Interview de M. Lionel Jospin, Premier ministre, dans "Les Échos" du 9 décembre 1997, sur le projet de loi sur les 35 heures, l'attitude du CNPF, la reprise de la croissance économique, le projet de baisse des prélèvements obligatoires, les privatisations et son programme de travail pour 1998.

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Les Échos : Les prévisions d’investissement des chefs d’entreprise ont été revues à la baisse pour 1997 et 1998, signe d’une réelle préoccupation chez les patrons, liée, semble-t-il, au projet des 35 heures. Êtes-vous, à votre tour, préoccupé par ce manque de confiance ?

Lionel Jospin : Je ne crois pas qu’il y ait un manque de confiance chez les patrons. Selon une enquête d’opinion publiée il y a quelques jours par votre mensuel, les chefs d’entreprise portent sur l’action de mon gouvernement un jugement nettement plus favorable que sur celle de mon prédécesseur. S’agissant de l’investissement, un premier résultat positif vient d’être enregistré : l’investissement des entreprises a vivement augmenté – près de 2% – au cours du dernier trimestre. Je constate également que, lorsque les chefs d’entreprise sont interrogés sur leurs propres perspectives de croissance, ils sont confiants. Plus que les déclarations alarmistes, voilà ce qui est important.

Les Échos : Mais tout de même, l’investissement est hésitant et la consommation des ménages erratique, si l’on ajoute la crise asiatique, est-ce que vous pensez encore aujourd’hui que la croissance de la France pourra être de 3% l’an prochain ?

Lionel Jospin : La prévision d’une croissance de 3% n’est pas seulement celle du gouvernement. Elle a été faite par la plupart des instituts de conjoncture économique. Des éléments objectifs qui fondaient cette prévision restent d’actualité : les stocks sont limités, les taux d’intérêt demeurent à un niveau historiquement bas, la faible inflation et la valeur du franc assurent une bonne compétitivité à notre économie. Naturellement, la reprise est également fonction des anticipations des agents économiques et donc de l’état d’esprit de ceux-ci. C’est pourquoi le gouvernement s’emploie à ce que le climat économique soit bon.

Les Échos : Vous n’avez pas l’impression que ce climat a été altéré par les nouveaux impôts ?

Lionel Jospin : Nous avons veillé à ce que le taux de prélèvement obligatoire n’augmente pas en 1998, ce qui évitera de peser sur la croissance. Par ailleurs, nous avons confirmé de façon indiscutable notre engagement européen, en réalisant l’euro, en préparant un budget qui réponde à cet objectif et qui soit tout entier tourné vers l’emploi. Les ménages ont bénéficié et vont encore bénéficier en 1998 d’une progression sensible de leur pouvoir d’achat ; et comme on assiste à un net regain de leur confiance en l’avenir, il est raisonnable de penser que la demande intérieure continuera à se redresser l’année prochaine.

Les Échos : Ne craignez-vous pas l’impact de la crise financière asiatique ?

Lionel Jospin : Je pense qu’il devrait rester limité. Certes, on assistera à une légère contraction de nos échanges extérieurs ; mais la reprise de la demande intérieure enregistrée ces dernières semaines devrait la compenser.

Les Échos : Le prochain président du CNPF imprimera au sein du patronat un très net changement stratégique et un durcissement des critiques sur les projets du gouvernement. Ne regrettez-vous pas, rétrospectivement, d’avoir placé Jean Gandois, dont la nature était plus conciliante, en difficulté ?

Lionel Jospin : Je juge les hommes principalement à leurs actes : attendons que le prochain président du CNPF soit désigné et qu’il ait défini ses orientations avant de parler « de très net changement stratégique » ou « de durcissement ». Je ne suis pas sourd pour autant. Quant aux déclarations dont la presse s’est fait écho, je les prends avec philosophie. Il est du rôle du CNPF non de chercher à déstabiliser le gouvernement, mais de représenter les entreprises : ce jugement n’est pas de moi – même si je le fais mien –, mais émane de Jean-Marie Messier, le président de la Générale des Eaux, un des premiers groupes français. Par ailleurs, si je regrette, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, le départ de Jean Gandois, il est de son fait et non de la responsabilité du gouvernement.

