Interviews de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, dans "Le Figaro", le 16 juin 1999 et à RTL le 28, sur les contrats territoriaux d'exploitation conditionnant l'octroi des aides à la qualité des produits et au respect de l'environnement, la proposition française d'interdiction des farines animales, les OGM et la contamination de certains produits alimentaires belges.

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Emission L'Invité de RTL - Le Figaro - RTL

Texte intégral

Le Figaro le 16 juin 1999

Le Figaro : Pourquoi ce retard dans la publication des résultats ?

Jean Glavany : Nous n’avons pas voulu livrer ces résultats bruts sans les faire valider par la nouvelle agence de sécurité sanitaire des aliments. La levée du séquestre des élevages ne se fera qu’une fois cette précaution prise.

Le Figaro : Quel sort sera réservé aux élevages du nord de la France qui se sont fournis directement en aliments belges ?

Jean Glavany : Nous libérons tous les élevages sous séquestre de la même manière, en fonction des résultats des analyses. Il faut comprendre que nous devons gérer la double contrainte des consommateurs qui veulent être libérés au plus vite de la mise sous séquestre.

Le Figaro : Avez-vous du nouveau sur l’enquête belge ?

Jean Glavany : Non, nous sommes toujours dans l’incertitude. C’est cela qui explique la mise en œuvre du principe de précaution : c’est dans le doute qu’il faut prendre le maximum de précautions. Mais plus vite on lèvera cette incertitude, mieux vaudra !

Le Figaro : Vous avez déclaré à Luxembourg que les résultats des analyses sur les animaux étaient négatifs.

Jean Glavany : Négatifs, c’est-à-dire « favorables ». À ce stade, nous n’avons toujours aucune raison de penser que la France ait été touchée par la contamination. Mais, je le répète : attendons la validation de ces résultats. Nous ne lèverons les dispositifs qu’après celle-ci.

RTL le lundi 28 juin 1999

Olivier Mazerolle : Il y a eu un certain nombre de déboires alimentaires ces derniers temps : poulet à la dioxine ; on se pose des questions sur les OGM ; il y a eu la vache folle. On met en cause l’agriculture qui veut produire toujours plus au mépris de la qualité. C’est votre diagnostic ?

Jean Glavany : C’est vrai que, depuis 40 ans, sous l’effet de la Politique agricole commune, l’agriculture européenne et donc l’agriculture française s’est donc lancée dans une course folle à la quantité produite. En même temps, elle a rendu de grands services à l’Europe et à la France dans la mesure où elles ont été non seulement autosuffisantes, mais puissamment exportatrices sur les marchés mondiaux – ce qu’elles n’étaient pas, il y a 40 ans –. Du coup, peut-être qu’aujourd’hui on en paye un peu le prix, et cette attention portée sur la compétitivité de notre agriculture a peut-être éloigné nos regards de certains impératifs qualitatifs. Donc, aujourd’hui, toutes ces crises sont l’occasion pour nous de faire le point sur cette Politique agricole commune et de, sans doute, réorienter cette politique agricole.

Olivier Mazerolle : Vous donnez le coup d’envoi demain, des contrats territoriaux d’exploitation. C’est-à-dire que les aides pourraient être attribuées aux agriculteurs non plus en fonction de la quantité produite, mais en fonction de la qualité.

Jean Glavany : Une grande réflexion a lieu depuis des années sur cette Politique agricole commune, cette politique publique qui consiste à donner toujours plus aux agriculteurs qui produisent de plus en plus des aides, des primes qui sont liées à l’hectare ou à la tête de bétail. C’est-à-dire que plus on a, plus on touche ; plus on a d’hectares, plus on touche de primes. Tout cela a eu un effet pervers : cela a désertifié nos campagnes ; cela a concentré les exploitations. Justement, la nouvelle loi d’orientation agricole, qui vient d’être votée par le Parlement, essaye de réorienter une partie, de ces aides pour venir en aide à l’exploitant, c’est-à-dire à la petite et moyenne exploitation familiale, celle sur laquelle nous fondons tous nos espoirs pour enrayer cet exode rural, d’une part, et faire cette marche à la qualité des produits qui est indispensable aujourd’hui.

Olivier Mazerolle : Les aides seraient liées, par exemple, à la non-utilisation de certains produits ?

