Interviews de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, dans "La Provence" du 18 mai, "Les Echos" et "Sud-Ouest" du 1er et "Le Progrès" du 2 juin 1999, sur ses positions en faveur de l'Europe de l'emploi et de l'Europe sociale, sur l'harmonisation de la fiscalité et sur le financement de la baisse des cotisations sociales des entreprises participant aux 35 heures.

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Média : Energies News - Les Echos - La Provence - La Tribune Le Progrès - Le Progrès - Les Echos - Sud Ouest

Texte intégral

La Provence – mardi 18 mai 1999

La Provence : – Depuis le traité de Rome, l’Europe se construit sur des bases économiques. Quel est le premier chantier de cette Europe sociale que vous appelez de vos vœux ?

François Hollande : – C’est l’emploi. Le premier acte social de l’Europe pourrait être de mettre l’Union au service de la seule cause qui vaille quand il y a 16 millions de chômeurs : la croissance et l’emploi.

La Provence : – Quelles sont vos priorités ?

François Hollande : Le drame du Kosovo nous montre qu’il nous faut aller plus loin dans l’Europe de la Défense (voir ci-dessous). Ensuite, l’Europe sociale. On n’a pas fait un grand marché et une monnaie unique pour le plaisir de voir circuler les capitaux et les marchandises, ni pour celui d’avoir des billets avec de nouvelles effigies.
Nous, socialistes, avons toujours pensé que ces éléments constituaient des leviers pour mener une politique de croissance et d’emploi. La lutte contre le chômage, grâce à la coordination des politiques économiques des 15, grâce à un programme de grands travaux, à une baisse de la TVA sur les produits de grande consommation, doit être prioritaire.

La Provence : – Reste que l’harmonisation des législations sociales doit se faire par le haut.

François Hollande : – Bien sûr. Car le mieux disant européen, défendu par Nicolas Sarkozy (tête de liste RPR-DL) serait en fait un moins disant social. Les libéraux disent « on a défini un cadre, libre à chaque pays de se donner les conditions sociales pour être compétitifs ». Mais nous refusons cette compétition au détriment des salariés.

La Provence : – Ensuite ?

François Hollande : – L’Europe sociale est en fait l’Europe des citoyens. Un marché produit au mieux des consommateurs et des producteurs. Ce qui crée la citoyenneté, c’est l’affirmation des droits qui dépassent l’acte économique : des droits sociaux et des droits civils et, j’allais ajouter, des droits politiques. Il nous faudra élaborer une charte des droits des Européens qui s’intègrerait dans une constitution européenne, clarifiant les compétences de chaque niveau de décision, entre l’Europe et les nations qui la composent.

La Provence : – Êtes-vous favorables à des États-Unis d’Europe ?

François Hollande : – On ne peut pas plaquer des schémas extérieurs pour organiser notre modèle européen. Sur le Vieux Continent, les nations existaient préalablement à l’Union européenne, alors qu’en Amérique, ce sont les États qui ont constitué la Nation. De plus, l’élection du président au suffrage universel – ce que demande par exemple François Bayrou (tête de liste UDF) – c’est la transposition de la Ve République. Comment l’imposer à nos partenaires, qui ont d’autres institutions. Il faut inventer une organisation originale pour l’Europe, où la Commission, organe d’exécution, doit procéder d’un parlement, représentant les peuples, qui tiendrait toute sa place. Ce qui n’empêche pas de renforcer le rôle du Conseil des chefs d’État et de gouvernement.

La Provence : – Vous arrivez en Provence, où le sentiment européen est peu développé, notamment parce que l’Europe lorgne plus vers l’Est que vers le Sud…

François Hollande : – L’Europe doit regarder partout. Vers l’Est : il n’est pas question de faire entrer dans l’UE tous les pays de l’ex-bloc soviétique. Mais il faut conforter les démocraties en nouant des relations d’associations avec certains pays…

La Provence : – Mais le Sud ?

