Texte intégral
RTL : 24 octobre 1997
O. Mazerolle : Il existe une menace du blocage des routes en France par les camionneurs dans dix jours, à partir du 2 novembre. Les négociations salariales ont lieu, en ce moment, entre patronat et syndicats. Vous intervenez dans ces négociations ?
J.-C. Gayssot : Je veux vous dire d’abord trois choses à ce propos. Effectivement, il y a cette menace de grève dont vous parlez. Comme ministre, je l’ai dit et je l’ai répété à tous les interlocuteurs : d’une part, je suis pour le dialogue social, il faut parler ; il faut se parler, il faut discuter. Je suis pour le respect des engagements également.
O. Mazerolle : Là, les chauffeurs disent : on a été grugés parce que notamment la prime de 3 000 francs, qui nous avait été promise après la grève de l’an dernier, n’a été que peu versée.
J.-C. Gayssot : Cela fait partie, effectivement, des suites du fameux conflit dont tout le monde se souvient, qui avait paralysé une grande partie de la circulation l’an dernier ; à la suite de ce conflit, il y a eu des engagements qui ont été pris à la fois sur la retraite anticipée mais aussi au point de vue de la prime, etc. Ma deuxième démarche est donc de dire aux représentants du patronat routier de respecter les engagements. Mais j’en ajoute une autre : je suis pour, disons, l’harmonisation par le haut des conditions sociales du transport routier à l’échelle de l’Europe entière. D’ailleurs, tout le monde sait la position que nous avons prise, avec le Gouvernement, pour qu’il n’y ait pas d’augmentation démesurée du gazole de façon à ne pas pénaliser le transport router dans le cadre de la concurrence internationale. Et, en même temps, je me bats pour que les conditions sociales du transport routier soient harmonisées. E cela ; dans l’intérêt à la fois des chauffeurs mais aussi de la sécurité. Alors, vous parlez des négociations : effectivement, elles sont en cours, je souhaite qu’elles aboutissent. Hier, il y a eu une partie des négociations qui a traité des transports routier voyageurs interurbains qui, eux aussi, sont concernés par la fin de l’activité à 55 ans. De son côté, l’Etat, je veux le dire avec beaucoup de force, respecte ses engagements. Il les a respectés et il les respectera pour toutes les catégories de salariés et j’attends que tout le monde fasse pareil. En tous cas, je souhaite que les négociations aboutissent. Personne n’a envie, je crois, de revoir une situation bloquée comme nous l’avons connue.
O. Mazerolle : Mais précisément, vous, représentant de l’Etat, vous pourriez accepter que les routes soient à nouveau bloquées ?
J.-C. Gayssot : Justement, je viens de dire que personne ne le souhaite et à plus forte raison le représentant de l’Etat.
O. Mazerolle : Mais entre ne pas le souhaiter et le rendre impossible, il y a une nuance ?
J.-C. Gayssot : Oui, il y a une nuance et il faut, je le répète, que les engagements qui ont été pris soient tenus. Les représentants des salariés discutent avec les représentants du patronat, ces discussions doivent aboutir pour qu’il n’y ait des revendications.
O. Mazerolle : Mais vous ne dites pas, ce matin, aux chauffeurs routiers : on vous empêchera de bloquer les routes ?
J.-C. Gayssot : Personne ne peut empêcher quiconque de mener une action et de faire des grèves.
O. Mazerolle : Vous parliez de l’Europe il y a un instant, les patrons des entreprises routières disent : avec l’ouverture des frontières en juillet 1998, les lois fiscales et les sois sociales, en France, sont tellement lourds pour les entreprises qu’on ne peut pas faire face à la concurrence des autres. Vous dites : harmonisation par le haut, mais la France ne peut pas obliger les Hollandais, les Belges et d’autres pays à adopter des lois françaises quand même ?
