Interview de M. Jacques Barrot, président du groupe UDC à l'Assemblée nationale, dans "Marianne" de juin 1992, sur le traité de Maastricht et le référendum de ratification.

Prononcé le 1er juin 1992

Intervenant(s) : 
  • Jacques Barrot - UDC, Assemblée nationale, président du groupe parlementaire

Média : Marianne

Texte intégral

Jacques Barrot : L'opposition devrait s'approprier Maastricht

Le président du groupe centriste de l'Assemblée nationale, Jacques Barrot, est par définition un Européen convaincu. Il regrette que l'opposition ne sache pas tirer un plus grand bénéfice politique du traité de Maastricht. Il s’étonne que l’on fausse le débat en l'axant sur le droit de vote des citoyens européens, alors que l'essentiel du traité concerne l'institution d'une monnaie unique.

Marianne. - Votre parti, le C.D.S., a habitué le monde politique à ses états d'âme. Avec Maastricht, les centristes ont retrouvé toutes leurs certitudes...

Barrot. - Depuis toujours, la démarche communautaire a représenté un des ciments de la famille centriste, à la fois en raison de ses origines démocrates-chrétiennes et du refus du général de Gaulle d'une véritable construction communautaire. Le centrisme français en a profité pour renforcer son identité communautaire. Aujourd'hui, nous avons d'autant moins d'états d'âme que Maastricht reste dans la ligne d'une Europe interétatique.

Contrairement à ce que disent ses adversaires, Maastricht n'est pas l'amorce d'un fédéralisme qui ne dirait pas son nom. Il faut être clair à ce sujet : le pouvoir économique et monétaire restera pour l'essentiel entre les mains des chefs d'Etat, les nations seront renvoyées à leurs compétences nationales, lesquelles gardent beaucoup d'importance, et dans ce domaine, la Communauté européenne n’empiétera pas. Seule la responsabilité monétaire, déjà très largement exercée dans un cadre interétatique, sera déléguée.

Maastricht ne constitue donc en rien un détournement communautaire vers une sorte d'Europe nouvelle de type fédéral. Il s'agit tout simplement de la continuité d'une démarche vers une Europe sui generis, où des éléments de fédéralisme demeurent certes à travers la Commission européenne, mais où la démarche interétatique est préservée. Je ne comprends pas pourquoi, notamment du côté des héritiers du général de Gaulle, il existe autant d'hésitations et de craintes.

Marianne. - Pour vous, en revanche, la position est facile. Vous estimez que Maastricht est un bien nécessaire pour la France, et cette certitude rejoint vos convictions les plus profondes.

Barrot. - Nous, centristes, avons en effet la conviction et la certitude que Maastricht est nécessaire, et que c'est bien pour la France. En même temps, nous avons la conviction que l'Europe de Maastricht n’a aucune raison de ne pas plaire à l'ensemble de l'opposition. Ce que je ne comprends pas, c'est que cette Europe de Maastricht, même si elle a été signée par François Mitterrand, reste dans le droit-fil de la construction communautaire telle que l'ont voulue le général de Gaulle, Georges Pompidou et Valéry Giscard d'Estaing. J'aurais préféré que l'opposition s'approprie Maastricht et en fasse vraiment le fruit de son action. C'est là sa principale erreur : au lieu de présenter Maastricht comme l’aboutissement d'une démarche qui a été essentiellement la sienne, l'opposition donne le sentiment que cette Europe est celle des autres. Cette attitude regrettable légitime de façon choquante une sorte de captation d'héritage par les socialistes.

Marianne. - Les grandes décisions de Maastricht concernent l'Ecu et la monnaie unique. Pourquoi se polarise-t-on alors sur le droit de vote des citoyens européens et la question des visas. N'est-ce pas ramener le débat à sa plus petite dimension ?

Barrot. - Le deuxième paradoxe et la deuxième source d'incompréhension avec les Français, c'est que Charles Pasqua, leader RPR du Sénat, donne quitus à l'essentiel - la monnaie unique et la politique d'intégration des visas - tout en majorant un élément accessoire du traité. Car, en admettant que ce droit de vote et cette éligibilité des citoyens communautaires soient adoptés, cela ne changera pas grand-chose. Les pays où ces pratiques sont déjà en cours enregistrent très peu de modifications dans la composition de leur corps électoral. Et finalement, peu de citoyens communautaires useront de cette faculté. J'ajoute que celle-ci va être intégrée par les dispositions d'une loi organique sur lesquelles nous aurons le temps de délibérer à loisir.

J'avais proposé, pour ma part, que l’on reproduise exactement, pour l'éligibilité et l'accès au droit de vote, les conditions exigées pour la naturalisation. Autrement dit, les citoyens communautaires qui pourront voter aux élections locales seront les mêmes que ceux qui peuvent prétendre, dans le droit français actuel, à être naturalisés. Alors, qui peut le plus peut le moins. Si un citoyen italien ou allemand a la possibilité de se faire naturaliser français, et qu'il ne le fasse pas pour des motifs divers, il n’y a pas de raison en revanche qu'il ne participe pas à des élections locales. On peut donc très bien admettre des dispositions de cette nature dans la loi organique. A partir de là, pourquoi faire surgir des craintes disproportionnées à un enjeu aussi limité et aussi encadré.

Marianne. - Etes-vous hostile à la formule du référendum pour ratifier Maastricht ?

Barrot. - Nous ne pouvons pas refuser le référendum, même s'il comporte des inconvénients qu'il ne faut pas se dissimuler : d'abord avec une opinion française accaparée par des problèmes intérieurs, ce référendum peut entraîner des abstentions qui ne renforceront pas nécessairement la position de la France dans le monde. Ensuite, le gouvernement peut s'en servir comme d'une légitimation qui serait abusive. Car détourner le référendum sur l'Europe au profit d'une opération de légitimation du pouvoir en place constituerait un détournement de procédure. Il ne faut pas être naïf : si l'on utilise le référendum, nous devrons expliquer de manière claire que, même si nous votons « Oui », nous nous montrerons intransigeants pour refuser tout détournement de procédure. Autrement dit, les centristes disent « Oui » au référendum, mais à certaines conditions.

Marianne. - En tant que parlementaire et président de groupe, vous sentiriez-vous frustré de voir que l'Assemblée, qui a bien fait son travail, soit privée in fine du bénéfice de la ratification des accords de Maastricht ?

Barrot. - Non. L’Assemblée a bien joué son rôle dans la première phase, celle de l'adaptation des institutions. Il ne faut pas non plus être trop subtil. Ceux qui distinguent l'adaptation des institutions de la ratification elle-même, en établissant une différence fondamentale entre les deux séquences, sont de mauvaise foi. Parce que, qui adapte la Constitution pour la ratification émet déjà implicitement un vote favorable destiné à cette ratification. Donc, assez de ratiocinations et de faux semblants. Que l’Assemblée nationale et le Sénat acceptent le plus rapidement possible cette adaptation institutionnelle. Et si le peuple donne ensuite son opinion par référendum, cela ne me paraît pas du tout désavouer ou limiter les prérogatives du Parlement. Il s'agirait plutôt d'un couronnement.