Conférence de presse de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, sur les positions françaises pour le sommet de Kyoto sur l'effet de serre et sur le plan national de lutte contre l'effet de serre, Paris le 26 novembre 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Dominique Voynet - ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement

Circonstance : Conférence internationale sur la lutte contre l'effet de serre à Kyoto (Japon) du 1er au 11 décembre 1997

Texte intégral

Je ne reprendrai pas ici dans cette conférence de presse une présentation du mécanisme de l'effet de serre, je vous renvoie aux articles que vous écrivez vous-mêmes en ce moment sur le sujet.

J'aborderai deux points :

- la présentation de position française pour la négociation de Kyoto de la semaine prochaine ;
- et le Plan national sur l'effet de serre que j'ai présenté en Conseil des ministres ce matin.

* La négociation de Kyoto

- Le contexte

La France a joué un rôle actif dans la prise en compte de l'effet de serre. Elle a été à l'origine de l'organisation, en 1989, de la première conférence internationale sur le sujet à La Haye. La convention-cadre sur le changement climatique, élaborée sous la présidence d'un Français, monsieur Jean Ripert, et signée lors de la conférence de Rio de 1992, a prévu que les pays industrialisés s'engageraient à faire revenir, en l'an 2000, leurs émissions de gaz à effet de serre à leur niveau de 1990. Les données scientifiques n'ont cessé, depuis la conférence de Rio, de confirmer la progression de l'effet de serre. Un mandat de négociation, adopté à Berlin en 1995, a donc exprimé la nécessité de faire des efforts supplémentaires de réduction. Or, les engagements pris à Rio ne seront vraisemblablement respectés que par peu de pays dont l'Union européenne.

Trois types de positions sont en présence.

Les pays les plus émetteurs et ayant réalisé peu d'efforts massifs de maîtrise des émissions de gaz à effet de serre, comme les États-Unis, le Canada, l'Australie, la Russie, l'Arabie Saoudite... refusent des réductions significatives et s'opposent à des mesures décidées collectivement. Ainsi, les États-Unis proposent une stabilisation des émissions en 2010 par rapport à 1990 assortie de multiples conditions préalables. Or un Américain émet en moyenne 5,5 t de carbone par an.

Les pays en développement s'inquiètent de l'obstacle au développement que constitueraient des contraintes environnementales sur leur économie, alors qu'au même stade de développement les pays industrialisés n'en avaient pas subies. La conférence de Berlin avait décidé que ne s'imposerait pas à eux une obligation de réduction des émissions. Certains pays en développement pourraient cependant déjà s'associer par un effort volontaire.

L'Union européenne a élaboré une position commune de négociation de réduction de 15 % pour les pays développés, en déclinant par État Membre son effort de réduction des émissions entre 1990 et 2010. Un tel effort de réduction implique à la fois des dispositifs communautaires et des actions nationales.

Le Japon, pays organisateur, propose un objectif de réduction de 5 % en 2010 par rapport à 1990.

- Les principes

Je conduirai la délégation française à Kyoto avec un triple souci :

- rechercher un accord. En effet, un échec, après le peu de mise en œuvre des conclusions de la conférence de Rio, discréditerait les responsables publics du monde entier, incapables, une fois encore, de répondre à un défi planétaire ;
- rechercher l'équité. Cet accord doit notamment s'attacher à ce que les pays les plus émetteurs réduisent leurs émissions. Le niveau de vie moyen d'un Français et d'un Américain sont proches alors que le second émet annuellement trois fois plus de gaz carbonique que le premier. L'enjeu est de taille, les pays les plus émetteurs sont aussi ceux qui, par les technologies qu'ils diffusent à travers le monde, déterminent à long terme le niveau d'émission des autres pays ;
- rechercher l'efficacité. Le risque est grand qu'un mécanisme de permis négociables basé sur le seul fonctionnement du marché, ne s'avère être qu'un écran de fumée permettant de souscrire à un accord de limitation sans s'engager sur aucune mesure concrète. Au-delà des déclarations solennelles, il s'agit de mettre en place des dispositifs dont l'efficacité soit garantie.

- La position française pour Kyoto

Le souci de lutter contre un phénomène aux conséquences majeures et l'attente de l'opinion publique internationale imposent de rechercher un accord de tous les pays au nom du principe de précaution. A cet effet, la France soutient donc les efforts européens pour la mise en place de mécanismes collectifs efficaces, fiables et mesurables de réduction des émissions des gaz à effet de serre.

