Déclaration de M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, le 27 novembre 1997 et interview à France 2 le 28, sur les biotechnologies, la recherche sur les OGM, la mise en place d'un système de "biovigilance" et l'information du consommateur sur les produits transgéniques.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence de presse sur les OGM à Paris le 27 novembre 1997

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Conférence de presse sur les OGM - le 27 novembre 1997

Mesdames, Messieurs,

Les biotechnologies, depuis les années 70, participent au mouvement continu de l’amélioration des plantes et des cultures qui a pris naissance avec l’agriculture elle-même. Ce mouvement a amélioré la vie des hommes de manière décisive. D’abord outils de connaissance, les biotechnologies et leurs applications tracent aujourd’hui des perspectives agricoles et alimentaires nouvelles.

Les organismes génétiquement modifiés, particulièrement les plantes transgéniques, suscitent interrogations et débats dans la communauté scientifique, dans le monde agricole et agro-alimentaire et chez les consommateurs. Sujet d’ordre agronomique, mais aussi environnemental, économique, éthique, il intéresse l’ensemble des citoyens de notre pays.

I. Il importe de prendre en considération tous les aspects de ce dossier.

– L’opinion publique est indécise et encore insuffisamment informée. Si nos concitoyens sont prêts à accepter le recours au génie génétique pour la production de médicaments, ils sont réticents à l’accepter pour leur alimentation.

– L’expertise scientifique est mise en doute. Les citoyens n’acceptent pas que les décisions qui engagent l’avenir soient prises sans expression et confrontation de toutes les opinions.

– Il ne s’agit pas d’un débat français, car nos voisins européens sont aujourd’hui confrontés aux mêmes questions, comme les pays développés en dehors de l’Europe.

Nous serons demain interpellés par les pays où la sécurité alimentaire n’est pas assurée.

– Quant aux conséquences pour l’environnement de la mise en cultures de certaines espèces, les connaissances scientifiques sont parfois insuffisantes.

– Les OGM sont un enjeu majeur pour la recherche :

Le génie génétique utilisé pour créer les OGM constitue un outil essentiel de connaissance du vivant et fait l’objet d’un effort de recherche important poursuivi au niveau mondial. Cet effort de recherche s’appuie sur une protection des découvertes par les brevets et il en découle une course aux brevets. Il faut s’assurer que les firmes françaises ne sont pas exclues de ce défi économique.

En agriculture, le génie génétique ouvre de nouvelles perspectives pour l’évolution des variétés végétales par une meilleure maîtrise des gènes et une plus grande rapidité d’obtention. L’enjeu pour la sélection variétale est donc capital.

– Ils sont aussi l’objet d’enjeux économiques internationaux :

Les grands pays agricoles dans le monde ont des approches réglementaires divergentes sur les plantes transgéniques, les conditions de mise en marché et l’étiquetage.

Il peut en découler une distorsion de concurrence supplémentaire entre les différents producteurs et des litiges dans les échanges internationaux.

II. Considérant tous ces éléments, les décisions prises par le gouvernement doivent permettre la participation des citoyens au débat, la transparence, et doivent appliquer pleinement le principe de précaution.

1. Le Gouvernement a décidé de lancer un débat public sur les OGM.

C’est la première fois qu’une telle décision est prise en France, sur un sujet de société intéressant l’ensemble de la communauté nationale.

Dans son état actuel, le débat sur les biotechnologies est réservé aux spécialistes ; il est trop étroit, trop confidentiel.

Pour prendre en compte les aspects éthiques, environnementaux et sociaux des biotechnologies, de nouvelles formes d’élaboration des décisions doivent être imaginées.

Les conférences citoyennes de consensus déjà expérimentées dans certains pays européens comme le Royaume-Uni ou le Danemark peuvent répondre à la demande de débat public.

Cette démarche permet de mettre en œuvre une démocratie participative. Elle a pour but de favoriser l’information et le débat, ouvert et contradictoire sur les choix scientifiques en suscitant le dialogue entre citoyens et experts.

La structure organisatrice de ces conférences doit être dotée d’une légitimité forte, fondée sur l’indépendance et la neutralité dans les débats. Il faut aussi une crédibilité en termes de capacité d’organisation et de mobilisation de l’expertise et du panel de citoyens.

À ce titre, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a proposé de mettre en œuvre un tel débat.

Composé à parité de députés et de sénateurs, il s’est récemment saisi d’une étude sur la connaissance et l’utilisation des gènes. Elle porte en priorité sur les plantes transgéniques.

Prolongeant ses travaux, l’Office parlementaire organisera une conférence citoyenne de consensus, ouverte, transparente, au cours du premier semestre 1998.