J.-C. Gayssot : Ma première réunion du Conseil des ministres des Transports était en juin dernier, je venais d’arriver comme ministre, j’ai posé ce problème-là et j’ai insisté très fortement Je reconnais que tous les pays n’ont pas la même détermination que la France en ce qui concerne l’harmonisation par le haut, mais j’ai demandé qu’il y ait une discussion. Au niveau de l’Europe, cette discussion vient d’avoir lieu lors du dernier Conseil des ministres des Transports, le 17 octobre, et nous avons, pendant plus d’une heure, discuté de cette question de l’harmonisation par le haut. C’est une avancée et il y déjà plusieurs autres pays qui comment à dire qu’effectivement, il le faut, dans l’intérêt du transport routier en général et dans l’intérêt des conditions sociales et de la sécurité.
O. Mazerolle : Mais est-ce qu’on ne se trouve tout de même pas dans un cas de figure qui démontre qu’avec l’euro, faisant suite à la liberté de circulation des capitaux, il est impossible à un pays d’avoir des lois fiscales différentes de celles de ses voisins européens ?
J.-C. Gayssot : Non, je crois que la France, de ce point de vue, n’est pas seule et entend jouer un rôle, y compris dans la construction européenne, pour la réorienter – c’est la position que je défends en tous cas. Il faut la réorienter pour intégrer cette dimension à la fois sociale et économique, qui permet de ne pas s’en tenir à la seule règle de l’ultra-libéralisme ou des lois du marché.
O. Mazerolle : Autre sujet qui concerne l’Europe et qui vous concerne : vous craignez que l’Europe ait été trompée en acceptant trop facilement la fusion Boeing-Mac Donnel qui met en péril Airbus ?
J.-C. Gayssot : Oui d’ailleurs le gouvernement français avait émis de réserves et s’était abstenu, lors du comité consultatif, sur la proposition de la Commission qui autorisait la fusion. La Commission avait accepté cette fusion en disant qu’elle avait obtenu une concession majeure qui était celle de la suppression des contrats d’exclusivité. Or, hier, selon certaines informations – évidemment il s’agit de vérifier- il semblerait que Boeing ait maintenu ses contrats d’exclusivité avec certaines compagnies aériennes. C’est un véritable défi qui est lancé à la Commission de Bruxelles.
O. Mazerolle : Vous saisissez officiellement la Commission pour lui demander d’agir ?
J.-C. Gayssot : Voilà. Ce que j’ai dit hier, c’est que s’il y avait vérification de cette violation évidente, de cette véritable rupture des engagements, la Commission ne peut laisser passer un tel défi et elle doit réexaminera position concernant justement la fusion.
O. Mazerolle : Mais comment peut-on vérifier cela ?
J.-C. Gayssot : Aujourd’hui, le Gouvernement est intervenu, le Gouvernement intervient et j’espère que la Commission européenne, elle-même, dès aujourd’hui, engage les vérifications.
O. Mazerolle : Expliquez-nous ce qui se passe à Air France. On va ouvrir le capital d’Air France aux salariés, aux partenaires commerciaux mais aussi au public en Bourse ! Alors, tout le drame avec C. Blanc, tout cela…
J.-C. Gayssot : Vous savez très bien que, dès le début, j’ai annoncé la couleur lorsque j’ai parlé le troisième ou le quatrième jour – je venais d’être nommé ministre et quand on m’a interrogé pour savoir quelle était ma position là-dessus, j’ai parlé de respiration du capital. L’affirmation est claire. Nous venons d’ailleurs d’écrire une lettre de mission pour le président Spinetta qui vient d’être nommé officiellement au Conseil des ministres, comme président de la compagnie nationale qui est redevenue une compagnie de premier rang. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, Air France est la huitième compagnie du monde. C’est une compagnie de premier rang pour laquelle nous avons beaucoup d’ambition. Qu’est-ce-que nous disons dans cette lettre de mission ? D’abord que la compagnie nationale restera au sein du secteur public.
O. Mazerolle : Mais enfin, il y a ouverture au capital au public.
J.-C. Gayssot : Je le répète : la compagnie restera au sein du secteur public mais quand nous parlons d’ouverture du capital, nous ajoutons qu’il s’agit d’une fraction limitée pour prendre en compte, là encore…
O. Mazerolle : A combien à peu près ?
J.-C. Gayssot : Non, je ne vais pas discuter de tout cela, tout cela sera négocié et discuté.
