Texte intégral
Q - Fruits, lait, actions contre les McDo. Le monde agricole s'agite beaucoup ? Vous l'expliquez ? Êtes-vous surpris ?
– Il y a conjonction de certaines crises comme celles des fruits et légumes, malheureusement récurrentes, et de la colère, que je comprends, des agriculteurs à l'égard des mesures de rétorsion américaine. Sur le fond, il y a un vrai problème de révolution culturelle à opérer dans l'agriculture française. Il faut passer d'un modèle productiviste à un modèle tourné vers la qualité, l'emploi, l'aménagement du territoire, comme le propose la nouvelle loi d'orientation agricole. C'est un tournant irrémédiable. Si on le nie, on risque les pires avanies. On assiste donc aujourd'hui à une véritable crise d'adaptation de l'agriculture française. Pour le reste, la rentrée est surtout chaude à cause d'une espèce de surenchère syndicale entre un syndicat qui se focalise sur les mesures de rétorsion américaines, la croisade contre les McDo et l'emprisonnement d'un de ses responsables syndicaux et, d'autre part, une organisation syndicale qui ne veut pas se laisser déborder par la contestation et met plutôt l'accent sur la crise des fruits ou celle du lait. Très bien. Mais il faut garder la tête froide. Chacun sait bien que ce n'est pas le ministre de l'Agriculture qui fixe le cours du lait ou de la nectarine. Ce sont plutôt les déclarations tonitruantes de responsables nationaux qui mettent de l'huile sur le feu. Et puis, l'agriculture française, c'est aussi un tas de producteurs qui sont dans leur champ pour arroser, récolter, vendanger. Tout n'est pas en crise, loin de là.
Q - Le syndicat agricole de gauche vous reproche quand même de ne pas les soutenir dans l'affaire de l'emprisonnement de José Bové… Que répondez-vous ?
– La protestation est légitime ainsi que le droit de manifester. La violence, elle, n'est pas acceptable. Elle ne l'est ni de la part du syndicalisme majoritaire ni de la part des autres organisations.
En outre, je vous rappelle que la justice est indépendante. La justice suit son cours, il faut simplement assumer les conséquences de ses actes, je l'ai dit aux responsables de la Confédération paysanne, même si je déplore, moi aussi, que José Bové soit en prison. Je rappelle, par ailleurs, que la CNJA m'a vigoureusement chahuté lors de ma venue à son dernier congrès, à cause de la condamnation de manifestants FDSEA et CDJA du Finistère par la Cour de cassation. Si les responsables syndicaux ne comprennent pas que la société tolère de moins en moins la violence et que la justice est indépendante, à mon avis ils font fausse route.
Q - Comment sortir des crises à répétition, en particulier dans les fruits et légumes ?
– Ça passe par des réformes structurelles. Je ne cesse d'encourager les professionnels à poursuivre les réformes visant à une meilleure maîtrise de la production, à une organisation des marchés plus simple et plus efficace, à un meilleur dialogue entre producteurs et distributeurs, à une promotion de la qualité et à la recherche de nouveaux débouchés. On ne peut pas assurer l'avenir de la production sur le seul financement des retraits.
Q - Le double étiquetage des fruits a reçu un accueil mitigé. Marylise Lebranchu déclare même dans Ouest France que cela pose des problèmes aux petits commerces…
– Le double étiquetage c'est un instrument de transparence sur les marges. Il était demandé par les producteurs depuis des années. Ce n'est pas un lapin sorti de mon chapeau. Quant aux consommateurs, ils ne sont pas idiots. Ils savent bien qu'ils paieront, de toute façon, plus cher en allant chez un petit commerçant, parce qu'ils sont prêts à payer pour un commerce de proximité. Mais ce double étiquetage inauguraient une nouvelle pédagogie des rapports producteurs distributeurs qu'il nous faut poursuivre.
Q - Les producteurs de lait sont aussi inquiets pour leur revenu. Doivent-ils se préparer à un marché plus libéral qu'aujourd'hui ?
– Je me suis battu, lors de négociations de l'Agenda 2000 à Bruxelles, pour maintenir le dispositif des quotas laitiers, qui est reconduit jusqu'en 2008. Mais on ne vivra pas tout le temps avec des quotas laitiers, il faut bien s'y préparer. La baisse actuelle du prix du lait est le résultat d'une conjoncture internationale difficile, faisant suite aux crises russe et asiatique. Je compte utiliser tous les outils autorisés par la réglementation communautaire pour intervenir sur les marchés et soutenir les cours des produits de l'élevage. Il faut aussi que le dialogue interprofessionnel se poursuive afin de trouver une solution équilibrée sur la fixation du prix du lait à la production.
Q - Dans l'Ouest, on vit durement la crise de la volaille. Le rapport Perrin préconise une réduction de la production. Comment l'envisager ?
– On a assisté, ces dernières années, à une course folle vers les poulaillers industriels. Aujourd'hui on est face à une crise de surproduction. Avant d'appliquer les recommandations du rapport Perrin, j'ai demandé aux représentants de la filière d'analyser avec mes services l'opportunité et les conséquences des recommandations. On en tirera les conclusions dans les prochains jours.
Q - Vous revenez d'Argentine. L'Europe y a été critiquée par les grand pays libéraux parce qu'elle subventionne ses agriculteurs et fausse les jeux du commerce mondial. Est-ce la fin des aides et des subventions aux agriculteurs ?
– Lors des négociations sur l'Organisation mondiale du commerce à Seattle, nous devons défendre le modèle agricole européen et faire comprendre à nos partenaires d'outre-Atlantique que l'ultra libéralisme n'est pas compatible avec une agriculture multifonctionnelle, c'est à dire à la fois productive, créatrice d'emplois, respectueuse de l'environnement, de l'aménagement du territoire, et garante de la qualité des produits. J'ai expliqué à mes interlocuteurs que les aides qui interviendront dans le cadre des contrats territoriaux d'exploitation n'auront pas d'influence sur les prix. Elles seront déconnectées du marché.
Q - Ces contrats, précisément. À quand les premières signatures ?
– 10 000 contrats territoriaux d'exploitation seront signés avant la fin de l'année. Les aides de l'État allouées pour les CTE seront financées par un fonds de 475 millions de francs en 1999. Ma volonté est de signer 40 000 CTE en l'an 2000, avec une dotation budgétaire d'environ 1 milliard de francs, à laquelle s'ajoutera la modulation des aides directes européennes. Celle-ci assurera sa pérennité pour les années à venir.
Q - Des farines animales brûlent dans des dépôts en Bretagne ? Que faire ?
– J'ai proposé à l'Europe l'harmonisation des conditions de production, voire l'interdiction pure et simple d'utilisation des farines animales. Ce qui a déjà provoqué certaines difficultés du secteur, avec une baisse de consommation de ces farines mettant en situation difficile les producteurs de ces farines, voire certains équarrisseurs ou certains abattoirs. S'il y a un risque pour le consommateur d'utiliser des farines dans l'élevage, il faudra en payer le coût. Ce serait des déchets qu'il faudrait incinérer et non pas des farines, puisqu'on n'en fabriquerait plus. Mais il faudra bien évaluer les conséquences d'une telle décision et nous sommes dans cette phase d'évaluation.