2. Il est mis en place un système de biovigilance.

Certains types de plantes transgéniques sont testés en plein champ depuis cinq à dix ans. Dans ce contexte, aucun phénomène défavorable sur les cultures ni sur l’environnement n’a été observé. Mais l’échelle limitée des essais impose en vertu du principe de précaution, de considérer ces conclusions comme temporaires.

C’est pourquoi, pour des essais à plus grande échelle, ou des mises sur le marché conditionnelles, il est créé un système de biovigilance.

Ce système a pour objectif un suivi constant des plantes transgéniques grâce au recueil de paramètres.

Leur analyse permettra de préciser la nature des conséquences et conduira à confirmer ou infirmer les théories scientifiques actuelles.

Si nécessaire, les résultats de la biovigilance remettront en cause les autorisations accordées.

3. L’information des consommateurs sera assurée.

Avec l’objectif de favoriser la plus grande transparence dans l’offre aux consommateurs, les OGM ou les produits contenant des OGM seront clairement identifiés comme tels par un étiquetage clair et informatif.

En outre, les produits des OGM, dès lors qu’ils ne sont pas identiques à des produits traditionnels, seront soumis aux mêmes règles d’étiquetage.

4. Le principe de précaution s’impose à toute décision dans le domaine des autorisations.

Selon ce principe, une autorisation de mise en culture ne peut intervenir que lorsque les risques de dissémination de transgènes dans l’environnement ou les risques sanitaires pour les consommateurs sont parfaitement maîtrisés.

D’ores et déjà, certaines lignées de maïs génétiquement modifié, évaluées au cas par cas par les commissions scientifiques compétentes, ont fait l’objet d’un avis favorable unanime. Ces commissions scientifiques françaises sont la commission du génie biomoléculaire, le conseil supérieur de l’hygiène publique et le comité de prévention et de précaution.

C’est le cas du dossier déposé par la société Novartis pour un maïs tolérant à un de ses parasites, la pyrale.

Il a été transmis à la Commission européenne, puis adressé aux autres États-membres de l’Union. Il a enfin été soumis à l’avis de trois comités scientifiques européens, le comité scientifique de l’alimentation humaine, le comité scientifique de l’alimentation animale et le comité des pesticides. Ces trois comités ont donné un avis favorable.

Au terme de cette procédure d’environ trois ans, la Commission européenne a adopté une décision favorable dont la France a été destinataire.

Le précédent Gouvernement a alors décidé d’autoriser l’importation et la consommation de ce maïs, mais non sa mise en culture.

Cette incohérence pour le maïs a été relevée, car il ne croise avec aucune espèce sauvage, ce qui empêche les transferts des gènes et il ne repousse pas d’une année sur l’autre, ce qui limite les problèmes d’ordre agronomique.

Il faut modifier cette décision, mais le ministre de l’agriculture n’autorisera qu’au cas par cas les lignées de maïs ayant fait, conformément aux procédures en vigueur, l’objet d’une décision favorable de la Commission européenne.

Ces autorisations seront conditionnelles et assorties d’une possibilité de retrait du marché selon les résultats du système de biovigilance.

Selon le même principe de précaution, aucune autorisation de mise en marché pour les autres espèces n’est délivrée.

Il s’agit notamment du colza et de la betterave, dans la mesure où les scientifiques restent divisés, et où l’absence de risque de dissémination n’est pas établie. Pour ces espèces, les recherches en cours seront poursuivies. Elles détermineront, avec les orientations du débat public, les décisions à prendre.


France 2 – vendredi 28 novembre 1997

France 2 : Le Gouvernement a décidé hier que le maïs transgénique pourrait dorénavant être cultivé en France et qu’il y aurait un grand débat public autour de cette question. À quoi va ressembler ce grand débat public autour du maïs transgénique ?

Louis Le Pensec : Il nous est apparu qu’à ce jour le consommateur, le citoyen n’avait pas participé au débat sur cette question. Il ne faut pas qu’elle soit confinée à un cercle d’experts. Nous avons décidé qu’au premier semestre 1998, avec l’office parlementaire des choix scientifiques, il soit organisé pour la première fois dans notre pays ce grand débat public citoyen, avec notamment une conférence citoyenne de consensus.

France 2 : Donc, on mettra tout sur la table : le problème d’étiquetage, les problèmes médicaux, les conclusions et interrogations qui peuvent se poser ?

Louis Le Pensec : Et la dimension éthique du problème, la dimension environnementale. Non seulement rien ne sera caché, puisque ce sont des citoyens choisis dans un panel qui formuleront les questions et les experts qui y répondront, dans un grand débat public contradictoire, à l’image de ce qui est pratiqué dans certains pays d’Europe…

France 2 : Revenons au cheval, puisque vous êtes au Salon du cheval. On a choisi pour vous, en présentation, quelques races de chevaux bretons que vous connaissez.