O. Mazerolle : Avec qui ?
J.-C. Gayssot : Les salariés, le dialogue social et tous les intéressés. Nous prenons en compte-là, y compris les engagements qui avaient pris en 1994 concernant les salariés et la possibilité, je l’ajoute, d’alliances avec des compagnies internationales.
O. Mazerolle : Vous vous souvenez d’un accord signé en avril dernier entre le PS et le PC : arrêt du processus de privatisation ?
J.-C. Gayssot : Je m’en souviens d’autant plus, figurez-vous, que j’étais de ceux qui contribuaient à l’élaboration de cet accord et de de texte.
O. Mazerolle : Alors, il n’y a pas d’arrêt ?
J.-C. Gayssot : Non seulement il n’y a pas privatisation mais il y a, dans ma démarche et dans la volonté du Gouvernement, l’idée suivante : le secteur public peut faire la démonstration de ses capacités, non seulement à se défendre mais à se développer et à rayonner. C’est d’ailleurs aussi dans la lettre de mission que nous avons envoyée à M. le président Spinetta.
Le journal du dimanche : 2 novembre 1997
Richard Bellet : Au terme d’une semaine où les négociations entre les représentants du patronat et les syndicats de routiers n’ont pas abouti, quel est votre sentiment ?
Jean-Claude Gayssot : Je veux toujours croire qu’une solution et possible, et je ferai tout pour qu’un accord qui intègre la demande de progrès social soit signé.
Richard Bellet : Si un accord était finalement signé entre les syndicats et une seule union patronale, l’Unostra, chercheriez-vous à l’étendre à l’ensemble de la profession ?
Jean-Claude Gayssot : Nous avons intérêt à ce que toutes les organisations patronales entrent de leur plein gré dans un accord. Si cela se révélait impossible et qu’une seule d’entre elles le signait, je serais sûrement amené à fixer un délai de réflexion pour les autres. Au terme de celui-ci, il faudra étendre l’accord à toutes les entreprises de transport concernées. Ce délai ne serait à mes yeux excéder une semaine environ après la signature d’un tel accord. Mais il s’agit là d’une simple construction intellectuelle, et je ne peux pas imaginer que l’UFT ne trouvera pas de terrain d’entente avec les syndicats.
Richard Bellet : Certains se demandent si l’UFT, affiliée au CNPF, ne souhaite pas mettre le gouvernement dans l’embarras en laissant pourrir la situation.
Jean-Claude Gayssot : Si telle était la motivation de cette organisation, elle serait irresponsable. Je ne veux pas y croire. C’est en effet la situation du pays et de ses milliers d’entreprises qui serait en difficulté en cas de barrages sur les routes. Puisque vous me parlez de gouvernement, je vous rappelle tout de même que c’est au précédent gouvernement que nous devrions en grande partie une nouvelle grève. Celui-ci n’a pas su régler correctement celle de l’automne dernier. Certes, des engagements comme celui portant sur le congé de fin d’activité ont été tenus pour les longues distances marchandises. Mais d’autres, je pense notamment au versement par les employeurs d’une prime de 3 000 francs, ne l’ont pas été. Un sentiment de colère et de découragement s’est alors développé chez de nombreux routiers.
Richard Bellet : Le transport routier est anarchique, les accords n’y sont pas toujours respectés, les promesses restent souvent lettre morte. Comment y remédier ?
Jean-Claude Gayssot : Cette profession est malade du dumping économique et social. Mais le gouvernement prend ses responsabilités. Vendredi, j’ai déjà annoncé l’élaboration d’un projet de loi destiné à améliorer l’autorégulation de la profession. Je déposerai ce projet dans les prochaines semaines, avant Noël en tout état de cause. Un exemple : afin les chargeurs se sentent comptables de la qualité des entreprises auxquelles ils demandent de transporter leurs marchandises, nous allons inclure dans ce projet la possibilité d’immobiliser un camion, avec son chargement, en cas d’infraction au code de la route ou au droit du travail et du transport. Les corps de l’inspection du travail et du contrôle des transports terrestres seront également étoffés. Il faut, en fin de compte, que nous réussissions à instaurer une situation de concurrence loyale dans cette branche professionnelle. De la même manière, le gouvernement est prêt à accompagner le progrès social, comme en témoigne la mesure d’allégement de taxe professionnelle annoncée par le Premier ministre.
