Déclaration de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, diffusée sur Internet, sur "Les enjeux de l'an 2000", Lyon le 24 octobre 1997.

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Circonstance : Premier forum de l'an 2000 "Vouloir demain" à Lyon le 24 octobre 1997

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,

L'humanité a toujours éprouvé le besoin de scander le temps et de ritualiser les années. En 1989, nous avons célébré le bicentenaire de la Révolution. La force de l'événement était, à elle seule, porteuse de sens. L'an 2000 sera différent. Certes, il y a l'origine chrétienne de cette date, mais, dans notre République laïque, la naissance fût-ce du Christ, à une date d'ailleurs controversée, ne peut suffire à en épuiser le sens. Ce que nous célébrerons dans un peu plus de deux ans, ce n'est pas une étape comme une autre. L'an 2000, il y a cinquante ou seulement trente ans, c'était la crainte de l'apocalypse ou, plus souvent, la promesse de l’aube.

Or, le grand virage du siècle reste jusqu'ici sans visage. Chaque jeunesse s'est construite en référence au monde de ses parents ; voilà que le monde des parents est aujourd'hui sans références. Ce n'est pas la terreur de l'an 1000, dont les historiens nous apprennent d'ailleurs qu'elle fut largement un anachronisme, ce n'est pas l’attente béate des lendemains qui chantent ; et pourtant ce ne peut pas être non plus l'indifférence. Nous sommes dans un entre-deux, qui cherche des raisons d'espérer et qui, dans l'ordre politique du moins, a beaucoup de mal à les trouver.

N'en soyons pas paralysés. Puisque l'an 2000 est redevenu vierge, sinon de toute espérance, du moins de tout projet évident, puisque nous ne croyons plus a priori et sans démonstration aux progrès du progrès, chacun d'entre nous peut déterminer librement les enjeux. C'est ce que je ferai aujourd'hui avec modestie - car le risque d'erreur est grand - et en pensant d'abord aux plus jeunes, puisqu'ils seront - telles sont les lois de la biologie - les bâtisseurs du prochain siècle.

Je partirai d'une évidence. Parmi les enfants de Spielberg et de Coca-Cola - la domination américaine constituera un de ces enjeux ! -, s’exprime un doute profond face au politique, parce que les mesures généralement prises, les réformes proposées - je ne me situe évidemment pas par rapport à tel ou tel gouvernement - semblent le plus souvent liée au coup par coup, dans une gestion liée à des intérêts immédiats et sans résultats évidents. Sans doute est-ce le contrecoup de déceptions précédentes, de projets autrefois trop totalisants et parfois désastreux. Pourtant, toute vraie politique est aussi une géographie morale qui doit permettre de trouver son chemin ensemble. Elle offre à chacun la liberté d'une contestation, d'une transformation ou d'une adhésion, une possibilité de se situer, parce qu'elle propose des modèles, des normes et des valeurs. Le temps court des actions doit donc se projeter dans le cycle long des projets, sans quoi une politique se réduit à la gestion, nécessaire, du quotidien.

1. Précisément, passer le cap d'un nouveau millénaire, c'est d'abord à mon sens faire passer les temps qui nous ont précédés dans le temps qui nous accueille. Abordant l'an 2000, nous avons comme premier devoir un devoir de transmission. Qu’avons-nous compris des événements dont nous avons été les contemporains et de ce que nos parents nous ont racontés ? Quelles sont les actes, les femmes et les hommes qui nous marquent ou que l'histoire retiendra ? Un mot, un fait, une image suffisent à résumer les siècles précédents : Renaissance, Roi Soleil, Lumières ou Révolutions. On ne retrouve évidemment pas cette unité pour le siècle qui finit.

Car à l'image du Dieu marin que les Grecs plaçaient à la proue des navires, le XXe siècle est devenu méconnaissable. Né dans l'horreur des tranchées, clos par la chute d'un mur, c'est court à force d'avoir été si cruel, il n'a pas même été capable de réunir les cent années qui lui donneraient un peu d’éternité. Né en 1914, il est mort en 1989. L'homme s’y est à la fois attribué les moyens de détruire la terre et ceux de partir à la conquête de l'espace. Les barbaries les plus épouvantables s’y sont déchaînées. La Shoah ne quittera jamais nos mémoires, et ici à Lyon, capitale de la Résistance, on sait quelle ignominie fut le régime de Vichy. Police, administration, État, tous ont participé à cette entreprise de l’innommable.