Jean Glavany : Les aides seraient liées à un projet d’exploitation sur cinq ans visant à conforter les petites exploitations, à les faire aller vers une meilleure qualité de leurs produits, une défense de l’emploi, une meilleure défense de l’environnement, un meilleur aménagement du territoire. Ce seront des aides qui iront vers des projets qualitatifs et non plus uniquement quantitatifs.

Olivier Mazerolle : Vous avez oublié ce que Jacques Chirac, le Président de la République tout de même, disait au mois d’octobre dernier : « Je ne veux pas que l’on transforme les agriculteurs en jardiniers de la nature appointés par l’Etat. C’est ce que vous allez faire ?

Jean Glavany : Appointés par l’État ou par l’Europe, l’essentiel des agriculteurs le sont, j’allais dire. Comme je vous le disais à l’instant : plus ils sont gros, plus ils le sont. Quand on a mille hectares, on touche cent fois plus de primes que lorsqu’on en a dix. Donc, « appointés par l’État », c’est une autre question : c’est de savoir si l’agriculture est capable de vivre sans aide publique, ce qui est très difficile. Et « jardiniers de la nature », les agriculteurs le sont. Il faut les encourager à l’être. 60 ou 70 % des citadins, quand ils parlent de la campagne, font référence aux paysages. Pour nous, la campagne c’est aussi un ballon d’oxygène, l’endroit où l’on va passer ses week-ends ou ses vacances. Nous devons avoir cette responsabilité d’entretien des paysages. Il ne s’agit pas d’en faire l’activité majeure. Il s’agit de savoir que les agriculteurs doivent entretenir les paysages, aménager le territoire, préserver les ressources naturelles. L’eau qu’il y a dans les nappes phréatiques, il faut bien la préserver parce que c’est ce qui donnera à boire à nos citadins. Donc, toutes ces actions-là qui n’ont jamais été rémunérées vont être prises en compte maintenant parce qu’elles jouent un rôle social fondamental.

Olivier Mazerolle : La force de frappe des exportations agricoles françaises, c’étaient les céréales. Et vous êtes en train de taper sur la tête des céréaliers !

Jean Glavany : Je ne leur tape pas du tout sur la tête ! Je considère que l’agriculture française est diverse. Il y a, à la fois, les très grandes exploitations qui sont exportatrices, et puis les toutes petites qui ont du mal à vivre. Le rôle de la politique est de prendre en compte l’ensemble de ces exploitations : celles qui sont exportatrices pour qu’elles le restent, et les toutes petites qui sont dans des zones difficiles – en zone de montagne ou de coteaux, en Corrèze ou dans le Massif central – pour qu’elles puissent continuer à vivre. Mon rôle de ministre de l’agriculture, c’est de prendre en compte l’ensemble et la diversité de l’agriculture française.

Olivier Mazerolle : Au début de l’année, des céréaliers avaient cassé le bureau de Dominique Voynet. Vous attendez de recevoir des visites ?

Jean Glavany : Tous ceux qui font appel à la violence non seulement se causent du tort à eux-mêmes, mais causent du tort à l’agriculture et aux agriculteurs en général. Donc, il faut être tout à fait intraitable à l’égard de ce type de comportements qui sont inacceptables !

Olivier Mazerolle : Les farines animales : dans six mois, la Commission européenne doit dire ce que l’on doit en faire ; et la France se propose de faire cavalier seul et d’interdire les farines animales. Mais cela va élever le coût de la production !

Jean Glavany : C’est pour cela qu’il faut jouer le jeu européen d’abord et avant tout. Nous sommes dans un marché unique, et on vient de le voir : un problème en Belgique est un problème pour toute l’Europe. Donc, toute disposition que l’on prendrait en franco-français aurait des répercussions européennes. Donc, notre objectif c’est de faire interdire les farines animales qui nous ont causé trop de problèmes jusqu’à maintenant. Il faut régler ce problème, et nous essayons de le régler au plan européen, c’est notre priorité. Ce serait le plus sage. Donc, nous avons posé le problème au niveau européen et, si d’ici six mois la Commission et le Conseil de l’agriculture n’adoptent pas des dispositions suffisamment contraignantes pour nous, nous nous réservons le droit…

Olivier Mazerolle : Et le coût pour les consommateurs ?

Jean Glavany : On a déjà fait interdire les farines animales pour les bovins. Il n’y a plus de farines animales pour les bovins depuis 91. Cela n’a pas eu de coût particulier. Il y en a eu un ; il a été assumé à la fois par les industriels, les agriculteurs et par les consommateurs. Quand il s’agit de la sûreté des consommateurs, de la sécurité alimentaire, on ne va pas raisonner en termes de coûts. Il faut que l’on s’arrange pour assurer la sécurité des consommateurs.