Les Échos : Vous espérez que tout cela changera après l’élection de M. Seillière ?

Lionel Jospin : Je pense qu’il y a un « avant » et qu’il y aura un « après » l’élection, et qu’un président du CNPF doit forcément être responsable.

Les Échos : Est-ce que vous comptez sur une attitude différenciée des patrons et du patronat. Et pensez-vous que, malgré le CNPF, les entreprises vont massivement négocier ?

Lionel Jospin : Mais l’attitude différenciée que vous évoquez existe déjà ! Et elle est logique, car, contrairement à certaines présentations qui en ont été faites, les propositions pour la négociation sur les 35 heures sont équilibrées. C’est pourquoi je pense que nombreuses seront les entreprises qui négocieront avec leurs syndicats les conditions du passage aux 35 heures. Beaucoup d’entre elles, et notamment parmi les plus grosses, avancent d’ailleurs sur cette voie.

Les Échos : Malgré ces interventions de l’État, ajoutées au fait qu’il est prédominant dans la gestion des organismes sociaux, ne sont-elles pas le signe d’un profond déclin du paritarisme ?

Lionel Jospin : La France ne connaît pas une puissante tradition contractuelle directe. En outre, les syndicats sont multiples et le patronat n’est pas toujours très disponible pour négocier ! Donc l’État doit donner l’impulsion, puis laisser la place à la négociation. C’est ce que nous avons fait pour la réduction du temps de travail. Dans tous les cas, le devoir du gouvernement est de veiller à ce que les accords régulièrement conclus soient respectés. C’est ce que nous nous sommes aussi engagés à faire à l’occasion du dernier conflit du transport routier.

Les Échos : Que se passerait-il si le patronat décidait de se désengager des organismes paritaires ?

Lionel Jospin : Je ne crois pas à cette hypothèse.

Les Échos : Certains syndicats commencent à s’alarmer des contreparties, en termes de flexibilité et de salaires, qu’ils seront conduits à lâcher pour aller aux 35 heures. Ont-ils tort d’être inquiets ?

Lionel Jospin : Oui, car la négociation qui s’ouvre représente, à mes yeux, une chance à saisir pour réhabiliter et relancer le dialogue social dans notre pays. Il revient aux partenaires sociaux de construire le nouvel équilibre entre les attentes des salariés et les besoins des entreprises en termes d’organisation du travail. Et si l’État, par cette loi, veut ouvrir un espace de négociation aux partenaires sociaux, il n’entend, en aucun cas, se substituer à eux. L’objectif commun doit être de favoriser l’approche globale de la question du temps de travail, des rémunérations, de l’aménagement et de l’organisation du temps de travail. Cette démarche nouvelle a une finalité principale : créer des emplois. À chacun de prendre sa part de ce projet.

Les Échos : Les adversaires des 35 heures soulignent que vous avez exclu la fonction publique de la réduction du temps de travail. Est-ce que ça n’est effectivement pas contradictoire ?

Lionel Jospin : Non, car la réduction du temps de travail est d’abord une arme contre le chômage, et il faut l’employer là où existe le chômage. Ensuite, c’est dans le secteur privé que se développe une certaine précarité : c’est donc là qu’il est nécessaire de pousser à la création d’emplois. Enfin, nous connaissons un certain nombre de contraintes budgétaires. Et ce sont les mêmes qui, dans le monde patronal, nous disent : « Baissez la dépense publique, réduisez le nombre de fonctionnaires » et qui réclament dans le même temps : « Appliquez d’abord les 35 heures à l’État employeur ! » Je ne dis pas que la question ne se pose pas, je dis qu’il est normal de commencer par le secteur privé.

Les Échos : En réalité, beaucoup de chefs d’entreprise ne comprennent pas que ce soit le même État qui dise : « Je ne peux pas augmenter mes charges de patron » et qui impose aux autres une augmentation de leurs charges.