François Hollande : – Le Sud fait partie de l’aventure européenne. C’est la zone qui offre les plus grandes potentialités ; c’est la partie la plus dynamique du continent, celle qui renforce l’attractivité économique de l’Europe. Du point de vue touristique, mais pas uniquement. Il nous faut aussi renforcer la coopération régionale entre les pays riverains de la Méditerranée.

La Provence : – Dans le cadre de cette politique, Marseille est une ville importante…

François Hollande : – Une ville capitale.

La Provence : – Dans l’affaire Corse, l’ordre semble être venu du cabinet du préfet Bonnet. Mais n’y a-t-il pas une responsabilité politique, un manque de surveillance d’un préfet dans une situation délicate de Matignon ?

François Hollande : – Replaçons-nous dans le contexte de la nomination de M. Bonnet, après l’assassinat du préfet Érignac. Il n’était pas illogique de lui donner des moyens supplémentaires, en effectifs notamment. Il n’était pas anormal de lui donner les moyens juridiques et techniques de l’établissement de l’État de droit. Et, dans les reproches adressés au préfet ces derniers mois, on mettait en cause sa manière stricte, ferme, zélée d’appliquer la loi. Pas le fait qu’il tentait de s’en affranchir. Tout en respectant la présomption d’innocence, je dirai, personne n’imaginait que des agents chargés de faire respecter l’autorité de l’État puissent engager des actes illégaux.

La Provence : – Dans le cadre des emplois fictifs de la mairie de Paris, Jacques Chirac pourrait être cité à comparaître. Votre commentaire ?

François Hollande : – Nous avons un grand principe : la justice doit travailler dans la sérénité, la liberté et l’indépendance. Je constate avec fierté, même si c’est parfois cruel, que ce principe s’applique en Corse. Il faut laisser la justice travailler.

La Provence : – Milosevic donne des petits gages. N’est-ce pas le moment de cesser les frappes dont les dommages collatéraux (sic) anéantissent les faibles avancées diplomatiques ?

François Hollande : – Les frappes sont la seule manière d’amener Milosevic à une solution politique. Il y a eu des erreurs dramatiques, inacceptables, inexcusables, de la part de l’OTAN. Mais le processus est en train de donner ses premiers résultats.
On voit les craquements dans le Gouvernement de Milosevic. Beaucoup dépend de notre propre détermination. Je souhaite que cette guerre s’arrête le plus vite possible. Ça ne dépend que de Milosevic. On n’en est peut-être plus très loin.


Les Echos – 1er juin 1999

Les Echos : – Votre liste promet que ce qu’elle propose sera réalisé parce qu’il y a une majorité de gouvernements socialistes en Europe. Mais, sur de nombreux sujets, il n’y a pas accord. Quelles sont les propositions qui pourront être tenues ?

François Hollande : – Le Pacte européen pour l’emploi a été lancé à l’initiative de Lionel Jospin et de Gerhard Schröder fin 98. Il sera discuté cette semaine même au sommet de Cologne. Certes, il ne comportera pas tous les dispositifs que nous souhaitions, mais il reprendra les objectifs des pactes nationaux pour l’emploi et affirmera la nécessité d’améliorer la politique d’insertion des jeunes, la formation professionnelle et la baisse de la fiscalité sur le travail. Nous aurions préféré des objectifs plus fermes en matière de croissance, des critères et un calendrier. De même, nous sommes partisans d’un programme de grands travaux. Mais nous n’imaginons pas faire en une fois ce qui demandera du temps. L’important, c’est d’avoir désormais une procédure faisant de l’emploi un objectif majeur de la construction européenne, au même titre que la monnaie unique.

Les Echos : – En matière économique, les critères étaient contraignants. Est-ce que vous n’abusez pas l’opinion en ne retenant pas d’objectifs chiffrés sur l’emploi ?