Olivier Mazerolle : Pour produire ces nourritures végétales, on pourra mettre en culture des terres qui sont en jachère aujourd’hui ?

Jean Glavany : Pour remplacer les protéines animales qui ne seraient plus consommées, si nous interdisons les farines animales, il faudra que ces volailles ou ces porcins consomment plus de protéines végétales – ce que l’on appelle les oléo protéagineux –. Il faudra sûrement en produire plus. Il faudrait alors sûrement revoir un certain nombre de dispositions de la Politique agricole commune et de l’accord de Berlin.

Olivier Mazerolle : Et donc cultiver les terres en jachère ?

Jean Glavany : Cultiver plus d’oléo protéagineux.

Olivier Mazerolle : Les organismes génétiquement modifiés : le Gouvernement reste assis entre deux chaises : pas de nouvelles autorisations mais, en même temps, on continue à produire un petit peu de maïs transgénique en France, et ce qui est déjà vendu continuera à l’être. Alors, est-ce que c’est malsain ou non les produits transgéniques ?

Jean Glavany : Le Gouvernement, comme tous les gouvernements, comme vous-même – je suppose que vous n’êtes pas un spécialiste des OGM, ce que je ne suis pas moi non plus – se réfère à quoi ? À la connaissance scientifique. La connaissance scientifique nous éclaire pour savoir ce qui est dangereux de ce qui ne l’est pas, ce qui est tout à fait acceptable. Il y a même des OGM qui sont…

Olivier Mazerolle : La connaissance scientifique est diverse à l’heure actuelle !

Jean Glavany : Nous avons une commission du génie biomoléculaire en France. Nous avons les meilleurs experts français sur ces sujets-là ; nous les consultons. Là encore, la réponse est européenne. Nous sommes en Europe, dans un marché unique. Nous avons voulu jouer le jeu européen pour les OGM. Nous demandons à l’Europe de prendre ses responsabilités et de prendre des dispositions qui soient claires et uniques pour l’ensemble des pays d’Europe. Il n’est pas acceptable que, dans un marché unique, sur les organismes génétiquement modifiés, comme sur les farines animales, il y ait une réglementation française différente de l’anglaise, de l’allemande, de l’italienne.

Olivier Mazerolle : Tant que l’on ne sait pas si c’est dangereux, pourquoi les autorise-t-on ?

Jean Glavany : Si c’était dangereux, on les aurait interdites.

Olivier Mazerolle : Il paraît que certaines plantes produisent des gènes qui résistent aux antibiotiques…

Jean Glavany : Sur ces sujets-là, nous avons gardé notre réserve et nous n’avons pas fait d’autorisation de mise en culture. Sur les sujets sur lesquels il y a un doute, nous mettons en œuvre le principe de précaution : nous n’acceptons pas de mettre en culture, donc livrer à la consommation des produits sur lesquels il y a des doutes scientifiques.

Olivier Mazerolle : Vous frappez assez fort ? Vous en êtes sûrs ?

Jean Glavany : En France, nous sommes un pays qui, dans l’Union européenne, donne l’exemple de la rigueur et de la sévérité.

Olivier Mazerolle : Dominique Voynet, avec les Verts, réclame d’être davantage entendue. Elle parle d’agriculture. Elle vous donne des boutons à vous aussi ?

Jean Glavany : Non, vous savez, on travaille en équipe au sein du Gouvernement. Mon problème n’est pas de dénoncer les problèmes et de protester. Mon problème, c’est de les régler. Donc, je crois que mon souci devant les farines animales, devant les organismes génétiquement modifiés, c’est de faire en sorte que les décisions que nous prenons assurent la meilleure sécurité des consommateurs. Et c’est face à ce cahier des charges-là que je me détermine.

Olivier Mazerolle : Vous êtes confiant : les Verts sont des organismes génétiquement modifiables ?

Jean Glavany : Les Verts vivent leur vie au sein de la majorité avec leur originalité et leur personnalité. Je ne suis pas Vert, comme vous le savez. Je suis socialiste, et je suis dans un Gouvernement qui représente une équipe plurielle. Nous travaillons en équipe en respectant la personnalité de chacun. Cela se passe très bien.