Louis Le Pensec : J’y suis sensible.

France 2 : Je crois même que quand vous étiez jeune, vous aviez chez vous en Bretagne labouré avec des chevaux de trait…

Louis Le Pensec : J’ai vécu au milieu des chevaux, parfois sur les chevaux, mais en permanence à côté. C’était non un de mes passe-temps, mais une occupation qui m’a beaucoup enrichi en termes d’expérience, d’approche de l’animal, de contact avec l’animal.

France 2 : Aujourd’hui, la France est le premier cheptel chevalin en Europe.

Louis Le Pensec : Oui, nous le sommes. Mais par-delà les chiffres, je pense qu’il y a le fait que nous sommes détenteurs d’un patrimoine génétique en ce domaine et d’un savoir-faire qui fait que nous sommes une référence européenne – je crois pouvoir dire – mondiale.

France 2 : Toutes les races de chevaux sont aujourd’hui sauvées. Il y a eu quelques inquiétudes à un moment sur certaines races de chevaux de trait.

Louis Le Pensec : On pourrait citer peut-être un cas, mais nous pouvons considérer dans l’ensemble que la quasi-totalité des races de chevaux de trait a été sauvée. La mécanisation au sortir de la guerre avait conduit à marginaliser la présence du cheval. Et voilà que, par un grand effort, avec le concours des éleveurs, des haras nationaux, et donc de la puissance publique, il a été permis de sauver… Nous nous en réjouissons tous. C’eût été une véritable perte que n’existe plus telle race de cheval postier, de trait ou autres.

France 2 : Aujourd’hui, on se rend compte que dans l’agriculture, le secteur du cheval, c’est quoi ? Une façon de se diversifier, d’améliorer la rentabilité éventuelle des exploitations, de faire peut-être du tourisme plus attrayant ?

Louis Le Pensec : C’est un peu tout cela. Le cheval est un animal multiple. Il a réussi cette fascinante mutation d’avoir été l’élément vital dans nos civilisations rurales, pour devenir actuellement un animateur de l’espace. Il a su s’adapter à des vocations totalement nouvelles, être le lien entre la ville et la campagne – nous verrons à ce Salon du cheval que ce sont les citadins qui vont venir en masse –. Le cheval fait découvrir la campagne aux citadins. Le cheval, en plus de la fonction économique qu’il garde dans un certain nombre de domaines, continue à être utilisé pour tout ce qui est débardage des bois, des forêts. Il a une réelle mission économique, mais par-delà tout ce qui vous mentionnez, les activités de loisirs, les fermes équestres sont appelées à un grand développement.

France 2 : On a vu aussi certaines expériences très intéressantes avec les chevaux, notamment en ce qui concernait la sécurité urbaine, la violence : on s’est rendu compte que des brigades à cheval étaient finalement mieux accueillies par les jeunes. D’autres expériences de ce type pourraient-elles se développer ?

Louis Le Pensec : Dans d’autres domaines, tout ce qui est l’éducation des enfants souffrant de handicaps. Le cheval est un animal de très grande sensibilité, d’une grande intelligence. Il entretient avec celui qui le côtoie des relations très riches. En termes de pédagogie, son apport n’est pas contesté.

France 2 : Autre thème qui dépasse largement celui du cheval, mais qui a trait à la politique agricole commune : on a vu que Bruxelles a présenté ce qui s’appelle l’Agenda 2000, c’est-à-dire comment l’agriculture européenne va évoluer quand l’Europe sera élargie aux autres pays. Cela ne plaît pas beaucoup aux agriculteurs français.

Louis Le Pensec : Il faut dire qu’en l’état où est le texte, ce que l’on appelle le paquet Santer, les propositions de la Commission ne sont pas acceptables. Nous avons donc fait valoir un certain nombre d’amendements. Nous avons dit les points sur lesquels nous attendions des corrections. Nous avons devant nous une année de négociations.

France 2 : Ce que vous ne voulez pas, c’est quoi ? Que l’on baisse les aides aux céréaliers ?

Louis Le Pensec : Non. Cela, je pense que les céréales, c’est précisément le cas où l’on est en mesure de faire face à une baisse des prix. En revanche, dans beaucoup d’autres domaines – je pense à la viande bovine, baisse de 50 % sans une compensation au total –, je ne pense pas que nous soyons en mesure d’y faire face. Donc, nous avons souhaité plaider pour que l’agriculture de l’Europe en cette fin de siècle prenne beaucoup plus en compte ce que l’on appelle les nouvelles attentes du citoyen à l’égard de l’agriculture, que l’agriculture joue pleinement son rôle d’aménageur de l’espace, de sauvegarde de l’environnement et de fournisseur de produits de qualité.