Texte intégral
LE JOURNAL DU DIMANCHE - 18 juillet 1999
Q - Quel est le but de cette campagne ?
- « Elle est essentielle. Elle sera générale, mais aussi ciblée sur les jeunes et les femmes en difficulté. Dans les collèges et les lycées, par exemple, il y aura des campagnes de sensibilisation avec un rôle renforcé des infirmières scolaires. »
Q - De quelle manière voulez-vous revenir sur la loi de 1975 ?
- « le rapport que j'ai demandé au professeur Israël Nisand sur l'application de la loi de 1975 montre qu'elle est globalement satisfaisante. Mais elle n'est pas appliquée partout avec la même efficacité. Il reste des progrès à faire dans le cadre actuel. Le rapport formule des propositions que je retiens. Nous allons développer, dans chaque région, un lieu, institutionnel ou non qui va coordonner l'information sur la contraception et l'IVG, mais qui sera aussi un lieu d'accueil et d'orientation pour les femmes. Certaines régions sont dépourvues de tels lieux. Ensuite, nous allons mettre en place des cycles de formation continue pour les médecins et le personnel médical auxquels doivent contribuer les associations actives en matière de planning familial. Dans la réforme des études médicales, en préparation avec Claude Allègre seront intégrés des cours d'orthogénie pour l'ensemble des médecins et non pas seulement pour les gynécologues-obstétriciens. Enfin, il faut améliorer, dans certains hôpitaux, l'accueil et l'accompagnement. »
Q - Les problèmes au niveau des hôpitaux sont souvent stigmatisés…
- « Je vais rappeler aux établissements hospitaliers publics et privés qu'ils doivent proposer aux femmes l'ensemble des méthodes IVG qui existent. Notamment le RU 486, une pilule qu'on peut prendre jusqu'à la sixième semaine de grossesse, qui évite l'intervention chirurgicale, et qui est donc moins traumatisante. Pour diverses raisons, la production à une époque était complètement arrêtée. Aujourd'hui, la France vend ce médicament dans dix pays européens. Enfin, il n'y a pas suffisamment de places. Beaucoup de femmes doivent attendre, au risque de dépasser le délai de dix semaines. Nous allons augmenter les postes de praticiens hospitaliers en orthogénie. Je souhaite que chaque service de gynécologie-obstétrique puisse pratiquer des IVG. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Je ne vois pas comment on peut être chef de service de gynécologie-obstétrique si on n'accepte pas qu'il y ait, dans ce service, une activité d'orthogénie, même si je ne reviens pas sur la clause de conscience. Mon idée est de normaliser et non pas de banaliser l'IVG. Car je continue à penser que c'est un traumatisme, et toujours le dernier recours en cas d'échec de la contraception. »
Q - Avez-vous l'intention de modifier la loi Veil ?
- « Nous nous donnons un an pour décider. Le rapport Nisand souligne plusieurs problèmes auxquels nous allons réfléchir. D'abord, celui du délai. La plupart des pays industrialisés l'ont mis à douze semaines. Il n'y a apparemment pas de raison médicale qui s'oppose à ce que la France porte ce délai de dix à douze semaines. Ensuite, pour les mineures, le rapport propose de supprimer l'autorisation parentale. Là, je suis beaucoup plus réservée. C'est vrai qu'il est paradoxal qu'on puisse donner l'autorité parentale à une maman mineure alors qu'on exclut qu'elle puisse décider d'elle-même d'une IVG. Il est aussi paradoxal, pour avoir une IVG, d'imposer des conditions plus dures à une mineure qu'à une majeure. Mais une mineure a besoin d'être accompagnée. Et ce n'est qu'au moment où on insiste sur la responsabilité des parents qu'il faut les écarter. »
Q - Ne craignez-vous pas de déclencher un débat aussi violent que pour le Pacs ?
- « Les droits que les femmes ont acquis avec une très grande difficulté – il faut rendre hommage aux associations qui se sont battues et à Simone Veil qui a eu le courage de réaliser cette grande avancée – doivent être normalisés. Je ne crains pas le problème politique. Mais rien ne serait pire pour les femmes que d'entrer dans le XXIe siècle avec un débat caricatural entre pro et anti-IVG. »
L'HUMANITÉ - 19 juillet 1999
Q - Quelle est votre réaction face aux menaces dont le Pr Nisand et vous-mêmes êtes l'objet ?