François Hollande : – Non, car je crois vraiment que le Pacte européen pour l’emploi est la première étape d’une politique de critères en matière d’emploi. Deux procédures coexistent actuellement. Celle de la coordination des politiques économiques et celle, encore balbutiante, de la politique européenne pour l’emploi. Il est indispensable de lier l’une et l’autre. La coordination des politiques économiques est faite aussi pour stimuler la croissance et donc créer des emplois. En tout cas, la Banque centrale européenne et le gouvernement économique doivent davantage porter leur priorité aujourd’hui sur la lutte contre le chômage que sur la décrue de l’inflation qui est acquise.

Les Echos : – Vous demandez pour cela un changement du statut de la BCE. Qui vous soutient ?

François Hollande : – Nous demandons à tout le moins que le gouvernement économique, à côté de la Banque centrale, rappelle avec force la priorité donnée à l’emploi. Mais reconnaissons que cette Banque centrale a pris les devants en diminuant les taux d’intérêt, comme aucune autorité monétaire nationale n’en aurait pris le risque. Lorsque nous disions que nous avions tout à gagner de l’euro et d’une Banque centrale européenne, nous en avons aujourd’hui la démonstration.

Les Echos : – Sur les 35 heures, vous n’avez pas convaincu grand monde en Europe…

François Hollande : – Nous n’avons jamais eu pour ambition d’ériger les 35 heures en modèle préétabli, à généraliser à toute l’Europe. À nous de faire la preuve qu’elles créent des emplois. En revanche, il faut que le futur Pacte européen pour l’emploi retienne un objectif d’aménagement du temps de travail.

Les Echos : – Avez-vous convaincu davantage sur les réformes fiscales ?

François Hollande : – Nous avons trois priorités. D’abord harmoniser la fiscalité sur les revenus des capitaux. Pour éviter des délocalisations, qui sont aujourd’hui encore plus faciles à mener en matière de placements que d’investissements, il est nécessaire de mettre en place un prélèvement minimal à l’échelle de l’Europe. Les discussions sont certes difficiles, mais elles devraient déboucher en fin d’année sur un taux commun de 20 %. Notre souci est aussi de faire le taux normal de TVA. En raison du coût élevé, nous retenons des baisses ciblées dans l’immédiat sur l’artisanat, les produits de tourisme et les services aux personnes. Le dossier avance à Bruxelles et nous avons bon espoir qu’une première étape sera franchie en France, dans le prochain budget. Enfin, la troisième harmonisation souhaitable porte sur la fiscalité de l’environnement. Là aussi, les discussions sont engagées.

Les Echos : – Votre projet de traité social, avec notamment un salaire minimum européen paraît encore plus utopique que le Pacte pour l’emploi.

François Hollande : – Il y a dix ans, l’Europe n’avait aucun objectif social et François Mitterrand parlait dans une indifférence hostile. Beaucoup de chemin a été parcouru. Mais il faut aller plus loin. Dès lors que nous construisons un grand marché, il n’est pas anormal, d’un simple point de vue économique, qu’il y ait aussi une harmonisation progressive des politiques sociales. Harmonisation qui ne peut se faire par le bas. Ainsi, un salaire minimum au niveau européen devra progresser au fur et à mesure des progrès de chacun. De la même manière, il devrait y avoir un socle de droits sociaux affirmé dans tous les pays.

Les Echos : – Quelles leçons tirez-vous de la crise qui a secoué la Commission européenne ?

François Hollande : – Des leçons positives. On a reproché, à juste raison, aux institutions européennes d’êtres irresponsables et opaques. Lorsqu’un Parlement européen affirme sa volonté de transparence et d’efficacité et qu’une Commission démissionne au nom de ces principes, c’est l’amorce d’un processus démocratique. La Commission européenne, qui n’est pas un gouvernement, doit procéder du Parlement européen. Le traité d’Amsterdam le permet, mais il faudra aller plus loin et améliorer le fonctionnement des institutions européennes, notamment en resserrant la Commission européenne et en étendant le vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil.

Les Echos : – Quelle est votre vision de l’Europe alors que, sur votre liste, les radicaux de gauche la veulent fédérale et que le MDC défend, au contraire, l’Europe des nations ?