A Kyoto, la France défendra la position européenne et notamment :

- la fixation de niveaux de réduction d'émissions ambitieux, qui après 2010 devront être différenciés par pays, en se fondant sur une convergence à long terme des niveaux d'émissions par habitant ou par point de PIB ;
- la nécessité de préserver la solidarité de l'Union dans une « bulle européenne » : dans ce cadre, la France a proposé de stabiliser ses émissions de gaz à effet de serre ;
- la mise en place de politiques et mesures coordonnées (réglementations. normalisations, taxation des émissions de gaz à effet de serre) qui permettent des mécanismes de régulation collective ;
- l'aide aux pays en développement pour améliorer l'efficacité énergétique de leur économie par des transferts de technologies et au moyen du fonds pour l'environnement mondial ;
- la subordination d'une éventuelle acceptation d'un système de permis négociables à la fixation préalable d'objectifs de réduction ambitieux.

L'acceptation par la France d'un système de permis négociables dépendra de l'adoption de dispositions très précises : un contrôle international des échanges entre États au sein d'une bourse, un système de sanctions en cas de non-respect des engagements et une répartition initiale de ces permis équitable par pays. Il ne faudrait pas en effet qu'un système d'acquisition de droits à polluer, associé à des objectifs trop faibles, dispense de tout effort national via, par exemple, des achats de permis dans les pays de l'Est. Un tel mécanisme doit, en outre, être compatible avec des politiques nationales utilisant des outils réglementaires et fiscaux.


* Le plan national de lutte contre l'effet de serre

- La situation française

La France est un des pays industrialisés dont le niveau d'émissions de dioxyde de carbone par habitant est le plus bas (1,8 t de carbone par habitant et par an). Cette bonne performance découle de la quasi-absence d'émissions par le secteur électrique compte tenu de la part du nucléaire, une contribution à hauteur de 12 % des énergies renouvelables à notre approvisionnement énergétique, des efforts importants de maîtrise de l'énergie réalisés au lendemain des chocs pétroliers et un parc automobile plutôt économe en énergie par rapport à d'autres pays. Depuis 1990, les émissions françaises de CO2 ont été stabilisées dans un contexte de très faible croissance et de bonne disponibilité du parc nucléaire. En période de croissance, la poursuite de la stabilisation des émissions de gaz à effet de serre implique un programme d'actions ambitieux.

Les bonnes performances passées de la France en matière de lutte contre l'effet de serre montrent la voie à suivre, celle d'une efficacité énergétique croissante. Or, cet effort, intervenu lors du premier choc pétrolier, s'est significativement relâché depuis le début de la décennie.

Il convient d'éviter le choc destructeur qu'auraient sur notre économie des mesures de réduction décidées trop tard devant l'aggravation des impacts environnementaux. C'est pourquoi le Gouvernement veut engager la France dans une transition progressive.

Sur la base des travaux de la Mission Interministérielle contre l'Effet de Serre, constituée en 1992, un document a été transmis aux instances internationales après concertation avec les différents départements ministériels. Mais plusieurs mesures prévues, parmi les plus importantes sur le long terme, n'ont pu être réalisées.

La mise en œuvre de la loi sur l'air et sur l'utilisation rationnelle de l'énergie contribuera à réduire les pollutions atmosphériques.

- Les principes

Le Gouvernement adopte un nouveau plan national de lutte contre l'effet de serre, construit autour des principes suivants :

- il existe de nombreuses mesures permettant de gagner sur plusieurs plans, c'est à dire qui réduisent les pollutions, permettent la création d'emplois et sont rentables grâce à la réalisation d'économies d'énergie, l'amélioration de la qualité de la construction et des procédés industriels ou le recyclage des matières premières. Ces actions diminuent les dépenses de fonctionnement, favorisent l'innovation et substituent à l'importation de combustibles la création d'emplois en France. Tous les investissements réduisant l'effet de serre simultanément bénéfiques pour l'économie et l'emploi doivent être progressivement réalisés. L’État mettra en œuvre les mécanismes (aide à la décision, réglementation, normalisation…) qui le permettent et mobilisera les acteurs du marché pour engager leur réalisation ;
- la construction d'infrastructures à longue durée de vie doit être optimisée pour prendre en compte l'effet de serre. Cela concerne la construction des logements et des bâtiments tertiaires, la conception d'installations industrielles nouvelles et d'infrastructures de transport ;
- un effort de sensibilisation du public et d'éducation sera engagé afin de faire évoluer les comportements individuels ;
- la France accroîtra sa coopération au plan européen pour harmoniser les politiques de lutte contre l'effet de serre avec le souci de faciliter l'adaptation à cette contrainte de l'industrie lourde. Cette coopération concernera notamment l'harmonisation des fiscalités, la normalisation des biens de consommation et la coordination des programmes de recherche.

