Déclaration de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, sur le rôle de l'Organisation internationale du travail (OIT), l'importance et le rôle de normes sociales dans les échanges internationaux et l'implication de la CGT au niveau européen pour la promotion des droits des salariés, Genève le 9 juin 1999.

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Circonstance : Réunion de l'Organisation internationale du travail (OIT) à Genève les 8 et 9 juin 1999

Texte intégral

« L'emploi est au coeur du mandat de l'OIT », a déclaré dans son rapport Monsieur Juan Somavia.

Les travailleurs français s'en félicitent car avec un nombre de victimes du chômage et de toutes les formes de sous-emploi, dont l'ordre de grandeur est le milliard, nous sommes très loin du « plein emploi productif et librement choisi », référence fondamentale de l'activité normative de l'OIT.

« Les marchés internationaux des capitaux ne sont plus en phase avec les marchés nationaux du travail d'où des risques et des avantages asymétriques pour le capital et le travail ». Cette circonstance affaiblit considérablement la portée d'un dialogue social, déjà compromise par l'absence ou l'insuffisance des libertés syndicales. À cette occasion, je voudrais me féliciter du travail effectué par l'OIT pour le respect des libertés syndicales dans le monde.

Les droits économiques et sociaux sont indispensables à une croissance durable et riche en emplois, tandis que la spéculation financière joue contre l'investissement productif : il convient d'y faire obstacle par la taxation des mouvements financiers spéculatifs et d'autres mesures de régulation appropriées.

Tant que les salaires et la protection sociale seront considérés comme des coûts à réduire, de simples variables d'ajustement, la « conversion de la croissance économique en équité sociale et en emploi à tous les stades de développement » sera éliminée de l'ordre du jour.

La ratification des conventions, la publicité des normes, rencontrent de nombreux obstacles et le contrôle de leur respect est souvent rendu inopérant par le recours à la sous-traitance, au travail précaire et au secteur « informel ».

L'environnement conventionnel international devient plus complexe tout en occultant, parfois intentionnellement, les interdépendances fortes entre tous les champs, économiques, sociaux et juridiques.

Les relations entre l'Organisation mondiale du Commerce et l'OIT sont restées au point mort depuis la conférence inaugurale de l'OMC à Singapour en décembre 1997. Nombre de gouvernements qui ont reconnu à l'OIT la compétence exclusive en matière de normes sociales refusent la mise en évidence et la traduction effective du lien entre les impératifs de ces normes et la réglementation des échanges internationaux.

En dénonçant ces normes fondamentales comme « protectionnistes », ou comme une atteinte à leurs « avantages comparatifs », ces gouvernements, et ceux qui, sur le banc des employeurs, les appuient ou parfois les inspirent, vont au-devant de difficultés majeures à brève échéance.

Il sera de plus en plus difficile à une entreprise de réussir sans une bonne image sociale. Aucun pays ne pourra se développer durablement par le travail forcé ou l'exploitation des enfants.

À l'occasion du prochain Sommet mondial de l'ONU l'an prochain, l'OIT devra s'efforcer de promouvoir la dimension sociale du développement comme un de aspects majeurs de la maîtrise du processus de globalisation et de mondialisation. La prise en compte de cette dimension requiert un renforcement du poids des organisations sociales et de développement humain de l'ONU vis-à-vis des institutions financières et commerciales, dont les actions dans la dernière décennie ont plutôt contribué à creuser le fossé entre les « riches » et les « pauvres », à multiplier le nombre des pays classés dans les « moins avancés », à déstructurer l'économie et les systèmes de protection sociale.

Notre organisation veut s'impliquer en Europe et dans le monde dans la construction démocratique de solution alternatives. Celles-ci devraient être portées par des programmes diversifiés de « codéveloppement », orientés vers le plein emploi, le progrès social et l'affirmation des droits fondamentaux au travail, à la santé, à l'éducation et à la formation, à la protection sociale. Ce projet peut aussi fortement contribuer à résorber les tensions dans le monde, à sortir de la crise, partout où elles ont malheureusement débouché sur des conflits aux conséquences désastreuses.

Ce projet doit devenir celui de l'Union européenne. Il appelle une collaboration féconde de ses institutions et de ses États membres avec une OIT renforcée, outil international essentiel pour la connaissance et l'analyse des réalités du monde du travail, pour son activité normative au service de la promotion des droits des travailleurs, pour sa capacité de conseil indépendante et autonome. L'attitude du gouvernement français qui a fortement abondé sa contribution le 19 mai dernier va dans ce sens. Il faut que l'Europe aille encore plus loin.

(Source http://www.cgt.fr, le 9 juin 1999)