Texte intégral
Vert contact - 20 décembre 1997
Le grand bond en avant de Kyoto
Du 1er au 11 décembre 1997, à la conférence de Kyoto sur le climat, 159 pays ont œuvré avec acharnement pour se mettre d’accord sur une diminution des gaz contribuant au réchauffement de la planète. Dominique Voynet représentait la France. Elle a défendu une stabilisation des émissions françaises de gaz à effet de serre, dans le cadre d’une « bulle » globale européenne de moins 7,5 % en 2005 et 15 % en 2010 par rapport aux émissions de 1990. Un accord pour une réduction à 5,2 % est finalement intervenu. Un premier (petit) pas vers un contrôle de la consommation d’énergie…
Trois leçons majeures peuvent d’ores et déjà être tirées de la conférence de Kyoto.
D’abord, la question de l’effet de serre a été bien comprise et sa présentation par les médias a été souvent très claire. L’explication des positions des grands blocs de pays a joué un rôle important dans l’issue finale, personne ne voulant porter la responsabilité d’un échec. Nous sommes donc maintenant engagés dans un processus de réduction des émissions des pays développés (– 5,2 % entre 1990 et 2010). Il s’agit là d’un tournant historique. C’est la première fois qu’une limite à la croissance de flux est admise et qu’une répartition de celle-ci est débattue entre pays et débouche sur un accord international.
Les chiffres de réduction des émissions entre 1990 et 2010, tels qu’ils ressortent de la conférence, sous-estiment les efforts décidés à Kyoto. Entre ces deux dates, les croissances démographique et économique des pays industrialisés devraient induire une croissance tendancielle des émissions de près de 25 % (soit environ 1,5 % par an). Réduire les émissions correspond donc à faire plus qu’absorber cette croissance tendancielle. Ce qui a été décidé à Kyoto, c’est donc une réduction d’un tiers des émissions. L’accord conclu correspond à une réduction des émissions françaises de l’ordre de 4 %. Rappelons qu’avant même que les centrales nucléaires ne soient à renouveler, la part du nucléaire dans la production électrique décroîtra, compte tenu de l’augmentation de la production électrique par les industriels, en cogénération, à partir du pétrole ou du gaz.
La fermeté des engagements de Kyoto est à mettre au crédit de l’Union européenne, qui s’est exprimée d’une seule voix, pour la première fois, dans une conférence internationale.
La conférence a ensuite révélé une confrontation Nord-Sud. Les États-Unis ont exigé un engagement des principaux pays du Sud, la Chine et l’Inde, les principaux émetteurs en 2020, compte tenu de leur population et de leur production d’électricité à partir de centrales à charbon. Les pays du Sud, échaudés par l’absence d’action concrète des pays industrialisés après Rio, craignent que tout engagement volontaire à réduire leurs émissions se traduise par une limitation de la croissance de leurs émissions à un rythme nettement inférieur à leur croissance économique. En outre, leur demande de création d’un fonds en faveur des transferts de technologies et de la protection de l’environnement dans les pays du Sud s’est heurtée à un refus des États-Unis. L’impasse a été d’autant plus totale que les pays du Sud s’opposent à tout mécanisme de permis négociables.
Enfin, la question de ces permis négociables a pris d’heure en heure, pendant la conférence, un aspect de plus en plus central. Ils ont pour objectif de stimuler les investissements dans un pays tiers (essentiellement dans les pays de l’Est) pour améliorer l’efficacité énergétique des centrales thermiques, de l’exploitation pétrolière et gazière, et des industries lourdes, en contrepartie de l’imputation de ces réductions à l’actif du pays investisseur. L’argument économique invoqué est que la réponse à l’effet de serre implique d’agir sur les réductions les plus rentables d’émissions. Ainsi les États-Unis voulaient la mise en place immédiate, sans système contraignant de ces permis.
Outre ses aspects éthiques douteux, cette mise en place pose des questions sans réponses : comment éviter que les pays industrialisés ne profitent des écarts de parité monétaire et s’exonèrent d’efforts d’économie d’énergie à effectuer sur leurs propres territoires ? Comment empêcher que des groupes à dimension internationale ne réduisent leur imposition en faisant acheter des permis par leurs établissements situés dans les pays à fiscalités forte ? Comment éviter toute dérive ? La conférence de Kyoto n’a pu trancher, écartelée entre les pays du Sud, hostiles, et les États-Unis, qui en faisaient une condition d’engagement.
Une prochaine réunion aura lieu à Buenos Aires, en novembre 1998, pour compléter l’accord de Kyoto. Elle précédera la ratification de cet accord par le Sénat américain. Le succès passera sans doute à la fois par une mise en place de permis négociables, avec des règles qui protègent de toute dérive, et par un engagement des pays du Sud, moyennant la constitution d’un nouveau fonds proposé par le Brésil, le clean development mechanism. À Kyoto, la question du changement climatique est passée d’un statut strictement environnemental à celui d’une négociation économique et politique globale.