Richard Bellet : Sans une harmonisation sociale des transports routiers au niveau européen, ces efforts ne sont-ils pas vains ?
Jean-Claude Gayssot : A mon initiative il y a eu, le 9 octobre dernier, un débat au Conseil des ministres européens autour d’un livre blanc élaboré par la Commission européenne. Le fait même que cette discussion ait eu lieu et qu’aucun gouvernement n’ait nié la nécessité d’aller vers cette harmonisation est un point encourageant.
Richard Bellet : En tant que ministre communiste, comment vivez-vous cette période ?
Jean-Claude Gayssot : Comme ministre communiste, membre du gouvernement, je suis toujours partisan de la négociation, du dialogue social. J’ai toujours considéré la grève comme une solution ultime d’intervention quand toutes les autres avaient échoué. C’est pourquoi, dans ce gouvernement qui fonde son action sur la lutte pour l’emploi et la justice sociale, je me sens à l’aise pour encourager la profession des routiers aux évolutions nécessaires. C’est également pourquoi j’ai appelé, dès vendredi soir, tous les partenaires sociaux à l’esprit de responsabilité devant le pays.
L’Humanité : 3 novembre 1997
Une lettre de Jean-Claude Gayssot aux partenaires sociaux
Un cycle de négociations s’est achevé, dimanche 2 novembre 1997, par la signature d’une déclaration commune en vue de la préparation du protocole d’accord et de cinq avenants la convention collective des conducteurs du transport routier et marchandises. Ces points d’accord peuvent justifier d’une extension à l’ensemble de la profession par l’application normale du Code du travail.
Je relève, dans ce projet d’accord, des mesures salariales à effet immédiat, c’est-à-dire applicables dès le1er novembre1997. Il s’agit d’une augmentation des salaires de 3à 5 % selon les catégories de conducteurs. Les plus bas niveaux de salaires seront bénéficiaires d’une augmentation de 5 %, donc supérieur du SMIC. Le plan triannuel d’augmentation permettre de porter la rémunération mensuelle à l’embauche au 1er juillet 2000 à 10 000 francs pour le niveau le plus élevé, pour 200 heures.
Je veillerai à prendre les mesures nécessaires à l’extension immédiate de ces dispositions à toutes les entreprises de la branche ; ce que ne contestent pas les représentants de l’Union fédérale des transports dans une déclaration publique.
Je m’engage, comme je l’ai rappelé au cours de différentes phases de la négociation, à veiller au respect de la loi et, plus particulièrement, à m’assurer de l’application des engagements pris vertu d’un cadre législatif réglementaire. Dans cet esprit, je suis prêt à intensifier la mise en œuvre de tous les dispositifs de contrôle actuellement à ma disposition. J’ai, par ailleurs, annoncé le renforcement de ces moyens, en personnel et dans les procédures.
J’exprime ainsi, en plein accord avec le premier ministre, la forte volonté du gouvernement d’améliorer les relations sociales dans la profession. Ces différentes mesures, qui contribuent à améliorer les conditions de rémunération, trouveront leurs applications avec la signature du protocole.
L’Humanité : 4 novembre 1997
Source : L’Humanité
Q. Que peut-on attendre comme débouché à ce conflit ?
R. Toute la démarche du gouvernement est celle de la négociation et du dialogue social. Nous avons l’objectif que le dialogue se renoue et que les négociations reprennent. J’ai demandé cet après-midi (lundi – NDLR) aux fédérations de transports routier, à l’UFT de venir me rencontrer. Les discussions ont été serrées et fermes. Et j’espère que, mardi ou mercredi, l’UFT va se remettre à négocier. Elle entend en discuter avec ses mandants pour prendre sa décision. Cependant, je crois qu’il ne faut perdre de temps.
Q. Allez-vous demander aux forces de l’ordre de ne plus intervenir pour lever les barrages, que les préfets cessent de recourir à la force ?