François Hollande : – L’Europe est un être hybride. C’est une fédération. La monnaie unique, le Parlement européen montrent bien qu’il y a une souveraineté partagée. Mais, en même temps, les nations existent, gardent des compétences qu’elles n’entendent pas transférer à l’Union. Ce dont on souffre, c’est d’une confusion des responsabilités. C’est pourquoi nous préconisons une Constitution européenne qui clarifierait, au nom du principe de subsidiarité, les compétences des États et de l’Union européenne.

Les Echos : – Pourquoi n’allez-vous pas jusqu’au bout en proposant, comme François Bayrou, un président élu au suffrage universel ?

François Hollande : – Parce que, à la différence de certains, nous ne rêvons pas l’Europe, nous voulons la faire. Aucun de nos partenaires européens ne veut pour le moment d’un président élu. Ce n’est pas dans leur culture politique. En revanche, il y a de la marge pour rendre les institutions plus efficaces et étendre les sujets où le vote à la majorité qualifiée suffit. Je pense notamment à la fiscalité et au social, terrains où l’harmonisation européenne est nécessaire.


Sud Ouest – mardi 1er juin 1999.

Sud Ouest : Cette campagne européenne a du mal à démarrer. Comment comptez-vous faire pour qu’elle décolle enfin ?

François Hollande : – La nôtre a démarré depuis le mois d’avril. Nous avons tenu une grande réunion à Paris avec les chefs de gouvernements socialistes pour bien montrer que nous faisons une campagne européenne. C’est la différence majeure avec les listes de droite qui ne sont là que pour se disputer le leadership de l’opposition. Notre objectif est de mettre en cohérence la politique du Gouvernement Jospin et la dimension sociale que l’Europe doit donner à son action. Voilà pourquoi le Parlement européen doit avoir une majorité de gauche le 13 juin. Mais ce n’est pas acquis !

Sud Ouest : – Lors de ce meeting des Premiers ministres socialistes, on a noté beaucoup de différences entre Lionel Jospin, Tony Blair ou Gerhard Schröder. Comment construire une Europe socialiste avec des gens qui mettent sous cette étiquette des conceptions si variées ?

François Hollande : – Heureusement qu’il y a des différences ! Rien n’est pire que l’uniformité. Chacun a ses traditions, sa culture. Mais nous partageons les mêmes objectifs et les mêmes valeurs. Nous voulons tous faire de l’emploi la priorité de la nouvelle étape de la construction européenne. Car le grand marché ou la monnaie unique ne suffisent pas quand il y a 16 millions de chômeurs. Nous voulons aussi donner aux Européens conscience qu’ils appartiennent à un ensemble qui leur donne des droits et des protections supplémentaires, notamment au plan social. Enfin, nous voulons une Europe qui puisse se défendre par elle-même. Le sommet franco-allemand de Toulouse a apporté des avancées sur ce point.

Sud Ouest : – Et ce combat pour l’emploi, comment se concrétise-t-il au Parlement européen ?

François Hollande : – L’enjeu des prochains mois, c’est le pacte européen pour l’emploi qui sera discuté au Conseil européen de Cologne, dès la fin de la semaine. Il repose sur des objectifs de croissance communs à toute l’Europe, sur des critères de convergence en matière de formation professionnelle, d’emploi des jeunes, d’égalité hommes-femmes au travail, enfin une harmonisation fiscale, par exemple grâce à une baisse de la TVA sur l’artisanat, le tourisme et les services aux personnes.

Sud Ouest : – Vous prônez en fait une voie moyenne entre le fédéralisme et le souverainisme. Mais, là-dessus, vous êtes d’accord avec Sarkozy ?

François Hollande : – Je ne crois pas que les Européens attendent de cette campagne un débat théorique ou institutionnel sur l’Europe. Ils veulent savoir comment l’Europe peut être plus efficace dans la lutte contre le chômage et plus concrète pour l’aménagement du territoire.
Nicolas Sarkozy n’a aucun projet européen. Il est seulement en compétition avec Charles Pasqua et François Bayrou. Tous ont pourtant en commun le libéralisme qui a déjà fait tant de mal. Les socialistes veulent une Europe qui ne se résume pas à un marché, mais prenne ce qu’il y a de mieux sur le plan social dans les pays de l’Union.