Martine Aubry : « Ni lui ni moi ne sommes sensibles à ce chantage. Si je devais faire attention à toutes les lettres de menaces que je reçois, ce ne serait pas possible. Je n'ai donc pas porté plainte. Quant aux attaques antisémites dont le professeur Nisand fait l'objet, elles sont inadmissibles. C'est ignominieux et inacceptable. Le Gouvernement a donc décidé de le faire bénéficier d'une protection rapprochée de la police. En outre, nous le soutenons, financièrement et politiquement, dans son action en justice contre ces associations anti-IVG et lui avons fourni un avocat afin d'assurer sa défense. Et je tiens à le remercier de nouveau pour sa collaboration et à lui renouveler tout mon soutien. »
Q - Quelle attitude allez-vous adopter vis-à-vis de ces fanatiques ?
Martine Aubry : « Il ne faut pas oublier qu'il ne s'agit que de quelques individus qui ne représentent qu'une minorité. Je ne pense pas qu'il faille leur interdire le droit à manifester. En revanche, il faut déterminer à partir de quel moment il y a abus de ce droit à manifester sa propre opinion. Ce sujet, et parallèlement à cette affaire, le ministère public a fait appel de deux jugements récents. Car il est pénalement condamnable de perturber l'accès à l'IVG. Mais encore faut-il ne pas donner une définition tr:op laxiste de ce que signifie perturber l'accès à l'IVG. »
LE FIGARO - 23 juillet 1999
Le Figaro. - Pourquoi relancer actuellement une campagne sur la contraception ?
Martine Aubry : « C'était une de mes priorités dès mon arrivée au ministère. Aucune campagne générale n'avait été faite depuis 1981. Il m'est apparu que les IVG étaient en augmentation chez les jeunes filles, probablement parce que pour beaucoup de jeunes, le préservatif a remplacé la contraception orale, alors qu'ils doivent être complémentaires. En faisant le point, je me suis aperçue que trois dossiers essentiels étaient bloqués et devaient d'abord progresser : la pilule du lendemain, le prix des pilules de troisième génération, et le RU 486, et là je sors du domaine de la contraception pour aborder celui de l'avortement. Je dois dire, en préambule, que l'interruption volontaire de grossesse doit être le dernier recours : out doit être fait pour que les femmes et les jeunes filles utilisent la contraception. »
Le Figaro. - Quels sont les éléments innovants ?
- « Nous sommes le premier pays à avoir mis à la disposition des femmes une pilule du lendemain en vente libre. C'est très important pour les jeunes filles après un premier rapport sexuel non protégé, ou les femmes qui ont un accident de contraception, un oubli. Mais il faut la faire connaître. Les médecins nous confirment que c'est sans danger, même si ce ne peut pas être un moyen habituel de contraception. Il est vrai que les laboratoires ne mettaient pas un grand enthousiasme à la fabriquer. »
Le Figaro. - Cette pilule est bien chère.
- « C'est vrai mais cela reste tout à fait abordable. 25,70 F pour le Tétragynon et 56,40 F pour le Norlevo. Mais je ne renonce pas à faire baisser les prix. »
Le Figaro. - Le coût des pilules de troisième génération n'est toujours pas résolu.
- « Ces pilules ne sont pas remboursées, reviennent en moyenne à 70 francs pour un mois. Un prix qui peut aller jusqu'à 130 francs. Pour être remboursée, il faut que les laboratoires en fassent la demande. Ils ne sont pas tous intéressés. Mais à la fin de 2000 les brevets tomberont dans le domaine public. Si nous n'arrivons pas à faire baisser les prix, nous rechercherons un laboratoire qui proposera une pilule générique à un coût bien moindre. Dans l'un ou l'autre cas, nous pourrons, je l'espère, alors rembourser ces pilules. »
Le Figaro. - Et le RU 486 ?
- « Le RU486, qui permet de réaliser une IVG par prise de médicament, n'était pas assez proposé aux femmes dans les hôpitaux. Or, lorsqu'il est pris dans les délais, il est quand même moins traumatisant qu'une intervention chirurgicale. Près de 40 % des femmes qui demandent une IVG sont à moins six semaines de grossesse. Nous avons donc aidé au redémarrage de la production du RU 486 qui peut maintenant répondre aux besoins. »
Le Figaro. - Toutes les femmes devraient maintenant connaître la contraception ?