Lionel Jospin : Mais les charges n’augmenteront pas au niveau de la nation, car si l’emploi repart, celles qui pèsent sur les employeurs diminueront.

Les Échos : Est-ce que les 35 heures ne seraient pas mieux acceptées par les chefs d’entreprise si le gouvernement s’engageait sur un véritable pacte de modération fiscale ?

Lionel Jospin : Mais c’est bien cela que nous leur proposons. Car il est évident que tout emploi créé au niveau microéconomique viendra alléger les charges au niveau macroéconomique. C’est dans cet esprit que nous avons institué une aide pour les entreprises qui anticipent les 35 heures en augmentant leurs effectifs. Elle représente la contrepartie des économies que la collectivité réalise grâce aux créations d’emplois.

Les Échos : Pourquoi le gouvernement ne dit pas combien d’emplois il attend des 35 heures ?

Lionel Jospin : Chaque fois que des engagements chiffrés sur l’emploi ont été pris, ils n’ont pas été tenus. Je vous renvoie notamment aux déclarations de l’ancien président du CNPF, Yvon Gattaz, qui promettait la création de plus de 400 000 emplois si l’on supprimait l’autorisation administrative de licenciement. Ces emplois, nous les attendons toujours… Le seul domaine où je peux me prononcer, ce sont les 350 000 emplois-jeunes dans le secteur public, car il s’agit d’un engagement de l’État. Sur les 35 heures, tout dépendra du nombre d’accords conclus et du rythme de la progression.

Les Échos : Si la croissance n’est pas au rendez-vous en 1998, est-ce que vous repousserez les 35 heures ?

Lionel Jospin : Le mouvement de réduction du temps de travail que nous avons engagé s’inscrit dans le moyen terme : les 35 heures seront généralisées au 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 20 salariés et au 1er janvier 2002 pour l’ensemble des entreprises. Nous avons, de surcroît, introduit progressivité et souplesse dans la mise en œuvre du dispositif, en laissant une large place à la négociation entre partenaires sociaux, en prévoyant de nous inspirer des résultats de ces négociations pour rédiger le second projet de loi qui sera présenté au Parlement au cours du second semestre 1999. Par ailleurs, nous préservons la possibilité de réexaminer la majoration de rémunération des heures supplémentaires si la situation économique l’exigeait.

Les Échos : Quand pensez-vous que le chômage commencera à baisser ?

Lionel Jospin : Le retour de la croissance et l’action vigoureuse engagée depuis six mois en faveur de l’emploi – lancement du plan pour l’emploi des jeunes, mise en route de la réduction du temps de travail, relance du pouvoir d’achat – permettent raisonnablement d’envisager une baisse du chômage avant la fin de l’année prochaine.

Les Échos : Quelle politique salariale recommandez-vous dans le secteur public ? Et dans la fonction publique ?

Lionel Jospin : S’agissant de la fonction publique, je vous rappelle que M. Zuccarelli a engagé des consultations avec les organisations syndicales des fonctionnaires. Je ne veux pas, aujourd’hui, préjuger de leurs résultats. Nous souhaitons préserver le pouvoir d’achat des fonctionnaires et de l’ensemble des agents du secteur public. Mais personne n’aura oublié que le contexte budgétaire et financier de la France est délicat.

Les Échos : Quand prendrez-vous les premières décisions sur la réforme hospitalière ?

Lionel Jospin : En arrivant aux responsabilités, nous avons trouvé l’hôpital public dans un état de tension sociale, de blocage institutionnel, d’étranglement budgétaire et de vive inquiétude. Cette situation était le produit de la seule approche comptable du gouvernement précédent. Dans un premier temps, nous avons redonné aux hôpitaux les moyens d’assurer leur mission de service public de la santé. Au-delà, nous souhaitons engager la révision des schémas régionaux d’organisation sanitaire avant la fin de l’année 1998. Notre approche est qualitative.

Les Échos : Est-ce que s’attaquer à la réforme des régimes spéciaux de retraite fait partie de vos projets ?

