutions. C’est en fin de compte, une question de démocratie.
La lettre des Européens : La réforme institutionnelle nécessaire à l’élargissement ayant été reportée, que pensez-vous des appels à la non-ratification du nouveau traité ?
Pierre Moscovici : La ratification est par définition une procédure qui appelle le débat. C’est normal, c’est sa nature et son objectif. L’un des acquis d’Amsterdam porte précisément sur le renforcement du rôle des parlements [illisible] dans le débat sur les questions européennes. S’agissant du nouveau traité, je trouve encourageant que les nombreuses contributions rendues publiques à ce jour portent non seulement sur le bilan d’Amsterdam, mais aussi sur l’avenir de l’union. Rien ne serait pire pour l’Europe que l’indifférence.
Cela ne me conduit pas à préconiser ou à accepter le non-ratification d’un traité adopté pour la France par un exécutif français, en situation de cohabitation. Quel serait le sens d’une non-ratification ? Manifester une mauvaise humeur ? Porter un coup d’arrêt à l’élargissement ? La ratification est une étape, tout comme le Traité d’Amsterdam est une étape sur la voie de l’Union européenne. Il y a d’autres échéances majeures sur le calendrier européen. C’est à celles-ci que nous devons consacrer nos efforts. Nous avons indiqué notre méthode dès Amsterdam. Il n’est pas question de tourner le dos à l’élargissement qui constitue une perspective historique pour la stabilité du continent européen. Mais nous avons pris date ; il n’y aura pas de nouvel élargissement sans réforme en profondeur des institutions européennes. C’est une méthode et c’est un engagement. Ce chantier doit être rouvert très vite et nombre de nos partenaires partagent déjà cette approche.
J’ajoute enfin que ne pas ratifier Amsterdam, aussi décevants que soient estimés certains résultats, serait aussi renoncer aux incontestables acquis qu’apporte le nouveau traité : les coopérations renforcées, le nouveau chapitre sur l’emploi, l’incorporation du protocole social, la renaissance de la spécificité des services publics, le développement du rôle du Parlement européen. Devons-nous nous priver de tout cela ? Je ne le crois pas !
La lettre des Européens : Un sommet européen sur l’emploi a lieu prochainement. Que peut-on vraiment en attendre ? Une absence de résultats tangibles ne risque-t-elle pas de renforcer les « frustrations » ?
Pierre Moscovici : Le Conseil européen extraordinaire sur l’emploi est le résultat de la détermination des autorités françaises. L’adoption de la résolution sur la croissance et l’emploi visait à replacer cette question, qui affecte tous les États membres, au cœur des préoccupations européennes. L’idée est simple et exigeante : partager une monnaie crée des responsabilités communes et des solidarités nouvelles. La convergence économique doit être accompagnée par une coordination des politiques économiques. Sur cette voie, nous n’en sommes qu’au début. Nous avons réussi à ouvrir un espace nouveau. De nombreuses étapes seront nécessaires pour incarner cette priorité, j’en suis conscient. Ainsi, c’est au Conseil européen de décembre 1997 que les propositions pour une coordination plus étroite des politiques économiques des Quinze seront examinées.
Le Conseil européen extraordinaire sur l’emploi de novembre doit, lui, permettre de confronter les expériences en matière de lutte contre le chômage et d’identifier les domaines pour lesquels une collaboration communautaire peut en accroître l’efficacité. Il doit aussi renforcer les actions communautaires pour l’emploi, notamment à travers la BEI, en direction des PME innovantes, de la recherche, de la formation, des grands réseaux. Cela se fera en y associant les partenaires sociaux, parce que le renforcement du dialogue social est un atout décisif dans la lutte pour l’emploi. Ces objectifs ne répondront pas en totalité au problème du chômage. Mais ne nous y trompons pas, l’importance de ce sommet tient au fait qu’il constitue une première, qui traduit un état d’esprit nouveau. La France, qui l’a souhaité et obtenu, en attend des résultats concrets.
La lettre des Européens : Dans votre livre L’urgence, en janvier 1997, vous disiez « À chômage européen, solutions européennes », le plan Jospin ne fait-il pas la part trop belle aux solutions franco-françaises ?
Pierre Moscovici : Je disais alors et je le dis encore aujourd’hui, c’est le bon sens, les problèmes lourds doivent se traiter avant tout à l’échelle nationale, il ne s’agit pas de repasser à l’Europe le « mistigri » de l’impuissance publique face au chômage. Mais cette responsabilité nationale, c’est-à-dire celle du gouvernement, au côté des entreprises et des salariés, ne doit pas nous empêcher de rechercher avec nos partenaires, au niveau européen, les moyens d’une croissance forte et durable, et donc d’une meilleure situation pour l’emploi. C’est la démarche que nous avons eue dès Amsterdam. C’est celle que nous poursuivrons au cours de la nouvelle législature.
La lettre des Européens : Dans ce même livre, vous vitupériez « la surenchère allemande vers toujours plus de rigueur budgétaire ». Celle-ci risque-t-elle de faire capoter l’euro ?
Pierre Moscovici : Il y a débat en Allemagne. Il a l’allure que vous savez. Il reflète une situation politique complexe. Il y en a eu ailleurs, en France aussi. Ne passons pas notre temps à parler de telle ou telle interprétation : cela n’aurait qu’un effet, rouvrir les spéculations politiques, intellectuelles et financières. Des engagements ont été pris, ils seront tenus. Le chancelier Kohl et le Premier ministre, Lionel Jospin, l’ont encore réaffirmé ensemble, et avec force, à Bonn, le 28 août.
Le passage à l’euro est une échéance historique. Nous devons nous placer dans cette perspective. La France pour sa part, a pris les mesures nécessaires pour être au rendez-vous de la monnaie unique, à travers les mesures d’urgence pour 1999, comme dans le projet de loi de finances pour 1998. L’Union économique et monétaire est une grande ambition économique et politique pour l’Europe. La France y participera dès le début. Il faut faire l’euro, le faire à la date prévue et dans les conditions prévues par le traité. Cela se fera, j’en ai la très profonde conviction.