L’Humanité - 12 janvier 1998
L’Humanité : Un mois après sa conclusion, quelle appréciation portez-vous sur les résultats du sommet de Kyoto où vous avez conduit la délégation française à la négociation sur la réduction des gaz à effet de serre ?
Dominique Voynet : La conférence de Kyoto a été un succès au regard du contexte dans lequel elle s’est déroulée. Les États-Unis avaient annoncé haut et fort leur intention de ne pas aller au-delà d’une simple stabilisation de leurs rejets de gaz à effet de serre, ce qui était tout à fait insuffisant. Cela dit, il faudrait que les pays industrialisés aillent beaucoup plus loin pour espérer seulement stabiliser la situation au niveau planétaire. Si les grands pays développés sont invités à réduire leurs émissions, d’autres, comme l’Inde, la Chine, le Mexique, le Brésil – déjà devenus de gros producteurs –, n’ont pas d’engagements, ce qui veut dire que les émissions de gaz à effet de serre vont encore augmenter.
Un second élément me fait dire que Kyoto a été un succès. Le risque était grand de voir mettre en place, tout de suite, un marché mondial des droits à polluer, contrôlé par les pays riches avec le système des permis négociables. Si cela s’était fait sur la base évoquée par les États-Unis, il aurait été inefficace pour réduire l’effet de serre et très injuste d’un point de vue social. Les grands pays développés se seraient permis de dire : on se dispense de faire des efforts puisqu’on finance les réductions d’émissions dans les pays de l’Est en transition. Les permis négociables étaient un marché de dupes dans la mesure où les pays riches achetaient pour pas cher la réduction d’émissions qui n’existaient déjà plus.
L’Humanité : Que faut-il faire maintenant ?
Dominique Voynet : L’engagement vertueux pris lors de cette conférence internationale doit être tenu. En France, nous avons jugé nécessaire de préciser notre position au sein de la bulle européenne, en adoptant un plan national de lutte contre l’effet de serre avant la conférence et en disant : quel que soit le résultat de Kyoto nous respecterons notre engagement. L’effort décidé par l’Union européenne à Kyoto excède un peu ce qui avait été retenu au départ, en ce sens que le moins 8 % pour les six gaz retenus à Kyoto c’est un peu plus contraignant que le moins 15 % retenu en Europe pour trois gaz. Cet effort supplémentaire ne devrait pas concerner la France, pays faiblement émetteur avec un appareil de production d’énergie qui émet peu de gaz. Cette situation particulière est liée d’une part à l’énergie nucléaire et d’autre part aux programmes d’économies d’énergies qui avaient été faits lors des chocs pétroliers.
L’Humanité : Rendriez-vous hommage à l’énergie nucléaire ?
Dominique Voynet : Elle est vertueuse au niveau de l’effet de serre mais pose des problèmes importants en ce qui concerne les déchets. C’est une banalité de rappeler que les Verts sont hostiles à l’énergie nucléaire. Il y a plusieurs problèmes : l’avenir des déchets, le démantèlement des centrales et le coût de ces opérations. Sur le long terme cela va handicaper la compétitivité du nucléaire. Je n’ai pas changé depuis le 1er juin à cet égard, mais ma position est loin d’être partagée au sein du gouvernement. Lionel Jospin et plusieurs ministres ont réaffirmé l’attachement du gouvernement à l’énergie nucléaire, ajoutant que l’arrêt du Superphénix ne constituait pas une remise en cause de cette orientation. J’en prends acte. Je me suis engagée au gouvernement, sur la base de l’arrêt de Superphénix, d’un moratoire pour la construction de nouvelles centrales et de la séparation du contrôleur et du contrôlé car j’estime que la transparence est la plus grande des rigueurs dans le contrôle du nucléaire. Par ailleurs, mon travail aujourd’hui c’est de faire en sorte que les choix énergétiques de l’avenir soient les plus diversifiés possible et qu’on se donne les moyens de gaspiller le moins d’énergie possible.
L’Humanité : Vous venez d’affirmer que 1999 serait l’année de la fiscalité écologique. Qu’entendez-vous par là ?
Dominique Voynet : Nous travaillons effectivement sur une fiscalité plus écologique. Il ne s’agit pas d’alourdir mais de redistribuer. Nous voulons décourager les comportements les plus incohérents et les plus polluants. Ainsi, aujourd’hui rien ne justifie le soutien politique et fiscal à l’égard du diesel et du gasoil.