Et en même temps, nous ne devons pas oublier que ce siècle fut celui de la démocratie en marche, de l'esprit affranchi des dogmatismes, des droits sociaux reconnus, de l'émancipation de la femme, de la Sécurité sociale et, sur certains continents, d'une vie beaucoup plus longue qu’autrefois.

2. Notre second devoir est là : comprendre les ambivalences du présent pour mieux orienter l'avenir. Nous savons désormais qu'il n'y a pas de progrès linéaire, que chaque mutation comporte des promesses et des menaces.

Partout à l'œuvre la triple liberté des hommes, des marchandises et des idées. Notre modèle n'est plus Ulysse, qui s’en retourne à Ithaque au terme d'un long voyage, mais Abraham dont l’errance reste inachevée. Pourtant, beaucoup s'alarment d'un monde rebelle, autiste et cloisonné. Regain identitaire ici, revendications séparatistes là, irrédentismes et nationalismes partout. En France, un parti malheureusement puissant se nourrit du rejet de l'autre, du fantasme d'une identité nationale purifiée, avec pour seul programme le retour vers la barbarie. Il se drape dans les plis du drapeau alors que son mépris et son intolérance s'inscrivent contre l'histoire de France, où la citoyenneté l’a emporté sur les communautés, le sol sur le sang, la volonté sur l’hérédité.

Une même ambivalence se retrouve dans le progrès des techniques. Je pense en particulier aux nouvelles technologies de l'information. En négatif, elles véhiculent l'hyperlibéralisme triomphant, la fascination de l'instant. En positif, la force de la technique peut donner de la résonance au monde, créer d'autres conditions de perception, d'autres modes d'intervention qui développent des sociabilités nouvelles.

Dernière ambiguïté à surmonter : pour réussir l'an 2000 il faut accomplir l'examen de passage sans oublier un examen de conscience. Globalement, nos sociétés s'enrichissent. Les évolutions du travail vont vers la suppression des tâches les plus dangereuses et, espérons-le, des plus pénibles. Mais, dans le même temps, des millions de femmes et d'hommes sont exclus du processus de production des richesses. Les inégalités se maintiennent ou s’accroissent, n’opposant plus seulement les fortunés aux salariés, mais ceux qui ont un emploi et ceux qui n'en ont pas, les villes, les banlieues et les campagnes, les générations entre elles. Les conflits deviennent le plus souvent internes aux Nations. La politique de demain devra prendre en considération pour la surmonter cette situation faite de tensions et de déchirements, de sentiments d'abandon et de difficultés d'intégration. En France, la devise républicaine et la laïcité nous y aideront. Pourrions-nous réellement franchir un nouveau cap, si nous sacrifions la cohésion sociale ? Ma réponse est clairement non.

3. J'en arrive dès lors à notre troisième devoir. Puisque, laissé à lui-même, le présent engendre souvent une force et son contraire, un bien et un mal, une innovation heureuse et des destructions, nous devons formuler un projet clair, porteur de sens. La fin des idéologies ne doit pas signifier l'effacement des idées. Il existe des choix plus justes que d'autres, des valeurs et des convictions auxquelles nous sommes attachés et dont nous voulons qu'elles contribuent à construire le siècle qui s’ouvre.

« Vouloir demain », vous avez, me semble-t-il, retenu l'intitulé qu'il fallait pour ce premier forum de l'an 2000. Car c'est bien de volonté dont il s'agit et dont nous avons besoin. Ne pas nous comporter comme les derniers hommes du XXe siècle, fatigués par les déceptions des décennies qui s'achèvent, mais comme les premiers du XXIe siècle. Aussi, voudrais-je esquisser rapidement devant vous cinq actes de foi, cinq paris qui méritent d'être pris. Ce sont, pour moi, les cinq grands enjeux de l'an 2000.

Le premier, le fondement, s’appelle simplement la démocratie. Notre rencontre est un « forum » : depuis plus de deux millénaires, la démocratie est débat, discussion, libre confrontation, parole des égaux. La démocratie comme parole, vous pardonnerez au président d'un parlement d’en… parler, et d’y croire encore. Nos vies ne peuvent pas se contenter de se juxtaposer. Elles doivent s'harmoniser. C'est le rôle de la politique de leur offrir des lieux, des institutions, des lois pour que cela devienne possible. Sans elles, l'homme n'est plus un citoyen. La politique de demain devra faire appel aux valeurs démocratiques qui sont les nôtres en les adaptant aux configurations nouvelles.

