Texte intégral
RTL : Ce XXe sommet franco-britannique a pris fin en début d’après-midi, un sommet où plusieurs dossiers délicats devaient être évoqués. Quel bilan en tirez-vous ?
Hubert Védrine : Mon impression est très bonne sur ce sommet. Un sommet franco-britannique, cela a lieu chaque année. C’est un check-up général des relations entre les deux pays et nous avons abordé l’ensemble des sujets bilatéraux, européens, de politique internationale, les sujets difficiles comme ceux qui le sont moins. Le sommet est fait pour cela. Et sur tous les sujets, que ce soit au niveau du président ou du Premier ministre ou de M. Strauss-Kahn, M. Richard, M. Moscovici ou de moi-même, on a, je crois, bien balayé l’ensemble des sujets du moment. En tout cas, on s’est parfaitement expliqué et compris. Rien n’est réglé par miracle par des sommets de ce type mais c’est une très utile mise au point ?
RTL : S’il y a des sujets d’accord, il y a des points de divergence ?
Hubert Védrine : Forcément, il y a aucun sujet sur lequel deux pays automatiquement ont le même point de vue. Cela n’existe pas.
RTL : Alors précisément ?
Hubert Védrine : Sur les questions européennes, il y a de larges convergences : sur la façon d’aborder les échéances à venir les négociations d’élargissement, la grande conférence qui doit réunir tous les pays membres et candidats, sur les débuts de discussion sur l’agenda 2001, même sur le préalable institutionnel. Avec les Belges et les Italiens, nous insistons pour que l’Europe modifie ses institutions pour pouvoir continuer à bien fonctionner après, même à plus de quinze. Il y a beaucoup d’entente sur ces points.
RTL : Est-ce que le conflit des routiers français a contrarié ce sommet ?
Hubert Védrine : Non, il n’a pas contrarié car il n’a empêché aucune des discussions dont nous parlions sur aucun plan. En revanche, ce qui est vrai c’est que nos amis britanniques nous ont demandé où on en était. Et là-dessus, le Premier ministre leur a expliqué comment et dans quelles conditions le Gouvernement avait pris à bras le corps dès le début cette affaire des routiers et sur laquelle il faut être très prudent. Nous attendons des développements plus positifs dans les heures qui viennent et il a également – mais les Britanniques le savent très bien – rappelé que la France, dès le début, avait informé tous ses voisins européens de ce qui se préparait et du déroulement du conflit et des négociations pour qu’aucun d’entre eux ne soit pris complètement au dépourvu. Je crois que les Britanniques ont beaucoup apprécié cette façon de procéder mais naturellement ils espèrent, comme nous bien sûr, le dénouement le plus proche possible.
RTL : Mais quand Tony Blair dit qu’une telle crise comme cela est impensable en Grande-Bretagne, cela a de quoi agacer ?
Hubert Védrine : Non, je pense qu’il parle à un public britannique qui a une autre idée sur la question des transports. Et puis de toutes façons, cela ne fait pas disparaître la réalité des problèmes que nous avons à régler dans ce secteur. La question est de savoir si nous prenons bien le sujet et si nous faisons tout ce que nous pouvons pour lui trouver une solution rapide. Il y a une question de géographie aussi puisque les autres routiers n’ont pas besoin de traverser la Grande-Bretagne pour que le commerce ait lieu en Europe.
RTL : Vous avez parlé tout à l’heure de discussions concernant l’Europe. Quelle est la position de Tony Blair sur la candidature de J.-C. Trichet à la tête de la future Banque centrale européenne ?
Hubert Védrine : Les Britanniques reconnaissent que la France est tout à fait en droit d’avoir un candidat dans une affaire où rien n’était tranché.
RTL : Mais est-ce qu’ils sont prêts à soutenir la France ?
Hubert Védrine : Cela je ne peux vous le dire à ce stade. Nous verrons bien. De toutes façons, la décision n’a pas lieu demain matin. Ce qui est sûr, c’est qu’après un premier moment d’interrogation disons en Europe, dans certains cas de surprise, chacun reconnait que le fait que la France ait un candidat pour ce poste important est parfaitement légitime. En plus les qualités, les compétences tout à fait remarquables de M. Trichet sont unanimement saluées même si tel autre pays peut avoir d’autres idées sur les candidatures. On verra. C’est une discussion qui s’engage.
RTL : Lorsque Tony Blair dit dans une interview à un journal français que la Grande-Bretagne doit être, je cite, « l’acteur dominant de l’Europe », est-ce que là aussi cela a de quoi vous irriter un tout petit peu ?
Hubert Védrine : Non, j’y vois un message adressé par ricochet, via un journal français, à une partie de l’opinion britannique.
RTL : Encore ?
Hubert Védrine : Vous savez, c’est important pour les dirigeant démocratiques de parler à leur propre opinion. C’est un message adressé à cette partie de l’opinion britannique qui a toujours pensé que le destin de la Grande-Bretagne ne se jouait pas en Europe. Or, Tony Blair a une conception très moderne des choses. Il prend acte de la réalité européenne sur beaucoup de plans, sur l’euro dont il dit qu’il rejoindra dès que ce sera possible – ce qui est une attitude extrêmement positive et encourageante pour la suite – et sur ce point particulier, il dit : nous voulons être pleinement en Europe pour y jouer un grand rôle. Naturellement, il sait bien qu’en Europe, la France joue un grand rôle, l’Allemagne joue un grand rôle et que nous aurons à faire converger nos énergies respectives.
RTL : Quelles impressions retirez-vous de Tony Blair ? Un Premier ministre qui a une vision moderne de la politique, un homme qui veut effacer une certaine image de l’intransigeance britannique que l’on a connue ?
Hubert Védrine : C’est un homme qui est pleinement de son époque, qui aborde les questions avec une énergie sympathique et communicative et qui ne s’embarrasse pas, me semble-t-il, de questions d’un autre temps et qui par exemple sur ces questions, sur cette dialectique entre ce que doit être l’approche nationale, d’autre part une action au sein de l’Europe, une vision mondiale des sujets, les aborde spontanément sous l’angle de leur combinaison et non pas de leur opposition stérile. Il est un dirigeant, comme beaucoup, qui essaye d’être en Europe et ailleurs et cela facilite énormément les communications entre nous.