L’Humanité : Bien que moins directement concernée que votre collègue de l’agriculture par le nouveau projet de réforme de la politique agricole commune, ne craignez-vous pas que cette réforme pousse à un productivisme polluant dans les zones fertiles et à une désertification accrue des régions difficiles ?
Dominique Voynet : Je trouvais intéressante l’idée d’une aide directe aux actifs agricoles pour l’entretien de l’espace dans les zones où le maintien d’une population au travail est le meilleur remède pour faire vivre les territoires. En revanche, je suis relativement hostile à l’idée de baisse générale du prix des produits. Si certains sont exportés sur les marchés mondiaux, ce n’est pas la grande majorité d’entre eux. La sagesse, en matière de prix agricoles, serait de faire en sorte que le prix des produits se rapproche autant que possible du coût de production. Cependant, la part des aides ne saurait se limiter à une compensation des handicaps climatiques et géographiques. Pour permettre dans les zones difficiles le maintien des gens qui ont une vocation d’entretien du territoire et d’aménagement de l’espace, il faut des critères objectifs sur le service rendu à la population en matière d’environnement et d’aménagement du territoire.
L’Humanité : Les pêcheurs à la ligne font état d’un désastre écologique provoqué par la prolifération du cormoran autour des plans d’eau et des rivières qui sont vidés de leurs poissons. Que peut-on faire pour réguler ce prédateur ?
Dominique Voynet : La protection du cormoran avait été instituée au niveau de l’Europe. Elle a généré une expansion de l’espèce avec une pression difficile à supporter sur les eaux continentales. Au niveau de l’Europe, il faudra repenser la régulation, notamment parce que le cormoran niche dans d’autres pays. Les pratiques les plus efficaces de régulation étaient le ramassage des œufs. Il faudra une discussion au niveau communautaire. En France, le ministère de l’Environnement a donné des autorisations pour procéder à des tirs. Mais il semble que ce ne soit pas la bonne solution en raison des difficultés d’approche. On a convenu de réévaluer l’efficacité de ce dispositif.
L’Humanité : Les chasseurs de gibier d’eau souhaitent vous voir demander une modification de la directive européenne qui arrête la chasse de toutes les espèces au 31 janvier. Que comptez-vous leur répondre ?
Dominique Voynet : Je ne comprends pas très bien la grogne des chasseurs de gibiers migrateurs. Peut-on avoir une attitude responsable pour le gibier sédentaire et exiger de chasser le gibier migrateur au moment où les jeunes ne sont pas autonomes ou quand ils retournent nidifier ? J’ai déjà eu l’occasion de m’en expliquer avec le président de l’Union des fédérations de chasseurs. Je souhaite d’une part qu’on respecte complètement l’esprit de la directive oiseaux. Je suis d’autre part ouverte pour reprendre la discussion au niveau européen afin de voir si certaines espèces ne pourraient pas continuer à être chassées sur la base de plans de chasse quand on constate que telle espèce est en excellente forme et en train d’augmenter en nombre. C’est vrai que la date actuelle du 31 janvier est une date couperet. La même date au nord et au sud de la France quel que soit le type d’oiseau n’est pas forcément satisfaisante.
L’Humanité : Quelles réflexions tirez-vous de vos premiers mois de travail gouvernemental concernant l’état réel de la France, les problèmes sociaux accumulés, les attentes des électeurs, les différences d’appréciation qui surgissent parfois au sein du gouvernement ?
Dominique Voynet : Je pense qu’il y a une telle situation, tellement de frustrations, d’exaspérations accumulées qu’il est de notre responsabilité de rappeler que nous ne pouvons pas tout faire en même temps. Il est également évident que nous ne pouvons qu’être en deçà des attentes de certaines parties de la population qui n’en peuvent plus d’attendre. La bonne réponse n’est pas de faire de la démagogie, de dire aux gens : ne vous inquiétez pas, on s’occupe de tout, mais de leur indiquer que nous sommes conscients des difficultés et que nous travaillons pour les résoudre. Concernant le gouvernement, moi, je me sens bien dans cette équipe. Les tonalités différentes qui s’y expriment ne sont ni graves ni dramatiques. Ce sont autant de chances qui nous sont données de voir plusieurs facettes des problèmes, d’entendre tous les arguments, d’avoir un maximum de chances d’être proches des problèmes des gens, à l’écoute de la société. J’ai donc été très étonnée de voir que les différences de tonalité sur les questions posées par les chômeurs étaient interprétées comme des signes de malaise. En ce qui me concerne ce n’est pas le cas. Toute aventure collective suppose le débat, c’est également vrai dans une famille, dans un parti politique, dans une association. Et puisque je réponds à un quotidien de tradition communiste, les choses se passent particulièrement bien avec les ministres communistes. J’ai des relations fécondes et confiantes avec Jean-Claude Gayssot que je vois souvent en raison de nos compétences ministérielles.