Je n'entrerai pas aujourd'hui dans le détail des réformes institutionnelles qui s'imposent à nous en France. Constitueront-elles ou non une VIe république ? En tout cas, j'évoquerai la nécessité d'une vraie parité politique entre hommes et femmes, pendant d'une égalité professionnelle qui reste largement à établir, moins de cumuls de fonctions, le quinquennat présidentiel, et, naturellement, de nouveaux droits au parlement : un meilleur contrôle de l'exécutif, une plus grande initiative des lois, une vraie ouverture sur les citoyens et sur le monde. Comme le gouvernement actuel l'a très bien compris, on ne changera pas vraiment de politique si on ne change pas aussi la manière de la faire. C'est à ce prix au moins que nos institutions, qui devront être enrichies par un recours plus fréquent aux formes modernes de la démocratie directe, gagneront en efficacité, que les systèmes de représentation et de délégation ne seront plus soupçonnés d'être un jeu formel. À ce prix aussi, que le désir de démocratie et de République, qui soutient tout l’édifice, traversera le nouveau siècle.

Le second défi de l'an 2000, s’appelle l'emploi et le temps libéré. Il y a 150 ans, les révolutionnaires de 1848, en décrétant le suffrage universel, voulaient aussi instaurer un droit au travail. Celui-ci figure au préambule de notre Constitution : nous en sommes loin ! Et pourtant, certains croisés du laisser-fairisme voudraient s'en prendre même au droit du travail. Favoriser la croissance en développant investissements, recherche et formation, construire une économie partenaire où public et privé seraient complémentaires, répartir de façon équilibrée la fiscalité entre les hommes et entre l'homme et les machines, mobiliser les gisements d'emplois dans le tiers secteur, réduire le temps de travail : autant de pistes à emprunter.

À cet égard, je suis convaincu qu'à l’heure des services et de la société de l'information, le XXIe siècle nous apprendra d'autres façons d'organiser notre temps et notre espace. Au-delà de telle ou telle diminution, un projet-emblème sera la semaine de quatre jours de travail. À la fois, volonté d'une plus grande disponibilité face à soi-même, en donnant davantage au temps personnel et familial ; volonté de retrouver le temps de la rencontre avec les autres, de la vie civique, associative qu’exige le renouveau de la vie publique. L'émergence de l'économie solidaire ne constituera pas seulement une façon de combattre le chômage ; c'est aussi une aspiration à trouver d'autres formes de liens sociaux plus authentiques dans des villes plus vivables, de nouvelles logiques de consommation, donc de nouveaux marchés.

Notre troisième défi sera l'éducation continuelle et la culture vivante. Pour que le temps libéré par les machines permette aux femmes et aux hommes de s'enrichir de savoirs nouveaux, le siècle à venir devra développer une politique exigeante de culture et d’éducation.

Aiguillon de l'économie, le savoir sera au cœur de la lutte contre les inégalités. Nos écoles resteront le lieu de l'éducation première, de l'apprentissage du civisme, de la laïcité et des valeurs républicaines. Mais il faudra, plus d'un siècle après Jules ferry, aller bien au-delà, aller au-delà aussi de la formation continue qu’exigent la solidarité et la justice sociale, vouloir pour l'an 2000 une éducation continuelle, tout au long de la vie : tout le savoir, disponible pour tous, tout le temps et partout. Les propositions en ce sens ne manquent pas : mettre en place des modalités de certification des acquis, instaurer le crédit formation, multiplier les vidéos cours, encourager les associations d'éducation populaire, inciter l’université à participer à l'éducation continuelle, assurer à cette fin son ouverture permanente. La nouvelle clé de l'égalité des chances est là.

L'éducation continuelle participera à l’élaboration d'une culture vivante. La langue est territoire de rencontre. Elle est lieu de passage des désirs et des rêves. Une langue détruite est un monde perdu. Des langues nouvelles s’inventent, originales et fugitives. Écoutons le rap, le verlan, ces prises de parole qui sont des manières inédites de vouloir parler alors qu'il est de plus en plus difficile de se faire entendre. Il s'agira de donner à chacun, par le biais de l'éducation et de la formation, l'aptitude à connaître la langue française et à parler celle des autres.

