Interview de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, à TF1 le 28 juillet 1999 sur le projet de loi pour les 35 heures et le remaniement ministériel.

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Média : Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

JEAN-CLAUDE NARCY
Ce matin en Conseil des ministres, une nouvelle fois le président de la République a critiqué le caractère rigide de cette loi, même s’il n’est pas contre l’idée des 35 heures. Madame la ministre bonsoir. Ce texte semble un véritable casse-tête pour les chefs d’entreprises. Les plus ouverts d’entre eux trouvent les modalités très complexes.

MARTINE AUBRY
Ecoutez, je suis un petit peu étonnée, parce que c’est vrai que la durée de travail ce n’est pas facile ; la première loi, elle date de 1919, puis 1936 et donc nous avons eu comme cela beaucoup de lois qui ont complexifié les choses. Et mon souci, ça été justement de les simplifier. Mais vous comprenez bien que si l’on veut prendre en compte des entreprises différentes, de tailles différentes, de secteurs différents, il faut parfois des modalités eh bien qui soient là aussi différentes, pour que la loi ne soit pas un carcan. Nous avons fait en sorte qu’il n’y ait plus qu’une sorte de modulation au lieu de trois autrement. Nous avons simplifié le recours aux heures supplémentaires et au repos compensateur. Nous avons réglé le problème des cadres qui, vous vous souvenez, était un vrai casse-tête. Alors là, pour le coup, pour les entreprises il y a encore un an. Donc je crois que nous avons essayé de sécuriser, de mettre de la visibilité et de simplifier mais il y a des entreprises très différentes, il faut les prendre en compte.

JEAN-CLAUDE NARCY
Alors vous affichez un résultat de 100 000 emplois en un an. Quelle note donnez-vous à ces résultats ? C’est bon, c’est moyen, c’est peu ? Et puis surtout, comment faites-vous la part des choses entre les 35 heures et les emplois générés par la croissance ?

MARTINE AUBRY
Oh, eh bien je crois qu’on le voit très facilement. L’année dernière la croissance a créé plus de 200 000 emplois dans notre pays et alors que la croissance est un petit peu moins importante cette année, le rythme du chômage continue à être important, voire même s’accélère. Il y a les emplois jeunes mais il y a le début, effectivement, de l’effet de la réduction de la durée du travail. Vous savez, quand on passe de 39 heures à 35 heures, c’est 11,4 . Les entreprises font en général 3 à 3,5  de productivité, elles n’en font pas plus et la différence, eh bien c’est effectivement ces créations d’emplois, c’est plus de 102.000 emplois aujourd’hui annoncés et créés. Pour moi c’est un très bon chiffre. J’avais annoncé 40.000, on n’y croyait pas, on a 100.000…

JEAN-CLAUDE NARCY
Donc vous tiendrez les 400.000 à 2003, c’est cela ?

MARTINE AUBRY
C’est ce que prévoient les organismes économiques, dans leur grande maturité les chefs d’entreprise, les salariés, les syndicats sont dans les meilleures hypothèses de créations d’emplois, en terme de productivité et de modération salariale. Donc je crois que nous sommes aujourd’hui dans les prévisions les plus optimistes.

JEAN-CLAUDE NARCY
Votre texte est le meilleur moyen de faciliter la flexibilité, ce qui bien entendu crée quelques craintes dans le personnel, chez les employés. Ils ont peur de perdre du temps libre, ils ont peur de perdre le week-end, ils ont peur de perdre leur samedi, ils ont peur de travailler la nuit. Donc, ça leur pose problème.

MARTINE AUBRY
Moi j’ai envie de dire deux choses très paradoxales. Quand on touche au temps, on touche à ce qu’on a de plus intime : comment on organise sa vie, comment on travaille, donc ce n’est pas étonnant que ça crée des craintes, du côté des entreprises d’ailleurs comme du côté des salariés. Mais moi je regarde ceux qui sont maintenant passés aux 35 heures. Ceux-là qu’est-ce qu’ils nous disent ? 85 % d’entre eux répondent qu’ils sont très contents du passage aux 35 heures. Et d’ailleurs les chefs d’entreprises, eux aussi, disent « nous fonctionnons mieux ».

JEAN-CLAUDE NARCY
Mais eux, ils disent aussi « ça a un coût aussi ».

MARTINE AUBRY
Ca a un coût…

JEAN-CLAUDE NARCY
Ca a un coût pour l’entreprise qu’il faut réorganiser.

MARTINE AUBRY
Oui, mais la réorganisation c’est souvent le moyen de mieux utiliser les équipements, de répondre plus rapidement à la clientèle, d’être capable aussi d’utiliser mieux les savoir-faire et les compétences des salariés. Ce n’est pas moi qui parle, c’est les chefs d’entreprises qui ont conclu aujourd’hui des accords. Et par ailleurs, vous le savez, dans la deuxième loi, nous allons y associer une deuxième grande réforme fondamentale qui est une baisse des charges sociales sur les salaires, sur les bas salaires ; une baisse des charges sociales, pour ne pas être compliqué, qui en dessous de 9 500 francs par mois, va – après le coût des 35 heures – apporter encore une baisse de 5 % du coût du travail.