Lionel Jospin : L’avenir du financement des retraites en France fait naturellement partie des préoccupations du gouvernement. L’enjeu collectif qu’il représente est considérable ; mais il s’agit d’un sujet qui touche au plus près de la vie de chaque Français. Plus que dans d’autres domaines, nous avons là, par conséquent, un devoir particulier d’explication, de pédagogie, de concertation. Tous les problèmes, y compris ceux liés aux régimes spéciaux de retraite, devront être abordés. Mais nous le ferons en concertation avec l’ensemble des partenaires sociaux.

Les Échos : Sur les fonds de pension, que ferez-vous de la « loi Thomas » ?

Lionel Jospin : Nous ne pouvons accepter le recours à un système de capitalisation qui déstabiliserait les régimes de répartition. Cette loi, parce qu’elle limite le rôle des partenaires sociaux et accorde des exonérations fiscales et sociales excessives, fait courir ce danger. Toutefois, le gouvernement n’est pas hostile à des mesures favorisant l’épargne en vue de la retraite. Personne ne conteste l’idée que les salariés du secteur privé puissent disposer de régimes de retraite « surcomplémentaires », c’est-à-dire de fonds de pension. D’autres catégories, tels les fonctionnaires ou les travailleurs indépendants, en bénéficient déjà. Nous devons également veiller à renforcer la solidité financière de nos entreprises, et leur permettre ainsi de se développer tout en étant à l’abri de tentatives d’acquisitions étrangères hostiles. C’est dans cet esprit que je souhaite que la représentation nationale réfléchisse à ces enjeux.

Les Échos : Vous aviez posé, avant votre arrivée à Matignon, quatre conditions pour faire l’euro. Lesquels maintenez-vous ?

Lionel Jospin : Avant de vous répondre, je voudrais rappeler que ces quatre conditions n’ont jamais représenté – comme l’ont peut-être cru certains… – un alibi pour ne pas faire l’euro, mais des conditions sérieuses, réfléchies, posées pour réussir le passage à l’euro. Aujourd’hui, ces conditions sont en passe d’être réunies. Un euro qui ne soit pas surévalué ? La montée du cours du dollar nous a donné raison et écarte ce risque. Un euro pour toute l’Europe ? Il est désormais acquis que l’union monétaire sera large. Et qu’en particulier l’Italie et l’Espagne devraient participer, dès le départ, à la constitution de la monnaie unique. Une concertation des politiques économiques ? Absente du débat politique il y a encore peu, cette idée a depuis fait son chemin : le Conseil de l’euro verra ainsi bientôt le jour. Un pacte de croissance et de solidarité pour compléter le pacte de stabilité ? À côté des critères de Maastricht, il existe maintenant les objectifs de Luxembourg et l’emploi fait – enfin ! – son entrée dans la construction européenne. C’est une première étape. Vous le voyez, en six mois, nous avons commencé à rééquilibrer la construction européenne.

Les Échos : Que ferait la France si la candidature de Jean-Claude Trichet à la tête de la BCE n’était pas retenue ? Par ailleurs, un nouveau président de la BERD doit être bientôt nommé ; doit-il être français ?

Lionel Jospin : Ensemble, nous avons considéré, le président de la République et moi-même, qu’il était légitime que la France présente un candidat à la présidence du directoire de la BCE, et que l’actuel gouverneur de la Banque de France avait les qualités requises pour occuper cette fonction. La candidature de Jean-Claude Trichet visait également à rappeler que le choix du président du directoire de la BCE doit rester, conformément au traité, le fait des responsables politiques des États et non le résultat d’une cooptation par les banquiers centraux eux-mêmes. Cette démarche n’exclut pas, le moment venu, une candidature française à la présidence de la BERD. Mais la présidence de la BCE reste notre priorité.

Les Échos : Pensez-vous avoir convaincu les Allemands ?

Lionel Jospin : Nous y travaillons. Mais nous devons aussi en parler avec nos autres partenaires européens.