Or pour une très grande puissance que chacun connaît et respecte, les États-Unis d'Amérique, la culture est devenue la prolongation ou le substitut de la guerre par d'autres moyens. Elle est clairement dans ce cas un pouvoir, une industrie. Nous devrons chercher par une véritable stratégie culturelle à réunir nos forces aujourd'hui éparses. À encourager et à croiser les diverses formes et métiers de la culture. À ne pas nous dissoudre dans une sorte de sous-culture aseptisée et uniformisée. Nous devrons doter notre pays d'un organisme de promotion de notre culture à l'étranger. Dans le domaine audiovisuel, nous devrons, en suscitant la création, constituer une grande télévision francophone, capable de diffuser nos images dans le monde entier.

Cela nous conduit au quatrième défi, celui que représentent la société de l'information et les nouvelles technologies. Cette révolution n'est pas faite de pavés et de barricades, mais de connexions et de communications. Ces applications vont transformer l'ensemble des comportements sociaux.

Nous savons que la disponibilité des informations et des moyens de communication ne produit pas de sens, sans organisation. L'accessibilité spontanée est une illusion qui favorise les mieux dotés. D'où la nécessité d'une vraie ambition nationale et européenne si nous voulons combler notre retard. Donnons au plus grand nombre la possibilité d'utiliser ces nouveaux médias par des apprentissages dès l'école ou dans l'entreprise. Veillons à une répartition équilibrée sur le territoire. Accompagnons cette politique d'une véritable éducation de l'intelligence critique. Rendons-nous maîtres et possesseurs, non plus de la nature, mais de la machine, de ses potentialités, pour en forger une utilisation humaine et créative, riche en paroles, en savoirs et en emplois nouveaux. Telle est notre feuille de route.

Le dernier défi s’appelle vouloir l’Europe et choisir la responsabilité internationale. La construction de l'Europe sera l'un des enjeux évidents du XXIe siècle. Face aux grandes puissances du XXIe siècle, les États-Unis, la Chine, l'Inde, face au système mondialisé des échanges financiers, qui réduit la capacité d'intervention des pouvoirs publics nationaux et donne l'impression aux citoyens que seul l'argent règne, l’Europe est une chance, notre chance. Bientôt l'euro sera un acquis, il nous faut imaginer dès à présent une nouvelle étape, « l'espace européen ».

Je pense à un « contrat politique » à passer entre les nations européennes, tout comme la nation française est née en son temps du « contrat social » conclu entre les individus. Les États-Nations s’associeraient dans une instance politique, que ne suffit pas à résumer le concept de Fédération. Pour chaque nation, ce sera plus un partage de légitimité qu'un abandon de souveraineté. Une assemblée européenne, élue au suffrage universel direct, à l'image de l'actuel Parlement européen, mais dotée de pouvoirs réels, exprimera la volonté et l'idée d’une citoyenneté européenne. Le jour où une loi vraiment européenne sera votée, l’Europe existera vraiment. Nous devrons proposer aux peuples européens, qui partagent déjà un patrimoine de valeurs politiques, de s'unir, le moment venu, autour de cet objectif juridique devenu nouvel idéal.

Dans l'immédiat, cela veut dire approfondissement de notre Union plutôt que dilution par son seul élargissement ; démarche sociale commune et non simple logique financière ; volonté démocratique plutôt que technocratie européenne.

Pour autant, l'Europe ne remplirait pas son rôle, si elle devait nous détourner de l'exercice de nos responsabilités internationales. La première sera d'organiser le respect et la protection de notre environnement. Cinq ans après, les bons préceptes de la conférence de Rio restent à peu près lettre morte. Trop de forêts continuent d'être incendiées ou surexploitées. Trop de fleuves sont captés pour les besoins humains au-delà de ce qui est acceptable. Trop de rejets atmosphériques ont fini par altérer la couche d'ozone et multiplier les pluies acides. Dans vingt ans, quelle température fera-t-il à la surface du globe, où se sera arrêté le niveau des mers, combien de maladies respiratoires se seront développées ? Je ne le sais pas plus que vous, mais je sais que si nous ne lançons pas à l'échelle des Nations unies un grand plan pour la sauvegarde de l'environnement, pour la protection de la faune et de la flore, pour la préservation de la qualité de vie et de la biodiversité, pour une utilisation responsable de l'atome et le traitement des déchets, pour une déontologie accrue dans les manipulations du vivant et pour le désarmement, pour un développement durable et la généralisation des énergies renouvelables, alors nous n’irons pas beaucoup plus loin. Il existe des principes que nous devons fixer et respecter pour assurer l'existence même de la personne humaine du troisième millénaire.