JEAN-CLAUDE NARCY
Mais qui va payer ? Parce qu’il y a un coût à tout cela. Qui va payer ? C’est le contribuable, quelque part.

MARTINE AUBRY
Eh bien qui va payer ? Non… tout d’abord la durée du travail engendre du travail, maintenant on le sait, les faits sont là. Donc on peut parler…, on peut dire qu’on n’est pas d’accord mais on ne peut pas nier la réalité et les faits. Ces emplois vont engendrer des gains de cotisations pour la sécurité sociale, pour l’UNEDIC, des entrées fiscales pour l’Etat. Donc une grande partie va être financée de cette manière-là, c'est-à-dire, ce n’est pas un coût complémentaire. Pour le reste, nous avons souhaité qu’il y ait à l’intérieur des entreprises – ce qui existe partout ailleurs, en tout cas dans beaucoup de pays industrialisés – un transfert des entreprises qui ont utilisé beaucoup les équipements et moins les salariés, vers les entreprises de main d’œuvre : l’artisanat, le commerce, les PME, les petites entreprises dans les nouvelles technologies qui se lancent aujourd’hui ; les entreprises de main-d’œuvre concurrentielles, je pense au textile, à l’habillement, etc., vont y gagner par une forte baisse du coût du travail, y compris après la réduction de la durée du travail. Je crois que c’est une réforme majeure qui va encore amplifier les effets sur l’emploi.

JEAN-CLAUDE NARCY
Il y a quelqu’un que vous n’avez pas encore convaincu en tous les cas, c’est Monsieur SEILLIERE.

MARTINE AUBRY
Je le crains

JEAN-CLAUDE NARCY
Je vous propose de l’écouter.

Ernest Antoine Seillière
Les entrepreneurs ont mandaté le MEDEF, 200.000 d’entre eux ont déjà écrit à Madame Aubry une lettre ouverte que nous ferons connaître et que nous diffuserons largement à la rentrée, pour dire : respectez-nous, écoutez-nous, arrêtez d’envoyer dans la nature des textes que seuls les contrôleurs, les inspecteurs, les fonctionnaires apprécient mais que les entrepreneurs – dans leur unanimité – jugent incompatibles avec leur mission.

JEAN-CLAUDE NARCY
Réaction ?

MARTINE AUBRY
Oh vous savez, moi je n’ai pas envie de polémiquer. Je trouve que Monsieur SEILLIERE n’est pas très beau joueur, quand les entreprises négocient, il faut le reconnaître. Il souhaite – et c’est son rôle – défendre les intérêts des entreprises. Je pense que les entreprises maintenant comprennent qu’on peut passer à 35 heures, fonctionner mieux, créer des emplois, c'est-à-dire avoir moins de charges à terme et parfois même résoudre un certain nombre de leurs problèmes comme par exemple une pyramide des âges qui n’est pas très bonne. Alors moi je regarde le terrain, je regarde les entreprises, je regarde la maturité des signataires, c’est pour cela que la deuxième loi s’appuie sur la négociation, car c’est la que les bonnes solutions sont trouvées.

JEAN-CLAUDE NARCY
Il s’agit des entreprises privées. Est-ce que vous allez montrer l’exemple, est-ce que l’Etat va montrer l’exemple avec les fonctionnaires sur les 35 heures ?

MARTINE AUBRY
Il va falloir que ceux qui effectivement…

JEAN-CLAUDE NARCY
Il va falloir… mais enfin pour l’instant…

MARTINE AUBRY
Non, non, mais vous savez que nous avons fait un rapport. On nous aurait d’ailleurs reproché de ne pas le faire. Certains auraient dit : certains fonctionnaires travaillent déjà à 35 heures, il ne faut pas baisser la durée du travail. Nous avons commencé par faire un bilan qui montre effectivement que certains secteurs travaillent au dessus des 35 heures, pour ceux-là il va falloir faire comme dans les grandes entreprises publiques qui viennent de le faire, c'est-à-dire abaisser la durée du travail à 35 heures.

JEAN-CLAUDE NARCY
Un mot de politique ; Dominique VOYNET a refusé un ministère de la Santé, de la Ville indique-ton chez Les Verts. Le Premier ministre lui a proposé également un autre secrétaire d’Etat, celui de la Santé, donc Les Verts sont déçus. Ils estiment que ces propositions ne sont pas une véritable reconnaissance des résultats des élections et ça vous amène un commentaire.

MARTINE AUBRY
Non, moi je n’ai pas de commentaire à faire par rapport aux décisions du Premier ministre, simplement peut-être un, un peu à côté, mais qui pour moi est essentiel ; le remplacement de Bernard KOUCHNER par Dominique GILLOT.

JEAN-CLAUDE NARCY
Une de vos collaboratrices.

MARTINE AUBRY
Non, non qui est une députée et qui est la troisième femme dans ce ministère et qui en toutes les qualités, c'est-à-dire l’humanité, la détermination, le courage. Donc je suis très heureuse.