Les Échos : Avec l’ouverture des frontières, la liberté de circulation des hommes et des capitaux s’est largement améliorée. Aujourd’hui, beaucoup d’observateurs s’alarment de voir le nombre de jeunes diplômés et de grandes fortunes partir à l’étranger. Est-ce que ce courant n’est pas inquiétant ?

Lionel Jospin : Il y a peu de temps, tout le monde se plaignait que les cadres refusent de s’expatrier. Aujourd’hui, ce serait le trop-plein… Soyons raisonnables. Avec le développement de l’intégration européenne et l’internationalisation de la vie économique, il est normal que les jeunes soient davantage attirés hors de France qu’ils ne l’étaient jusqu’alors. Cela nous conduit à nous rapprocher encore de nos partenaires.

Les Échos : Considérez-vous que la pression fiscale est aujourd’hui à son maximum en France ?

Lionel Jospin : Notre objectif est de réduire ces prélèvements dès que possible. Nous avons engagé ce mouvement puisque, pour la première fois depuis cinq ans, le niveau des prélèvements obligatoires sera stabilisé en 1998. Mais je n’oublie pas que notre fiscalité souffre autant du déséquilibre de sa structure que de son niveau excessif. Un rééquilibrage en faveur des revenus du travail par rapport à ceux du capital était ainsi indispensable : c’est dans cette perspective que s’inscrit le transfert de la quasi-totalité des cotisations d’assurance-maladie vers la CSG.

Les Échos : Comment voulez-vous réformer l’assiette des cotisations patronales ?

Lionel Jospin : Le financement actuel de la Sécurité sociale est injuste à un double titre : parce qu’il pénalise l’emploi et parce qu’il prive la Sécurité sociale de ressources importantes. Nous allons donc étudier les modalités d’une réforme de l’assiette des cotisations patronales qui permettraient de favoriser l’emploi et de dégager un financement nouveau pour la protection sociale. Mais nous veillerons à ce qu’un éventuel changement d’assiette ne provoque pas de transfert de charges massif entre entreprises ou entre secteurs.

Les Échos : Et qu’en sera-t-il de la fiscalité du patrimoine ?

Lionel Jospin : Comme vous le savez, ce chantier sera ouvert l’année prochaine. Je souhaite que nous simplifiions et rééquilibrions l’impôt entre les différentes catégories de patrimoines.

Les Échos : Les AGF vont vraisemblablement passer sous pavillon étranger. Le regrettez-vous ?

Lionel Jospin : Nous vivons dans un marché unique et nous serons bientôt en union monétaire. Je n’ai donc pas d’objection de principe à ce que des entreprises françaises fassent l’objet d’acquisition par des groupes étrangers. Mais à la condition, naturellement, que les pays d’origine de ces groupes soient eux-mêmes ouverts, en droit et en fait, à l’investissement étranger, notamment d’origine française. En ce qui concerne les AGF, il n’était pas de bonne politique de privatiser une entreprise financièrement fragile, avant de lui avoir, au préalable, assuré un actionnariat stable.

Les Échos : Est-ce que cela modifie vos projets de privatisation du CIC et du GAN ?

Lionel Jospin : Dans ma déclaration de politique générale, j’avais assigné comme objectif principal aux privatisations la recherche d’un partenariat français ou européen. Le projet de privatisation du CIC, qui s’inscrit dans cette perspective, n’est par conséquent pas remis en cause. Il vient même d’être engagé officiellement par la publication du cahier des charges. Je relève d’ailleurs que ce cahier des charges a fait l’objet d’une consultation, sans précédent pour les privatisations françaises ou étrangères, des salariés de ce groupe de banques régionales et des élus locaux, maires des villes sièges de celles-ci. L’opération concernant le GAN viendra en son temps.

Les Échos :  Les entreprises françaises ne sont-elles pas trop fragiles ?

Lionel Jospin : Prises dans leur ensemble, les entreprises françaises ne sont pas plus fragiles que leurs concurrentes. Ne généralisons pas à partir de quelques cas particuliers. Pour l’avenir, je souhaiterais que l’on ne nous suggère pas des objectifs parfois contradictoires : restructurer le système bancaire, assurer la puissance financière des entreprises, privatiser au plus tôt.