R. Notre démarche est entièrement tournée vers l’ouverture de discussions et la reprise du dialogue, pour ouvrir une sortie vers le haut conflit. Dans cette situation tout le monde doit manifeste un sens des responsabilités. Je rappelle que le conflit d’aujourd’hui est lié au sentiment des routiers – et je le les comprends – de frustration, d’avoir été bernés parce que les promesses faites lors du mouvement de l’an dernier n’ont pas été tenues. Le choix de ce gouvernement n’est pas celui des promesses non tenues, mais celui de la parole donnée. Concernant les barrages aux postes-frontières, le gouvernement a été amené à prendre des dispositions afin que ses engagements internationaux en matière d’approvisionnement et de sécurité soient respectés. Mais chacun peut constater que notre démarche n’est pas de faire pression sur les salariés pour aboutir à un essoufflement du mouvement.
Q. Pourquoi les routiers ne se contentent-ils pas de cesser le travail et s’en prennent au travail des autres ?
R. Je souhaite sortir par le haut d’un conflit marqué par un climat de méfiance. Réfléchissons à la vie de ces routiers qui passent des dizaines d’heures sur les routes, loin de chez eux, souvent mis dans l’obligation d’aller au-delà de la convention, de la réglementation.
Q. Les Français ne sont-ils pas pris en otages ?
R. J’entends le problème, fortement. L’objectif fondamental du gouvernement ? La lutte pour l’emploi, le progrès social, la cohésion sociale, avec la volonté que les Français, dans leurs diverses composantes, y soient associés.
Q. N’est-ce pas la même situation qu’en 1984, où les routiers avaient fait grève avec leurs patrons ?
R. A la différence de cette période, on a eu l’an dernier, et on a de nouveau, des salariés qui défendent leurs droits à la dignité, à la responsabilité. Comment ne pas entendre des chauffeurs routiers qui demandent un salaire correspondant à la dureté de ce qu’ils font. Et aussi ce que disent les représentants des PME, soumis à une forte pression à l’échelle européenne. Dans cette situation de gouvernement souhaite à la fois favoriser une avancée sociale, les droits des salariés et faire en sorte que la corporation vive, se développe.
Q. Comment accepter une telle inégalité sociale, lorsque des gens travaillent 240 heures alors que la durée légale est de 169.
R. La convention de la profession fixe le maximum à 230 heures, tout compris. Je veux revoir, réduire pas à pas, pour arriver à une situation normale, tenant compte de la spécificité de la profession.
Q. Que propose le gouvernement pour contrôler la concurrence ?
R. A propos de la concurrence et de la nécessaire harmonisation européenne, nous sommes à la croisée des chemins. Actuellement c’est le vent de la libéralisation qui souffle. Cette libéralisation doit être accompagnée d’une profession d’une harmonisation des conditions sociales par le haut, sinon on va vers un détonateur social. J’ai mis en avant cette harmonisation sociale dès la première réunion des ministres des Transports européens. Il faut une réorientation de l’Europe dans le sens du social, du progrès, de l’économique et de l’emploi. Je demande que tous les pays s’expriment sur cette question. On n’est certes pas au bout de nos peines.
Q. Ne pensez-vous pas qu’il y a une relation entre l’attitude du CNPF et l’UFT pour déstabiliser le gouvernement ?
R. Il n’est pas possible que des gens puissent penser mettre ne cause non seulement une profession mais aussi d’autres entreprises pour des raisons politiciennes. J’espère que tout le monde va retrouver le chemin de la table des négociations.
Q. N’y a-t-il pas quand même des réticences patronales à la réduction du temps de travail ?
R. Certes le patronat n’est pas enthousiaste sur la réduction du temps de travail ou l’augmentation des salaires. Le problème de fond est celui de la place du transport dans le pays et de savoir comment il est rémunéré. Il faut que les transporteurs ne subissent pas le dumping social et économique. J’ai décidé que la formation soit obligatoire pour tous les conducteurs, que les moyens financiers et d’honorabilité soient mieux contrôlés pour l’accès à la profession, que les sanctions pour atteinte au Code la route et au droit du travail prévoient dans la loi l’immobilisation du véhicule et du chargement.
