Texte intégral
LE PARISIEN : 16 JUIN 1999
Le Parisien
Le retrait total du marché français des produits Coca-Cola en canettes est une mesure exceptionnelle. Pourquoi une telle décision ?
Marylise Lebranchu
C’est effectivement une mesure de précaution énorme. Mais tant qu’on ne connaîtra pas l’origine exacte des intoxications, il vaut mieux que l’on procède à une suspension générale. Vous savez, les circuits commerciaux sont tellement croisés qu’on ne peut pas vérifier partout sur le territoire que des canettes destinées à la Belgique ne sont pas revenues en France. Il y a tellement de doutes partout qu’on ne veut prendre aucun risque. C’est pourquoi nous avons décidé cette parenthèse dans les ventes.
Le Parisien
Quels produits sont concernés ?
Marylise Lebranchu
Toutes les boîtes métalliques de Coca-Cola, Coca-Cola light, Fanta et Sprite. Cela concerne 50 millions de canettes qui seront retirées à partir d’aujourd’hui de la vente en attendant d’en savoir plus. J’ai demandé à la grande distribution, par un arrêté ministériel, dès ce soir (NDLR : mardi soir) de retirer ces produits de la vente : Tous les autres produits Coca-Cola, en dehors des canettes (NDRL : les bouteilles) ne sont pas concernés par cette mesure.
Le Parisien
Selon vos informations, quelle est la source de la contamination ?
Marylise Lebranchu
Parce que personne n’a la preuve qu’il s’agit d’une erreur de manipulation. Imaginez que l’on trouve demain ou dans trois jours que c’est en fait la gazéification qui est en cause… L’explication d’un problème de fongicide sur des palettes, que nous a donnée la direction de Coca-Cola, nous étonne. Je ne comprends pas comment du fongicide présent sur une palette et coulant sur une canette peut contaminer à de telles doses des consommateurs, surtout vu les symptômes décrits chez certains patients !
Le Parisien
Avez-vous pratiqué des analyses ?
Marylise Lebranchu
Dès vendredi, sachant ce qui s’était passé sur les lots incriminés en Belgique, nous avons prélevé d’autres lots au hasard, issus de l’usine de Dunkerque que nous sommes en train de faire analyser. Nous aurons les résultats très vite, peut-être à la fin de la semaine. Si les analyses ne révèlent aucune contamination, les produits seront immédiatement remis sur le marché. Encore une fois, c’est une précaution majeure et je crois qu’il ne faut pas affoler la population en disant que tout le Coca-Cola est empoisonné. Il n’est vraisemblablement pas contaminé, mais tant que nous n’en avons pas la preuve, il vaut mieux perdre une journée de vente que de risquer d’intoxiquer quelqu’un.
LIBERATION : 21 juin 1999
LIBERATION
Les résultats des analyses que vous avez effectuées sur les boissons produites par Coca-Cola pour le marché français n’ayant révélé aucune anomalie, allez-vous revenir sur votre recommandation de ne pas les consommer ?
Marylise Lebranchu
Pour nous, ces premiers résultats ne changent rien puisqu’on était à peu près persuadés qu’il n’y aurait pas de problèmes sur ces lots. Mais, avant de lever l’alerte, on souhaiterait avoir les résultats des analyses effectuées sur les boîtes qui nous ont été fournies par des consommateurs qui se sont plaints de malaises. Deux de ces emballages ont pu être retrouvés. Un de Sprite, un de Coca.
LIBERATION
Combien de cas ont été recensés en France ? Et est-on sûr qu’ils ne sont pas psychogènes ?
Marylise Lebranchu
Le centre antipoison de Lille a recensé une dizaine de cas plausibles. L’un au moins a été déclaré avant l’alerte. Quand les médecins ont dit qu’ils avaient un doute sur l’origine de ce cas, ils n’avaient pas encore entendu la radio. Une fois l’alerte donnée, il est probable que des malaises « habituels » ont été attribués aux boissons et que l’anxiété a pu jouer. Mais parmi les appels reçus par les centres antipoison, la majorité étaient des demandes de renseignements. Et aujourd’hui la courbe des appels est pratiquement retombée.
LIBERATION
Dans son édition du 10 juin, le magazine de la grande distribution LSA relève qu’en 1998 la direction générale de l’alimentation a dénombré 36 alertes alimentaires. Cette année, on en recense plus de 200 en moins de six mois… Comment expliquez-vous cette augmentation ?
Marylise Lebranchu
La multiplication des crises alimentaires montre que le système d’alerte européen fonctionne. À chaque fois que nous allons rendre le réseau de détection plus efficace, nous aurons, au départ, plus de crises connues. Pour ma part, en tant que citoyenne, plus il y a d’alertes, plus je consomme tranquillement, je sais que rien n’est caché. Aujourd’hui, sitôt que quelque chose se passe, nous sommes prévenus. Depuis le 1er janvier, 150 alertes européennes ont été déclenchées. 40 ont concerné la France. À chaque fois, nous avons pu rappeler tous les produits. De plus, maintenant que l’institut de veille sanitaire existe, sous la responsabilité de Bernard Kouchner, un médecin généraliste qui voit passer, dans la même journée, deux personnes qui se sentent mal après avoir bu un café au même endroit va pouvoir ouvrir une procédure. Avant, on ne disait rien aux gens pour ne pas les affoler. Aujourd’hui, on a changé de principe. On dit : le consommateur est adulte, il est responsable. Notre responsabilité à nous, pouvoirs publics, est double : informer, puis, si les cas sont avérés, rappeler les produits. Notons que les entreprises le font souvent spontanément.