Le Plan de lutte contre l'effet de serre, préparé par la MIES, consolide les mesures mises en œuvre au titre de plusieurs politiques dont la politique énergétique élaborée par le secrétariat d’État à l'Industrie.

Pour l'exécution de ce plan, le Gouvernement confie à Monsieur Michel Mousel, contrôleur d’État, la mission de veiller à l'adéquation entre les engagements internationaux et leur mise en œuvre nationale avec l'appui de la MIES qui devra être renforcée. L'Ademe contribuera à l'exécution de cet effort. Les dispositions qu'elle a prises feront l'objet d'une évaluation par ses tutelles ministérielles dans un délai de six mois.

Une évaluation de la politique nationale de lutte contre l'effet de serre sera présentée annuellement à l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques.

- Les mesures du Plan national

La directive européenne sur la taxation de l'énergie

La France est favorable à l'adoption d'une directive européenne de taxation des produits énergétiques pour harmoniser la fiscalité en fixant des minima d'accises par énergie. La taxation devra s'appliquer sur les consommations des usagers, et en ce sens elle constitue une incitation à la maîtrise de l'énergie. Elle devra également tenir compte du caractère polluant des combustibles fossiles. Elle propose de plus un relèvement des taux minima d'accises pour le gazole.

Cette harmonisation fiscale constitue un message fort vis à vis des consommateurs d'énergie. Même si les prix des énergies sont aujourd'hui bas, cela reste une priorité d'économiser l'énergie notamment pour réduire les émissions polluantes.

Bâtiments

Le secteur des bâtiments constitue un domaine dans lequel d'importants efforts ont été réalisés dans le passé mais qui doivent être renforcés.

- Le niveau d'exigence de la réglementation thermique dans l'habitat neuf sera renforcé et un système de contrôle mis en place. La consommation énergétique moyenne d'un logement neuf baissera de l'ordre de 7 % par rapport à la réglementation thermique de 1989. Compte tenu de l'amélioration progressive des composants et des techniques du bâtiment, un logement construit en 2000 ne consommera guère plus du tiers que le même construit en 1970. Cette mesure sera mise en œuvre à partir de 1999.

- Le secteur tertiaire connaîtra une évolution équivalente avec une réglementation thermique pour la construction neuve qui s'alignera sur celle de l'habitat. Sa mise en œuvre est prévue d'ici juin 99.

En complément un effort de normalisation portera sur l'isolation des bâtiments, la régulation thermique et le chauffage pour permettre la généralisation de l'utilisation d'équipements à haute performance et économiquement rentables. Cette mesure recoupe partiellement les précédentes pour les constructions nouvelles mais s'appliquera aussi aux travaux sur les bâtiments anciens. Les progrès récents dans les composants du bâtiment ont porté notamment sur les vitrages. Des concertations avec les professionnels devront fixer les normes sur ces composants du bâtiment.

- La réglementation prévue dans la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie sera adoptée afin que les usagers disposent de l'information sur les consommations de chauffage des logements mis en vente ou en location.

- La circulaire de janvier 1991, relative aux mesures d'économies d'énergie dans les administrations et établissements publics de l’État sera réactualisée à la lumière de leur consommation énergétique. L’État doit montrer l'exemple en économisant l'énergie et donc en réduisant ses dépenses de fonctionnement.

Cet ensemble de mesures permettra de réduire significativement les consommations d'énergie et les émissions de polluants par le chauffage des bâtiments. Pour ce secteur, le Plan repose essentiellement sur des mesures réglementaires et l'information des usagers.

Il sera en outre indispensable d'associer le secteur bancaire pour assurer la réalisation des investissements de réhabilitation des logements et des bâtiments tertiaires.

Industrie

Deux types d'industries sont à distinguer, d'un côté les industries lourdes très grosses consommatrices d'énergie et d'un autre côté les industries manufacturières surtout composées de PMI.

- De nouveaux accords volontaires avec des branches industrielles, fortes consommatrices d'énergie, seront conclus pour économiser l'énergie et réduire les pollutions. Parmi les branches concernées : la sidérurgie, l'agro-alimentaire, le papier-carton, la fonderie… L'annonce par Elf, il y a quelques jours de s'engager à réduire de 15 % les émissions de gaz à effet de serre mérite d’être saluée. Par ailleurs, on attachera une importance particulière à la conception de sites industriels nouveaux et aux transformations importantes des unités industrielles.

- Les aides à la décision en faveur des économies d'énergie en direction des PMI seront relancées à travers les Fonds régionaux d'aide au conseil sur l'énergie. Les petites entreprises ne disposent pas en effet des savoir-faire nécessaires en interne et nécessitent une expertise extérieure.