Q. Je suis heureux que le ministre parle de problèmes du contrôle en entreprise. Il faut savoir que nous sommes 380 contrôleurs des transports terrestres – je suis l’un d’eux – pour contrôler 38 0000 entreprises publiques.
R. J’ai conscience qu’il nous faut une progression des contrôleurs et inspecteurs du Travail. Mais mon idée, ce n’est pas de mettre un contrôleur derrière chaque camion. Je propose de majorer de 10 % les effectifs dans les toutes prochaines années. En même temps, il faut que ces sont rôles se fassent en liaison avec les organisations professionnelles et les organisations syndicales. Je crois à l’autorégulation et aux responsabilités de l’Etat pour faire en sorte que ce qui est décidé soit respecté.
Q. Comment se fait-il que, en France, on ne favorise pas plus le chemin de fer ?
R. Vous posez l’un des problèmes de fond. A l’horizon 2015, le trafic routier va exploser alors que le trafic ferré et par voie d’eau sera en plein déclin. Favoriser le trafic ferré pour arriver à une plus grande souplesse du trafic routier, c’est ma démarche. Mais on ne change pas cette situation du jour au lendemain. Regardez le budget que nous venons de faire voter à l’Assemblée : nous avons une augmentation de près de 1 milliard en ce qui concerne le fond d’investissement des transports terrestres. Cette augmentation profitera à hauteur de + 30 % au transport ferré et de + 23 % aux voies navigables.
Q. Vous ne nous parlez pas du matraquage fiscal et des charges sociales qui sont beaucoup trop lourdes dans notre pays…
R. J’ai étudié de près la situation du routier en France, notamment en comparant avec les autres pays les taxes pétrolières, ce que l’on appelle la TIPP. La situation est la suivante : la France se situe à la moyenne des autres pays. Si l’on baisse les charges sociales et que les routiers n’en profitent pas, on se retrouvera dans la même situation. J’ai décidé de prolonger l’abaissement des charges au-delà de 1997, dès lors qu’il y aurait le respect de la durée du travail et de la transparence sur les salaires.
France 2 : 7 novembre 1997
B. Schönberg : Après ces discussions-marathon, j’ai envie de dire « Enfin, un accord ! » Reste que la situation est paradoxale : certains s’engagent, d’autres pas. M. Poletti vous accuse, je cite de « magouilles » entre le ministre que vous êtes, le patronat et la CFDT. Il parle de « réunion de coquins. » Que lui répondez-vous ?
Jean-Claude Gayssot : Je mets ça sur le compte de la fatigue. Qu’il s’agisse des rencontres que j’ai eues avec les organisations syndicales, salariées ou patronales, qu’il s’agisse des rencontres sur le terrain, tout le monde a pu vérifier que le Gouvernement n’avait pas deux langages. C’est d’ailleurs un des aspects de ce qui se passe et vient de se passer : c’est la volonté du Gouvernement de mettre tout en œuvre pur que cette fois-ci, les accords soient appliqués.
B. Schönberg : Est-ce que vous diriez que c’est un bon accord ? Le patronat a-t-il joué le jeu ? De quelle façon allez-vous vérifier précisément que ces accords seront tenus ? Seront-ils vérifiés ?
Jean-Claude Gayssot : D’abord, on ne va pas faire l’historique en ce moment-ci du conflit. Vous connaissez les diverses situations qui se sont produites, y compris la nécessité de faire revenir à la table des négociations les parties du patronat. Aujourd’hui, en ce qui concerne l’accord, je ne veux pas préjuger et dire : « C’est un accord super, extraordinaire ! », mais je crois qu’il y a une réelle avancée parce que cette fois-ci, la question de la rémunération du salaire professionnel minimum garanti entre sur la feuille de paye. Il y a non seulement une augmentation qui peut être jugée plus ou moins importante, puisque cela va de 3 à 6 % selon les catégories dans tout le secteur routier, et de 15,8 % à 21,8 % d’ici le 1er juillet de l’an 2000. Ceci étant, sur le contenu, j’y insiste, alors que c’était une revendication très forte des organisations syndicales et, je crois, de toutes les organisations syndicales, il y a véritablement une avancée qui permet de commencer, si je puis dire, à sera rapprocher de la règle normale du Code du travail.