Sud Ouest : – Souhaitez-vous que la seconde loi sur les trente-cinq heures intervienne dans les délais prévus, c’est-à-dire d’ici la fin de l’année ? Préconisez-vous une nouvelle baisse des charges sociales ?

François Hollande : – La première loi était incitative. Elle a rempli ses objectifs : de nombreux accords ont été signés et 60 000 emplois ont été créés. Les partenaires sociaux ont besoin d’une nouvelle loi pour accélérer les négociations et trouver le moyen de créer le maximum d’emplois.
Quant à la baisse des charges sociales, elle est nécessaire pour encourager les entreprises à embaucher.
Pour la financer, il est logique de demander une contribution supplémentaire aux entreprises qui font des profits ou qui ont des activités polluantes.
Lorsqu’on voit ce qui se passe chez Elf, qui fait 8 milliards de bénéfices, qui se fixe pour objectif de les doubler d’ici cinq ans et qui supprime 2 000 emplois dans le Sud-ouest, on se dit vraiment qu’il faut faire contribuer financièrement ce genre d’entreprise à la réduction des cotisations sociales des industries de main-d’œuvre.

Sud Ouest : – Comment comptez-vous résoudre la quadrature du cercle de la chasse, entre directive européenne et revendications des chasseurs ?

François Hollande : – Il faut sortir de la passion et de la surenchère. Nous sommes dans une incertitude juridique qui ne peut plus être acceptée par personne. L’Europe doit redéfinir un cadre permettant l’exercice de la chasse, dans le respect de la protection des espèces. Je propose une grande loi qui réforme la loi Verdeille, réexamine la chasse de nuit, établisse clairement les dates d’ouverture et de fermeture. Nous socialistes, qui n’avons aucun parti pris, nous pouvons faire prévaloir ce nécessaire équilibre.

Sud Ouest : – Que vous inspire la réouverture de la paillote « Chez Francis » ?

François Hollande : – L’idée qu’elle n’est qu’en sursis et que sa fermeture est proche. Qu’elle intervienne bien à la date prévue et qu’il n’y ait pas de nouvelle dérogation.
Sud Ouest : – Siègerez-vous au Parlement de Strasbourg ?

François Hollande : – Oui.

Sud Ouest : – Combien de temps ?

François Hollande : – Je respecterai la loi sur le cumul des mandats. La loi actuelle, et surtout la loi future que le Parlement doit voter le plus vite possible.

Le Progrès – mercredi 2 juin 1999.

Le Progrès : – Le 13 juin, voterons-nous à une élection européenne, ou pour un combat droite-gauche ?

François Hollande : – Nous voterons sur l’avenir de la construction européenne. Il y a sans doute une vision de gauche, et une vision de droite. Mais je suis convaincu que l’opposition fait fausse route, en menant une campagne purement de politique intérieure, sans projet européen.

Le Progrès : – Le Président et le Premier ministre auraient-ils la même « vision » de l’Europe ?

François Hollande : – Heureusement que sur des questions comme la défense ou les institutions européennes, le Président de la République et le Premier ministre travaillent en cohérence. Mais sur le contenu de l’action européenne, sur ce qu’on fait en matière sociale ou économique, les identités politiques retrouvent leurs droits – et heureusement. Ce sera un grand progrès dans la construction européenne d’avoir cette clarification de l’enjeu, au bon sens du terme. Avant, l’Europe ne progressait ou ne stagnait que dans le consensus ; mais il y aura, demain au Parlement, deux grandes forces, l’une socialiste, l’autre conservatrice, qui donneront plus de lisibilité au débat européen.

Le Progrès : – Vous comptez sur Jacques Chirac pour défendre au sommet de Cologne le projet de pacte social ?