- « Notre priorité était et reste de mettre l'accent sur la contraception. Ce n'est plus une action de militant, mais une attitude normale, associée à des concepts de liberté, de responsabilité, d'épanouissement de la femme. Il faut toucher des femmes mal informées, en situation précaire – l'information sur la couverture maladie universelle doit permettre de rentrer en contact avec elles -, informer les jeunes filles qui vivent dans des milieux où l'on ne parle pas de ces sujets, dans les lycées et collèges avec l'aide des infirmières scolaires… La carte de Sécurité sociale personnelles, possible dès l'âge de seize ans pour les jeunes qui seraient en rupture de famille, leur donne une autonomie pour consulter directement un médecin. »
Le Figaro. - Pourquoi avoir présenté en même temps un plan pour améliorer l'accès à l'IVG ?
- « Pour ma part, les choses sont claires:faisons le maximum sur l'amont, c'est-à-dire sur la contraception, et puis agissons pour faire appliquer la loi Veil telle qu'elle existe. Il était nécessaire de faire le point sur l'IVG vingt-cinq ans après le vote de la loi. Le professeur Israël Nisand a fait un rapport remarquable dont les conclusions sont très équilibrées. Contrairement à ce que disent les détracteurs de l'IVG, cet acte ne s'est pas banalisé, même s'il reste à un niveau relativement important, de l'ordre de 220 000 par an. Mais le professeur Nisand recense trois types de problèmes :
[???] de la femme est encore largement insuffisant, le secteur public ne remplit pas son rôle en se déchargeant sur le secteur privé. Et il soulevait deux difficultés précises du fait de la loi, concernant les femmes qui ont dépassé les 10 semaines de grossesse et les jeunes filles en difficulté qui doivent demander l'autorisation parentale. »
Le Figaro. - La loi de 1975 sera-t-elle révisée ?
- « J'ai dit que nous n'excluons pas a priori la modification de la loi. Mais je le répète, la décision n'est pas prise. Le passage du délai légal d'IVG de dix à douze semaines n'a pas d'inconvénient médical. C'est le délai admis dans tous les pays industrialisés, à part l'Espagne et la France. »
Le Figaro. - Et l'abandon de l'autorisation parentale ?
- « Je suis beaucoup plus réservée sur ce point-là. Nous souhaitons renforcer la responsabilité des parents et le dialogue au sein des familles.Supprimer l'autorisation parentale pourrait inciter les jeunes filles à s'en dispenser systématiquement, à ne pas faire l'effort, certes difficile dans ce contexte, de parler à la famille qui peut l'accompagner dans ce moment toujours pénible et traumatisant. Il y a des cas dramatiques, où les jeunes filles ne pourront obtenir l'autorisation parentale au risque parfois de maltraitance physique ou psychologique. J'en connais. Si ces cas ne sont pas la majorité, nous devons les traiter. Je vais réunir une commission avec des experts, des médecins, des représentants des associations de planning familial. Il y a plusieurs idées à travailler pour que les mineures qui font la preuve de l'impossibilité d'en parler à leurs parents soient accompagnées par un adulte proche, ou par un membre d'une association. Les mineures ont besoin d'être protégées et soutenues dans ces moments pénibles. »
Le Figaro. - Avez-vous l'intention de revenir sur la clause de conscience des médecins ?
- « Absolument pas. Mais je pense cependant, comme le professeur Nisand, qu'on ne peut pas aujourd'hui accepter de prendre la responsabilité d'un service de gynécologie si on n'est pas d'accord pour que des IVG y soient réalisés. Ce qui ne veut pas dire qu'on soit obligé soi-même de les faire. J'ai demandé par ailleurs à l'agence nationale d'accréditation et d'évaluation de la santé de déterminer des bonnes pratiques, notamment pour améliorer l'accueil des femmes, le choix de l'intervention, l'accompagnement. Et cette qualité de l'unité d'orthogénie sera prise en compte dans les contrats d'objectifs que doivent signer les hôpitaux avec l'État et aussi, pour leur accréditation. »
Le Figaro. - La contraception, l'avortement sont toujours des sujets soulevant des passions ?
- « Mon souhait aujourd'hui, c'est avant tout de faire appliquer ces lois. Ce qui ne veut pas dire que je désire banaliser l'avortement. Elles constituent de grandes conquêtes pour la femmes au XXe siècle grâce au courage des associations féministes qui se sont battues et de Lucien Neuwirth et Simone Veil qui les ont fait voter. Je considère que le débat de société est derrière nous. Et je ne voudrais pas qu'on finisse le XXe siècle avec une polémique entre les pro et les anti-avortements. D'où l'importance d'un débat public avant de décider de modifier la loi de 1975. »