Simultanément, l'internationalisation de la responsabilité et de l'action politiques constituera une réponse indispensable à la mondialisation. Témoins de drames terribles, nous éprouvons de la honte, tous les jours ou presque, à en rester les observateurs passifs : Yougoslavie, Rwanda, Algérie, si nous ne voulons pas faire de la société du spectacle le seul spectacle de nos impuissances, nous devrons, nous étant interrogés sur les principes du droit international, sur la puissance des États et sur la supranationalité, agir et vite. Mettre en œuvre des moyens de coercition internationaux, relayés par des organisations régionales, qui permettront plus de concorde entre les peuples et partout le respect des droits de l'homme. La reconnaissance par les Nations unies du droit d'ingérence constitue un pas dans cette direction. Il faudra aller plus loin, dire clairement que la souveraineté des États s'arrête là où commencent les crimes contre l'humanité et nous doter des moyens de les prévenir et de les sanctionner.

Mesdames et Messieurs, là sont probablement quelques-uns des enjeux majeurs de l'an 2000. Deux mots résument la démarche qui me paraît nécessaire : modernité - cela va de soi - et solidarités. Solidarité des époques, des territoires, des savoirs, solidarité des femmes et des hommes par la paix et le partage sur nos continents.

Pour marquer le passage à l'an 2000, beaucoup de projets à travers notre pays sont en gestation. La mission pour la Célébration fait un travail utile. Je souhaite qu'il contribue à donner à la France le visage que nous espérons pour elle. Mais il serait dommage que ce jour soit seulement l'occasion d'un réveillon plus long ou particulièrement mémorable. Servons-nous de la puissance évocatrice de cette date pour avancer ensemble. C'est pourquoi j'aimerais proposer aujourd'hui deux projets concrets, deux projets pour notre pays, deux projets à notre portée pour l'an 2000 et qui font écho à certains grands enjeux que je viens de décrire. Pour marquer un événement conjoncturel, ils constitueraient deux actes structurels.

Le premier concerne avant tout nos enfants et le savoir. Si la France veut être exacte au rendez-vous de l'an 2000, elle doit, pour un développement conjoint de l'école et des nouvelles technologies de l'information et de la communication, prendre rapidement une décision : dans chaque classe, primaire, secondaire, université, n'importe quel élève, n'importe quel étudiant doit pouvoir être raccordé au réseau Internet. C'est concret. C'est précis. C'est possible. La Grande-Bretagne vient de décider la connexion de ses 32 000 classes. Les moyens financiers sont disponibles en France. Je souhaite qu'on le décide rapidement et qu'on le fasse d’ici l’an 2000.

Le deuxième projet concret incarne la solidarité, c'est celui-ci. L'hiver approche. Or il arrive encore, chaque hiver, que dans notre pays riche on meurt de froid. N'est-ce pas le scandale des scandales, à la fin du XXe siècle, en France ? Hier, c'était « un homme, une voix » ; demain ce peut être « un homme, un toit ». La France a quelque chose à faire, à dire aux autres et à elle-même, quelque chose qui signifie ce qu'elle souhaite pour le siècle qui vient. M'adressant au Gouvernement et aux collectivités locales, je propose que nous mobilisions nos énergies, que nous accroissions notre effort envers le logement et l'accueil de partout, pour faire en sorte - et c'est possible - qu’en l'an 2000 il n'y ait plus de sans domicile-fixe en France.

Mesdames, Messieurs, j'ai voulu simplement vous dire que la vie publique est le choix non d'un seul mais de tous les hommes et les femmes de demain. L'Histoire n'épouse pas les seuls contours du pouvoir et de la nécessité, mais ceux de la volonté et de la vérité. Pour l'an 2000 aussi, ce sont elles qui doivent guider nos pas.