François Hollande : – Je compte d’abord sur Lionel Jospin. C’est lui qui en a lancé l’idée, il y a deux ans, à Amsterdam. Nous n’avons pas l’illusion de penser qu’à Cologne, toutes nos propositions seront retenues. Mais pour la première fois, un Conseil européen va fixer des objectifs sur l’emploi qui auront la même valeur que les critères financiers liés à la monnaie unique.

Le Progrès : – Ne faites-vous pas naître de faux espoirs, compte tenu des divergences sur la question entre socio-démocrates ?

François Hollande : – L’Europe est toujours une œuvre collective. Parfois, le débat peut être vif entre socialistes : c’est normal, chacun a ses traditions, sa culture. Nous, nous souhaitons que les Européens se fixent une stratégie de croissance : 3 % nous paraît un objectif accessible, mais il est vrai qu’il serait plus dur à atteindre par nos amis allemands. Peut-être faudra-t-il donc envisager des objectifs propres à chaque pays. Nous voulons aussi fixer des objectifs chiffrés en matière de formation des jeunes, d’insertion des chômeurs de longue durée, et d’égalité entre hommes et femmes au travail. Puis, la discussion se poursuivra en juillet, avec l’harmonisation fiscale.

Le Progrès : – Avec, à la clé, des baisses de TVA ?

François Hollande : – Je propose de baisser de 20,6 à 5,5 % le taux de la TVA sur l’artisanat et les travaux du logement. La Commission européenne s’y était jusqu’à récemment opposée, mais les ministres devraient parvenir à un accord en juillet, ce qui nous permettra d’inscrire dans la prochaine loi de finances une baisse de TVA d’une dizaine de milliards de francs, qui bénéficiera à des secteurs très créateurs d’emplois.

Le Progrès : – Les socio-démocrates paraissent également divisés sur le Kosovo…

François Hollande : – Non, car il y a unité de vue sur la nécessité d’intervenir au Kosovo. Après, il existe sans doute des nuances entre les Anglais, partisans d’une intervention terrestre, et les Allemands et les Italiens, qui préféreraient une suspension des frappes si Milosevic donnent des signes d’acceptation des conditions posées par les alliés… La France fait la synthèse : elle ne souhaite pas une intervention au sol, ni une suspension prématurée des frappes. Elle recherche avant tout une issue politique au conflit.

Le Progrès : – Et sur la défense européenne ?

François Hollande : – Il y a convergence sur sa nécessité : si l’Europe veut exister politiquement, elle doit être capable d’assurer sa propre sécurité. Elle suppose à la fois, un corps européen d’intervention, une coordination des moyens de chacun, et une industrie européenne de défense. Ça ne gommera pas les différences nationales, parce qu’elles ont la vie longue, mais ça donnera l’impulsion.

Le Progrès : – Vous êtes l’un de rares socialistes à ne pas avoir peur du mot « fédéral ».

François Hollande : – Parce que l’Europe est fédérale ! Quand il existe une monnaie unique, un Parlement européen, des domaines de plus en plus nombreux où les États décident à la majorité, c’est dans un processus fédéral.

Le Progrès : – On n’a pourtant jamais entendu Lionel Jospin employer le mot…

François Hollande : – L’objectif d’une fédération d’États-nations a été adopté alors qu’il était Premier secrétaire du Parti socialiste. Mais, il insiste aussi, et il a raison, sur la permanence des nations : l’Europe ne se fera pas contre les identités qui fondent le pacte démocratique.

Le Progrès : – Reste que Lionel Jospin, à votre différence, ne dit jamais « fédéral ».

François Hollande : – Ce qui intéresse aujourd’hui nos concitoyens, c’est surtout de savoir si l’Europe peut être utile pour lutter contre le chômage et pour donner une véritable dimension sociale à ses interventions. C’est notre volonté : je ne fais pas campagne pour « parler » de l’Europe, mais pour la réorienter sur l’essentiel : ce que nous disons, nous pourrons le mettre en œuvre, grâce aux onze Gouvernements socialistes, mais aussi à la condition qu’il y ait, au Parlement européen, une majorité de gauche.