Les Échos : La Commission européenne semble durcir ses exigences vis-à-vis du Crédit Lyonnais. Faut-il s’attendre à sa privatisation rapide ?

Lionel Jospin : Selon la Commission européenne, la totalité des pertes du consortium de réalisation doit désormais être considérée comme une aide d’État accordée au Crédit Lyonnais. Sans me prononcer aujourd’hui sur la validité juridique ou la pertinence économique de ce raisonnement quelque peu nouveau, je souhaiterais ici préciser que nous avons envoyé fin juillet le plan stratégique que Bruxelles attendait depuis près d’un an, et rappeler que, pour le gouvernement, tout démantèlement du groupe est inacceptable. Pour ce qui concerne la privatisation, j’ai déjà indiqué que nous respecterions les engagements pris antérieurement, c’est-à-dire une privatisation au plus tard en l’an 2000.

Les Échos : Toujours sur le sujet des privatisations, jusqu’où êtes-vous prêt à ouvrir le capital de France Télécom ?

Lionel Jospin : L’ouverture du capital de France Télécom était justifiée par la nécessité de nouer les alliances, notamment européennes, qui sont la garantie de son développement. Elle a également permis une large association des salariés – désormais détenteurs de 20 % de son capital – à l’avenir de cette entreprise. La situation est aujourd’hui satisfaisante et il n’y a pas de raison d’accroître l’ouverture du capital au-delà de ces objectifs.

Les Échos : Et demain ?

Lionel Jospin : Je viens de vous répondre.

Les Échos : Comment comptez-vous faire évoluer les contours du secteur public ?

Lionel Jospin : Il convient de distinguer le secteur public des missions de service public. Celles-ci ne sauraient, en aucun cas, être remises en cause. S’agissant du secteur public concurrentiel, nous devons être attentifs au bon développement des entreprises, notamment dans le cadre européen, et leur donner les moyens de conclure les alliances stratégiques indispensables.

Les Échos : Comment comptez-vous organiser les rapports entre l’Aerospatiale et Dassault ?

Lionel Jospin : L’industrie aéronautique revêt un caractère stratégique pour l’économie de notre pays comme pour sa défense. Le gouvernement considère que l’intégration des activités tant civiles que militaires en Europe constitue la réponse appropriée aux regroupements massifs qui se sont opérés aux États-Unis. Il s’agit pour nous d’un objectif politique majeur. La transformation d’Airbus en société de plein exercice constituera une étape importante dans cette voie. Dans cette perspective, nous avons proposé à nos partenaires un professionnel indiscutable, M. Noël Forgeard, pour diriger Airbus. Nous avons également pris contact, au plus haut niveau, avec les autres gouvernements européens directement concernés afin de donner à ce processus de regroupement l’impulsion politique nécessaire.

Les Échos : Quel est votre programme de travail pour 1998 ?

Lionel Jospin : Poursuivre les réformes dans la durée, qu’il s’agisse de l’euro, des grands dossiers industriels, de la réforme de la justice, de la lutte pour l’emploi, de la sécurité des villes ou encore de la réforme fiscale. Mon projet s’inscrit dans le cadre d’une législature.

Les Échos : Sur le cumul des mandats, vous avez achevé vos consultations fin novembre, mais vous n’avez toujours rien annoncé. L’absence de consensus sur ce sujet vous gêne-t-elle ?

Lionel Jospin : J’aurais préféré un accord de tous sur une démarche audacieuse. Ce n’est pas le cas. Je tirerai les leçons de ce que j’ai entendu pendant mes consultations avec les responsables des principaux partis politiques. Mais si je ne m’en tenais qu’à cela, le dossier n’avancerait pas beaucoup. Car la droite est surtout intervenue pour poser des limites à l’exercice. Je ferai des propositions en janvier.

Les Échos : En allant jusqu’à interdire le cumul d’un mandat parlementaire et d’une fonction exécutive locale ?

Lionel Jospin : Vous verrez bien.