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Civique : Monsieur le ministre, quelle place le ministère de l’Intérieur doit-il, selon vous, tenir dans la société française d’aujourd’hui ?
Jean-Pierre Chevènement : Le ministère de l’Intérieur doit être le ministère de l’intégration républicaine, l’intégration de tous dans la Nation et dans la République. Au succès de son action, il est bien sûr une condition : que l’économie retrouve le chemin de la croissance et de la création d’emplois. Car l’absence de travail, qui confère à chacun sa place et son utilité dans la société, rend l’intégration beaucoup plus difficile.
Mais l’intégration implique aussi la citoyenneté, ensemble indissociable de droits et de devoirs. Le ministère de l’Intérieur est donc aussi le ministère des libertés publiques. La force publique est la garantie de l’exercice des libertés, spécialement pour les plus démunis qui habitent les quartiers les plus difficiles. Le ministère de l’Intérieur est enfin un centre d’impulsion pour soutenir l’action des collectivités locales, faire fond sur toutes les forces de la France dans l’action contre le chômage et dans la promotion d’une citoyenneté active et responsable.
Civique : Compétence du ministère de l’Intérieur, l’administration du territoire est exercée sur le terrain par les préfets. Au regard de la décentralisation, poursuivie depuis 1983, y a-t-il un rôle particulier que vous souhaiteriez voir tenir ou développer par les représentants de l’État dans les régions et les départements ?
Jean-Pierre Chevènement : La déconcentration et la décentralisation vont de pair. Les préfets sont les représentants de l’État, dans la diversité de ses fonctions et de ses missions. L’unité nationale, garante de l’égalité des citoyens, est assurée notamment par l’administration préfectorale. De nouvelles responsabilités sont devant elle, et d’abord celle d’animer et de soutenir l’action des collectivités locales pour l’emploi. Chacun en est aujourd’hui convaincu : aussi heureux que soit le succès d’une politique économique nouvelle, d’une relance de la croissance, les capacités du secteur productif à créer des emplois resteront limitées. Les besoins sont immenses en revanche, qui appellent des emplois de proximité, depuis l’encadrement des enfants et des adolescents dans les activités sportives ou artistiques, jusqu’à l’aide aux personnes dépendantes, en passant par la sécurité des personnes et des biens, et la protection de l’environnement. Si nous savons renouer avec l’expansion, ces besoins seront solvables. Il y a là un champ privilégié pour l’intervention des collectivités locales.
L’État les aidera puissamment, en permettant spécialement l’embauche de jeunes, susceptibles d’occuper de tels emplois. Pour soutenir les collectivités locales, pour les inciter à prendre toute leur part dans l’action, je suis sûr de pouvoir compter sur le sens élevé des responsabilités dont ont toujours fait preuve les préfets, représentants de la République dans les départements et les régions.
Civique : Second volet des compétences de l’Intérieur, la sécurité des personnes et des biens est assurée par la police nationale et la sécurité civile. Si les missions de la seconde sont d’une lecture aisée, celles de la police balancent, suivant le cours de l’histoire et les circonstances, entre une répression attentive et une prévention énergétique. Quelle police le pays peut-il attendre en 1997 ?
Jean-Pierre Chevènement : Il n’y aura pas de liberté pour tous nos citoyens, ni individuelle, ni collective, si leur sécurité n’est pas garantie. La sécurité des personnes et des biens doit être assurée, pour tous et partout. Et d’abord dans les quartiers difficiles, pour les plus défavorisés. Pour eux, la délinquance est encore plus insupportable ; face au vol, ils sont les plus démunis, face à l’agression, ils sont les plus désarmés. L’aspiration à la sécurité, voire simplement à la tranquillité, est légitime. On ne peut laisser se créer une société à deux vitesses, dans laquelle il y aurait d’un côté des quartiers protégés, le cas échéant, par des services de sécurité privés, et de l’autre des zones où le droit n’aurait pas force de loi. La sécurité de nos concitoyens est un facteur de cohésion sociale, d’intégration républicaine. C’est le premier devoir de l’État.
La répression des crimes et délits est indispensable. Leur prévention, utile. Elles n’atteindront pas leur but si, dans l’immense majorité de la population, dès l’enfance, dès l’adolescence, on n’a pas su faire naître et vivre durablement un profond sentiment d’attachement aux valeurs de la République, le respect de la chose publique, le sens de l’intérêt général ; bref, cette adhésion à une citoyenneté active et responsable, ensemble indissociable de droits et de devoirs qui fondent la démocratie dont je parlais tout à l’heure.
L’anomie sociale est le risque qui guette nos sociétés : rien n’est plus important que de faire comprendre à chacun, dès le plus jeune âge, que la liberté implique, pour s’épanouir, le respect de quelques règles simples de vie commune.
C’est là le rôle de l’éducation civique que je me suis efforcé, il y a douze ans, de réintroduire à l’école, et à laquelle il faut redonner toute sa place, de l’école primaire à l’université, mais aussi dans la vie du pays tout entier.