B. Schönberg : Apparemment, vous n’êtes pas entendu, en tout cas pas par tous, puisqu’il y a encore près d’une cinquantaine de barrages ce soir. J’aimerais que vous me répondiez très concrètement : que faire de ces barrages ? Allez-vous jouer le pourrissement ou allez-vous jusqu’à envoyer les forces de l’ordre ?
Jean-Claude Gayssot : D’abord, sur les informations, il y en a 36. En ce qui concerne la démarche du Gouvernement, le Premier ministre l’a dit avec beaucoup de force devant l’Assemblée nationale : notre position n’a pas été de laisser venir, de laisser pourrir, puis de laisser trahir. Donc, il n’y aura pas dans notre démarche la moindre ambiguïté. L’accord sera étendu. C’est une garantie absolue. Nous mettrons les moyens – je dis bien les moyens… Dès aujourd’hui d’ailleurs, il y a un décret qui est sorti au Journal officiel en ce qui concerne l’accès à la profession. J’arrive de l’Assemblée nationale ; j’ai fait proposer un amendement qui a été adopté par la majorité plurielle de gauche pour renforcer le corps des contrôleurs et des inspecteurs.
B. Schönberg : Sur la question du droit de circuler, le droit de grève, les barrages qui restent en place…
Jean-Claude Gayssot : Ce qu’il faut voir, c’est qu’il y a dans cette profession des salariés qu’ils aient approuvé ou non, pour l’instant, l’accord qui a été proposé, tous veulent être reconnus. Tous sentent qu’il y a besoin dans cette profession d’un progrès, d’une évolution. Ils veulent être reconnus et veulent avoir un climat de confiance. Le Gouvernement ne fera rien, qui puisse accréditer l’idée qu’on pourrait par des manœuvres autoritaires et par des provocations mettre en cause cette démarche qui est celle du Gouvernement, c’est-à-dire qu’il faut avancer dans cette corporation non seulement dans l’intérêt des salariés, mais dans l’intérêt des entreprises de toute la corporation.
B. Schönberg : Au passage, vous qui avez été un cégétiste convaincu, n’êtes-vous pas un peu en porte-à-faux avec l’attitude de la CGT ? Qui va payer ? L. Jospin a annoncé un allègement de 800 francs ; toute mesure a un coût.
Jean-Claude Gayssot : Bien sûr. Il y a dans l’accord salarial l’engagement des entreprises –puisque c’était un accord salarial entre les organisations de salariés et les organisations patronales. Les patrons vont payer les augmentations de salaires dont j’ai parlé. Là, nous pourrons vérifier si elles se font puisque c’est dans l’accord et que c sera sur la feuille de paye. On pourra vérifier donc, et ce sera appliqué. Il y a l’engagement qu’a pris le Gouvernement notamment pour réduire la taxe professionnelle de 800 francs par véhicule de plus de 16,5 tonnes. Cet engagement sera tenu. Pourquoi ? Parce que nous sommes en quelque sorte à une croisée des chemins dans cette profession : il faut sortir du dumping économique et social ; il faut s’ouvrir, c’est-à-dire faire e sorte que l’harmonisation européenne au plan social l’emporte sur la concurrence sauvage qui est à l’horizon si on n’y prend pas garde.
B. Schönberg : Et vous, le cégétiste-cheminot que vous avez été, dans un conflit où précisément la CGT prend ses distances ?
Jean-Claude Gayssot : J’écoute ce que dit chaque organisation. Je mesure qu’il y a dans tout ce qui se dit des choses qu’il faut prendre en compte. C’est vrai pour toutes les organisations. Je ne raisonne pas avec un esprit partisan. J’ai entendu des déclarations de la CGT qui appréciait des éléments positifs, mais qui trouve que ce n’est pas suffisant, notamment par rapport aux engagements qui avaient été pris lors du précédent gouvernement en ce qui concerne la prime de 3 000 francs. Le cégétiste que j’ai été, le syndicaliste que je reste de cœur et le ministre que je suis, pense que quand il y a un bon compromis de signé, il vaut mieux ne pas disperser ses forces pour continuer à faire avancer les choses.