- Les dispositions réglementaires destinées à réduire les émissions de N2O par l'industrie seront élargies pour réduire l'impact sur le climat de ce puissant gaz à effet de serre. Les systèmes de dépollution devront donc être généralisés.

La méthode utilisée pour réduire les émissions du secteur industriel consiste à développer la concertation avec les branches les plus consommatrices d'énergie et de subventionner les études d'économie d'énergie pour les PMI.

Transports

En 2010, le secteur transport représentera à lui seul près de 40 % des émissions de CO2 par la France, c'est dire son caractère central.

Les priorités sont les suivantes :

- la recherche, au niveau européen, d'engagements volontaires avec les constructeurs automobiles permettra de réduire la moyenne des émissions de gaz carbonique au km des véhicules neufs. La moyenne d'émission d'une voiture est de 165 g de CO2 par km, nous voudrions négocier avec les constructeurs une valeur de 140 g de CO2 par km. La Commission européenne aimerait obtenir à long terme une valeur de 120 g de CO2 par km. Que ce soit au titre de l'effet de serre ou de la pollution urbaine il faut améliorer les véhicules neufs mis en circulation. Cet effort d'amélioration des véhicules portera également sur les petits utilitaires urbains ;

En outre, les directives Auto-oil récemment adoptées par le Conseil des ministres européens de l'Environnement permettront de réduire progressivement les polluants émis par les véhicules en agissant sur la qualité des carburants et l'amélioration des véhicules.

- le plafonnement de la puissance massique des poids lourds sera également mis en œuvre. Les moteurs des poids lourds sont nettement surdimensionnés compte tenu des limitations de vitesse ;
- les plans de déplacements urbains prévus dans la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie seront élaborés. Ils devront rechercher la complémentarité entre les modes de transport ;
- le développement de transports collectifs en site propre sera effectué sous l'égide du ministère des Transports. Dans le même état d'esprit sera développé le transport combiné rail-route.

Il apparaît qu'à échéance de 2010, ce sont les améliorations apportées aux véhicules neufs qui permettront le plus de réduire les émissions polluantes.

Progressivement, le développement du transport combiné de marchandises et celui des transports collectifs auront un impact structurant.

En tant que ministre de l'Aménagement du territoire, je tiens à insister sur l'importance de la localisation des emplois et des activités sur le territoire. En 20 ans la distance moyenne domicile-travail a doublé. Il faut inverser la tendance.

Électricité

- Le développement des économies d'électricité, notamment dans l'éclairage par la diffusion de lampes basse consommation, permettra de réduire l'utilisation de combustibles fossiles.

- La cogénération sera développée dans le cadre de l'ouverture du marché de l'électricité. D'ici 2010, la part du nucléaire diminuera mécaniquement dans la production électrique. Ensuite, se posera la question du remplacement du parc nucléaire. Pour disposer alors de la liberté de choix nécessaire, il est essentiel bien évidemment que la France est engagé la réduction de ses émissions de gaz carbonique.

Compte tenu d'un secteur électrique en France peu émetteur de gaz carbonique, les efforts doivent porter sur les usages de pointe hivernale qui nécessitent le démarrage de centrales thermiques. Il s'agit de l'éclairage et du chauffage domestique.

Les énergies renouvelables

- Le développement des énergies renouvelables constituera une priorité dès lors que leur coût sera inférieur à celui des énergies distribuées, par exemple, en Corse et dans les Dom-Tom.

- L'extension du plan bois-énergie et la réduction de la TVA sur le bois de chauffage permettront de mieux tirer parti de l'atout que constitue la forêt française.

Les autres secteurs

- 30 000 ha de forêt seront plantés chaque année d'ici 2005 (contre 12 000 en moyenne actuellement) et une utilisation plus importante du bois comme matériau de construction sera encouragée afin d'absorber du gaz carbonique.

- Le captage et la valorisation du gaz méthane issu des décharges existantes de déchets ménagers seront réalisés.

- Par ailleurs, les émissions de méthane intervenant au cours du stockage des lisiers seront réduites.

Les mesures qui précèdent nécessiteront plusieurs mois pour leur mise en œuvre en concertation avec acteurs concernés.

Il s'agit là d'un premier train de mesures, à caractère avant tout réglementaire, qui constitue un premier engagement de la France avant même la conférence de Kyoto.

Comme je l'ai dit, la France recherchera un accord international à Kyoto pour que s'engage le plus vite et le plus progressivement possible une mutation de notre économie et de nos comportements. Il est clair que la préparation du budget 99 devra prendre en compte les conclusions de cette négociation internationale. Entre temps, sera affinée l'analyse des actions à engager qui s'avèrent positives pour l'environnement l'économie et l'emploi. Le Plan sera complété sur la base des 4 principes que j'ai développés tout à l'heure.